Rapport n° 73 - tome II - financement sécurité sociale - Famille
M. Jacques MACHET, Sénateur
Commission des Affaires sociales - Rapport n° 73 - Tome II - 1997-1998
Table des matières
-
I. LE DÉFICIT DE LA BRANCHE FAMILLE TÉMOIGNE DU SUCCÈS RENCONTRÉ PAR LA LOI DU
25 JUILLET 1994 RELATIVE À LA FAMILLE ET DE LA MULTIPLICITÉ DES CHARGES INDUES
QUI PÈSENT SUR ELLE
- A. LA BRANCHE FAMILLE RESTE DÉFICITAIRE
- B. LE SUCCÈS RENCONTRÉ PAR LA LOI DU 25 JUILLET 1994 RELATIVE À LA FAMILLE A PROVOQUÉ UNE DÉRIVE IMPRÉVUE DES COÛTS
-
C. LA BRANCHE FAMILLE SUPPORTE DES CHARGES DONT LA JUSTIFICATION MÉRITERAIT
D'ÊTRE RÉEXAMINÉE
- 1. La branche famille assure gratuitement pour le compte de l'Etat la gestion de certaines prestations
- 2. La branche famille finance les frais de tutelle aux handicapés
- 3. Les cotisations versées à la CNAVTS au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) atteignent des montants sans doute excessifs
-
II. LES MESURES PROPOSÉES PAR LE GOUVERNEMENT DANS LE PROJET DE LOI DE
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE REMETTENT EN CAUSE LES FONDEMENTS DE LA
POLITIQUE FAMILIALE
-
A. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT FRAPPÉ PARTICULIÈREMENT LES FAMILLES
- 1. La branche famille supporte les seules économies réalisées dans le cadre du projet de loi de financement
- 2. Une accumulation de mesures défavorables dont les effets se conjugueront pour certaines familles
- 3. Faute de moyens suffisants, l'action sociale de la CNAF risque d'être compromise
- 4. La généralisation de 18 à 19 ans de l'âge de l'ouverture du droit aux allocations familiales : une mesure déjà prévue par la loi relative à la famille de 1994 et déjà décidée par le précédent Gouvernement
-
B. LA MISE SOUS CONDITION DE RESSOURCES DES ALLOCATIONS FAMILIALES REMET EN
CAUSE LES FONDEMENTS DE NOTRE POLITIQUE FAMILIALE
- 1. La méthode du Gouvernement est extrêmement critiquable
- 2. Une réforme dont la seule finalité est le souci de faire des économies financières.
- 3. La mise sous condition de ressources remet en cause l'universalité des allocations familiales, principe fondateur de la politique familiale
- 4. La mise sous condition de ressources des allocations familiales transforme la politique familiale en une politique d'aide sociale à vocation redistributive
- 5. Le Gouvernement prend une décision lourde de menaces pour l'avenir de notre système de protection sociale
- C. LA DIMINUTION DE L'ALLOCATION DE GARDE D'ENFANT A DOMICILE : UNE RÉGRESSION POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT, UN RISQUE POUR L'EMPLOI
-
A. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT FRAPPÉ PARTICULIÈREMENT LES FAMILLES
-
III. L'AVENIR : DONNER UN NOUVEAU SOUFFLE À LA POLITIQUE
FAMILIALE
- A. LA FRANCE SE CARACTÉRISE PAR SA TRADITION DE POLITIQUE FAMILIALE AMBITIEUSE QUI LUI PERMET DE CONNAÎTRE AUJOURD'HUI UNE SITUATION DÉMOGRAPHIQUE MOINS DÉGRADÉE QUE CELLE DE SES PRINCIPAUX PARTENAIRES EUROPÉENS
- B. LA CONFÉRENCE NATIONALE DE LA FAMILLE : UNE INSTANCE DE CONCERTATION ET D'ÉCHANGE INDISPENSABLE DONT LES DÉBUTS SONT PARTICULIÈREMENT PROMETTEURS
- C. LE RAPPORT GISSEROT FOURNIT UNE BASE DE RÉFLEXION PARTICULIÈREMENT RICHE POUR REPENSER LA POLITIQUE FAMILIALE DONT NOTRE PAYS A BESOIN
N° 73
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 novembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME II
FAMILLE
Par M. Jacques MACHET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jean-Pierre Fourcade,
président
; Jacques Bimbenet, Mme
Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Claude Huriet, Bernard Seillier,
Louis Souvet,
vice-présidents
; Jean Chérioux, Charles
Descours, Roland Huguet, Jacques Machet,
secrétaires
;
François Autain, Henri Belcour, Paul Blanc, Mmes Annick
Bocandé, Nicole Borvo, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis
Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe Darniche, Mme Dinah Derycke, M.
Jacques Dominati, Mme Joëlle Dusseau, MM. Alfred Foy, Serge Franchis,
Alain Gournac, André Jourdain, Jean-Pierre Lafond, Pierre Lagourgue,
Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain
,
Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès,
Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin,
MM. Sosefo Makapé Papilio, André Pourny, Mme Gisèle
Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau,
Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
303
,
385
,
386
et T.A.
22
.
Sénat
:
70
(1997-1998).
Sécurité sociale. |
Mesdames, Messieurs,
La famille est probablement le fait social le plus ancien de l'histoire de
l'Humanité. Comme le soulignait René Rémond, la famille
est antérieure à la division du travail, à la constitution
des groupes sociaux, à la naissance même de la
société, à plus forte raison à la formation de
l'Etat.
La famille procède de faits biologiques : la différence des
sexes, le désir de se reproduire et de perpétuer l'espèce.
Si la famille trouve son origine dans le biologique, elle a, dès la
naissance des sociétés, été prise en compte et
réglementée par elles, transformée en un fait social
reconnu et organisé.
La famille n'est pas donc pas simplement une affaire privée. Elle est
aussi une affaire publique, une affaire d'Etat. La famille et les politiques
familiales sont donc au coeur des débats engageant les valeurs
fondamentales de notre société.
La France a toujours souligné l'attachement qu'elle portait à la
famille : le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
affirme ainsi que
" la Nation assure à l'individu et à la
famille les conditions nécessaires à leur
développement ".
Il précise en outre que la Nation
" garantit à tous, notamment à l'enfant, à la
mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la
sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".
Votre rapporteur souhaite rappeler solennellement qu'il considère la
cellule familiale comme le socle essentiel de notre société. Elle
est aussi le lieu privilégié de l'éducation des enfants,
de la transmission des valeurs et de la solidarité entre les
générations. Elle est également le lieu où se
construit l'avenir du pays. La famille n'est donc pas un coût, mais un
investissement pour la collectivité. Cette conception devrait être
partagée par tous.
Or le Gouvernement propose dans le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998 la remise en cause d'un fondement
essentiel de notre politique familiale : l'universalité des allocations
familiales. Présentée comme une mesure de
" solidarité "
et de
" justice "
, la
mise sous condition de ressources des allocations familiales procède en
réalité d'une seule volonté d'économies
financières, justifiées par le déficit que connaît
la branche famille.
Dans un premier temps, on cherchera donc à analyser les origines du
déficit de la branche famille : on constatera qu'il provient à la
fois du succès rencontré par la loi relative à la famille
du 25 juillet 1994 et de la multiplicité des charges indues qui
pèsent sur la branche.
Dans un deuxième temps, on examinera comment les mesures
proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998 vont remettre en cause les fondements
de la politique familiale de notre pays.
Dans un dernier temps, on exprimera le souhait qu'un nouveau souffle soit
donné à la politique familiale, dans la continuité des
travaux menés par la Conférence nationale de la famille.
I. LE DÉFICIT DE LA BRANCHE FAMILLE TÉMOIGNE DU SUCCÈS RENCONTRÉ PAR LA LOI DU 25 JUILLET 1994 RELATIVE À LA FAMILLE ET DE LA MULTIPLICITÉ DES CHARGES INDUES QUI PÈSENT SUR ELLE
Il convient de rappeler au préalable que les comptes de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) retracent les recettes et les dépenses de tous les régimes servant des prestations familiales en métropole et dans les départements d'outre-mer.
A. LA BRANCHE FAMILLE RESTE DÉFICITAIRE
L'analyse de l'évolution des recettes et des
dépenses de la branche famille soulève toujours un
problème méthodologique : celui du mode de comptabilisation
de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (ARS). L'Etat
procède en effet à la majoration systématique de l'ARS
depuis quelques années. Cette majoration est versée par la
branche famille et théoriquement compensée par l'Etat. Cette
majoration n'est pourtant jamais acquise et son montant varie d'année en
année : elle n'est donc pas comptabilisée dans les
prévisions de dépenses figurant dans le rapport de la Commission
des comptes de la sécurité sociale. En outre, il est
également impossible de prévoir quel sera le montant exact du
remboursement de l'Etat à la branche famille. L'impact de cette
majoration rend donc difficile l'analyse des évolutions de recettes et
de dépenses d'une année sur l'autre. Comme le souligne avec
justesse le rapport de la Commission des comptes,
" les variations
du
montant de la majoration d'ARS et sa prise en charge partielle ou totale par
l'Etat perturbent assez fortement la structure du compte ".
Pour
avoir
une idée plus précise de l'évolution des comptes de la
branche famille, il faut donc parfois " neutraliser "
l'impact de la
majoration d'ARS. On peut d'ailleurs se demander quelle signification
revêt pour le Parlement le vote d'un objectif de dépenses pour la
branche famille qui n'intègre pas cette majoration : cette
dernière étant devenue quasiment systématique à
l'occasion de chaque rentrée scolaire, l'objectif de dépenses est
fatalement dépassé de plusieurs milliards. Toutefois, si cette
majoration est intégralement compensée par l'Etat, le solde final
de la branche n'en est pas affecté.
Les comptes définitifs de la branche famille pour l'année 1996
font apparaître un solde négatif de 9,7 milliards de francs avec
238,1 milliards de francs de dépenses et 228,5 milliards de francs de
recettes. Du fait d'une augmentation des recettes et d'une moindre progression
des dépenses, ce résultat est meilleur que les 12,8 milliards de
francs de déficit escompté en septembre 1996.
En 1997, le déficit devrait être de 13,2 milliards de francs, soit
une augmentation de près de 23 % par rapport à 1996. Dans le
projet de loi de financement pour 1997, l'objectif de dépenses de la
branche famille s'élevait à 241,7 milliards de francs. Il devrait
en réalité atteindre 252,1 milliards de francs, en hausse de 10,4
milliards de francs. Cette évolution s'explique par la poursuite de la
forte croissance des prestations relevant de la loi famille du 25 juillet
1994 et par la majoration de 6,7 milliards de francs de l'ARS
décidée pendant l'été 1997. Cette majoration a
cependant été intégralement compensée par l'Etat.
Comptes de la branche famille
|
|
Evolution (2)/(1)
|
|
1998 après mesures PLFSS (3) |
Evolution(3)/(1)
|
|
FAMILLE |
||||||
Recettes |
234.002 (a) |
242.593 |
+ 3,7 |
+ 3.500 |
246.093 |
+ 5,2 |
Dépenses |
247.224 (a) |
254.429 |
+ 2,9 |
- 4.600 (b) |
249.829 |
+ 1,0 |
Solde |
- 13.222 |
- 11.836 |
- 10,5 |
- 8.100 (b) |
- 3.736 |
- 71,7 |
(a) Hors majoration de l'ARS en dépenses comme en
recettes
(b) Hors report de la charge de la dette (financé par la prolongation du
CRDS)
L'évolution tendancielle pour 1998 devrait voir un léger
tassement de ce déficit à un niveau de 11,8 milliards de francs.
Avant les mesures prévues dans le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998, les recettes devraient
s'élever à 242,6 milliards de francs et les dépenses
à 254,4 milliards de francs. Si l'on neutralise l'effet de la
majoration d'ARS, les recettes progressent de 3,7 % et les dépenses
de 2,9 % ; le déficit se réduit de 10,5 %.
Les mesures proposées par le Gouvernement ramèneraient le
déficit à 2,6 milliards de francs. Leur impact sur le solde
prévisionnel est en effet le suivant :
- mise sous condition de ressources des allocations familiales :
diminution des dépenses de 4 milliards de francs ;
- diminution de l'AGED : diminution des dépenses de 900
millions de francs ;
- généralisation du versement des allocations familiales
jusqu'à 19 ans : augmentation des dépenses de 300
millions de francs (mesure réglementaire) ;
- extension de l'assiette du prélèvement de 1 % sur les
revenus du patrimoine : majoration des recettes de 3,2 milliards de
francs ;
- déplafonnement des cotisations d'allocations familiales des
employeurs et travailleurs indépendants : majoration des recettes
de 300 millions de francs ;
- allégement des charges financières lié à la
reprise de la dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale
(CADES) : diminution des dépenses de 1,1 milliard de francs.
Après ces mesures et si l'on retire les effets de la diminution des
charges financières liée à la reprise de la dette par la
CADES, les recettes progressent de 5,2 % et les dépenses de
1 % seulement.
Comme on l'analysera plus loin
1(
*
)
, ces chiffres
révèlent les efforts exceptionnels demandés à la
branche famille par le Gouvernement.
La branche famille est déficitaire depuis 1994. A l'exception de
l'année 1995 qui voyait l'apurement des opérations entre la CNAF
et la CNAVTS concernant l'assurance vieillesse des parents au foyer
2(
*
)
, le déficit moyen s'établit autour de 10
à 11 milliards de francs.
La branche famille n'a cependant pas toujours été
déficitaire : elle a même connu jusqu'en 1994 des
excédents réguliers qui ont souvent permis de financer les
déficits des branches vieillesse et maladie. L'excédent
structurel que connaissait la branche famille a longtemps servi d'alibi aux
prélèvements de toutes sortes qui ont été
effectués à ses dépens. La séparation des branches
de la sécurité sociale et l'obligation de l'équilibre
financier de chacune d'elles, prévue par la loi n° 94-637 du
25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, sont
intervenues au moment même où la situation de la branche famille
connaissait les premières difficultés.
Après avoir assuré un soutien solidaire aux autres branches
lorsqu'elle était excédentaire, la branche famille se retrouve
seule face à son déficit.
1998 (1) : évolution tendancielle
avant
mesures proposées par le Gouvernement
1998 (2) : évolution tendancielle
après
mesures
proposées par le Gouvernement
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler également que le
déficit que connaît aujourd'hui la branche famille est aussi le
résultat du choix d'un taux de conversion défavorable lors du
déplafonnement des cotisations : ainsi, en 1988, ces
dernières sont passées de 9 points plafonnés à 7
points déplafonnés, alors que le taux d'équilibre
s'établissait à l'époque à 7,35 %. La
Commission des comptes de la sécurité sociale ayant
chiffré la perte de recettes à 7 milliards de francs, le
Gouvernement s'était engagé à la compenser
intégralement. Cette compensation s'est faite la première
année grâce à un prélèvement sur la taxe sur
les tabacs affectée à la Caisse nationale d'assurance maladie,
mais a cessé dès la deuxième année avec
l'introduction de la CSG.
En outre, l'article 34 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la
famille prévoit une garantie de ressources spécifique à la
branche famille, assurant à la CNAF des ressources au moins
égales, chaque année, au montant qui aurait résulté
de la législation et de la réglementation applicable à la
date du 1
er
janvier 1993. A ce titre, la Commission des comptes
de la sécurité sociale est chargée de vérifier le
maintien des ressources de la CNAF sur la période allant du
1
er
janvier 1994 au 31 décembre 1998. S'il est
constaté que les ressources sont inférieures au montant
évoqué, un versement de l'Etat équivalent à cette
différence intervient selon les modalités prévues par la
loi de finances établie au titre de l'année suivante.
Jusqu'à présent, cette garantie de ressources n'a jamais
joué, les différentes parties concernées (CNAF, ACOSS,
Direction de la sécurité sociale, Ministère de
l'agriculture, Direction du Budget) ne parvenant pas à s'accorder sur
l'évaluation des pertes ou des gains de recettes enregistrés par
la branche famille. La situation devrait néanmoins être
réexaminée au printemps prochain à l'occasion d'une
réunion d'évaluation organisée par M. Philippe Nasse,
secrétaire général de la Commission des comptes de la
sécurité sociale.
B. LE SUCCÈS RENCONTRÉ PAR LA LOI DU 25 JUILLET 1994 RELATIVE À LA FAMILLE A PROVOQUÉ UNE DÉRIVE IMPRÉVUE DES COÛTS
La loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative
à la famille poursuivait principalement deux objectifs :
- améliorer les conditions d'accueil des jeunes enfants et
permettre aux familles de mener au mieux leur projet familial en leur offrant
la possibilité soit de cesser leur activité professionnelle, soit
de la réduire pour élever un enfant ou de continuer à
travailler en disposant d'aides plus importantes pour faire garder leurs
enfants ;
- apporter une aide aux familles ayant de jeunes adultes à charge,
notamment par l'extension des limites d'âge de versement des prestations.
Ce second volet étant conditionné à l'existence d'un
excédent de la branche famille, il n'a pas pu être mis en place.
Il doit toutefois intervenir avant le 31 décembre 1999.
La loi a ainsi :
- étendu le bénéfice de l'allocation parentale
d'éducation (APE) aux familles de deux enfants et aux non
salariés, ainsi qu'à l'exercice d'une activité à
temps partiel ;
- augmenté le montant des aides versées aux parents qui
recourent à un mode de garde individuel de leurs enfants ainsi que
celles versées aux structures d'accueil collectives et familiales :
revalorisation de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) et
extension à la garde d'un enfant de 3 à 6 ans ;
majoration de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante
maternelle agréée (AFEAMA).
Cette loi devait avoir un coût total estimé de 9,3 milliards
à la fin de l'année 1998 : le chiffre final devrait
plutôt être proche de 15,8 milliards, soit un surcoût de 6,5
milliards de francs par rapport aux prévisions initiales.
Le graphique qui suit illustre le décalage croissant entre les
prévisions et les dépenses réelles.
Les origines de ce dérapage tiennent essentiellement au
succès rencontré par l'APE, l'AGED et l'AFEAMA. Les trois
dispositifs ont séduit nettement plus de bénéficiaires que
ce qui était initialement prévu. En termes de masse
financière, c'est essentiellement le gonflement de l'APE qui explique
néanmoins l'ampleur du dérapage.
Rappelons à cet égard un chiffre impressionnant : 45 %
des femmes qui accouchent aujourd'hui d'un deuxième enfant demandent
à bénéficier de l'APE, pour 35 % à taux plein
et pour 10 % à taux partiel.
Le tableau ci-dessous témoigne de l'importance de l'APE de rang 2 dans
l'accroissement du coût de la loi famille : en 1998, le
surcoût lié à cette seule allocation sera de près de
5,7 milliards de francs.
Coût de la loi famille du 25 juillet 1994
Prestations |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
||||||||||||||||
(Métropole) |
initial |
réalisé |
initial |
réalisé |
initial |
réalisé |
initial |
actualisé |
initial |
actualisé |
|||||||||||
APE 2 enfants |
2 360 |
6 484 |
10 191 |
11 771 |
|||||||||||||||||
APE 2 enfants y compris économie sur APJE longue 3( * ) |
117 |
260 |
1 491 |
2 102 |
3 196 |
5 790 |
4 786 |
9 105 |
5 094 |
10 777 |
|||||||||||
estimation de l'économie réalisée sur APJE longue |
258 |
694 |
1 086 |
994 |
|||||||||||||||||
APJE (naissances multiples) |
0 |
44 |
44 |
132 |
132 |
179 |
179 |
||||||||||||||
AGED |
86 |
260 |
290 |
260 |
833 |
264 |
964 |
267 |
974 |
||||||||||||
AFEAMA |
154 |
463 |
603 |
463 |
748 |
469 |
885 |
475 |
895 |
||||||||||||
FNAS (petite enfance) |
650 |
380 |
1 302 |
802 |
1.978 |
1 190 |
2 667 |
1 569 |
|||||||||||||
allocation d'adoption |
12 |
9 |
12 |
21 |
12 |
11 |
12 |
11 |
|||||||||||||
AVPF |
23 |
32 |
215 |
384 |
446 |
826 |
648 |
1 371 |
|||||||||||||
Total |
357 |
260 |
2 899 |
3 416 |
5 492 |
8 623 |
8 088 |
13 122 |
9341 |
15 775 |
|||||||||||
Evolution
|
17,8 |
57,0 |
62,2 |
68,9 |
(Source : Commission des comptes de la
sécurité sociale - septembre 1997)
Dans son rapport de septembre 1997 sur la sécurité sociale, la
Cour des comptes s'est intéressée aux raisons du succès de
l'APE. Elle relève que l'emballement des dépenses au titre de
cette allocation en 1995 et 1996 est essentiellement dû à
l'allocation au deuxième enfant, versée à taux plein.
Entre janvier 1995 et février 1997, cette prestation a crû au
rythme de 13 % par mois, tandis que l'allocation au troisième
enfant n'augmentait que de 0,4 % par mois.
Selon la Cour des comptes, plusieurs explications peuvent être
avancées pour expliquer le succès de cette prestation au rang 2
et donc l'ampleur de la sous-estimation des dépenses. La Cour des
comptes relève ainsi un parallélisme entre le succès de
l'allocation parentale d'éducation au rang 2 et le retrait significatif
du marché du travail des mères de deux enfants. Elle estime que
" le succès de l'APE semble dû en grande partie à
la dégradation de la situation du marché du travail
féminin
". Au-delà de son intérêt
évident pour les femmes déjà inactives, cette prestation
est attrayante pour des femmes en chômage faiblement indemnisé ou
en fin de droits, et pour celles qui occupent des emplois précaires dont
l'interruption d'activité ne modifie pas sensiblement leurs chances de
retour ultérieur à l'emploi. Comme le souligne la Cour des
Comptes, un bénéficiaire potentiel en situation de chômage
faiblement indemnisé ne peut rester indifférent à
l'égard d'une prestation du montant de l'APE. Dans une étude
datant de novembre 1996, la CNAF estime que les femmes en chômage
indemnisé comptent pour un tiers des femmes ayant opté pour l'APE
rang 2.
En outre, la Cour des Comptes constate que le niveau de la prestation laisse
présager un fort effet de substitution avec l'indemnisation de
chômage, pour les bas niveaux d'indemnisation, mais aussi au-delà.
Il convient de rappeler en effet que le montant de cette prestation
s'élève depuis le 1er janvier 1997 à
1 988 francs par mois lorsque l'activité à temps
partiel ou la formation suivie est au plus égale à 50 %,
à 1 503 francs si elle est supérieure à
50 % et au plus égale à 80 % et à
3 006 francs en cas de cessation totale de l'activité
professionnelle.
Suite à des simulations effectuées par la Cour des Comptes, il
apparaît que le choix de l'APE à taux plein par un des conjoints
d'un couple présente dans beaucoup de cas un certain attrait financier.
L'analyse du succès rencontré par la loi famille - et
particulièrement par l'APE - amène à formuler plusieurs
réflexions.
Il convient tout d'abord de rappeler que l'APE n'a certainement pas
été conçue pour inciter les jeunes femmes à
abandonner définitivement le monde du travail. Or il semble par bien des
aspects que l'APE pourrait conduire à une exclusion définitive du
marché du travail de certaines de ses bénéficiaires. Il
est indispensable que l'on étudie précisément dans quelles
conditions s'opère aujourd'hui la réinsertion des femmes sortant
du dispositif.
Il semble ensuite que l'APE soit à l'origine de transferts de charges
complexes entre l'UNEDIC et la branche famille. Un dispositif comme celui de
l'APE n'est pas sans incidence sur l'évolution des charges pouvant peser
sur l'UNEDIC. Une étude des transferts entre régimes induits par
l'APE serait la bienvenue.
De plus, l'exemple de l'APE illustre dans quelles conditions le chômage
peut avoir une incidence réelle sur les dépenses de la branche
famille. En l'espèce, la montée du chômage conduit à
une augmentation du nombre de personnes susceptibles d'être
intéressées par l'APE.
Enfin, votre rapporteur souhaite s'élever contre les critiques
fréquemment exprimées qui soulignent le coût
élevé de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille.
Le surcoût induit par la loi famille témoigne
précisément du succès qu'elle a rencontré,
succès dont il faut se féliciter. La loi famille répondait
manifestement aux besoins et aux attentes de la population.
C. LA BRANCHE FAMILLE SUPPORTE DES CHARGES DONT LA JUSTIFICATION MÉRITERAIT D'ÊTRE RÉEXAMINÉE
La mise à plat des comptes de la branche famille révèle que celle-ci supporte des charges tout à fait étrangères à sa vocation. Avant de décider de mesures aussi graves que la mise sous condition de ressources des allocations familiales, le Gouvernement eût été bien inspiré de procéder à un réexamen d'ensemble des charges indues pesant sur la branche famille.
1. La branche famille assure gratuitement pour le compte de l'Etat la gestion de certaines prestations
La CNAF verse pour le compte de l'Etat un certain nombre de prestations dont le rappel figure dans le tableau ci-dessous.
Prestations gérées par la CNAF pour le compte de l'Etat
(millions de francs et pourcentages d'évolution)
Prestations |
1995 |
1996 |
1997
|
1998
|
Taux moyen d'évolution |
AAH |
19.532 |
20.988 |
21.905 |
22.819 |
5,3 |
- Métropole |
18.694 |
20.105 |
20.993 |
21.883 |
|
- DOM |
838 |
883 |
912 |
936 |
|
FNH |
34.112 |
34.816 |
35.620 |
37.790 |
3,5 |
FNAL (ALS + ALT) |
18.583 |
19.309 |
19.824 |
20.500 |
3,3 |
- Métropole |
18.334 |
19.027 |
19.515 |
20.168 |
|
- DOM |
249 |
282 |
309 |
332 |
|
RMI** |
20.353 |
21.769 |
23.484 |
25.365 |
7,6 |
- Métropole |
18.285 |
19.694 |
21.382 |
23.272 |
|
- DOM |
2.068 |
2.075 |
2.102 |
2.093 |
(p) montants prévisionnels Source : direction de la
Sécurité sociale (DEEF)
AAH : Allocation aux adultes handicapés
FNH : Fonds national de l'habitat
FNAL : Fonds national d'aide au logement
ALS : Allocation de logement à caractère social
ALT : Aide aux associations logeant à titre temporaire des personnes
défavorisées
RMI : Revenu minimum d'insertion
Pour deux de ces prestations, le revenu minimum d'insertion (RMI) et
l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'Etat ne participe pas aux
frais de gestion. Cette situation trouve son origine dans les conditions
historiques de création de ces allocations.
Lors de l'institution du RMI, en 1988, la branche famille était
excédentaire ; de plus, les estimations faites à
l'époque prévoyaient que le dispositif du RMI ne concernerait que
300.000 personnes. Il avait donc été convenu entre la CNAF et
l'Etat que la gestion se ferait à titre gratuit. Le nombre
d'allocataires du RMI a aujourd'hui dépassé le million de
personnes, entraînant une charge de gestion croissante pour la branche
famille. Cette prestation de 25 milliards de francs est de surcroît
particulièrement complexe à gérer : l'annexe B jointe au
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998
précise en effet que la CNAF doit effectuer un "
contrôle
systématique pour le RMI à raison de 15 % des allocations chaque
année et de 1 % de l'effectif global chaque mois
".
Le coût financier de la gestion de ces prestations peut être
estimé à 1 milliard de francs pour le RMI et à 500
millions de francs pour l'AAH.
Pour deux autres prestations, l'allocation personnalisée au logement
(APL) et l'allocation de logement à caractère social (ALS),
l'Etat a réduit progressivement sa participation aux frais de gestion au
cours des dernières années. Depuis le décret n°
89-992 du 22 décembre 1989, l'Etat ne contribue plus aux frais de
gestion de l'APL qu'à hauteur de 4 % de sa seule part de financement de
la prestation, au lieu de 4 % de la masse globale d'APL auparavant. Ce
taux ne tient pas compte des difficultés particulières de gestion
de la prestation (versement en tiers-payant, multiples, échéances
spécifiques...). Le coût pour la branche est estimé
à 800 millions de francs.
Depuis le 1er janvier 1993, l'Etat ne contribue aux frais de gestion de l'ALS
qu'à hauteur de 2 % du montant des allocations servies, au lieu de
4 % auparavant. En 1996, cette réduction représente pour la
CNAF une perte de l'ordre de 400 millions de francs.
2. La branche famille finance les frais de tutelle aux handicapés
La CNAF supporte la charge de la tutelle aux prestations familiales mais aussi celle de l'AAH au titre de la tutelle aux prestations sociales. Cette dernière situation paraît d'autant moins fondée que la prestation elle-même fait l'objet d'un remboursement par l'Etat. La tutelle au titre de l'AAH pèse de plus en plus lourdement sur les dépenses de la branche : les frais supportés ont plus que doublé en cinq ans et se sont élevés à 460 millions de francs en 1996, soit plus de la moitié du total des frais de tutelle supportés par la CNAF.
3. Les cotisations versées à la CNAVTS au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) atteignent des montants sans doute excessifs
Instituée en 1978, l'assurance vieillesse des parents
au foyer (AVPF) est une cotisation souscrite auprès de la branche
vieillesse par la branche famille au profit des parents au foyer.
Calculée sur la base du SMIC, elle vient abonder la branche vieillesse
de près de 20 milliards de francs par an. Si le principe de cette
cotisation n'est pas contestable, le montant versé soulève, quant
à lui, certaines interrogations. Il représente en effet une
charge extrêmement lourde pour la branche famille. Ces versements sont
passés de 16 à 20 milliards de francs entre 1996 et 1997,
creusant d'autant le déficit de la branche.
L'AVPF peut s'interpréter comme une compensation momentanée par
la branche famille de charges futures pour la branche vieillesse. Le dispositif
étant encore relativement récent, ces cotisations n'ont pas
encore produit leur plein effet. L'effet se fera véritablement sentir
quand les générations ayant pu bénéficier de cette
mesure partiront à la retraite. La branche famille paye donc pour des
prestations futures. Les prestations versées aujourd'hui par la branche
vieillesse dans le cadre de l'AVPF s'élèvent à 5 milliards
de francs par an. Pour le moment, le bilan est donc très positif pour la
branche vieillesse qui ne verse que 5 milliards de francs de prestations pour
20 milliards de francs de cotisations.
De plus, certaines cotisations sont versées en pure perte, comme c'est
le cas pour les cotisations versées au titre de l'AVPF pour les
personnes isolées. Aucune condition de non-activité
n'étant exigée des personnes isolées pouvant
bénéficier de l'assurance vieillesse des parents au foyer (alors
que cette condition existe pour les personnes vivant en couple), la CNAF cotise
à l'assurance vieillesse pour des personnes déjà
assurées au titre de leur activité professionnelle. La
dépense correspondante peut être estimée à 1
milliard de francs.
Selon Mme Hélène Gisserot
4(
*
)
, une
réforme de l'AVPF entraînerait une économie d'au moins 5
à 6 milliards de francs pour la branche famille. Une révision des
charges indues diminuerait les dépenses de la branche famille de 3
à 4 milliards de francs par an. La conjonction de ces deux mesures
permettrait de se rapprocher fortement de l'équilibre.
Votre rapporteur a bien conscience qu'un retour de l'AVPF à de plus
justes proportions se traduirait par une diminution des recettes de la CNAVTS
et donc par un creusement de son déficit. Néanmoins, il juge
utile de procéder à un apurement de la situation afin que les
soldes des différentes branches retrouvent une véritable
signification. Aujourd'hui, l'AVPF présente les caractéristiques
d'un transfert massif entre la branche famille et la branche vieillesse.
Une remise à plat de l'ensemble des transferts et des charges
supportées par la CNAF s'impose dans les meilleurs délais.
L'année 1998 pourrait être l'occasion d'une clarification des
relations entre l'Etat et la branche famille. On espère ardemment que
cette question sera abordée par le Gouvernement dans le cadre du
réexamen d'ensemble de la politique familiale.
Par cette analyse, votre rapporteur ne vise pas à nier l'existence du
déficit de la branche famille : il souhaite simplement mettre
l'accent sur les aspects comptables de ce déficit, qui doivent conduire
à relativiser l'importance que l'on peut lui apporter.
Le
déficit de la branche famille a des origines plurielles et complexes,
qui mériteraient une analyse approfondie. Procéder à une
réforme fondamentale de la politique familiale du seul fait de ce
déficit serait une faute lourde de conséquences.
II. LES MESURES PROPOSÉES PAR LE GOUVERNEMENT DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE REMETTENT EN CAUSE LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE FAMILIALE
A. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT FRAPPÉ PARTICULIÈREMENT LES FAMILLES
On ne peut que déplorer le très lourd tribut imposé aux familles par ce projet de loi de financement à travers les diverses mesures qu'il comporte. Le Gouvernement a manifestement souhaité transformer la politique familiale en variable d'ajustement des comptes sociaux.
1. La branche famille supporte les seules économies réalisées dans le cadre du projet de loi de financement
Dans le projet du Gouvernement, la famille est la seule
branche pour laquelle des "
économies
" sont
décrétées. Cela se fait au prix d'une remise en cause des
fondements de notre politique familiale. De fait, la branche famille, qui ne
représente que moins d'un cinquième des dépenses du
régime général, contribue pour près de la
moitié à l'effort de réduction du déficit.
La totalité des efforts d'économies porte en effet sur la branche
famille dont les dépenses ne progressent que de 1,0 %, contre
2,8 % pour la maladie, 3,5 % pour la vieillesse et 2,7 % pour
l'ensemble des branches.
Hors économies sur la charge de la dette, la branche famille contribue
pour près de la moitié (45 %) à la réduction
du déficit du régime général alors qu'elle ne
représente que moins de 20 % des dépenses comme des recettes
de l'ensemble des branches. Est-il normal de sacrifier ainsi une politique qui
engage l'avenir de la Nation ?
2. Une accumulation de mesures défavorables dont les effets se conjugueront pour certaines familles
Le projet de loi de financement comporte deux mesures qui
vont
frapper particulièrement certaines familles : la mise sous
condition de ressources des allocations familiales et la diminution de
l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED). Le Gouvernement a en
outre inscrit dans la loi de finances deux autres dispositions
défavorables aux familles : la diminution de la déduction
fiscale pour les emplois à domicile et la baisse du plafond de la
demi-part supplémentaire de quotient familial accordée aux
personnes seules ayant élevé un enfant.
Les deux mesures contenues dans le projet de loi de financement seront
analysées en détail dans les parties suivantes. Il n'appartient
pas à votre rapporteur de s'exprimer longuement sur les mesures qui
figureront dans le projet de loi de finances. Il juge néanmoins
nécessaire d'attirer l'attention du Gouvernement sur les
possibilités de conjonction de ces mesures sur certaines familles.
Les mesures proposées par le Gouvernement apparaissent en effet
très concentrées sur les familles appartenant aux classes
moyennes supérieures. Elles vont toucher avant tout les jeunes
ménages de cadres moyens et de cadres supérieurs. Certaines
familles risquent à la fois de perdre le bénéfice des
allocations familiales et d'être frappées par la double diminution
de l'AGED et de la déduction fiscale pour les emplois à
domicile : les baisses de ressources induites pourraient être
considérables dans certains cas.
Il y a dans la politique du Gouvernement une volonté tout à fait
regrettable de stigmatiser ces familles, lesquelles n'ont pas
mérité l'opprobre que l'on veut jeter sur elles. Certes, ces
familles sont généralement aisées : faut-il pour
autant leur donner le sentiment d'être exclues de la communauté
nationale ? Une telle accumulation de mesures défavorables pourrait
faire naître un sentiment d'injustice et de découragement bien
compréhensible chez ces populations actives dont le rôle est
essentiel pour l'essor et l'avenir du pays.
Enfin, s'agissant de la diminution du plafond de la demi-part
supplémentaire de quotient familial accordée aux personnes seules
ayant élevé un enfant, votre rapporteur, qui est par ailleurs
président du groupe d'études des problèmes du veuvage au
Sénat, souligne que cette disposition affectera nombre de veuves et de
veufs. Il estime qu'une solution moins brutale aurait dû être
préférée, qui aurait atténué les effets de
la sortie de ce dispositif.
3. Faute de moyens suffisants, l'action sociale de la CNAF risque d'être compromise
La CNAF consacre plus de 14 milliards de francs par an
à l'action sociale. Elle mène à cette occasion des
politiques en faveur de l'accueil des jeunes enfants, de l'accompagnement
social des familles et de leurs enfants, du logement et de l'habitat.
Or tout semble indiquer que le Fonds national d'action sociale, qui concentre
l'essentiel des moyens affectés à l'action sociale, ne disposera
pas en 1998 de ressources suffisantes pour assurer la continuité de ses
actions. Le chiffre de 12,1 milliards de francs figurant dans le rapport sur
les comptes de la sécurité sociale au titre du FNAS paraît
nettement insuffisant au regard des besoins.
Les dépenses d'action sociale de la CNAF
Action sociale |
Commission des
comptes
|
Ecarts avec la LFSS 97 |
||||||
1996 |
% |
1997 |
% |
1998 |
% |
1996 |
1997 |
|
CNAF (total) |
13.642 |
4,1 |
14.076 |
3,2 |
14.382 |
2,2 |
- 81 |
- 307 |
FNAS |
11.455 |
5,2 |
11.841 |
3,4 |
12.095 |
2,1 |
- 21 |
- 271 |
FASTIF |
965 |
-9,4 |
965 |
0,0 |
965 |
0,0 |
- 100 |
- 100 |
FASO |
333 |
0,6 |
337 |
1,1 |
341 |
1,3 |
- 4 |
- 5 |
Frais de tutelle |
889 |
8,3 |
934 |
5,0 |
981 |
5,0 |
44 |
69 |
Source : direction de la sécurité sociale
(DEEF)
L'enveloppe du FNAS ne serait relevée que de 2,1 % en valeur, ce
qui en pratique la laisserait inchangée en volume. Les dépenses
d'action sociale ont cependant évolué selon un rythme beaucoup
plus élevé au cours des dernières années ;
elles ont ainsi progressé de 25 % entre 1992 et 1996. La tendance
des dernières années était une progression annuelle de
4 % en volume.
Cette situation a suscité une très vive inquiétude au sein
du conseil d'administration de la CNAF
Un tel gel des crédits d'action sociale paraît en contradiction
avec la volonté affichée par le Gouvernement dans le rapport
annexé au projet de loi de financement de la sécurité
sociale de
" favoriser les prises en charge collectives qui
assurent un
meilleur éveil des enfants et une plus grande mixité
sociale ".
Le rapport annexé annonce en effet un
développement important de l'action sociale notamment dans les domaines
de la petite enfance, du soutien au rôle éducatif des familles, du
temps libre des enfants. Il est permis de s'interroger sur les
possibilités réelles dont disposera la CNAF pour financer ces
projets.
On outre, il est pour le moins incohérent de diminuer
simultanément, d'une part, les aides à la garde à
domicile, comme le fait le Gouvernement en réduisant l'AGED, et, d'autre
part, les aides aux modes de garde collectifs financées par le Fonds
national d'action sociale de la CNAF. En toute logique, et si cette mesure
n'avait pas été guidée par la seule préoccupation
financière, la diminution de l'AGED aurait dû être
compensée par une augmentation à due concurrence des
dépenses d'action sociale.
4. La généralisation de 18 à 19 ans de l'âge de l'ouverture du droit aux allocations familiales : une mesure déjà prévue par la loi relative à la famille de 1994 et déjà décidée par le précédent Gouvernement
La seule mesure favorable aux familles prévue par le
projet de loi de financement est d'ordre réglementaire : il s'agit
de la généralisation de 18 à 19 ans de l'âge
d'ouverture du droit aux allocations familiales à compter du
1
er
janvier 1998.
Cette mesure figurait déjà dans la loi relative à la
famille du 25 juillet 1994, qui prévoyait qu'elle devait intervenir
avant le 31 décembre 1999. En outre, elle avait déjà
été annoncée, à l'issue de la Conférence de
la famille du 17 mars 1997, par le Premier Ministre, M. Alain Juppé.
Les modalités de cette généralisation ne sont pas encore
bien précisées. Il semble qu'elle ne porterait que sur les
enfants atteignant l'âge de 18 ans à partir du 1
er
janvier : elle ne bénéficierait donc pas aux enfants
déjà âgés de 18 ans à cette date. Ce choix
exclut pour l'année 1998 la moitié des
bénéficiaires potentiels et risque d'être source
d'incompréhensions pour beaucoup de familles. Il explique pourquoi le
coût prévu de cette mesure n'est que de 300 millions de francs en
1998 ; le coût sera donc doublé en 1999.
Si elle est incontestablement bienvenue, cette mesure est aussi modeste et d'un
coût limité : elle ne peut guère compenser la mise
sous condition de ressources des allocations familiales parallèlement
proposée par le Gouvernement.
B. LA MISE SOUS CONDITION DE RESSOURCES DES ALLOCATIONS FAMILIALES REMET EN CAUSE LES FONDEMENTS DE NOTRE POLITIQUE FAMILIALE
Le Gouvernement propose de placer sous condition de
ressources
les allocations familiales
5(
*
)
. La fixation du
niveau de plafond de ressources et de ses majorations relève du pouvoir
réglementaire : les allocations familiales ne seraient plus
versées au-dessus d'un revenu net mensuel de 25.000 francs ; cette
somme serait majorée de 7.000 francs pour les ménages où
les deux conjoints travaillent ou les familles monoparentales. Une majoration
de 5.000 francs par enfant serait appliquée à partir du
troisième enfant. Les plafonds seront indexés sur
l'évolution des prix à la consommation hors tabac.
Le dispositif est donc complexe. A l'heure où chacun s'accorde à
reconnaître qu'il est devenu nécessaire de simplifier la
législation des prestations familiales, la mise sous condition de
ressource introduit indéniablement un nouvel élément de
complexité.
Pour votre rapporteur, la mise sous condition de ressources est inacceptable.
Selon les estimations de la CNAF, cette mesure touchera quelque 350.000
familles qui se verront supprimer les allocations familiales, soit environ
8 % des ménages percevant actuellement ces allocations. Un million
d'enfants seront concernés. En outre 35.000 familles situées
juste au-dessus des seuils ne percevront plus qu'une allocation
différentielle destinée précisément à
atténuer les effets de seuils.
Avant d'examiner cette mesure au fond, on évoquera la méthode
particulièrement contestable utilisée par le Gouvernement.
1. La méthode du Gouvernement est extrêmement critiquable
a) Une absence totale de concertation avec les partenaires sociaux et le mouvement familial
La mise sous condition de ressources des allocations
familiales a été annoncée dès le 19 juin 1997,
à l'occasion du discours de politique générale du Premier
ministre. La décision a été prise sans la moindre
concertation avec les organisations syndicales et le mouvement familial. Il ne
faut guère s'étonner, dès lors, si cette mesure a
suscité l'opposition unanime de l'ensemble des associations familiales
et des organisations syndicales.
Pour signifier son opposition absolue à ce projet, la CNAF a
diffusé le communiqué de presse figurant ci-après à
l'issue de son Conseil d'administration du 30 septembre 1997.
Communiqué de presse de la CNAF le 30 septembre 1997
Le Conseil d'Administration de la CNAF émet un avis
défavorable sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale
Le Conseil d'Administration de la Caisse nationale des allocations familiales
(CNAF) a émis, lors de sa réunion exceptionnelle du 30 septembre
1997, un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale, soumis pour avis par le Gouvernement.
· 30 administrateurs ont émis un avis défavorable :
- 3 CGT * 2 personnes qualifiées
- 3 CGT-FO * 13 non-salariés
- 2 CFE-CGC * 5 UNAF
- 2 CFTC
· 3 administrateurs ont émis un avis favorable :
- 3 CFDT
La position du conseil d'administration est fondamentalement justifiée
par son hostilité à la mise sous condition de ressources des
allocations familiales :
· Le Conseil estime, dès lors que l'ensemble de la population est
amenée à participer au financement du système de
prestations familiales, que chacun doit pouvoir bénéficier des
allocations familiales qui en constituent le socle de base.
· Les administrateurs considèrent que si le Gouvernement souhaite
réduire les inégalités de revenus entre les familles, il
doit rechercher une réponse plutôt dans le cadre de la
fiscalité.
· Enfin, le Conseil d'administration a contesté la méthode
mise en oeuvre par le Gouvernement qui consiste à élaborer dans
un premier temps une réforme structurelle du système de
prestations familiales puis de promettre dans un second temps sa remise
à plat.
Les administrateurs qui se sont prononcés en faveur du projet de loi de
financement, tout en partageant cette analyse globale sur les allocations
familiales, ont jugé de façon positive ses autres aspects :
transfert des cotisations maladie sur la CSG et mesures sur l'assurance maladie.
Enfin, le conseil d'administration, unanime, s'est élevé contre
les conditions de consultation de la CNAF (délai de deux jours) pour
examiner cette mesure fondamentale qui remet en cause 50 années
d'histoire des allocations familiales.
b) La décision du Gouvernement précède la réflexion annoncée
Dans le rapport d'orientation annexé au projet de loi
de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement indique,
sous la rubrique
" une politique de la famille
repensée "
qu'il souhaite
" que la politique à
l'égard des familles fasse l'objet d'un réexamen d'ensemble, en
ce qui concerne tant la fiscalité que les prestations familiales et
l'ensemble des actions publiques qui y concourent. Il s'agit à la fois
de tirer les leçons des évolutions qui se produisent dans la
société et de proposer une politique efficace et active au
service des familles. Le Gouvernement présentera au Parlement, avant la
fin de l'année prochaine, les lignes d'action d'une politique familiale
ambitieuse adaptée aux réalités de notre temps. "
Le Gouvernement annonce donc le lancement d'une réflexion de fond
consacrée à la politique familiale. Dès lors, on ne
comprend pas véritablement pourquoi il semble si pressé de
prendre dès cette année une mesure d'une portée aussi
considérable que la mise sous condition de ressources des allocations
familiales.
Le souhait du Gouvernement de procéder à un réexamen au
cours de l'année 1998 de l'ensemble de la politique familiale
apparaît comme une opération à contretemps dans la mesure
où une telle réflexion aurait dû précéder et
non suivre les mesures décidées par le Gouvernement.
Le Gouvernement affirme en outre que la mise sous condition de ressources des
allocations familiales est une mesure
" provisoire "
. Or les
articles 19 et 20 du projet de loi qui, respectivement, place les allocations
familiales sous condition de ressources et diminue l'AGED n'ont en rien le
caractère de dispositions transitoires valables pour la seule
année 1998 : ils modifient le code de la sécurité
sociale, donnant à ces mesures un caractère permanent.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant que
" la mise en uvre d'un plafond de ressources pour le versement des
allocations familiales prévue au présent article est
transitoire "
et qu'elle
" s'appliquera jusqu'à ce
que
soit décidée une réforme d'ensemble des prestations et des
aides fiscales aux familles, que le Gouvernement mettra en uvre, dans un
objectif de justice et de solidarité, après avoir
réorienté le système existant ".
Il aurait sans
doute été plus efficace de prévoir simplement que la mise
sous condition de ressources des allocations familiales ne s'appliquait que
pour la seule année 1998.
2. Une réforme dont la seule finalité est le souci de faire des économies financières.
Le Gouvernement présente la mise sous condition de
ressources comme une mesure de
" solidarité "
et de
" justice ".
Il n'en est rien.
La seule justification de la mise sous condition de ressources des allocations
familiales semble être surtout financière : il s'agit
d'économiser 4 milliards de francs en 1998. La mise sous condition
de ressources des allocations familiales n'entraîne aucune redistribution
en faveur des familles modestes.
Il est par conséquent difficile de considérer comme un
modèle de solidarité une politique familiale qui diminue les
prestations pour certaines familles sans reverser la différence aux plus
modestes d'entre elles.
En outre, dans l'hypothèse où les sommes ainsi
économisées profiteraient effectivement aux familles les plus
modestes, il s'agirait d'une conception bien étroite de la
solidarité. La solidarité ne consiste pas à
prélever de l'argent des familles riches au profit des familles
pauvres : elle doit être au contraire l'occasion d'une
véritable solidarité horizontale entre toutes les composantes de
la société.... La solidarité que propose le Gouvernement,
ce n'est pas la solidarité de la Nation tout entière à
l'égard des familles, mais simplement la solidarité des familles
entre elles.
3. La mise sous condition de ressources remet en cause l'universalité des allocations familiales, principe fondateur de la politique familiale
La mise sous condition de ressources des allocations
familiales porte atteinte à un principe fondamental :
l'universalité des allocations familiales, qui sont un droit ouvert
à l'enfant indépendamment du statut et de la situation de ses
parents. La politique familiale a été conçue selon un
principe de compensation des charges liées à la présence
d'enfants. Il s'agissait de rétablir l'égalité entre les
familles ayant des enfants à charge et celles qui n'en avaient pas. Il
s'agissait d'exprimer la reconnaissance par la société du
rôle irremplaçable que joue la famille pour assurer le
renouvellement des générations et donc du droit de tout enfant
à être pris en charge indépendamment des ressources dont
dispose le foyer qui l'héberge.
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre, M. Lionel
Jospin, le 9 juillet dernier, Jean-Paul Probst, s'exprimant au nom du conseil
d'administration de la CNAF, a estimé que la mise sous condition de
ressources des allocations familiales s'apparentait à
"une remise en
cause fondamentale du principe essentiel de compensation horizontale qui
fonde... notre système d'aide aux familles et selon lequel chaque
famille, parce qu'elle assure l'avenir de la collectivité nationale, est
justiciable de son soutien".
Si les plafonds actuels concernent un nombre limité de familles, ils
toucheront, au fil des ans, un nombre de plus en plus élevé de
nos concitoyens. Il est prévisible qu'un nombre toujours croissant de
familles seront exclues du bénéfice des allocations familiales.
Le Gouvernement a prévu un mécanisme de revalorisation du seuil
en fonction de l'évolution des prix : les progressions de pouvoir
d'achat entraîneront mécaniquement l'exclusion de toujours
davantage de familles.
De plus, un plafond fixé par voie réglementaire peut toujours
être remis en cause au gré des projets de budgets. Le Gouvernement
nous en donne d'ailleurs l'exemple cette année même au travers de
la diminution de l'AGED et du plafond de déduction fiscale pour les
emplois à domicile.
Le risque est grand que le niveau du seuil devienne à terme une
véritable variable d'ajustement pour le déficit de la branche
famille.
4. La mise sous condition de ressources des allocations familiales transforme la politique familiale en une politique d'aide sociale à vocation redistributive
Il convient de rappeler que le système français
se caractérise par la coexistence de solidarités horizontales et
des solidarités verticales. Les solidarités horizontales sont la
base de la protection sociale : il s'agit des solidarités entre
actifs et retraités, entre bien portants et malades, entre
célibataires et chargés de famille. Les solidarités
verticales sont des solidarités entre riches et pauvres, qui
s'effectuent par le biais de la fiscalité. La finalité d'un
système de protection sociale n'est donc pas de pratiquer de la
redistribution : la sécurité sociale sert à
préserver tout le monde des aléas de l'existence en offrant les
mêmes droits à tous. La protection sociale repose donc sur une
conception égalitaire des droits de chacun.
En imposant la mise sous condition de ressources des allocations familiales, le
Gouvernement choisit le camp de ceux qui proposent de concentrer la protection
sociale sur les familles à faibles ressources et de ne plus traiter de
manière égalitaire les familles dans l'accès aux
prestations. Un tel choix est socialement dangereux.
En plaçant les allocations familiales sous condition de ressources, le
Gouvernement transforme la politique familiale en une politique d'aide sociale.
Un seul chiffre suffit pour s'en convaincre :
-
41,9 %
6(
*
)
des prestations
familiales étaient placées sous condition de ressources avant
cette réforme ;
-
82,3 %
des prestations familiales seront placées sous
condition de ressources après cette réforme
7(
*
)
.
Cette transformation de la politique familiale en une politique sociale s'est
engagée il y a une trentaine d'années ; en 1970, seulement
14 % des prestations familiales étaient soumises à condition
de ressources.
Mais les mesures proposées par le Gouvernement pour 1998 apparaissent
comme un véritable changement de
nature
des prestations
familiales et non comme un changement de
degré
.
Comme le souligne l'Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE), dans son étude consacrée au
plafonnement des allocations familiales
8(
*
)
,
" il n'est ni socialement responsable, ni intellectuellement
sérieux, d'opposer l'aide nécessaire aux familles démunies
et le traitement équitable des familles plus à l'aise. Si la
société estime qu'il faut accroître les aides aux familles
pauvres, les dépenses supplémentaires doivent être
financées par l'ensemble des contribuables et non spécifiquement
par les familles moyennes ou aisées. "
5. Le Gouvernement prend une décision lourde de menaces pour l'avenir de notre système de protection sociale
En décidant de manière brutale et sans aucune
concertation la mise sous condition de ressources des allocations familiales,
le Gouvernement prend un risque considérable pour l'avenir de notre
protection sociale.
Il ouvre la voie aux critères de ressources pour l'ensemble de la
sécurité sociale, et conduit par là à un
système dual dont on connaît précisément les risques
pour les populations les plus vulnérables. Demain, les prestations
maladie seront-elles versées en fonction des ressources de
l'intéressé ? Cette mise sous condition de ressources des
allocations familiales pourrait bien jeter les bases d'une autre logique pour
l'assurance maladie et pour l'assurance vieillesse. Le raisonnement du
Gouvernement sur les allocations familiales peut s'appliquer mot pour mot au
remboursement des " petits risques " par l'assurance
maladie.
De plus, en excluant certaines personnes du bénéfice des
allocations familiales, on prend le risque de voir des parts croissantes de la
population se détourner d'une protection sociale dont elles ne
percevraient plus les prestations et donc le bien-fondé.
Le risque que les employeurs se désengagent du financement de la
politique familiale est réel : on voit mal en effet pourquoi
ceux-ci continueraient à financer une branche de la
sécurité sociale qui ne bénéficierait qu'à
une partie de leurs salariés.
La mise sous condition de ressources des allocations familiales ouvre la porte
toute grande à la transformation de notre système de protection
sociale obligatoire, solidaire et universel en un système de simple
assistance aux plus démunis, le seul recours pour les autres devenant
l'assurance privée. Avec cette mesure inconsidérée, le
Gouvernement apporte un soutien inespéré et -on l'espère-
involontaire à ceux qui souhaitent démanteler notre
système de protection sociale.
C. LA DIMINUTION DE L'ALLOCATION DE GARDE D'ENFANT A DOMICILE : UNE RÉGRESSION POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT, UN RISQUE POUR L'EMPLOI
Instaurée en 1986 puis étendue en 1995,
l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) est destinée aux
familles qui font garder leurs enfants de moins de six ans à domicile et
dont les deux parents travaillent. L'AGED prend en charge les cotisations
sociales dues par la famille dans la limite de 12.836 francs par trimestre pour
un enfant de moins de 3 ans, et de 6.418 francs pour un enfant dont l'âge
est compris entre 3 et 6 ans. 67.000 familles bénéficient de
cette aide.
Le Gouvernement proposait initialement
9(
*
)
de
réduire le taux de prise en charge des cotisations sociales par l'AGED
de 100 à 50 %. L'Assemblée nationale a adopté un
amendement introduisant une condition de ressources
supplémentaire : le taux de prise en charge serait porté
à 75 % pour la garde d'enfant de moins de trois ans quand les
ressources de la famille sont inférieures à un plafond de 300.000
francs par an.
Votre rapporteur ne peut que regretter que l'Assemblée nationale ait
jugé utile d'introduire un nouveau plafond de ressources pour les
prestations familiales. La modification apportée par les
députés - pour tenir compte à titre seulement transitoire
" des difficultés d'adaptation aux nouvelles
dispositions "
- aura probablement une portée très
limitée : le revenu moyen des familles bénéficiaires
de l'AGED est en effet supérieur au seuil de 300.000 francs par an. Ce
seuil, qui correspond à 25.000 francs par mois, n'est d'ailleurs pas
cohérent avec celui choisi dans le cadre du plafonnement des allocations
familiales pour les familles à deux revenus qui
s'élève, lui, à 32.000 francs par mois, soit 384.000
francs par an.
1. Une régression pour les femmes qui travaillent
Par l'embauche d'une personne à domicile, l'AGED permet
aux femmes actives - particulièrement les cadres - de mieux concilier
vie professionnelle et vie familiale. Sa diminution concernera peu de familles
mais elle risque d'avoir un fort impact psychologique : elle sera
vécue comme une régression par les femmes qui travaillent.
Le problème de l'AGED ne peut être distingué de la question
des structures d'accueil collectives et de l'assouplissement de leurs
règles de fonctionnement. L'AGED permet en effet de remédier
partiellement au nombre insuffisant de places de crèches,
particulièrement net dans certaines agglomérations. Elle facilite
en outre la vie des parents dont les horaires de travail sont difficilement
conciliables avec ceux des crèches.
Sa diminution - alors que l'augmentation datait du 1
er
janvier 1995
- soulève le problème de la crédibilité de la
politique familiale. Elle risque d'accréditer l'idée que toute
mesure de politique familiale est aisément réversible. Or, pour
qu'une allocation ait un impact sur les comportements, il faut que la
population soit assurée de sa pérennité.
2. Un risque pour l'emploi
Selon les chiffres de l'Institution de retraite
complémentaire des emplois de la famille (IRCEM), l'AGED a permis la
création de 40.000 emplois, selon un rythme de création de 7.000
emplois nouveaux chaque année.
La diminution de l'AGED - conjuguée à celle du plafond de la
déduction fiscale pour les emplois à domicile - devrait avoir des
conséquences particulièrement dommageables sur l'emploi. Pourtant
attaché à la lutte contre le chômage, le Gouvernement ne
semble guère se soucier du sort des personnes qui seront
licenciées du fait de ces mesures.
La diminution de l'AGED va encourager le développement du travail au
noir. On peut certes le regretter ; il faut pourtant avoir la franchise de
le reconnaître. Le risque est grand en effet qu'une partie des emplois
déclarés deviennent des emplois clandestins. L'augmentation de
l'AGED et du plafond de déduction fiscale en 1995 avait fortement
contribué à assainir le marché des emplois à
domicile, en limitant très sensiblement le travail au noir : il est
regrettable que le Gouvernement, par cette mesure inopportune, revienne sur
cette évolution.
Le Gouvernement prétend que la mesure proposée permettra à
la branche famille de faire des économies. La diminution de l'emploi
induite par la baisse de l'AGED se traduira en réalité par une
diminution des rentrées de cotisations sociales pour l'ensemble des
branches de la sécurité sociale. Il n'est pas certain que le
bilan final de la réforme soit positif pour les comptes de la
sécurité sociale.
Dans le cadre d'une politique de l'emploi, était-il vraiment choquant
que la collectivité prenne à sa charge, avec l'AGED, le poids des
cotisations sociales dues par les familles ? En réalité, le
Gouvernement semble, avec cette mesure, guidé davantage par un jugement
idéologique porté sur les emplois familiaux que sur une
appréciation objective de la réalité. Pour le
Gouvernement, les emplois familiaux ne sont probablement pas de vrais emplois.
Pourtant, ces emplois existent et, grâce à l'AGED, sont en voie de
professionnalisation.
III. L'AVENIR : DONNER UN NOUVEAU SOUFFLE À LA POLITIQUE FAMILIALE
Avant d'évoquer l'avenir de la politique familiale de notre pays, on rappellera que la France mène depuis de nombreuses années une politique familiale ambitieuse.
A. LA FRANCE SE CARACTÉRISE PAR SA TRADITION DE POLITIQUE FAMILIALE AMBITIEUSE QUI LUI PERMET DE CONNAÎTRE AUJOURD'HUI UNE SITUATION DÉMOGRAPHIQUE MOINS DÉGRADÉE QUE CELLE DE SES PRINCIPAUX PARTENAIRES EUROPÉENS
1. Une tradition de politique familiale ambitieuse
Pour remédier à un déclin
démographique marqué pendant un siècle et demi, la France
a, depuis les années 1930, une tradition de politique familiale
vigoureuse.
Notre pays, dès la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, a en effet adopté un comportement en matière de
naissance très malthusien, comparativement aux autres pays
européens. Du deuxième pays d'Europe par son nombre d'habitants
en 1789, avec 26 millions d'habitants, après la Russie qui en comptait
30 millions, alors que le Royaume-Uni n'en comptait que dix, elle a vu sa
position décroître tout au long du XIXe siècle pour se
retrouver en 1914 à 40 millions d'habitants face à une Allemagne
de 66 millions et un Royaume-Uni peuplé de 46 millions d'habitants.
Cette situation ne s'est pas véritablement redressée pendant les
années vingt et surtout trente, puisque, dès 1934, les
décès redeviennent, pour une décennie, supérieurs
aux naissances.
Cet état de fait, face à la montée des périls, a
provoqué une prise de conscience, qui a permis l'élaboration
d'une politique familiale vigoureuse sous l'impulsion d'Alfred Sauvy, alors
membre du Cabinet de M. Paul Reynaud, ministre des Finances.
En effet, si l'on ne doit pas sous-estimer l'importance de la loi du
11 mars 1932 qui généralise le principe des sursalaires
familiaux, les textes véritablement décisifs dans ce domaine sont
le décret-loi du 12 novembre 1938 et la loi du 29 juillet 1939 dite
" code de la famille ".
Le décret-loi du 12 novembre 1938 pose en fait des principes qui vont
perdurer, comme celui d'une allocation progressive selon la taille de la
famille, versée quel que soit le revenu de celle-ci et avec un taux
uniforme. Deux autres caractéristiques sont à relever : la
limitation aux cinq ans de l'enfant de la durée du versement de
l'allocation au premier enfant, ainsi que la création de majorations
pour les familles dont la femme n'a pas d'activité professionnelle.
Mais, c'est la loi du 29 juillet 1939 dite
" code de la
famille "
qui constitue en fait la première tentative
cohérente d'une véritable politique familiale en France avec un
objectif nataliste clairement affiché. Elle renforce, dans cette
optique, la progressivité du barème pour les allocations à
partir du troisième enfant, supprime l'allocation au premier enfant au
profit d'une prime à la première naissance et transforme la
majoration du décret-loi du 12 novembre 1938 en allocation de
mère au foyer. Ce dispositif est complété à la
Libération par les ordonnances de 1945 sur la sécurité
sociale et les nombreuses lois qui de 1945 à 1949 -dont la loi de
finances pour 1946 qui institue le quotient familial- définissent les
différentes aides ou prestations. Ainsi, en l'espace de dix ans, le
socle législatif de la politique familiale est bâti.
Si, bien entendu, on ne peut imputer totalement à ce dispositif le
redressement de la natalité qui commence faiblement avant la
deuxième guerre mondiale et se confirme dès 1943, force est de
constater le parallélisme entre les deux. En effet, en une vingtaine
d'années, la France acquiert un véritable dynamisme
démographique qui lui faisait défaut depuis un siècle et
demi. Même si c'est le sentiment de votre commission qu'une politique
familiale ne peut être fondée que sur des prestations, il faut
rappeler qu'une famille modeste de quatre enfants voyait, entre 1940 et 1952,
ses ressources majorées de moitié grâce aux allocations
familiales.
Les années soixante ont correspondu à une moindre
inventivité en matière de politique familiale, les acquis
étant maintenus, alors que la natalité faiblissait de nouveau
à partir de 1964.
La préoccupation de politique familiale de notre pays n'est donc pas
récente. Il est à craindre que les mesures défavorables
aux familles que s'apprête à faire voter le Gouvernement
n'érodent la confiance des Français dans l'avenir de la politique
familiale. Or, pour être efficace, la politique familiale doit s'inscrire
dans la durée. La politique menée par le Gouvernement sera
nécessairement comprise comme un signal négatif à
l'intention des familles ; elle pourrait être
interprétée comme un début de désengagement de la
collectivité de sa politique traditionnelle d'aide aux familles. Il est
alors à craindre que ce sentiment se traduise à terme par une
diminution des naissances
2. Une situation démographique moins dégradée que celle de ses principaux partenaires européens
Il est naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre la politique familiale et la situation démographique d'un pays. La France connaît aujourd'hui une situation démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires : l'indicateur conjoncturel de fécondité, qui avait atteint, en 1993 et 1994, son minimum historique en période de paix avec 1,65 enfant par femme est remonté à 1,7 en 1995 et devrait être proche de 1,72 en 1996. Ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne de l'Union européenne (1,44) et aux taux de fécondité que connaissent par exemple l'Espagne (1,15), l'Italie (1,22), l'Allemagne (1,30), les Pays-Bas (1,52). En matière de taux de fécondité, la France se trouve ainsi dans le peloton de tête des pays européens avec le Luxembourg, la Finlande, le Danemark et l'Irlande. Parmi nos partenaires européens, la tendance générale reste à la baisse des taux de fécondité.
Taux de fécondité en 1996
Taux de fécondité Enfants/femmes* |
|
Union Européenne |
1,44 |
Irlande |
1,91 |
Luxembourg |
1,76 |
Finlande |
1,76 |
Danemark |
1,75 |
France |
1,72 |
Royaume-Uni |
1,70 |
Suède |
1,61 |
Belgique |
1,55 |
Pays-Bas |
1,52 |
Portugal |
1,44 |
Autriche |
1,42 |
Grèce |
1,31 |
Allemagne |
1,30 |
Italie |
1,22 |
Espagne |
1,15 |
(*) Nombre moyen de naissances vivantes par femme si le
taux de fécondité actuel perdure.
Votre rapporteur considère que la situation démographique
française n'est sans doute pas sans lien avec les efforts importants
accomplis en matière de politique familiale par notre pays.
En outre, selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1996,
l'année 1996 a vu la confirmation de la remontée de la
natalité enregistrée en 1995 : 734.000 enfants sont
nés en 1996, soit 6.000 de plus qu'en 1995 (+ 1 %). Même
si environ 2.000 de ces naissances supplémentaires tiennent au fait que
l'année 1996 est une année bissextile, l'augmentation
observée en 1995 (2,4 % par rapport à 1994) se confirme.
Cette hausse reste modeste mais doit être soulignée car elle se
produit après plusieurs années de baisse.
Naissances : l'augmentation de 1995 confirmée en 1996
734.000 enfants sont nés en 1996, soit 6.000 de
plus qu'en 1995 (+ 1 %). Même si environ 2.000 de ces
naissances supplémentaires tiennent au fait que l'année 1996 est
une année bissextile, l'augmentation observée en 1995 (2,4 %
par rapport à 1994) se confirme. Cette hausse reste modeste mais doit
être soulignée car elle se produit après plusieurs
années de baisse. La natalité avait diminué à
partir d'octobre 1991 pour atteindre un niveau très bas en septembre
1994 : moins de 710.000 naissances sur douze mois (d'octobre 1993 à
septembre 1994). Un premier redressement amorcé fin 1994 s'est poursuivi
au cours du second semestre 1995 et au premier semestre 1996, le nombre de
nouveau-nés du second semestre 1996 se rapprochant de celui de 1995.
L'augmentation de la natalité va-t-elle se poursuivre au-delà de
1996 ou bien s'agit-il d'un léger rattrapage avant un nouveau palier
comme cela a été le cas à plusieurs reprises au cours des
vingt dernières années ? La hausse observée en 1995
était entièrement redevable aux femmes de plus de 27 ans.
Toutefois, la fécondité des plus jeunes s'était
stabilisée, alors que depuis vingt-cinq ans on observait une baisse
régulière de leur fécondité.
Les femmes nées avant 1958 ont, d'ores et déjà,
assuré leur remplacement. En effet, bien qu'elles n'aient pas toutes
terminé leur vie féconde, elles ont déjà eu, vers
38 ans, près de 2,1 enfants en moyenne. Pour les plus jeunes,
il est prématuré de conclure, d'autant que les maternités
sont de plus en plus tardives. La prolongation des études et
l'augmentation de l'activité professionnelle des femmes se sont
accompagnées d'un retard dans la constitution des familles, rendu
possible par une meilleure maîtrise de la contraception. De plus, face
à la récession économique et l'accroissement du
chômage, un nombre croissant de femmes retardent l'arrivée de
leurs enfants. L'âge à la maternité a été, en
moyenne, de 29 ans en 1995 ; il était de 28 ans en 1988 et de
27 ans en 1981. On se rapproche d'un modèle dans lequel les femmes
ont un premier enfant avant 30 ans et un second après 30 ans,
avec le risque de diminuer leur chance d'avoir ce second enfant à force
d'attendre.
INSEE PREMIERE n° 508. fév. 97
Le bilan démographique de l'INSEE pour 1996 fait également
état d'une augmentation du nombre de mariages. En 1996,
279.000 mariages ont été célébrés, soit
une progression de 10 % par rapport à 1995 ou 24.000 unions
supplémentaires. Il s'agit là de la plus forte hausse depuis le
début des années soixante-dix.
Mariages : un sursaut passager ?
En 1996, 279.000 mariages ont été
célébrés, soit une progression de 10 % par rapport
à 1995 ou 24.000 unions supplémentaires. C'est la plus forte
hausse depuis le début des années soixante-dix. De plus de
416.000 en 1972, le nombre de mariages était tombé à moins
de 254.000 en 1994, son niveau le plus bas depuis le début du
siècle si on excepte les années de guerre. Après une
stabilisation à ce niveau en 1995 (255.000 mariages), la tendance
s'est inversée à la fin du premier trimestre de l'année
1996.
Le taux de nuptialité s'élève à 4,8 mariages
pour 1.000 contre 4,4 de 1993 à 1995. Pour l'ensemble des pays
européens, la baisse de la nuptialité s'est poursuivie en 1995.
Le mariage ferait-il un retour en force en France ? En fait, il n'est pas
impossible qu'il s'agisse d'une pointe passagère. La loi de finances de
1996 n'a pas octroyé d'avantages financiers supplémentaires aux
couples mariés, mais elle a annulé certaines dispositions
fiscales qui avantageaient les parents non mariés : les couples
cohabitants non mariés avec enfants ne peuvent plus
bénéficier d'une demi-part supplémentaire lors du calcul
de l'impôt sur le revenu. Dorénavant, seuls les parents
isolés vivant seuls avec au moins une personne à charge peuvent
prétendre à cette demi-part supplémentaire.
Depuis quelques années déjà, bien que la vie en couple
marié reste le modèle dominant, l'union de fait concurrence
l'union légale. Il ne s'agit plus uniquement de cohabitation
juvénile. La vie en couple hors mariage est largement répandue
au-delà de 25 ans. En 1995, 24 % des femmes de 35 ans ne
s'étaient jamais mariées, soit deux fois plus que dix ans
auparavant. Par ailleurs, la venue d'un enfant au sein du couple non
marié n'entraîne plus systématiquement le mariage. En
conséquence, la part des naissances hors mariage n'a cessé de
monter : 10 % en 1979, 20 % en 1985, 30 % en 1990 et 38 %
en 1995.
Par ailleurs, les difficultés économiques et d'insertion
professionnelle et l'allongement de la durée des études ont,
à partir de 1980, entraîné un retard de tous les
calendriers, y compris celui du mariage. L'âge au premier mariage
continue d'augmenter. Il est retardé d'un peu plus de trois mois chaque
année : en 1995, les femmes célibataires se mariaient, en
moyenne, à 27 ans contre 25,6 ans en 1990.
INSEE PREMIERE n° 508, fév. 97
B. LA CONFÉRENCE NATIONALE DE LA FAMILLE : UNE INSTANCE DE CONCERTATION ET D'ÉCHANGE INDISPENSABLE DONT LES DÉBUTS SONT PARTICULIÈREMENT PROMETTEURS
La conférence nationale de la famille a
été instituée par l'article 41 de la loi n° 94-624 du
25 juillet 1994 relative à la famille qui prévoit que
" le Gouvernement organise chaque année une conférence
nationale de la famille à laquelle il convie le mouvement familial et
les organismes qualifiés ".
La première conférence s'est réunie le 6 mai 1996,
à Matignon, sous l'égide du Premier ministre, M. Alain
Juppé. Elle a été suivie par la mise en place de cinq
groupes de travail chargés d'examiner l'ensemble des problèmes
des familles et d'entreprendre une réflexion approfondie sur la
politique familiale. Les cinq groupes de travail ont eu pour thème
la
famille aujourd'hui, la compensation des charges familiales, la famille avec
enfant et son environnement, les relations intergénérations, la
famille et le travail.
La coordination de ces travaux a été
confiée à un comité de pilotage présidé par
Mme Hélène Gisserot, procureur général près
la Cour des comptes.
Ces cinq ateliers ont travaillé de juin à novembre 1996 et ont
réuni quelque 500 experts et responsables associatifs à de
nombreuses auditions.
Pour élaborer son rapport, le comité de pilotage s'est
appuyé sur les travaux des différents ateliers ainsi que sur les
contributions des préfets qui avaient été invités
à faire connaître les initiatives prises dans les régions,
départements et communes pour faciliter et accompagner les familles.
Le rapport du comité de pilotage, rendu public le 6 février 1997,
n'était pas pour autant la synthèse des travaux des
différents groupes de travail : il n'a en effet pas repris la
totalité des propositions formulées mais s'est efforcé de
dégager les lignes directrices fortes qui les avaient inspirées
pour les mettre en cohérence autour de quelques axes à
privilégier.
A l'issue de la conférence le 17 mars 1997, le Gouvernement avait
annoncé un certain nombre de mesures :
- le dépôt au plus tard le 30 juin 1997, après
concertation avec les partenaires sociaux, d'un projet de loi visant à
permettre de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ;
- l'institution d'un " compte épargne temps " pour
faciliter notamment les congés pour motifs familiaux ;
- le versement au 1er janvier 1998 des allocations familiales pour tous
les enfants âgés de 18 à 19 ans ;
- la réforme de l'allocation de parent isolé (API), afin de
permettre le cumul temporaire de cette allocation avec un salaire ;
- l'élaboration d'un code de la famille destiné à
rassembler les différents textes concernant la famille.
L'ensemble de ces mesures devait coûter un milliard de francs par an
environ. La dissolution de l'Assemblée nationale et l'élection,
le 1
er
juin 1997, d'une nouvelle majorité n'ont pas permis
à ces mesures de voir le jour, à l'exception notable de
l'extension de 18 à 19 ans de l'âge de versement des allocations
familiales, déjà évoquée plus haut.
Votre rapporteur se félicite de la qualité des travaux issus des
groupes de travail et du comité de pilotage : elle témoigne,
selon lui, de la nécessité de la conférence de la famille,
lieu d'échange et de concertation pour l'élaboration d'une
politique familiale ambitieuse.
C. LE RAPPORT GISSEROT FOURNIT UNE BASE DE RÉFLEXION PARTICULIÈREMENT RICHE POUR REPENSER LA POLITIQUE FAMILIALE DONT NOTRE PAYS A BESOIN
Il serait ainsi dommage de ne pas tirer profit du remarquable
travail accompli par le comité de pilotage. Aussi votre rapporteur
souhaite-t-il rappeler les principales propositions énoncées par
le rapport de Mme Gisserot.
Ce rapport souligne la nécessité d'une politique familiale
clairement énoncée, dotée d'outils efficaces et qui puisse
redonner confiance aux familles quant à la continuité des efforts
des pouvoirs publics à leur égard. L'enjeu est de fournir
à la famille, cellule fondamentale du tissu social, un environnement
propice à la venue de l'enfant ainsi qu'à son intégration
sociale, économique et culturelle jusqu'à l'âge adulte.
Le rapport souligne que les instruments de la politique familiale ne sont plus
adaptés à la multiplication des besoins spécifiques
engendrés par l'évolution du cadre familial. La famille a
changé : ce constat s'impose au comité de pilotage et oblige
à une réforme de la politique familiale. Des mesures ponctuelles
ont marqué l'abandon des références au mariage comme
modèle unique familial, elles ont établi des condition de
ressources au versement des prestations, selon un système de
redistribution verticale, et favorisé la prise en compte de
l'activité professionnelle des femmes. Lorsque l'on considère de
surcroît le développement des aides spécifiques (familles
monoparentales et handicapés), on aboutit à une politique
" illisible et incohérente ".
Pour les auteurs du rapport, la politique familiale doit avoir pour objectif
principal la compensation des charges familiales pour
" assurer
l'égalité de niveau de vie entre ceux qui ont des enfants et les
autres "
selon un principe de redistribution horizontale, de
préférence à des aides ciblées uniquement sur les
naissances et à des mesures strictement sociales. Toutefois, ces deux
dernières catégories de mesures ne doivent pas pour autant
être abandonnées. La perspective doit être une meilleure
prise en compte du
" cycle de vie familiale "
au
moyen d'une
action multidimensionnelle qui place le
" fait
familial "
au
coeur de l'ensemble des politiques publiques. Cette politique ne saurait se
satisfaire d'une stagnation voire d'une diminution des ressources de la
branche ; le principe de redéploiements est admis, dans la mesure
où le produit de ceux-ci bénéficie à la branche
famille. Le comité de pilotage réaffirme son opposition à
la fiscalisation des prestations, exception faite de celles ayant le statut de
revenu de substitution et versées au parent restant au foyer, telles que
l'APE.
Le comité estime que de nouvelles mesures sont nécessaires pour
appliquer la réforme de la politique familiale : les aides aux
familles ayant de "
grands enfants
" à charge et les
aides au logement doivent être prioritaires.
Le comité propose la création d'un code de la famille qui
rassemble tous les textes qui intéressent cette dernière, d'un
comité interministériel de la famille et d'un observatoire de la
famille pour renforcer la cohérence de cette politique, mieux assurer
son application, et se donner les moyens de son évaluation. Il
suggère notamment la détermination d'un indice du coût de
l'enfant. La stabilité familiale doit être confortée,
à travers une réhabilitation du mariage et la suppression des
distorsions qui le frapperaient au regard d'autres modes de vie. Pour faciliter
la vie familiale, le comité suggère l'assouplissement des
horaires de travail des parents d'enfants en bas âge.
De plus, le financement de la branche famille ne doit plus reposer sur la seule
masse salariale, il pourrait s'appuyer sur une cotisation patronale
calculée sur la valeur ajoutée.
Le rapport souligne qu'il est important de garantir les ressources de la
branche famille afin d'éviter par exemple des transferts aux autres
branches. Des redéploiements sont possibles, notamment en ce qui
concerne l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Ce
mécanisme pourrait être renégocié pour
dégager 5 à 6 milliards de francs au profit de la branche
famille. Une réforme restrictive de l'allocation de logement sociale
(ALS) pourrait dégager 1 à 2 milliards de francs.
Le rapport suggère également une plus grande cohérence des
aides à la petite enfance (AFEAMA, AGED, déductions fiscales et
abattements de cotisations sociales). A cette fin,
" un
rééquilibrage vers les équipements et services d'accueil
de la petite enfance doit être opéré "
au moyen
par exemple de la création de schémas départementaux
d'aide à la petite enfance chargés de rationaliser l'allocation
des moyens.
Pour aider les familles ayant de
" grands enfants "
à
charge, les allocations familiales doivent être versées
jusqu'à 20 ans comme le prévoit la loi sur la famille du 25
juillet 1994, mais cette mesure doit être appliquée dès
maintenant, par anticipation, en prenant garde à ce que les jeunes
suivant une formation en alternance ne soient pas pénalisés ; de
plus, l'accès aux soins devrait être assuré grâce
à l'affiliation à l'assurance maladie des parents.
Le rapport considère que les aides au logement doivent être
simplifiées, les barèmes fusionnés et les plafonds
d'octroi rehaussés. L'offre locative doit être
développée ainsi que les logements pour les jeunes. Il
conviendrait également de favoriser un
" tutorat "
des
jeunes par des travailleurs plus âgés pour aider à leur
insertion professionnelle.
Afin de favoriser le
" temps familial "
, le congé
parental pourrait devenir un
" chèque temps
parental
"
ouvert par périodes fractionnées ; les horaires variables en
entreprise ainsi qu'un
" compte épargne temps "
pourraient être développés
La rapport considère que l'allocation parentale d'éducation (APE)
pour deux enfants devrait être réservée aux parents qui
interrompent véritablement une activité professionnelle. En
revanche, toute référence à une activité
professionnelle antérieure devrait être supprimée pour le
versement de l'APE à l'occasion des naissances de rang 3 et plus. Un
droit à la formation professionnelle doit être prévu.
Afin d'aider les familles monoparentales, la comité de pilotage propose
que l'allocation parent isolé soit transformée en un
complément du RMI, ce qui supposerait la création d'un projet
d'insertion. Le versement de l'API devrait être maintenu un certain
temps, même si le bénéficiaire n'est plus seul, dès
lors qu'il y a respect du contrat d'insertion.
Enfin, le comité de pilotage juge nécessaire de
" solvabiliser "
les familles en favorisant l'épargne
familiale avec une aide de l'Etat destinée financer des projets
familiaux (compte bloqué ou capitalisation des allocations familiales)
ainsi que la création d'un " fond de solidarité
familial " qui permettrait de faire aux situations de chômage et de
dépendance.
Sans se prononcer sur chacune des mesures évoquées, qui demandent
un examen attentif et discriminant, votre rapporteur souhaite reprendre
à son compte les réflexions menées par le comité de
pilotage sur
" ce que doit être une politique
familiale ".
Il approuve la suggestion du rapport d'inscrire la politique familiale au cur
de l'action gouvernementale afin de manifester une volonté fondée
sur un projet politique inscrit dans la durée.
La politique familiale doit asseoir la confiance dans l'avenir : elle
deviendra, estime le rapport, le noyau central de toutes les actions
entreprises par le Gouvernement à partir du moment où elle
apparaîtra comme la meilleure façon d'assurer la vie en
société, son épanouissement et son développement
durable. La politique familiale doit donc s'inscrire dans une perspective
résolument dynamique : elle doit être synonyme de confiance,
d'avenir et d'investissement.
A l'instar du comité de pilotage, votre rapporteur souhaite rappeler que
beaucoup de familles sont heureuses et stables ; elles assurent
l'essentiel des solidarités, maintiennent le tissu social et sont un
facteur de stabilité, de fécondité et de
prospérité.
La famille est un lieu d'apprentissage permanent et de développement
personnel. C'est aussi le lieu de solidarité entre les
générations.
La crise de la famille est préjudiciable à l'ensemble de la
société :
" l'éclatement de la famille a un
coût ",
souligne le rapport qui évoque les effets induits
des familles brisées : délinquance, drogue, inadaptation
à la vie sociale et professionnelle. A cet égard, et comme le
souligne avec pertinence les auteurs du rapport
, " il faut aussi
considérer ce qu'il en coûte de ne pas investir dans la
famille ".
La famille est aussi source de prospérité économique pour
la société. L'investissement dans la famille est donc un
impératif absolu. Les enfants qu'élèvent les familles
seront les actifs et les cotisants de demain.
Le rapport suggère un cadre de référence auquel souscrit
votre rapporteur :
- la liberté de choix est essentielle : il faut permettre
à la famille d'assumer librement ses responsabilités et son
devenir. Ceci suppose le développement du temps choisi pour que les
parents puissent concilier aspirations professionnelles et désirs
familiaux, la reconnaissance du rôle des parents au foyer et de la valeur
de leur activité ;
- toute action doit être inscrite dans la durée et
fondée sur une réelle prise en compte des échanges entre
les générations : il s'agit de reconnaître et de
partager le coût de l'enfant, de définir les allocations
compensatrices dues par la société en contrepartie des services
rendus par les familles ;
- il faut rendre la société plus accueillante aux familles
et améliorer l'image de la famille dans l'opinion.
Votre rapporteur ne peut qu'approuver le comité de pilotage lorsque
celui-ci indique que le Gouvernement devrait mettre l'accent sur
l'importance :
- de solvabiliser les familles,
- d'inscrire dans la durée toute mesure en faveur de ceux qui ont
des enfants et consacrent du temps et de l'argent à leur
éducation ;
- de mettre en cohérence les mesures et législations
ponctuelles de telle sorte qu'elles ne viennent pas entraver la vie familiale.
Il s'agit d'aider la famille et non de se substituer à elle, de la
restaurer dans ses moyens et ses prérogatives, de l'encourager et non de
la remplacer, de lui donner le statut juridique de sa légitime autonomie.
Au regard des enjeux, les mesures proposées par le rapport de
Mme Gisserot peuvent sembler parfois timides. Votre rapporteur estime
néanmoins que les principes fondamentaux dégagées à
l'occasion de ce travail collectif constituent une base de réflexion
relativement consensuelle et susceptible d'être acceptée par tous.
Il formule le souhait que la démarche volontariste et ambitieuse qui
animait la conférence de la famille ne soit pas abandonnée.
La politique familiale ne devrait pas être un terrain d'affrontements
politiques car il en va de l'avenir de notre pays ; elle devrait être la
politique de la Nation tout entière.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, et notamment de la suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 pour ses dispositions relatives à la famille.
1
Partie II-A-1
2
Cet apurement s'est traduit par l'inscription d'une dépense
de 45,625 milliards de francs dans les comptes de la CNAF, qui explique le
déficit exceptionnel enregistré cette année-là.
3 L'allocation pour jeune enfant longue (APJE) est l'allocation versée du quatrième mois de l'enfant jusqu'à ses trois ans. L'APJE n'étant pas cumulable avec l'APE, le versement de cette dernière permet de réaliser une économie sur l'APJE.
4
Rapport du comité de pilotage
préparatoire à la Conférence de la famille, février
1997.
5
Pour une analyse plus développée du dispositif, on
renverra au tome IV du présent rapport consacré à l'examen
des articles.
6
Source : Commission des comptes de la
sécurité sociale
7
Y compris l'AGED, telle que placée sous condition de
ressources par l'Assemblée nationale.
8
Le plafonnement des allocations familiales : questions de
méthode,
Réjane Hugounenq et Henri Sterdyniak,
Lettre
de l'OFCE, n° 167, 30 septembre 1997.
9
Pour une analyse plus développée du
dispositif, on renverra au tome IV du présent rapport consacré
à l'examen des articles.