II. LES MESURES PROPOSÉES PAR LE GOUVERNEMENT DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE REMETTENT EN CAUSE LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE FAMILIALE
A. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT FRAPPÉ PARTICULIÈREMENT LES FAMILLES
On ne peut que déplorer le très lourd tribut imposé aux familles par ce projet de loi de financement à travers les diverses mesures qu'il comporte. Le Gouvernement a manifestement souhaité transformer la politique familiale en variable d'ajustement des comptes sociaux.
1. La branche famille supporte les seules économies réalisées dans le cadre du projet de loi de financement
Dans le projet du Gouvernement, la famille est la seule
branche pour laquelle des "
économies
" sont
décrétées. Cela se fait au prix d'une remise en cause des
fondements de notre politique familiale. De fait, la branche famille, qui ne
représente que moins d'un cinquième des dépenses du
régime général, contribue pour près de la
moitié à l'effort de réduction du déficit.
La totalité des efforts d'économies porte en effet sur la branche
famille dont les dépenses ne progressent que de 1,0 %, contre
2,8 % pour la maladie, 3,5 % pour la vieillesse et 2,7 % pour
l'ensemble des branches.
Hors économies sur la charge de la dette, la branche famille contribue
pour près de la moitié (45 %) à la réduction
du déficit du régime général alors qu'elle ne
représente que moins de 20 % des dépenses comme des recettes
de l'ensemble des branches. Est-il normal de sacrifier ainsi une politique qui
engage l'avenir de la Nation ?
2. Une accumulation de mesures défavorables dont les effets se conjugueront pour certaines familles
Le projet de loi de financement comporte deux mesures qui
vont
frapper particulièrement certaines familles : la mise sous
condition de ressources des allocations familiales et la diminution de
l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED). Le Gouvernement a en
outre inscrit dans la loi de finances deux autres dispositions
défavorables aux familles : la diminution de la déduction
fiscale pour les emplois à domicile et la baisse du plafond de la
demi-part supplémentaire de quotient familial accordée aux
personnes seules ayant élevé un enfant.
Les deux mesures contenues dans le projet de loi de financement seront
analysées en détail dans les parties suivantes. Il n'appartient
pas à votre rapporteur de s'exprimer longuement sur les mesures qui
figureront dans le projet de loi de finances. Il juge néanmoins
nécessaire d'attirer l'attention du Gouvernement sur les
possibilités de conjonction de ces mesures sur certaines familles.
Les mesures proposées par le Gouvernement apparaissent en effet
très concentrées sur les familles appartenant aux classes
moyennes supérieures. Elles vont toucher avant tout les jeunes
ménages de cadres moyens et de cadres supérieurs. Certaines
familles risquent à la fois de perdre le bénéfice des
allocations familiales et d'être frappées par la double diminution
de l'AGED et de la déduction fiscale pour les emplois à
domicile : les baisses de ressources induites pourraient être
considérables dans certains cas.
Il y a dans la politique du Gouvernement une volonté tout à fait
regrettable de stigmatiser ces familles, lesquelles n'ont pas
mérité l'opprobre que l'on veut jeter sur elles. Certes, ces
familles sont généralement aisées : faut-il pour
autant leur donner le sentiment d'être exclues de la communauté
nationale ? Une telle accumulation de mesures défavorables pourrait
faire naître un sentiment d'injustice et de découragement bien
compréhensible chez ces populations actives dont le rôle est
essentiel pour l'essor et l'avenir du pays.
Enfin, s'agissant de la diminution du plafond de la demi-part
supplémentaire de quotient familial accordée aux personnes seules
ayant élevé un enfant, votre rapporteur, qui est par ailleurs
président du groupe d'études des problèmes du veuvage au
Sénat, souligne que cette disposition affectera nombre de veuves et de
veufs. Il estime qu'une solution moins brutale aurait dû être
préférée, qui aurait atténué les effets de
la sortie de ce dispositif.
3. Faute de moyens suffisants, l'action sociale de la CNAF risque d'être compromise
La CNAF consacre plus de 14 milliards de francs par an
à l'action sociale. Elle mène à cette occasion des
politiques en faveur de l'accueil des jeunes enfants, de l'accompagnement
social des familles et de leurs enfants, du logement et de l'habitat.
Or tout semble indiquer que le Fonds national d'action sociale, qui concentre
l'essentiel des moyens affectés à l'action sociale, ne disposera
pas en 1998 de ressources suffisantes pour assurer la continuité de ses
actions. Le chiffre de 12,1 milliards de francs figurant dans le rapport sur
les comptes de la sécurité sociale au titre du FNAS paraît
nettement insuffisant au regard des besoins.
Les dépenses d'action sociale de la CNAF
Action sociale |
Commission des
comptes
|
Ecarts avec la LFSS 97 |
||||||
1996 |
% |
1997 |
% |
1998 |
% |
1996 |
1997 |
|
CNAF (total) |
13.642 |
4,1 |
14.076 |
3,2 |
14.382 |
2,2 |
- 81 |
- 307 |
FNAS |
11.455 |
5,2 |
11.841 |
3,4 |
12.095 |
2,1 |
- 21 |
- 271 |
FASTIF |
965 |
-9,4 |
965 |
0,0 |
965 |
0,0 |
- 100 |
- 100 |
FASO |
333 |
0,6 |
337 |
1,1 |
341 |
1,3 |
- 4 |
- 5 |
Frais de tutelle |
889 |
8,3 |
934 |
5,0 |
981 |
5,0 |
44 |
69 |
Source : direction de la sécurité sociale
(DEEF)
L'enveloppe du FNAS ne serait relevée que de 2,1 % en valeur, ce
qui en pratique la laisserait inchangée en volume. Les dépenses
d'action sociale ont cependant évolué selon un rythme beaucoup
plus élevé au cours des dernières années ;
elles ont ainsi progressé de 25 % entre 1992 et 1996. La tendance
des dernières années était une progression annuelle de
4 % en volume.
Cette situation a suscité une très vive inquiétude au sein
du conseil d'administration de la CNAF
Un tel gel des crédits d'action sociale paraît en contradiction
avec la volonté affichée par le Gouvernement dans le rapport
annexé au projet de loi de financement de la sécurité
sociale de
" favoriser les prises en charge collectives qui
assurent un
meilleur éveil des enfants et une plus grande mixité
sociale ".
Le rapport annexé annonce en effet un
développement important de l'action sociale notamment dans les domaines
de la petite enfance, du soutien au rôle éducatif des familles, du
temps libre des enfants. Il est permis de s'interroger sur les
possibilités réelles dont disposera la CNAF pour financer ces
projets.
On outre, il est pour le moins incohérent de diminuer
simultanément, d'une part, les aides à la garde à
domicile, comme le fait le Gouvernement en réduisant l'AGED, et, d'autre
part, les aides aux modes de garde collectifs financées par le Fonds
national d'action sociale de la CNAF. En toute logique, et si cette mesure
n'avait pas été guidée par la seule préoccupation
financière, la diminution de l'AGED aurait dû être
compensée par une augmentation à due concurrence des
dépenses d'action sociale.
4. La généralisation de 18 à 19 ans de l'âge de l'ouverture du droit aux allocations familiales : une mesure déjà prévue par la loi relative à la famille de 1994 et déjà décidée par le précédent Gouvernement
La seule mesure favorable aux familles prévue par le
projet de loi de financement est d'ordre réglementaire : il s'agit
de la généralisation de 18 à 19 ans de l'âge
d'ouverture du droit aux allocations familiales à compter du
1
er
janvier 1998.
Cette mesure figurait déjà dans la loi relative à la
famille du 25 juillet 1994, qui prévoyait qu'elle devait intervenir
avant le 31 décembre 1999. En outre, elle avait déjà
été annoncée, à l'issue de la Conférence de
la famille du 17 mars 1997, par le Premier Ministre, M. Alain Juppé.
Les modalités de cette généralisation ne sont pas encore
bien précisées. Il semble qu'elle ne porterait que sur les
enfants atteignant l'âge de 18 ans à partir du 1
er
janvier : elle ne bénéficierait donc pas aux enfants
déjà âgés de 18 ans à cette date. Ce choix
exclut pour l'année 1998 la moitié des
bénéficiaires potentiels et risque d'être source
d'incompréhensions pour beaucoup de familles. Il explique pourquoi le
coût prévu de cette mesure n'est que de 300 millions de francs en
1998 ; le coût sera donc doublé en 1999.
Si elle est incontestablement bienvenue, cette mesure est aussi modeste et d'un
coût limité : elle ne peut guère compenser la mise
sous condition de ressources des allocations familiales parallèlement
proposée par le Gouvernement.