B. LE PROJET DE LOI : DES MESURES TRÈS TIMIDES
Il faut
pourtant constater que le projet de loi soumis au Sénat, qui a notamment
pour objet de renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur
la police judiciaire, ne contient que quelques mesures de portée
très limitée.
Il s'agit tout d'abord d'instaurer un droit de regard de l'autorité
judiciaire sur les moyens consacrés à une enquête. Ainsi,
l'article 41 du code de procédure pénale serait
modifié pour prévoir que le procureur et les chefs des services
de police et de gendarmerie "
se tiennent informés
" au
moins une fois par trimestre des moyens à mettre en oeuvre pour
atteindre les objectifs fixés par les directives générales
de politique pénale. De même, ils devraient
"
définir d'un commun accord
" les moyens à
mettre en oeuvre en cas d'enquête longue ou complexe (
article 7
du
projet de loi).
Le projet de loi prévoit par ailleurs dans son
article 8
que le
procureur de la République fixe un délai lorsqu'il donne
instruction à des officiers de police judiciaire de procéder
à une enquête préliminaire. En cas d'enquête
menée d'office, les officiers de police judiciaire devront rendre compte
de l'état d'avancement de l'enquête après une durée
de six mois. Le texte tend en outre à contraindre les officiers de
police judiciaire à aviser le procureur dès qu'une personne
à l'encontre de laquelle existent des indices faisant présumer
qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction sur laquelle porte
une enquête est identifiée.
C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : IMPLIQUER L'AUTORITÉ JUDICIAIRE DANS LES ENQUÊTES ADMINISTRATIVES CONCERNANT LES OFFICIERS DE POLICE JUDICIAIRE
•
Les mesures proposées dans le projet de loi pour renforcer le
contrôle de l'autorité judiciaire paraissent
particulièrement modestes. Il est vrai que la gestion des rapports entre
police judiciaire et autorité judiciaire est complexe et qu'il est
difficile de porter atteinte aux équilibres existants sans risquer des
effets contraires au but recherché.
Toutefois, la rédaction du texte pourrait dans certains cas être
à l'origine de malentendus fâcheux. Ainsi, le projet de loi
prévoit dans son
article 7
que le procureur et les chefs de
service "
se tiennent informés
" au moins une fois par
trimestre des moyens à mettre en oeuvre pour l'application des
directives générales de politique pénale. De même,
le procureur et les chefs de service devraient définir "
d'un
commun accord
" les moyens à mettre en oeuvre pour
procéder aux investigations en cas d'enquête longue ou complexe.
Si la volonté de donner à l'autorité judiciaire un droit
de regard sur les moyens affectés aux enquêtes est louable, il
faut pourtant reconnaître que ces dispositions sont entièrement
dépourvues de portée normative. Surtout, elles donnent le
sentiment que les chefs de service de la police ou de la gendarmerie sont
placés sur un pied d'égalité avec le procureur de la
République ou le juge d'instruction, ce qui paraît peu conforme
à la volonté de renforcer le contrôle de l'autorité
judiciaire sur la police judiciaire.
Votre commission propose donc la suppression de ces dispositions.
• Votre commission souhaite par ailleurs renforcer le dispositif
prévu par le projet de loi en ce qui concerne le contrôle
exercé sur la police judiciaire.
Le dispositif proposé dans le projet de loi est en effet beaucoup trop
modeste pour permettre une évolution des rapports entre
l'autorité judiciaire et la police judiciaire.
Des propositions ambitieuses ont été formulées depuis
plusieurs années sur ce sujet. Il a ainsi pu être proposé
de rattacher au ministère de la justice les services de police
judiciaire. Séduisante au premier abord, cette idée suscite
cependant de nombreuses interrogations. Dans la plupart des cas, en effet, les
officiers et agents de police judiciaire n'exercent pas uniquement des missions
de police judiciaire. La création d'un corps dépendant du
ministère de la justice risquerait d'avoir pour effet de priver ses
membres de tout lien avec les autres services de police et donc de toute
information.
La commission de réflexion sur la justice présidée par
M. Pierre Truche a pour sa part estimé que, dans chacun des
ministères concernés, le contrôle de la police judiciaire
devrait être confié à un magistrat de l'ordre
judiciaire : "
(...) trois magistrats de haut grade,
assistés de collaborateurs issus notamment du ministère de la
justice (...) devraient être placés respectivement auprès
du directeur central de la police, du directeur général de la
gendarmerie et du directeur général des douanes pour
contrôler toutes les missions de police judiciaire. Cette mesure n'est
pas exclusive de la nomination d'un magistrat comme directeur de la police
judiciaire, de la gendarmerie ou des douanes
"
9(
*
)
.
Une autre proposition a retenu l'attention de votre commission.
Dès 1991, une commission de contrôle sénatoriale,
chargée d'examiner les conditions de fonctionnement des services
relevant de l'autorité judiciaire, présidée par
M. Hubert Haenel et dont le rapporteur était
M. Jean Arthuis, s'inquiétait de l'insuffisance du
contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire. Le
rapport de la commission de contrôle précisait ainsi :
"
(...) le bras séculier du Parquet qu'est la police judiciaire
est certes placé sous la direction de celui-ci mais il ne relève
pas de son autorité, et la diligence plus ou moins exacte de la police,
quand ce n'est pas son obstruction ou la transmission tardive des informations
constitue indiscutablement une atteinte à
l'indépendance "
10(
*
)
.
Face à cette situation, la commission de contrôle avait
proposé la création d'une
inspection générale de
la police judiciaire
relevant du ministère de la justice et
comprenant des magistrats, des policiers, des gendarmes et des agents des
douanes.
Cette inspection devait avoir compétence pour toute
investigation ou enquête mettant en cause un officier ou un agent de
police judiciaire dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de
l'exercice de ses fonctions
.
Au mois de juin dernier, le Sénat, lors de l'examen du projet de loi
relatif au renforcement de la protection de la présomption d'innocence
et aux droits des victimes, a adopté sur proposition de
M. Hubert Haenel, un amendement prévoyant la création
d'une inspection générale de la police judiciaire
"
chargée d'enquêter sur les infractions commises par les
officiers de police judiciaire dans l'exercice ou à l'occasion de
l'exercice de leurs fonctions
".
Au cours du débat, Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux,
avait indiqué : "
(...) une telle réforme
supposerait des discussions interministérielles qui n'ont pas
été menées, et l'examen du texte relatif à l'action
publique sera l'occasion de revenir sur ces sujets de police
judiciaire "
.
Votre commission estime que le présent projet de loi est la meilleure
occasion donnée au législateur d'adopter une mesure forte pour
faire du contrôle de l'autorité judiciaire sur la police
judiciaire une réalité.
Elle propose que l'autorité
judiciaire soit toujours associée aux inspections concernant les
officiers et agents de police judiciaire lorsque ces inspections concernent les
activités de police judiciaire de ces officiers et agents et que le
ministre de la justice puisse prendre l'initiative de telles inspections.
La proposition de votre commission s'écarte sur deux points de celle
formulée par M. Hubert Haenel. En premier lieu, il
paraît plus simple d'impliquer l'inspection générale des
services judiciaires dans les inspections concernant les officiers et agents de
police judiciaire plutôt que de créer une nouvelle inspection
générale. En second lieu, il semble souhaitable que
l'intervention de l'autorité judiciaire ne soit pas limitée aux
cas dans lesquels des infractions ont été commises par des
officiers de police judiciaire. Des missions d'inspection pourront être
ordonnées lorsque sont constatés des dysfonctionnements
n'impliquant pas la commission d'infraction et il paraît souhaitable que
l'autorité judiciaire y soit associée.
Votre commission propose donc que les enquêtes administratives relatives
au comportement d'un officier ou agent de police judiciaire dans
l'exécution d'une mission de police judiciaire associent le service
d'enquête compétent et l'inspection générale des
services judiciaires. Ces enquêtes pourraient être ordonnées
par le garde des Sceaux et seraient alors dirigées par un magistrat.
L'objectif de votre commission est donc d'affirmer clairement que la police
judiciaire est placée sous le contrôle de l'autorité
judiciaire, sans se rallier toutefois à des solutions aussi hasardeuses
que le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice.
Cette approche est exactement celle défendue par Mme le garde
des Sceaux qui, en 1997, prenait clairement position en faveur de la
proposition formulée par votre commission. Dans son document
d'orientation intitulé "
une réforme pour la
justice
", Mme Elisabeth Guigou indiquait :
"
le contrôle des activités des officiers de police
judiciaire implique la prise en compte effective de l'évaluation
judiciaire dans leur carrière. Afin de renforcer ce contrôle, les
enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier de
police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire
associeront l'inspection générale des services judiciaires au
service d'enquête compétent
".
Votre commission ayant constaté que cette proposition ne figurait pas
dans le projet de loi soumis à son examen, elle a souhaité
réparer cet oubli, partageant pleinement les préoccupations du
garde des Sceaux en ce domaine.
* *
*
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.