EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA MAÎTRISE DES NUISANCES SONORES : UN PRÉALABLE INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DU TRAFIC AÉRIEN
A. LA POLLUTION SONORE : UN PROBLÈME LANCINANT
1. Le bruit : une des principales pollutions actuelles
a) Une agression fortement ressentie dans la vie quotidienne
Le bruit
n'est pas un phénomène nouveau. Déjà, bien avant la
révolution industrielle, les écrits d'Horace nous rappellent que,
voilà 2000 ans, retentissaient dans Rome les sabots des mules, les
aboiements des chiens, les hurlements des portefaix. A un siècle de
nous, Baudelaire nous dit "
La rue autour de moi hurlait
".
Pourtant, le bruit est devenu, depuis un quart de siècle, l'une des
premières sources de pollution, avec notamment le développement
de la
circulation routière
, qui est citée par les
enquêtes
1(
*
)
comme la
première cause de nuisance sonore.
Une prise de conscience collective récente de l'ampleur du
phénomène
Plusieurs rapports ou missions sur le bruit -et plus particulièrement
celui des transports- ont été demandés à des
experts par les gouvernements successifs ces vingt dernières
années. On citera notamment la mission initialement confiée en
1981 par notre collègue Daniel Hoeffel, alors ministre, à
M. Gilbert Batsch, puis renouvelée par Mme Huguette Bouchardeau,
qui avait conduit le conseil des ministres du 11 avril 1984 à
décider d'un " plan de rattrapage des points noirs du bruit ".
Une mission fut confiée en 1989 par M. Brice Lalonde à
M. Jean Tutenuit, à la suite de la réunion du
18 avril 1989 du comité interministériel pour la
qualité de la vie.
La loi relative à la lutte contre le bruit
, qui a, notamment,
instauré une " taxe d'atténuation des nuisances
sonores " payée par les compagnies aériennes, a
été adoptée en décembre 1992.
Depuis, le rapport du député Bernard Serrou sur la protection des
riverains contre le bruit des transports terrestres, a été remis
en 1994 au Premier ministre. Le rapport Serrou estimait à 2.600 le
nombre de sites -les " points noirs "- où les habitants sont
soumis à plus de 60 décibels plus de 8 heures par jour.
" En avril 1998, le Conseil économique et social a
présenté un rapport sur "
le bruit dans la
ville
".
Tout récemment, M. Claude Lamure a remis, en novembre 1998, un
rapport au ministre de l'environnement sur "
la résorption des
points noirs du bruit routier et ferroviaire
", qui recense 3.000
" points noirs " et évalue à 300.000 le nombre de
français qui souffrent de troubles du sommeil dus au bruit nocturne. Le
bruit subi par les riverains d'aéroports est toutefois exclu du champ de
cette étude.
Quelques chiffres sur la gêne sonore
Comme l'indique le dernier rapport de l'Institut français de
l'environnement (IFEN), depuis 1996, dans le cadre de l'enquête
permanente sur les conditions de vie des ménages, l'INSEE mesure la
perception par les ménages français de la qualité de
l'environnement. L'analyse des réponses obtenues auprès d'un
échantillon de 8.000 logements montre que le
bruit constitue une
nuisance importante.
Le bruit de la
circulation
est la nuisance sonore la plus
fréquemment ressentie. Début 1998,
33 % des
ménages se déclarent gênés par ce type de bruit
,
au moins de temps en temps, lorsqu'ils sont dans leur logement. Près de
la moitié des ménages habitant à Paris sont
régulièrement gênés par le bruit de la circulation,
contre un ménage sur cinq en zone rurale. 52 % des ménages qui
habitent à proximité d'une route sont gênés par le
bruit qu'elle engendre.
La deuxième source de nuisance sonore provient du voisinage.
Le tableau suivant retrace les résultats de cette enquête de
l'INSEE sur les conditions de vie des ménages :
LA GÊNE SONORE
|
Pourcentage des ménages gênés par le bruit de... |
||
|
Circulation |
Voisinage |
Commerces |
Statut d'occupation |
|
|
|
propriétaire |
30 |
21 |
9 |
locataire |
37 |
42 |
15 |
Catégorie professionnelle |
|
|
|
agriculteur |
17 |
7 |
5 |
artisan |
32 |
25 |
14 |
cadre |
35 |
34 |
12 |
profession intermédiaire |
36 |
32 |
13 |
employé |
36 |
40 |
15 |
ouvrier |
33 |
31 |
11 |
retraité |
32 |
23 |
10 |
Chômeur |
|
|
|
oui |
33 |
35 |
14 |
non |
33 |
29 |
11 |
Type de commune |
|
|
|
rurale |
20 |
12 |
5 |
agglomération |
36 |
33 |
13 |
banlieue de Paris |
40 |
38 |
13 |
Paris |
46 |
55 |
27 |
Type de voisinage |
|
|
|
maison individuelle |
27 |
16 |
7 |
immeuble collectif |
43 |
45 |
21 |
cité |
38 |
59 |
13 |
mixte (1) |
41 |
37 |
17 |
Route à proximité |
|||
oui |
52 |
36 |
17 |
non |
13 |
24 |
7 |
Ensemble |
33 |
30 |
12 |
Source
: enquête permanente sur les
conditions
de vie des ménages, INSEE-Ifen, 1998.
(1) (caractéristique notée par l'enquêteur)
b) Des effets nocifs sur la santé
Le bruit
peut produite deux sortes de dommages sur l'organisme : les uns sont
spécifiques
et portent sur l'audition, voire les fonctions
" psycho-acoustiques " (communication humaine par exemple) ; les
autres ne
sont pas spécifiques
. Il s'agit du
désagrément, de la gêne au sens large, de la fatigue, ainsi
que de troubles nerveux et généraux.
Les effets auditifs du bruit
Le danger du bruit pour l'appareil auditif dépend de l'intensité
du son et de sa durée. Les spécialistes estiment
qu'il y a
danger pour les capacités auditives à partir d'une ambiance
sonore de 85 dB(A)
2(
*
)
.
Plus l'intensité sonore dépasse ce seuil, plus le délai
d'apparition du danger se raccourcit. De même, plus l'écoute est
longue et répétée, plus l'intensité sonore,
même faible, est dommageable.
Le dommage est d'autant plus imprévisible que la
douleur n'est
ressentie qu'à partir de 120 dB(A)
pour une oreille normale. La
détérioration auditive peut dont n'apparaître
qu'ultérieurement. Le plus grand traumatisme provient des sons aigus car
le réflexe de défense de l'oreille contre le bruit, le
réflexe " stapédien ", n'est relativement efficace que
pour les fréquences basses ou moyennes. Un son écouté
même quelques minutes à une intensité sonore ne
dépassant pas 90 dB(A) peut produire une fatigue auditive qui se
traduit par une élévation temporaire du seuil d'audition
(déficience passagère) éventuellement accompagnée
de bourdonnements, sifflements et tintements, ainsi que de modifications de la
sensation auditive, qui prend un caractère ouaté et
métallique.
Le tableau suivant indique la correspondance entre les sensations auditives et
le niveau de décibels de différentes sources sonores :
L'ÉCHELLE DES BRUITS
Sensation auditive |
Bruits intérieurs |
Bruits extérieurs |
Bruit des véhicules |
dB(A) |
|
Turbo-réacteur au banc d'essai |
|
|
140 |
|
Marteau-pilon |
|
Réacteur d'avion à quelques mètres |
130 |
Seuil de douleur |
Banc d'essai de moteurs |
|
|
120 |
|
Atelier de chaudronnerie |
|
|
|
|
|
|
|
110 |
|
Presse à découper |
|
|
|
Très difficilement supportable |
Raboteuse |
Marteau piqueur à 5 m |
Moto de course à 2 m |
100 |
|
Atelier de forgeage |
Rue à trafic intense |
Klaxons d'auto |
95 |
Pénible à entendre |
Radio très puissante |
Circulation intense à 1 m |
Métro en marche |
85 |
|
Atelier dactylo |
|
Métro sur pneu |
75 |
|
Restaurant bruyant |
Circulation importante |
|
70 |
Bruyant mais supportable |
Appartement bruyant |
|
|
65 |
Bruit courant |
Conversation normale, musique de chambre |
Rue résidentielle |
Bateau à moteur |
60 |
|
Restaurant tranquille, grands magasins |
rue très tranquille |
voiture silencieuse |
50 |
Assez calme |
Appartement normal |
|
Transatlantique (1 ère classe) |
45 |
|
Bureau tranquille |
|
|
40 |
Calme |
|
|
Bateau à voile |
35 |
|
Appartement calme dans quartier tranquille |
|
|
30 |
|
Conversation à voix basse |
|
|
25 |
|
Studio en radio |
|
|
20 |
Très calme |
|
Feuilles agitées par un vent doux |
|
15 |
|
Cabine prise de son |
|
|
10 |
Silence inhabituel |
Laboratoire d'acoustique |
|
|
5 |
Seuil d'audition |
|
|
|
0 |
Source
: Secrétariat d'Etat à la
santé, cité par l'Ifen.
La gêne dépend en outre du niveau sonore, non seulement absolu,
mais aussi
relatif par rapport au niveau de fond
, à la
présence ou non d'un autre bruit, à l'accumulation, à
l'aspect répétitif ou continu et à la période de la
journée.
Les effets non auditifs du bruit
Le bruit ne cantonne pas ses effets à l'audition
. En effet,
l'appareil auditif constitue une fonction de guet et d'alarme qui diffuse les
influx nerveux. Tout bruit insolite ou intense provoque un ensemble de
réflexes et d'attitudes d'investigation, d'émotion, d'attente
anxieuse, d'augmentation de la vigilance et de détérioration de
celle-ci quand le bruit est jugé alarmant.
Il
peut
entraîner des réactions sur l'ensemble de l'organisme
:
hypertension artérielle, vertiges, réduction du champ visuel,
stress, spasmes digestifs, fatigue excessive, irritabilité.
En outre, le bruit contrarie le sommeil. Il provoque des difficultés
d'endormissement, des éveils au cours de la nuit et réduit la
durée du sommeil profond, phase importante pour la
récupération. Les troubles du sommeil génèrent
eux-mêmes des effets secondaires : fatigue, baisse de vigilance,
erreurs plus fréquentes.
Les conséquences psychologiques
de l'exposition au bruit, si
elles sont moins connues, ne doivent pas êtres sous-estimées.
Votre rapporteur en est convaincu, notamment parce qu'il a rencontré ou
consulté, dans le cadre de la préparation du présent
rapport, des associations de riverains des plates-formes aéroportuaires.
Au cours de ces échanges sont revenus les mots de
" souffrance ", " calvaire ", situation
" intenable ", " insupportable ".
Le bruit nocturne est particulièrement pénible
.
Si la question des souffrances physiques et morales liées à
l'exposition au bruit est posée à l'ensemble de la
société, et dans des secteurs d'activité divers, c'est aux
nuisances sonores aériennes seulement que s'adresse le présent
projet de loi.
Votre commission souhaite toutefois préciser qu'il serait
extrêmement réducteur d'en conclure que ce type de transport porte
seul la responsabilité de la gêne sonore imposée à
nos concitoyens. Toutes les études et les différents rapports
montrent à l'évidence qu'il n'en est rien.
2. Le bruit des avions : origines, progrès et perspectives
Par rapport aux autres bruits, le bruit des avions se caractérise par de forts niveaux de crête, séparés par des moments de silence. Les progrès technologiques appliqués notamment à la motorisation ont permis une diminution du bruit des appareils, qui devrait se poursuivre. Pour autant, le problème de la gêne sonore demeure.
a) Les origines du bruit des avions
Les
bruits liés au moteur
Pour les avions à réaction en vol, on peut décomposer le
bruit des groupes motopropulseurs en bruit " de jet " lié
à l'expulsion des gaz à l'arrière du moteur et en bruits
internes, eux-mêmes liés aux parties tournantes du moteur
(soufflantes amont et aval, compresseur et turbine) ainsi qu'au bruit de la
combustion.
Le bruit de jet
est dû à la génération de
fortes turbulences dans la zone où les gaz chauds à haute
pression éjectés de la tuyère du moteur se
mélangent à l'air ambiant. Le bruit de jet est un bruit à
large bande, qui est fonction croissante du diamètre de la tuyère
et de la vitesse d'écoulement du jet. Il est plus marqué à
l'arrière. Il a été fortement réduit dans les
moteurs modernes à double flux de gaz, à grand diamètre et
à basse vitesse d'éjection.
Le bruit des parties tournantes du moteur
est caractérisé
par la présence de bruits de " raies " qui se superposent
à un bruit à large bande. Ce bruit est plus marqué
à l'avant du réacteur.
Le bruit de combustion
est attribué à des fluctuations
volumétriques du gaz en expansion, causées par une combustion non
stable du kérosène. Il est difficile à dissocier du bruit
de jet dans le spectre de bruit.
Le bruit aérodynamique
est dû aux turbulences
aérodynamiques créées autour de l'avion. Le bruit des
volets, des becs et du train d'atterrissage en sont des exemples. Compte tenu
des progrès réalisés sur les moteurs,
cette source de
bruit devient aussi importante que le bruit du moteur, notamment en phase
d'atterrissage.
b) Des progrès importants
En
30 ans, la recherche et les progrès technologiques
réalisés sur les moteurs ont permis de réduire d'un peu
plus de 20 décibels le bruit des avions à réaction.
Ainsi, un avion équipé de réacteurs conçus au
débat des années 60 produisait un bruit équivalent
à 125 Airbus A320. La zone exposée à un bruit de
85 dB(A) au décollage a été réduite par plus
de huit fois entre un avion des années 70 et un avion des
années 90.
Ces progrès ont pu être obtenus par l'augmentation du " taux
de dilution " : le flux d'air chaud et rapide dans le moteur est
doublé par un flux d'air froid et plus lent qui limite l'effet de
" déchirement " lors de l'éjection des gaz à
l'arrière du moteur.
De même, des mélangeurs mixent air froid et air chaud à
l'intérieur même de la nacelle du moteur, ce qui réduit le
bruit.
Le bruit émis à l'intérieur du moteur a pu être
" piégé " à l'aide de parois absorbantes dont on
tapisse désormais l'intérieur de la nacelle.
Les schémas suivants permettent de visualiser les progrès
effectués en termes de réduction de l'emprunte sonore au sol ces
vingt dernières années.
ÉVOLUTION DE L'EMPRUNTE SONORE DES MOTEURS
Source
: Airbus industrie
Si on transpose cette courbe à l'aéroport de Paris-Orly, on
obtient le résultat suivant :
AEROPORT DE PARIS-ORLY
Comparaison des
empreintes
au sol (85 Db(a))
A320 B 727- 200
Source
: Airbus Industrie
L'effort de recherche se poursuit pour réduire le " bruit à
la source ", notamment pendant les
phases de survol et d'approche
qui génèrent le plus de nuisances.
On distingue désormais la réduction passive du bruit de la
réduction active
, qui consiste à générer
électroniquement des " contre-bruits, " émis par des
hauts-parleurs au niveau de l'entrée d'air du moteur, sur la même
fréquence, mais en opposition de phase, afin d'aboutir à une
neutralisation acoustique. Ce contrôle acoustique " actif "
devrait permettre de poursuivre dans la voie des progrès accomplis, qui
sont rappelés par le graphique ci-après :
ÉVOLUTION DU BRUIT DES MOTEURS
Source
: Airbus Industrie
A ce sujet, votre rapporteur souhaite que l'Etat soutienne, dans le cadre
européen, comme au niveau de la politique nationale d'aide à la
recherche, la recherche en matière de réduction du bruit dans le
secteur de la construction aéronautique. Votre commission a, d'ailleurs,
sur proposition de votre rapporteur, affirmé cette position lors de
l'examen des crédits budgétaires pour 1999.
c) Une question qui reste lancinante pour les riverains
Malgré les réels progrès
réalisés
grâce notamment au changement de motorisation des avions, que personne
n'a contesté devant votre rapporteur, le problème des nuisances
sonores supportées par les riverains reste entier.
Il est difficile d'avancer une estimation du nombre de personnes
concernées.
A la demande de votre rapporteur, l'administration a
estimé que le nombre de riverains situés dans l'emprise d'un plan
de gêne sonore
3(
*
)
serait
d'environ
160.000
, tandis que des associations
4(
*
)
estiment à
3.000.000
le
nombre de personnes concernées, au sens large, par le présent
projet de loi et donc par les nuisances sonores liées au transport
aérien.
La croissance du trafic aérien, même si elle s'est
accompagnée d'une baisse du bruit produit par avion, a accru le nombre
et la fréquence des mouvements. Le bruit a changé de nature, mais
il n'est pas perçu comme étant moins pénible, au
contraire, la continuité du bruit diurne et parfois nocturne, en ayant
accru la pénibilité.
En outre, la croissance de l'activité des aéroports a
elle-même généré un " bruit ambiant ",
lié entre autres à la circulation routière, qui s'ajoute
à celui des avions proprement dits.
Plus largement, les riverains estiment que ce sont toutes leurs conditions de
vie qui ont été bouleversées.
Votre rapporteur a rencontré des riverains des aéroports
parisiens qui, installés dans la région parfois avant
l'aéroport lui-même, ont vécu une transformation sociale,
voire
une " paupérisation " des communes
concernées
, sans parler des conséquences sur les prix
du
marché de l'immobilier.
Les réponses que votre rapporteur a reçues de la part
d'associations de riverains d'Ile-de-France et de province, auxquelles une
contribution écrite a été demandée à
l'occasion de l'élaboration du présent rapport, reflètent
elles aussi la profondeur de leur malaise.
Une réponse doit impérativement être apportée
à cette exaspération et à cette souffrance des riverains.
Ne nous y trompons pas : il y va de l'avenir du transport aérien
dans notre pays
. Un exemple est particulièrement éclairant en
la matière : rappelons-nous qu'à Strasbourg, la
décision d'implantation de la société DHL, qui aurait
entraîné une multiplication des vols de nuit, a été
finalement abandonnée sous la pression des riverains, malgré la
perspective d'importantes créations d'emplois sur la plate-forme.