III. QUEL CONTRÔLE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE SUR LA POLICE JUDICIAIRE ?
A. DES RAPPORTS COMPLEXES
La
police judiciaire est un auxiliaire indispensable de l'action publique. Certes,
le procureur a tous les pouvoirs et prérogatives attachés
à la qualité d'officier de police judiciaire et peut
procéder à tous les actes nécessaires à la
recherche et à la poursuite des infractions à la loi
pénale. En pratique cependant, ces missions sont confiées aux
officiers et agents de police judiciaire.
Les rapports entre l'autorité judiciaire et la police judiciaire sont
complexes, une double autorité s'exerçant sur les officiers et
agents de police judiciaire. Les policiers et gendarmes relèvent
respectivement du ministère de l'intérieur et du ministère
de la défense. Dans la plupart des cas, ils ne consacrent pas l'ensemble
de leur activité à des missions de police judiciaire. Ils ne
dépendent pas du ministère de la justice pour leur recrutement,
leur rémunération, leur carrière.
Néanmoins, l'article 12 du code de procédure pénale
prévoit que la police judiciaire est exercée "
sous la
direction du procureur de la République
". L'article 41
souligne que le procureur "
dirige l'activité des officiers et
agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal
".
Ainsi, les officiers de police judiciaire sont tenus d'informer sans
délai le procureur de la République des infractions dont ils ont
connaissance. L'article D 3 du code de procédure pénale
permet au procureur de choisir le service enquêteur. Par ailleurs, le
procureur général habilite les officiers de police judiciaire et
peut retirer ou suspendre cette habilitation. La chambre d'accusation est, pour
sa part, chargée du contrôle et peut prononcer des sanctions
disciplinaires.
Il convient enfin de noter que le ministre de la justice co-signe avec le
ministre de la défense ou le ministre de l'intérieur les
arrêtés de nomination des officiers de police judiciaire. Le
procureur général note les officiers de police judiciaire et
l'article 19-1 du code de procédure pénale précise
que cette notation est prise en compte pour toute décision d'avancement.
Un décret n° 98-1203 du 28 décembre 1998 est
venu préciser que les dossiers individuels sont détenus au
parquet général de la cour d'appel et a modifié les
éléments d'appréciation à prendre en compte pour la
notation des officiers de police judiciaire par le procureur
général.
L'équilibre qui découle de ces différentes règles
est aujourd'hui critiqué. Ainsi, la commission de réflexion sur
la justice présidée par M. Pierre Truche a mis en
lumière les " failles " de ce système, soulignant
notamment que "
le magistrat ne maîtrise pas les conditions
d'emploi des personnels
".
Cette commission a également observé que "
la double
dépendance des policiers et gendarmes les conduit à transmettre
des éléments d'une enquête couverte par le secret à
des autorités non judiciaires
".
La commission de réflexion sur la justice a enfin évoqué
certaines situations particulières dans lesquelles le rôle de la
justice apparaît ambigu : "
(...) au-delà des
relations magistrats - policiers à propos d'affaires
particulières, se pose la question de déterminer qui
définit la politique d'action publique lorsque les impératifs
d'ordre public prennent une importance exceptionnelle : mouvements
revendicatifs violents, manifestations publiques accompagnées de
pillages, d'incendies, crises urbaines...
Des infractions d'une
gravité certaine sont commises et leur résultat largement
diffusé dans le public ; il est évident que la gestion de
ces situations implique une action politique.
"
La part du judiciaire dans ces dernières hypothèses est
ambiguë. Son intervention est justifiée par l'existence
d'infractions ; son efficacité est réduite : il ne
suffit pas de connaître l'existence de délits, encore faut-il en
identifier les auteurs et les retrouver. Ici plus qu'ailleurs, la
maîtrise des enquêtes échappe à la justice dont
l'intervention n'entre généralement pas en ligne de compte dans
le règlement politique des affaires. Il n'y a pas ici d'instructions de
non poursuites, mais une impossibilité de poursuivre faute
d'éléments qui ne sont pas collectés. Un Etat de droit
peut-il s'accommoder d'îlots soustraits à la justice ou
plutôt de zones dont l'accès ne lui est permis que lorsqu'il est
estimé ailleurs que son intervention est devenue indispensable au
règlement d'un conflit ? La crainte que l'on a de voir le conflit
s'envenimer à la suite de décisions de justice (mise en
détention, condamnation...) est certainement surestimée le plus
souvent, mais pas forcément inexistante
"
8(
*
)
.
Confrontée à cet équilibre précaire, Mme Elisabeth
Guigou, garde des sceaux, a constamment affirmé sa volonté de
renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police
judiciaire. Dans son document d'orientation intitulé "
Une
réforme pour la justice
" présenté le 29 octobre
1997, elle indiquait ainsi : "
La police dispose de moyens que la
justice doit pouvoir connaître et mieux utiliser. Le contrôle des
opérations de police par la justice est une garantie offerte aux
citoyens
".