B. LE SUCCÈS RENCONTRÉ PAR LA LOI DU 25 JUILLET 1994 RELATIVE À LA FAMILLE A PROVOQUÉ UNE DÉRIVE IMPRÉVUE DES COÛTS
La loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative
à la famille poursuivait principalement deux objectifs :
- améliorer les conditions d'accueil des jeunes enfants et
permettre aux familles de mener au mieux leur projet familial en leur offrant
la possibilité soit de cesser leur activité professionnelle, soit
de la réduire pour élever un enfant ou de continuer à
travailler en disposant d'aides plus importantes pour faire garder leurs
enfants ;
- apporter une aide aux familles ayant de jeunes adultes à charge,
notamment par l'extension des limites d'âge de versement des prestations.
Ce second volet étant conditionné à l'existence d'un
excédent de la branche famille, il n'a pas pu être mis en place.
Il doit toutefois intervenir avant le 31 décembre 1999.
La loi a ainsi :
- étendu le bénéfice de l'allocation parentale
d'éducation (APE) aux familles de deux enfants et aux non
salariés, ainsi qu'à l'exercice d'une activité à
temps partiel ;
- augmenté le montant des aides versées aux parents qui
recourent à un mode de garde individuel de leurs enfants ainsi que
celles versées aux structures d'accueil collectives et familiales :
revalorisation de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) et
extension à la garde d'un enfant de 3 à 6 ans ;
majoration de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante
maternelle agréée (AFEAMA).
Cette loi devait avoir un coût total estimé de 9,3 milliards
à la fin de l'année 1998 : le chiffre final devrait
plutôt être proche de 15,8 milliards, soit un surcoût de 6,5
milliards de francs par rapport aux prévisions initiales.
Le graphique qui suit illustre le décalage croissant entre les
prévisions et les dépenses réelles.
Les origines de ce dérapage tiennent essentiellement au
succès rencontré par l'APE, l'AGED et l'AFEAMA. Les trois
dispositifs ont séduit nettement plus de bénéficiaires que
ce qui était initialement prévu. En termes de masse
financière, c'est essentiellement le gonflement de l'APE qui explique
néanmoins l'ampleur du dérapage.
Rappelons à cet égard un chiffre impressionnant : 45 %
des femmes qui accouchent aujourd'hui d'un deuxième enfant demandent
à bénéficier de l'APE, pour 35 % à taux plein
et pour 10 % à taux partiel.
Le tableau ci-dessous témoigne de l'importance de l'APE de rang 2 dans
l'accroissement du coût de la loi famille : en 1998, le
surcoût lié à cette seule allocation sera de près de
5,7 milliards de francs.
Coût de la loi famille du 25 juillet 1994
Prestations |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
||||||||||||||||
(Métropole) |
initial |
réalisé |
initial |
réalisé |
initial |
réalisé |
initial |
actualisé |
initial |
actualisé |
|||||||||||
APE 2 enfants |
2 360 |
6 484 |
10 191 |
11 771 |
|||||||||||||||||
APE 2 enfants y compris économie sur APJE longue 3( * ) |
117 |
260 |
1 491 |
2 102 |
3 196 |
5 790 |
4 786 |
9 105 |
5 094 |
10 777 |
|||||||||||
estimation de l'économie réalisée sur APJE longue |
258 |
694 |
1 086 |
994 |
|||||||||||||||||
APJE (naissances multiples) |
0 |
44 |
44 |
132 |
132 |
179 |
179 |
||||||||||||||
AGED |
86 |
260 |
290 |
260 |
833 |
264 |
964 |
267 |
974 |
||||||||||||
AFEAMA |
154 |
463 |
603 |
463 |
748 |
469 |
885 |
475 |
895 |
||||||||||||
FNAS (petite enfance) |
650 |
380 |
1 302 |
802 |
1.978 |
1 190 |
2 667 |
1 569 |
|||||||||||||
allocation d'adoption |
12 |
9 |
12 |
21 |
12 |
11 |
12 |
11 |
|||||||||||||
AVPF |
23 |
32 |
215 |
384 |
446 |
826 |
648 |
1 371 |
|||||||||||||
Total |
357 |
260 |
2 899 |
3 416 |
5 492 |
8 623 |
8 088 |
13 122 |
9341 |
15 775 |
|||||||||||
Evolution
|
17,8 |
57,0 |
62,2 |
68,9 |
(Source : Commission des comptes de la
sécurité sociale - septembre 1997)
Dans son rapport de septembre 1997 sur la sécurité sociale, la
Cour des comptes s'est intéressée aux raisons du succès de
l'APE. Elle relève que l'emballement des dépenses au titre de
cette allocation en 1995 et 1996 est essentiellement dû à
l'allocation au deuxième enfant, versée à taux plein.
Entre janvier 1995 et février 1997, cette prestation a crû au
rythme de 13 % par mois, tandis que l'allocation au troisième
enfant n'augmentait que de 0,4 % par mois.
Selon la Cour des comptes, plusieurs explications peuvent être
avancées pour expliquer le succès de cette prestation au rang 2
et donc l'ampleur de la sous-estimation des dépenses. La Cour des
comptes relève ainsi un parallélisme entre le succès de
l'allocation parentale d'éducation au rang 2 et le retrait significatif
du marché du travail des mères de deux enfants. Elle estime que
" le succès de l'APE semble dû en grande partie à
la dégradation de la situation du marché du travail
féminin
". Au-delà de son intérêt
évident pour les femmes déjà inactives, cette prestation
est attrayante pour des femmes en chômage faiblement indemnisé ou
en fin de droits, et pour celles qui occupent des emplois précaires dont
l'interruption d'activité ne modifie pas sensiblement leurs chances de
retour ultérieur à l'emploi. Comme le souligne la Cour des
Comptes, un bénéficiaire potentiel en situation de chômage
faiblement indemnisé ne peut rester indifférent à
l'égard d'une prestation du montant de l'APE. Dans une étude
datant de novembre 1996, la CNAF estime que les femmes en chômage
indemnisé comptent pour un tiers des femmes ayant opté pour l'APE
rang 2.
En outre, la Cour des Comptes constate que le niveau de la prestation laisse
présager un fort effet de substitution avec l'indemnisation de
chômage, pour les bas niveaux d'indemnisation, mais aussi au-delà.
Il convient de rappeler en effet que le montant de cette prestation
s'élève depuis le 1er janvier 1997 à
1 988 francs par mois lorsque l'activité à temps
partiel ou la formation suivie est au plus égale à 50 %,
à 1 503 francs si elle est supérieure à
50 % et au plus égale à 80 % et à
3 006 francs en cas de cessation totale de l'activité
professionnelle.
Suite à des simulations effectuées par la Cour des Comptes, il
apparaît que le choix de l'APE à taux plein par un des conjoints
d'un couple présente dans beaucoup de cas un certain attrait financier.
L'analyse du succès rencontré par la loi famille - et
particulièrement par l'APE - amène à formuler plusieurs
réflexions.
Il convient tout d'abord de rappeler que l'APE n'a certainement pas
été conçue pour inciter les jeunes femmes à
abandonner définitivement le monde du travail. Or il semble par bien des
aspects que l'APE pourrait conduire à une exclusion définitive du
marché du travail de certaines de ses bénéficiaires. Il
est indispensable que l'on étudie précisément dans quelles
conditions s'opère aujourd'hui la réinsertion des femmes sortant
du dispositif.
Il semble ensuite que l'APE soit à l'origine de transferts de charges
complexes entre l'UNEDIC et la branche famille. Un dispositif comme celui de
l'APE n'est pas sans incidence sur l'évolution des charges pouvant peser
sur l'UNEDIC. Une étude des transferts entre régimes induits par
l'APE serait la bienvenue.
De plus, l'exemple de l'APE illustre dans quelles conditions le chômage
peut avoir une incidence réelle sur les dépenses de la branche
famille. En l'espèce, la montée du chômage conduit à
une augmentation du nombre de personnes susceptibles d'être
intéressées par l'APE.
Enfin, votre rapporteur souhaite s'élever contre les critiques
fréquemment exprimées qui soulignent le coût
élevé de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille.
Le surcoût induit par la loi famille témoigne
précisément du succès qu'elle a rencontré,
succès dont il faut se féliciter. La loi famille répondait
manifestement aux besoins et aux attentes de la population.