III. LE GOUVERNEMENT PROCÈDE À UN AMALGAME ENTRE LES EMPLOIS CRÉÉS PAR LA CROISSANCE ET LES RÉSULTATS DES 35 HEURES
A. COMME PRÉVU, LES " 35 HEURES " SE METTENT EN PLACE SANS BEAUCOUP D'EMBAUCHES55( * )
1. Les 35 heures et l'emploi : le choix de l'idéologie
•
Les 35 heures comme seule alternative au libéralisme ?
Le projet de réduire la durée légale du travail à
35 heures pour créer des emplois constituait l'un des objectifs du
programme de la gauche en 1981
56(
*
)
.
Ce projet n'a été que très partiellement mis en oeuvre
à travers l'ordonnance n° 82-41 du 16 janvier 1982 qui
prévoyait que la durée légale du travail effectif des
salariés était fixée à 39 heures par semaine.
Cependant, l'idée de réduire la durée légale du
travail à 35 heures a poursuivi son chemin. Ainsi, MM. Yves
Barou
57(
*
)
et Jacques
Rigaudiat
58(
*
)
n'hésitaient pas à écrire en 1982
59(
*
)
:
" réduire
fortement la durée du travail ou se résigner à une
inéluctable montée du chômage, telle serait donc
l'alternative "
(...)
.
Ils estimaient également
que :
" La réduction du temps de travail est ainsi
la
seule voie qui nous offre la possibilité d'éviter la solution
néo-libérale
de sortie de crise, celle de l'instauration
progressive d'une société " duale ", à
" deux vitesses ", "
(...). Ils considéraient
enfin que :
" travailler deux heures par jour, et
40.000 heures tout au long de la vie, ce vieux rêve de
l'humanité était aujourd'hui presque à notre
portée "
, en concluant que
"
le " droit
à la paresse " était d'abord une conquête à
réaliser avant d'être une jouissance à
savourer
".
S'agit-il d'une première étape vers la semaine de
10 heures ? En tout cas, le programme du parti socialiste pour les
élections législatives de 1997, prévoyait sous la rubrique
" créer des emplois " de
" ramener progressivement la
durée légale du temps de travail de 39 heures à
35 heures sans diminution de salaire "
60(
*
)
.
Dans sa déclaration de politique générale,
M. Lionel Jospin, Premier ministre, a déclaré
61(
*
)
qu'il fallait
" entamer une
réduction négociée de la durée du travail
privilégiant l'emploi "
; il a estimé que
" réduire le temps de travail, sans perte de salaire
(représentait) à la fois un progrès économique
-susceptible de créer de nombreux emplois- et un progrès
social "
; c'est pourquoi il annonçait qu'
" une
loi-cadre ramenant la durée légale du travail à 35 heures
avant la fin de la législature, limitant les recours abusifs aux heures
supplémentaires et favorisant le temps partiel choisi (serait)
présentée "
.
Enfin, Mme Martine Aubry a considéré, lors de sa
présentation du premier projet de loi
62(
*
)
, que la réduction du temps de
travail constituait la priorité centrale de l'action du Gouvernement,
à savoir la lutte contre le chômage.
Il ressort de ce qui précède que le Gouvernement
français considère que la réduction du temps de travail
constitue le principal moyen d'obtenir une réduction du chômage
plus importante que ne le permettrait la seule croissance de
l'économie.
Il est aujourd'hui possible d'apprécier les premiers résultats
de cette politique et surtout de les comparer aux résultats obtenus par
nos partenaires européens.
On peut rappeler que nos partenaires européens ont tous
préféré à la mise en oeuvre des 35 heures
" sans diminution de salaire "
des solutions qui
s'inspirent peu ou prou de la stratégie pour l'emploi définie par
l'OCDE et qui privilégient la croissance, la flexibilité, les
libres négociations entre partenaires sociaux.
Les recommandations de l'OCDE pour l'emploi
1. Elaborer une politique macro-économique qui
favorise la croissance
et qui, conjuguée à des politiques
structurelles bien conçues, la rende durable, c'est-à-dire non
inflationniste.
2. Améliorer le cadre dans lequel s'inscrivent la création
et la diffusion du savoir-faire technologique.
3.
Accroître la flexibilité du temps de travail
(aussi
bien à court terme que sur la durée de la vie active) dans le
cadre de contrats conclus de gré à gré entre travailleurs
et employeurs.
4.
Créer un climat favorable à l'entreprise
en
éliminant les obstacles et les entraves à la création et
au développement des entreprises.
5.
Accroître la flexibilité des coûts salariaux et
de main-d'oeuvre en supprimant les contraintes qui empêchent les salaires
de refléter les conditions locales et le niveau de qualification de
chacun
, en particulier des jeunes travailleurs.
6. Revoir les dispositions relatives à la sécurité de
l'emploi qui freinent son expansion dans le secteur privé.
7. Mettre davantage l'accent sur les politiques actives du marché
du travail et les rendre plus efficaces.
8. Améliorer les qualifications et les compétences de la
main-d'oeuvre en modifiant profondément les systèmes
d'enseignement et de formation.
9. Revoir les systèmes d'indemnisation du chômage et de
prestations connexes -et leurs interactions avec le système fiscal- de
sorte que les objectifs fondamentaux en matière de la
collectivité soient remplis sans porter atteinte au bon fonctionnement
des marchés du travail.
Source : OCDE, Etude sur l'emploi " La mise en oeuvre de la
stratégie pour l'emploi ", 1994.
Il est donc devenu possible de mesurer quels sont les résultats
comparés des politiques dites libérales mises en oeuvre par
l'ensemble des pays développés et quels sont les résultats
du modèle alternatif français reposant sur une " conception
dirigiste de la souplesse ".
Votre commission observe que la mise en oeuvre des 35 heures n'a pas
permis à la France de résoudre son problème de
chômage et que, depuis deux ans, les résultats sont plutôt
moins bons que ceux de nos voisins, comme si nous avions choisi la mauvaise
politique, comme s'ils avaient choisi la bonne voie pour créer
massivement des emplois.