C. LA BRANCHE FAMILLE SUPPORTE DES CHARGES DONT LA JUSTIFICATION MÉRITERAIT D'ÊTRE RÉEXAMINÉE
La mise à plat des comptes de la branche famille révèle que celle-ci supporte des charges tout à fait étrangères à sa vocation. Avant de décider de mesures aussi graves que la mise sous condition de ressources des allocations familiales, le Gouvernement eût été bien inspiré de procéder à un réexamen d'ensemble des charges indues pesant sur la branche famille.
1. La branche famille assure gratuitement pour le compte de l'Etat la gestion de certaines prestations
La CNAF verse pour le compte de l'Etat un certain nombre de prestations dont le rappel figure dans le tableau ci-dessous.
Prestations gérées par la CNAF pour le compte de l'Etat
(millions de francs et pourcentages d'évolution)
Prestations |
1995 |
1996 |
1997
|
1998
|
Taux moyen d'évolution |
AAH |
19.532 |
20.988 |
21.905 |
22.819 |
5,3 |
- Métropole |
18.694 |
20.105 |
20.993 |
21.883 |
|
- DOM |
838 |
883 |
912 |
936 |
|
FNH |
34.112 |
34.816 |
35.620 |
37.790 |
3,5 |
FNAL (ALS + ALT) |
18.583 |
19.309 |
19.824 |
20.500 |
3,3 |
- Métropole |
18.334 |
19.027 |
19.515 |
20.168 |
|
- DOM |
249 |
282 |
309 |
332 |
|
RMI** |
20.353 |
21.769 |
23.484 |
25.365 |
7,6 |
- Métropole |
18.285 |
19.694 |
21.382 |
23.272 |
|
- DOM |
2.068 |
2.075 |
2.102 |
2.093 |
(p) montants prévisionnels Source : direction de la
Sécurité sociale (DEEF)
AAH : Allocation aux adultes handicapés
FNH : Fonds national de l'habitat
FNAL : Fonds national d'aide au logement
ALS : Allocation de logement à caractère social
ALT : Aide aux associations logeant à titre temporaire des personnes
défavorisées
RMI : Revenu minimum d'insertion
Pour deux de ces prestations, le revenu minimum d'insertion (RMI) et
l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'Etat ne participe pas aux
frais de gestion. Cette situation trouve son origine dans les conditions
historiques de création de ces allocations.
Lors de l'institution du RMI, en 1988, la branche famille était
excédentaire ; de plus, les estimations faites à
l'époque prévoyaient que le dispositif du RMI ne concernerait que
300.000 personnes. Il avait donc été convenu entre la CNAF et
l'Etat que la gestion se ferait à titre gratuit. Le nombre
d'allocataires du RMI a aujourd'hui dépassé le million de
personnes, entraînant une charge de gestion croissante pour la branche
famille. Cette prestation de 25 milliards de francs est de surcroît
particulièrement complexe à gérer : l'annexe B jointe au
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998
précise en effet que la CNAF doit effectuer un "
contrôle
systématique pour le RMI à raison de 15 % des allocations chaque
année et de 1 % de l'effectif global chaque mois
".
Le coût financier de la gestion de ces prestations peut être
estimé à 1 milliard de francs pour le RMI et à 500
millions de francs pour l'AAH.
Pour deux autres prestations, l'allocation personnalisée au logement
(APL) et l'allocation de logement à caractère social (ALS),
l'Etat a réduit progressivement sa participation aux frais de gestion au
cours des dernières années. Depuis le décret n°
89-992 du 22 décembre 1989, l'Etat ne contribue plus aux frais de
gestion de l'APL qu'à hauteur de 4 % de sa seule part de financement de
la prestation, au lieu de 4 % de la masse globale d'APL auparavant. Ce
taux ne tient pas compte des difficultés particulières de gestion
de la prestation (versement en tiers-payant, multiples, échéances
spécifiques...). Le coût pour la branche est estimé
à 800 millions de francs.
Depuis le 1er janvier 1993, l'Etat ne contribue aux frais de gestion de l'ALS
qu'à hauteur de 2 % du montant des allocations servies, au lieu de
4 % auparavant. En 1996, cette réduction représente pour la
CNAF une perte de l'ordre de 400 millions de francs.
2. La branche famille finance les frais de tutelle aux handicapés
La CNAF supporte la charge de la tutelle aux prestations familiales mais aussi celle de l'AAH au titre de la tutelle aux prestations sociales. Cette dernière situation paraît d'autant moins fondée que la prestation elle-même fait l'objet d'un remboursement par l'Etat. La tutelle au titre de l'AAH pèse de plus en plus lourdement sur les dépenses de la branche : les frais supportés ont plus que doublé en cinq ans et se sont élevés à 460 millions de francs en 1996, soit plus de la moitié du total des frais de tutelle supportés par la CNAF.
3. Les cotisations versées à la CNAVTS au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) atteignent des montants sans doute excessifs
Instituée en 1978, l'assurance vieillesse des parents
au foyer (AVPF) est une cotisation souscrite auprès de la branche
vieillesse par la branche famille au profit des parents au foyer.
Calculée sur la base du SMIC, elle vient abonder la branche vieillesse
de près de 20 milliards de francs par an. Si le principe de cette
cotisation n'est pas contestable, le montant versé soulève, quant
à lui, certaines interrogations. Il représente en effet une
charge extrêmement lourde pour la branche famille. Ces versements sont
passés de 16 à 20 milliards de francs entre 1996 et 1997,
creusant d'autant le déficit de la branche.
L'AVPF peut s'interpréter comme une compensation momentanée par
la branche famille de charges futures pour la branche vieillesse. Le dispositif
étant encore relativement récent, ces cotisations n'ont pas
encore produit leur plein effet. L'effet se fera véritablement sentir
quand les générations ayant pu bénéficier de cette
mesure partiront à la retraite. La branche famille paye donc pour des
prestations futures. Les prestations versées aujourd'hui par la branche
vieillesse dans le cadre de l'AVPF s'élèvent à 5 milliards
de francs par an. Pour le moment, le bilan est donc très positif pour la
branche vieillesse qui ne verse que 5 milliards de francs de prestations pour
20 milliards de francs de cotisations.
De plus, certaines cotisations sont versées en pure perte, comme c'est
le cas pour les cotisations versées au titre de l'AVPF pour les
personnes isolées. Aucune condition de non-activité
n'étant exigée des personnes isolées pouvant
bénéficier de l'assurance vieillesse des parents au foyer (alors
que cette condition existe pour les personnes vivant en couple), la CNAF cotise
à l'assurance vieillesse pour des personnes déjà
assurées au titre de leur activité professionnelle. La
dépense correspondante peut être estimée à 1
milliard de francs.
Selon Mme Hélène Gisserot
4(
*
)
,
une réforme de l'AVPF
entraînerait une économie d'au moins 5 à 6 milliards de
francs pour la branche famille. Une révision des charges indues
diminuerait les dépenses de la branche famille de 3 à 4 milliards
de francs par an. La conjonction de ces deux mesures permettrait de se
rapprocher fortement de l'équilibre.
Votre rapporteur a bien conscience qu'un retour de l'AVPF à de plus
justes proportions se traduirait par une diminution des recettes de la CNAVTS
et donc par un creusement de son déficit. Néanmoins, il juge
utile de procéder à un apurement de la situation afin que les
soldes des différentes branches retrouvent une véritable
signification. Aujourd'hui, l'AVPF présente les caractéristiques
d'un transfert massif entre la branche famille et la branche vieillesse.
Une remise à plat de l'ensemble des transferts et des charges
supportées par la CNAF s'impose dans les meilleurs délais.
L'année 1998 pourrait être l'occasion d'une clarification des
relations entre l'Etat et la branche famille. On espère ardemment que
cette question sera abordée par le Gouvernement dans le cadre du
réexamen d'ensemble de la politique familiale.
Par cette analyse, votre rapporteur ne vise pas à nier l'existence du
déficit de la branche famille : il souhaite simplement mettre
l'accent sur les aspects comptables de ce déficit, qui doivent conduire
à relativiser l'importance que l'on peut lui apporter.
Le
déficit de la branche famille a des origines plurielles et complexes,
qui mériteraient une analyse approfondie. Procéder à une
réforme fondamentale de la politique familiale du seul fait de ce
déficit serait une faute lourde de conséquences.