II. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE A POUR OBJET DE RENFORCER ENCORE LES GARANTIES D'INDÉPENDANCE ASSURÉES PAR LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Pourquoi
le Gouvernement propose-t-il aujourd'hui, moins de cinq ans après
la révision constitutionnelle de 1993, une nouvelle réforme du
Conseil supérieur de la magistrature nécessitant une modification
de la rédaction de l'article 65 de la Constitution ?
Selon les déclarations de Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux,
devant l'Assemblée nationale, "
la réforme s'impose pour
parfaire l'évolution menée à partir de 1993 car elle n'est
pas allée jusqu'à son terme. Il convient en effet d'avancer plus
résolument vers l'indépendance réaffirmée de
l'autorité judiciaire
".
Certes, la révision constitutionnelle de 1993 a d'ores et
déjà considérablement renforcé les garanties
statutaires de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Cependant, même si les avis émis par la formation
compétente du Conseil supérieur de la magistrature concernant les
nominations de magistrats du parquet ont quasiment toujours été
suivis, des soupçons sont apparus au sujet de l'intervention du pouvoir
politique dans ces nominations et de l'impartialité des décisions
prises par les magistrats ainsi nommés. Qu'ils aient été
fondés ou non, ces soupçons ont rejailli de façon
préjudiciable sur l'image de la justice.
Cette situation a été à l'origine de nouvelles
propositions de réforme du Conseil supérieur de la magistrature
tendant à faire bénéficier les magistrats du parquet de
garanties constitutionnelles d'indépendance comparables à celles
qui sont déjà assurées aux magistrats du siège.
En particulier, la commission de réflexion composée de 21 membres
d'origines diverses réunis sous la présidence de
M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation,
et chargée par le Président de la République de
réfléchir notamment à l'opportunité et aux moyens
d'assurer l'indépendance du parquet à l'égard du pouvoir
politique, a formulé des propositions tendant à une extension des
pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature et à une
ouverture de sa composition à une majorité de non magistrats.
Les propositions de la commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation
La
commission de réflexion mise en place à l'initiative de
M. Jacques Chirac, président de la République et
présidée par M. Pierre Truche, premier président de
la Cour de cassation, s'est prononcée en faveur d'une réforme du
CSM fondée sur les principes suivants.
•
Une extension des pouvoirs du CSM
- En matière de nominations
Il n'est pas apparu opportun à la commission, en l'état,
d'étendre les pouvoirs de proposition du CSM à l'égard des
nominations des magistrats du siège.
En revanche, la commission a estimé indispensable une réforme du
système actuel de nomination des magistrats du parquet pour mettre fin
au soupçon que l'intervention du garde des Sceaux dans leur
carrière fait peser sur l'impartialité de leurs décisions.
Pour les magistrats du parquet, compte tenu de la spécificité de
leurs missions, la commission a majoritairement souhaité que leur
nomination requière l'
avis conforme
du CSM sur les propositions
faites par le garde des Sceaux.
Elle n'a pas opté pour un alignement total sur le système de
nominations des magistrats du siège, dans la mesure où
l'hypothèse d'un pouvoir de proposition attribué au CSM pour
certaines nominations de magistrats du parquet lui a semblé comporter
"
un risque de voir se développer une dynamique
conflictuelle
".
Elle n'a pas estimé devoir faire une place à part aux procureurs
généraux, souhaitant qu'ils ne soient désormais plus
nommés en conseil des ministres.
-
En matière disciplinaire
La commission s'est prononcée en faveur d'une assimilation du
régime disciplinaire des magistrats du parquet à celui des
magistrats du siège, qui conférerait au CSM un pouvoir de
décision, et non plus de simple avis, sur les sanctions disciplinaires
à l'égard des magistrats du parquet.
-
En matière d'avis
La commission a souhaité que soit inscrit dans les textes le droit pour
le Président de la République de demander au CSM un avis sur une
question touchant au fonctionnement de la justice.
Elle n'a cependant pas estimé souhaitable d'attribuer au CSM une
compétence en matière de définition et de contrôle
de l'action publique.
•
Un CSM unique exerçant ses compétences dans le cadre
de deux formations respectivement spécifiques au siège et au
parquet, ainsi que d'une formation plénière.
La commission a estimé que le CSM devait être unique afin de
manifester l'unité de la magistrature mais que, compte tenu des
problèmes spécifiques à traiter et des différences
de statut, il devait se réunir en trois formations, l'une pour le
siège, l'autre pour le parquet, la troisième étant
plénière.
Les deux premières formations seraient compétentes, chacune en ce
qui la concerne, pour les nominations, la discipline et les demandes d'avis
spécifiques.
La formation plénière serait pour sa part compétente pour
répondre aux demandes d'avis générales, pour arrêter
des règles de fonctionnement communes, pour rédiger le rapport
annuel.
•
Une composition ouverte à une majorité de non
magistrats
La commission a estimé que pour éviter les risques de
corporatisme, en présence d'un renforcement de l'indépendance des
magistrats, ceux-ci devaient être minoritaires au sein du CSM (tout en
précisant que le mode de scrutin retenu pour leur désignation
devait garantir une représentation aussi large que possible des
magistrats).
En conséquence, la commission proposait de retenir la composition
suivante :
*
7 personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à
l'ordre judiciaire
dont :
- 2 désignées par le Président de la
République ;
- 2 désignées par le Président de l'Assemblée
nationale ;
- 2 désignées par le Président du Sénat ;
- et 1 désignée par l'Assemblée
générale du Conseil d'Etat.
*
6 magistrats dans chaque formation
: 5 membres de la
fonction, siège ou parquet, concernée et 1 de l'autre, comme
actuellement (ces magistrats devant représenter les différents
grades de la hiérarchie : 1er et 2nd grade, hors hiérarchie,
Cour de cassation).
La formation plénière réunirait tous les membres mais les
non magistrats y disposeraient chacun d'une nouvelle voix.
Le vice-président serait désigné par le Président
de la République parmi les deux personnalités nommées par
lui.
Le garde des Sceaux pourrait intervenir au CSM mais n'en serait plus membre.
Enfin, le Président de la République resterait président
de droit du CSM mais y siégerait sans voix délibérative.
Les formations disciplinaires conserveraient leur président actuel
(premier président de la Cour de cassation ou procureur
général près cette Cour).
Le projet de loi constitutionnelle, que l'Assemblée nationale a
adopté sans aucune modification, s'inspire de ces propositions, sans
toutefois les reprendre totalement à son compte.
A. UNE EXTENSION DES COMPÉTENCES DU CSM À L'ÉGARD DES MAGISTRATS DU PARQUET TENDANT À LES FAIRE BÉNÉFICIER DE GARANTIES D'INDÉPENDANCE COMPARABLES À CELLES DES MAGISTRATS DU SIÈGE
Si le
projet de loi constitutionnelle laisse inchangées les compétences
du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des
magistrats du siège, telles qu'elles résultent de la
révision constitutionnelle de 1993, il accroît en revanche
considérablement ses prérogatives à l'égard des
magistrats du parquet.
Vis-à-vis de ces magistrats, le Conseil supérieur de la
magistrature deviendrait en effet une instance de décision et non plus
une simple instance consultative.
1. L'exigence d'un avis conforme du CSM pour la nomination de tous les magistrats du parquet
Le
projet de loi constitutionnelle prévoit de soumettre les nominations des
magistrats du parquet à l'avis conforme (et non plus à l'avis
simple) du Conseil supérieur de la magistrature.
L'avis conforme serait également requis pour la nomination des
procureurs généraux qui échappe actuellement à
toute intervention du Conseil supérieur de la magistrature, leurs
emplois étant pourvus en conseil des ministres.
Cette exigence d'un avis conforme du Conseil supérieur de la
magistrature pour l'ensemble des nominations des magistrats du parquet tend
à assurer leur indépendance vis-à-vis du pouvoir
exécutif, ainsi que l'avait préconisé la commission
présidée par M. Pierre Truche. Cependant, le pouvoir de
proposition pour ces nominations resterait dans tous les cas la
prérogative du garde des Sceaux.
En effet, le projet de loi constitutionnelle n'est pas allé
jusqu'à un alignement total des procédures de nominations des
magistrats du parquet sur celles en vigueur pour les magistrats du
siège, qui aurait abouti à conférer au Conseil
supérieur de la magistrature le pouvoir de proposition pour les
nominations des plus hauts magistrats du parquet, ainsi que l'avait
souhaité le CSM lui-même dans son rapport d'activité pour
1996, de même que l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la
magistrature.
La réforme proposée revêt une grande importance symbolique,
puisque le pouvoir exécutif ne pourrait désormais plus nommer un
seul magistrat du parquet sans l'accord du Conseil supérieur de la
magistrature
Sa portée pratique doit néanmoins être relativisée
s'agissant des magistrats du parquet autres que les procureurs
généraux, compte tenu de la très faible proportion d'avis
non suivis depuis la mise en oeuvre de la réforme de 1993 (soit
0,56 % du total des avis).
Pour les procureurs généraux qui -rappelons-le- sont
chargés, aux termes de l'article 35 du code de procédure
pénale, "
de veiller à l'application de la loi
pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour
d'appel
" et ont autorité sur tous les membres du
ministère public de ce même ressort, les conséquences de la
réforme envisagée seraient, en revanche, d'une toute autre
ampleur, puisque leur nomination relevait jusqu'à présent de la
seule décision du Conseil des ministres, et donc de
l'appréciation discrétionnaire du pouvoir
exécutif.
2. Un pouvoir de décision du CSM sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet
En
matière disciplinaire, le projet de loi constitutionnelle prévoit
un alignement complet de la situation des magistrats du parquet sur celle des
magistrats du siège, conformément aux propositions
formulées par la commission présidée par M. Pierre
Truche.
Le Conseil supérieur de la magistrature statuerait désormais
comme conseil de discipline de l'ensemble des magistrats du siège comme
du parquet. Il aurait donc compétence pour prononcer les sanctions
disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet au lieu de
donner un simple avis sur celles-ci comme actuellement.
Là encore, si cette modification est importante sur le plan des
principes, la portée pratique de la réforme envisagée doit
cependant être relativisée dans la mesure où les avis
émis en matière disciplinaire -au demeurant fort peu nombreux-
ont toujours été suivis par le garde des Sceaux.