ANNEXE 1
AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
MARDI 16 JUIN
MME ELISABETH GUIGOU
GARDE DES SCEAUX
MINISTRE DE LA
JUSTICE
M. PIERRE TRUCHE
PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DE
CASSATION,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE RÉFLEXION SUR LA
JUSTICE
M. JEAN-FRANÇOIS BURGELIN
PROCUREUR
GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION
Mme Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux,
Ministre de la
Justice
Mme
Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice,
a tout
d'abord rappelé que le projet de loi constitutionnelle relatif au
Conseil supérieur de la magistrature n'était que l'un des
éléments de la réforme qu'elle avait engagée. Elle
a indiqué que cette réforme comporterait des dispositions visant
à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien, des
dispositions relatives à la présomption d'innocence, enfin des
dispositions sur la nature des liens entre le pouvoir politique et les
Parquets. Elle a souligné que le projet de loi constitutionnelle sur le
Conseil supérieur de la magistrature se situait au sommet de cet
édifice législatif.
Mme le garde des sceaux a précisé que trois textes auraient pour
objet d'améliorer le fonctionnement de la justice : un projet de loi sur
l'accès au droit comprenant des dispositions sur la connaissance, par
les citoyens, de leurs droits et sur la possibilité de les
défendre, ainsi que des dispositions sur les modes amiables de
règlement des conflits, un texte sur l'amélioration de
l'efficacité de la procédure pénale tendant en particulier
à instaurer une nouvelle procédure de compensation judiciaire,
enfin un projet de décret réformant la procédure civile.
Elle a ajouté que l'amélioration du fonctionnement de la justice
devait également passer par une augmentation des moyens qui lui
étaient consacrés et elle a rappelé que le budget du
ministère de la justice avait connu une forte progression en 1998.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice,
a
ensuite observé que le Gouvernement déposerait, à
l'automne, au Parlement un projet de loi relatif à la présomption
d'innocence qui devait encore faire l'objet d'arbitrages et que ce projet de
loi contiendrait notamment des dispositions relatives à la protection
des droits de la défense et à la détention provisoire avec
en particulier l'instauration d'un juge des libertés. Elle a fait valoir
que le projet de loi ménagerait l'ouverture de fenêtres de
publicité au cours de la procédure pénale et qu'il
contiendrait des dispositions sur la presse, notamment afin d'interdire la
diffusion d'images des personnes menottées, de prévoir un droit
de réponse audiovisuel comparable à celui qui existerait en
matière de presse écrite, enfin de veiller à ce que les
décisions de non-lieu ou de relaxe fussent traitées de
manière comparable aux décisions de mise en examen. Elle a
indiqué qu'en matière de référés, il
paraissait souhaitable qu'un temps de réflexion soit prévu entre
le prononcé du référé et la mise en oeuvre des
mesures.
Mme le garde des sceaux a enfin indiqué qu'un projet de loi relatif
à l'action publique avait été déposé sur le
bureau de l'Assemblée nationale. Elle a souligné que ce projet
tendait à supprimer la possibilité pour le garde des sceaux de
donner des instructions dans les dossiers individuels, mais que celui-ci
conserverait naturellement le pouvoir de définir des orientations de
politique générale. Elle a observé que ce texte tendait
à décrire le rôle du garde des sceaux qui jusqu'à
présent était à peine mentionné. Elle a
ajouté que le projet de loi visait également à renforcer
le contrôle effectif du Parquet sur la police judiciaire.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice,
a
alors précisé que le projet de loi constitutionnelle sur le
Conseil supérieur de la magistrature visait à garantir
effectivement l'indépendance des magistrats du Parquet. Elle a
indiqué que le projet proposait que le Conseil supérieur de la
magistrature donne désormais un avis conforme sur les nominations de
l'ensemble des membres du Parquet et que le pouvoir de sanction disciplinaire
à l'égard de ces magistrats serait transféré du
garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature. Elle a fait
valoir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature serait
modifiée de manière à ce qu'elle reflète mieux la
composition de la Nation. Elle a indiqué que le Conseil supérieur
de la magistrature comporterait désormais vingt et un membres, parmi
lesquels onze ne seraient pas des magistrats. Elle a enfin souligné que
le projet de loi constitutionnelle serait suivi de deux projets de lois
organiques visant d'une part à préciser les conditions de
désignation des magistrats appelés à siéger au sein
du Conseil supérieur de la magistrature, d'autre part à apporter
des précisions sur le statut de la magistrature et à
prévoir la possibilité, pour les citoyens, de disposer d'une voie
de recours en cas de dysfonctionnement de la justice.
Concluant son propos, Mme le garde des sceaux a observé que le projet de
loi constitutionnelle avait été soumis au président de la
République et approuvé par celui-ci et qu'il avait
été adopté sans modifications par l'Assemblée
nationale.
M. Jacques Larché, président
, a constaté que
plusieurs dispositions évoquées par Mme Elisabeth Guigou
figuraient au nombre des propositions résultant des travaux de plusieurs
missions d'information de la commission des lois du Sénat. Il a
considéré que la réforme de longue haleine annoncée
pourrait être facilitée par le dépôt initial de
certains textes au Sénat.
M. Charles Jolibois, rapporteur
, après avoir regretté que
le texte sur le Conseil supérieur de la magistrature soit
présenté comme le couronnement d'un édifice dont les
éléments n'étaient pas encore connus, s'est
inquiété du rôle que pourrait conserver le garde des sceaux
dans une optique d'indépendance du Parquet, et notamment des moyens
qu'il aurait de préserver l'unité de la politique pénale
à travers tout le territoire. Il s'est également interrogé
sur l'incidence, au regard de la séparation actuelle des magistrats du
siège et du parquet, d'une disparition, au sein du Conseil
supérieur de la magistrature, des formations spécifiques à
ces deux types de magistrats.
En réponse à
M. Charles Jolibois, rapporteur
,
Mme
Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice
, a
considéré que la prééminence formelle de la loi
constitutionnelle justifiait son examen par le Parlement avant tout autre
texte. Elle a rappelé que la réforme proposée parachevait,
dans la ligne des propositions du rapport de la commission
présidée par M. Pierre Truche, premier président de
la Cour de cassation, la réforme de 1993.
Elle a considéré que cette nouvelle réforme était
indispensable pour lever les soupçons qu'avait suscités dans
l'opinion la transgression à plusieurs reprises des avis du Conseil
supérieur de la magistrature sur des nominations de magistrats du
Parquet.
Faisant part de son expérience personnelle, elle a indiqué que
depuis son entrée en fonctions, elle s'était refusé
à donner au Parquet des instructions sur des dossiers individuels et
qu'elle s'était donné pour règle de suivre les avis du
Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination.
Mais elle a souligné qu'elle s'était attachée à
donner des consignes générales par voie de circulaire, par
exemple concernant l'attitude à adopter lors de la coupe du monde de
football, et qu'elle avait régulièrement réuni les
procureurs généraux, pour leur transmettre des instructions
générales ou recueillir leurs avis.
Elle a jugé fondamental, compte tenu du principe de l'opportunité
des poursuites, que le garde des sceaux définisse la politique
pénale par voie de consignes générales. Elle a
indiqué que ces consignes seraient transmises aux procureurs
généraux, ces derniers disposant d'une certaine latitude pour les
adapter à la situation locale.
Elle a insisté sur le fait que l'indépendance des magistrats du
Parquet par rapport au pouvoir politique allait de pair avec l'accroissement du
pouvoir hiérarchique interne, les procureurs généraux
donnant des instructions aux procureurs, ainsi qu'avec le renforcement du
pouvoir disciplinaire, les chefs de cour se voyant reconnaître le pouvoir
d'engager une procédure devant le Conseil supérieur de la
magistrature. Elle a rappelé que les magistrats auraient l'obligation de
rendre compte de leur action à leur supérieur hiérarchique
et que le garde des sceaux lui-même remettrait annuellement un rapport
sur les orientations de la politique pénale et sur l'usage du droit
d'action spécifique qui lui serait reconnu.
Elle s'est déclarée persuadée que le nouveau
système, fondé sur la confiance envers les magistrats,
améliorerait les conditions d'application de la politique pénale.
Elle a rappelé que le garde des sceaux conserverait en outre le pouvoir
de proposition concernant la nomination des magistrats du siège et du
parquet.
Concernant la séparation des magistrats du siège et du parquet,
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice,
a
considéré que ces deux types de magistrats étaient
formés dans la même école et qu'ils étaient gardiens
des libertés individuelles, mais qu'ils exerçaient des fonctions
différentes. Elle a contesté la référence souvent
faite au modèle anglo-saxon qui, selon elle, aboutissait à une
justice à deux vitesses favorisant ceux qui avaient les moyens de
recourir à de bons avocats. Elle a indiqué que le choix d'une
formation unique au sein du Conseil supérieur de la magistrature
résultait d'une démarche pragmatique tendant à
éviter un accroissement trop important de ses effectifs tout en assurant
la représentation de l'ensemble des sensibilités syndicales.
Elle a enfin évoqué la possibilité d'exiger de la part des
magistrats, au cours de leur carrière, un choix entre ces deux fonctions.
En réponse à
M. Jean-Jacques Hyest, Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice,
a donné des indications
sur les modalités envisagées pour l'élection des dix
représentants des magistrats au Conseil supérieur de la
magistrature. Elle a fait ressortir que cinq collèges
interviendraient :
- deux collèges à la Cour de cassation élisant
respectivement un conseiller et un procureur ;
- deux collèges dans les cours d'appel élisant respectivement un
premier président de cour d'appel et un procureur
général ;
- le collège des magistrats des cours et tribunaux élisant
six magistrats du Siège ou du Parquet au scrutin proportionnel.
Elle a estimé qu'il était normal de recourir au président
du Conseil économique et social pour désigner deux membres du
Conseil supérieur de la magistrature, ce conseil figurant
déjà dans la Constitution et représentant les forces vives
de la Nation.
En réponse à
M. Pierre Fauchon
qui s'était
inquiété de l'organisation du travail d'un conseil comprenant
vingt-trois membres (en incluant le Président de la République et
le garde des sceaux),
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice,
après avoir rappelé que la commission d'avancement
du ministère de la justice comprenait actuellement dix-neuf membres, a
indiqué que des sections de travail internes au Conseil pourraient
être constituées.
En réponse à
M. Robert Pagès
qui se
préoccupait des conséquences du pouvoir de proposition
conservé par le garde des sceaux sur les nominations, elle a
considéré que la mise en oeuvre systématique avant toute
nomination de la procédure dite " de transparence "
interdirait la mise à l'écart durable injustifiée d'un
magistrat, un dialogue pouvant se nouer entre les membres du Conseil
supérieur de la magistrature, sensibilisés aux cas individuels,
et le garde des sceaux, plus attentif à la gestion globale du corps.
Répondant à
M. Michel Dreyfus-Schmidt
,
Mme Elisabeth
Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice,
a confirmé que le
Conseil supérieur de la magistrature siégerait en formation
disciplinaire sous la présidence du premier président ou du
procureur général de la Cour de cassation, selon les cas, hors de
la présence du Président de la République et du garde des
sceaux, sans qu'il soit pour autant nécessaire de le préciser
davantage dans la Constitution. Elle a ensuite considéré qu'il
n'était pas anormal, par le jeu des différents collèges
électoraux, d'aboutir à une surreprésentation au Conseil
supérieur de la magistrature des magistrats ayant le plus
d'expérience, compte tenu des pouvoirs dont ce conseil disposait en
matière de nominations et en matière disciplinaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a fait observer qu'une telle
surreprésentation ne serait pas incompatible avec l'instauration d'un
collège unique élisant des magistrats de divers grades.
En réponse à une observation de
MM. Jean-Jacques Hyest, Michel
Dreyfus-Schmidt
et
Pierre Fauchon, Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice,
a reconnu que le Président de la
République, sans pouvoir choisir d'autres personnes, pourrait, en
théorie, s'opposer à la nomination des hauts magistrats du
Siège proposée par le Conseil supérieur de la magistrature
mais que cette hypothèse était jusqu'à présent un
cas d'école.
M.
Pierre Truche
Premier président de la Cour de
cassation,
président de la commission de réflexion sur la
justice
M.
Pierre Truche
a exprimé sa préférence pour le maintien
de deux formations au sein du Conseil supérieur de la magistrature,
l'une compétente à l'égard des magistrats du siège
et l'autre à l'égard de ceux du parquet, prenant en compte la
nature distincte des fonctions accomplies.
Il a exposé que, dans la plupart des cas, les décisions du
Conseil supérieur de la magistrature étaient prises à
l'unanimité, notamment en matière disciplinaire, soulignant ainsi
qu'il était difficile de faire la différence entre les membres
magistrats et les " laïcs ".
M. Pierre Truche
a souligné l'importance qu'il y avait à
ce que les magistrats ne soient pas majoritaires au sein du Conseil
supérieur de la magistrature afin d'éviter tout risque de
corporatisme.
Il a considéré que la nomination conjointe de deux membres du
Conseil supérieur de la magistrature par le vice-président du
Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le
premier président de la Cour des comptes ne soulèverait aucune
difficulté.
M. Pierre Truche
a estimé que, conformément aux usages, il
n'était pas opportun que le Président de la République et
le garde des sceaux prennent part aux votes du Conseil supérieur de la
magistrature.
Il a considéré que la nature des décisions à
prendre par le Conseil supérieur de la magistrature, notamment en
matière disciplinaire, ne se prêtait pas à une
délibération par vingt-deux membres.
Traitant ensuite de la responsabilité des magistrats,
M. Pierre
Truche
a rappelé que l'Etat supportait les conséquences
civiles des fautes des magistrats. Il a souligné l'importance de
l'initiative du Conseil supérieur de la magistrature de publier ses
décisions en matière disciplinaire et il s'est réjoui
qu'on envisage d'étendre aux chefs de cour la possibilité de
saisir le Conseil.
Il a fait valoir que l'importance et la qualité du travail fourni par la
très grande majorité des magistrats exigeait de sanctionner ceux
d'entre eux qui s'avéraient négligents dans le traitement des
dossiers.
M. Pierre Truche
a suggéré, qu'après l'exercice de
leurs fonctions pendant dix ou douze ans, les magistrats soient appelés
à opter définitivement soit pour les fonctions du siège,
soit pour celles du parquet.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
qui l'interrogeait sur les raisons
pour lesquelles il préconisait deux formations distinctes au sein du
Conseil supérieur de la magistrature,
M. Pierre Truche
a
répondu que l'opportunité de cette distinction découlait
de l'exercice de deux métiers différents au sein de la
magistrature.
Il a souhaité l'institution d'un juge des libertés disposant de
moyens spécifiques.
A
M. Jacques Larché, président,
qui lui demandait si le
juge des libertés devrait reprendre l'instruction des affaires qui lui
seraient soumises,
M. Pierre Truche
a indiqué que le rôle
de ce juge consisterait à entendre les parties, puis à trancher
la question de liberté en litige.
En réponse à
M. Charles Jolibois, rapporteur, M. Pierre
Truche
a indiqué que la possibilité de saisine du Conseil
supérieur de la magistrature par un justiciable en cas de
dysfonctionnement des tribunaux n'était pas souhaitable, ceux-ci pouvant
d'ores et déjà saisir les chefs de Cour. Il a estimé en
revanche opportun que les chefs de Cour puissent eux-mêmes saisir le
Conseil supérieur de la magistrature, relevant que ceux-ci
n'étaient plus disposés à tolérer une
activité insuffisante de la part de certains magistrats.
M. Robert Badinter
a souligné que le pouvoir de proposition en
matière de nomination était plus important que celui d'exprimer
un avis conforme car, dans le premier cas, l'autorité investie du
pouvoir de nomination ne pouvait nommer une personne non proposée.
En réponse à
M. Michel Dreyfus-Schmidt, M. Pierre Truche
a
considéré qu'il n'existait aucun inconvénient à ce
que des magistrats soient jugés par des magistrats.
Interrogé par
M. Jacques Larché, président,
sur
l'obligation de réserve des magistrats,
M. Pierre Truche
a
estimé souhaitable que le serment prononcé en début de
carrière soit élargi au devoir de réserve.
Répondant à
M. Michel Dreyfus-Schmidt
sur
l'opportunité de faire également bénéficier les
avocats du " tronc commun " qui serait constitué par les dix
à douze premières années de carrière des
magistrats,
M. Pierre Truche
a fait observer qu'une telle suggestion se
heurterait d'abord à un problème matériel du fait que, par
exemple, il y aurait à Paris quinze magistrats pour mille avocats en
formation.
M. Pierre Truche
, toujours en réponse à
M. Michel
Dreyfus-Schmidt
, a considéré que les membres du Conseil
supérieur de la magistrature nommés par le Président de la
République, le Président du Sénat ou le Président
de l'Assemblée nationale, ne se montraient pas moins indépendants
que les autres dans l'exercice de leurs fonctions.
M. Robert Badinter
lui a demandé si, au regard de
l'établissement d'un " corpus " des obligations des
magistrats, il n'était pas préférable de prévoir la
constitution d'une seule formation disciplinaire au sein du Conseil
supérieur de la magistrature.
M. Pierre Truche
a admis qu'il
existerait, dans cette hypothèse, un risque de variation
d'interprétation de ces obligations, soulignant toutefois que, dans la
pratique, les membres communs aux deux formations pourraient jouer un
rôle d'uniformisation.
M.
Jean-François Burgelin
Procureur général près la
Cour de cassation
M.
Jean-François Burgelin
a tout d'abord regretté que
l'Assemblée nationale n'ait pas entendu de magistrats du Parquet, alors
que ceux-ci étaient les principaux intéressés par les
modifications proposées par le présent projet de loi
constitutionnelle.
Il a ensuite souligné que ce texte, allait dans le bon sens, mais il lui
a reproché de ne pas résoudre certains problèmes
liés à la rédaction actuelle de l'article 65 de la
Constitution.
Au premier paragraphe de l'article 65,
M. Jean-François
Burgelin
a relevé l'ambiguïté de la place du
Président de la République et du garde des sceaux respectivement
président et vice-président d'un organe dont ils étaient
destinataires des propositions et avis.
Il a estimé que de ce point de vue la composition du Conseil
supérieur de la magistrature proposée par le projet de loi
constitutionnelle méritait d'être confrontée à
l'analyse de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui a jugé
que le Conseil d'Etat luxembourgeois, à la fois juge administratif et
conseil du Gouvernement, n'offrait pas des garanties suffisantes
d'impartialité.
M. Jean-François Burgelin
a estimé que l'expression
" personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au
Parlement " n'était pas suffisamment normative. Il a
souligné que, si la notion de " corps judiciaire "
était bien connue, à condition toutefois de savoir si elle ne
désigne que les seuls magistrats en exercice ou si elle inclut les
magistrats honoraires, celle d'" ordre judiciaire " pouvait laisser
penser que les membres des tribunaux de commerce ou des conseils de prud'hommes
pouvaient être concernés.
Sur le fond,
M. Jean-François Burgelin
a fait part de deux
interrogations principales. En premier lieu, il a jugé le nombre de
membres du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir vingt
et une personnes, considérable ; il a marqué son scepticisme
sur la disproportion entre le nombre de membres du Conseil supérieur de
la magistrature qui seraient appelés à statuer disciplinairement
et l'objet de la plupart des affaires disciplinaires.
En second lieu, il a jugé inopportune la mise à l'écart du
procureur général près la Cour de cassation en
matière de désignation des membres du Conseil supérieur de
la magistrature, alors que le président du Conseil économique et
social désignerait deux membres et que le premier président de la
Cour des comptes, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier
président de la Cour de cassation désigneraient conjointement
deux membres.
M. Jean-François Burgelin
a en effet rappelé qu'à
la Cour de cassation, le procureur général était
statutairement l'alter ego du premier président, et que la mise à
l'écart du premier était symboliquement regrettable. A la
question de
M. Charles Jolibois, rapporteur,
sur l'unité du
Conseil supérieur de la magistrature,
M. Jean-François
Burgelin
a marqué que la dualité de formation s'était,
à ses yeux, déjà révélée un
échec, puisqu'en pratique le Conseil supérieur de la magistrature
se réunissait en formation plénière, sans que celle-ci
n'ait d'existence constitutionnelle ou légale.
Il s'est déclaré réservé à l'égard
d'une séparation nette entre le parquet et le siège, qui
remettrait en cause une tradition française d'unité du corps
judiciaire, craignant en particulier que la séparation entre
siège et parquet ne provoque une " fonctionnarisation " de ce
dernier, et ne porte atteinte à deux principes fondamentaux, le respect
de la personne et le contradictoire.
Pour ces raisons,
M. Jean-François Burgelin
s'est
déclaré attaché à l'unité de recrutement, de
formation et de début de carrière des magistrats du siège
et du parquet.
En réponse à
M. Pierre Fauchon
, qui s'inquiétait du
fonctionnement pratique d'un conseil comprenant vingt et un membres,
M.
Jean-François Burgelin
a fait valoir deux idées.
Premièrement, il a jugé excellente la proposition de rendre les
" non-magistrats " majoritaires dans le Conseil supérieur de
la magistrature. Mais il n'a pas caché que le travail quotidien du
Conseil supérieur de la magistrature, minutieux et
répétitif, pourrait à l'avenir décourager les
membres non-magistrats, pour aboutir à l'effet inverse de l'objectif
visé, à savoir une majorité réelle de magistrats.
Il a toutefois indiqué que tel n'avait pas été le cas
jusqu'à présent.
Deuxièmement, il a confirmé que le chiffre de vingt et
un membres lui semblait démesuré par rapport au
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.
M. Jacques Larché, président,
après avoir
noté que la fonction de membre du Conseil supérieur de la
magistrature s'exerçait à plein temps, a souhaité savoir
quel pouvait être le nombre le plus approprié de membres du
Conseil supérieur de la magistrature permettant de respecter le principe
d'une majorité de non-magistrats.
M. Jean-François
Burgelin
a estimé que le chiffre actuel, douze membres en comptant
le Président de la République et le garde des sceaux,
était satisfaisant.
En réponse à
M. Charles Jolibois, rapporteur,
M. Jean-François Burgelin
a indiqué que les moyens
humains du Conseil supérieur de la magistrature ne permettaient pas
d'alléger la charge de travail personnelle de chacun des membres.
M. Jean-François Burgelin
a conclu en attirant l'attention sur la
question du nombre de membres du Conseil supérieur de la magistrature,
spécialement en matière disciplinaire.
ANNEXE 2
Auditions de M. Charles Jolibois, rapporteur
Association professionnelle des magistrats (APM) |
|
|
- M.
Georges Fenech
|
|
- M.
Alain Terrail
|
Association française des magistrats instructeurs (AFMI) |
|
|
- M.
Jean-Michel Gentil
|
Union syndicale des magistrats (USM) |
|
|
- M.
Valéry Turcey
|
Syndicat de la magistrature (SM) |
|
|
- Mme
Catherine Vannier
|
Barreau de Paris |
|
|
- Mme
Dominique de la Garanderie
|
Conseil national des barreaux (CNB) |
|
|
- M.
Philippe Leleu
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Conférence des Bâtonniers |
|
|
- M.
Gérard Christol
|
|
- M.
Jacques-Henri Robert
|
|
|
Conseil supérieur de la magistrature |
|
|
- M.
Alain Mombel
|
|
- M.
Dominique Barella
|
|
- M.
Jean Gicquel
|
|
|
Conférence nationale des premiers présidents de cours d'appel |
|
|
M.
Jean-Claude Chilou
|
|
|
Conférence nationale des procureurs généraux |
|
|
M. Louis
Fouletier
|
ANNEXE 3
L'EXEMPLE ITALIEN :
UNE INDÉPENDANCE TOTALE
DU PARQUET
Compte-rendu du déplacement à Rome
d'une
délégation de la commission des Lois
composée de M.
Charles Jolibois, rapporteur,
et de M. Michel Dreyfus-Schmidt
Avant de
se prononcer sur le projet de réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, la commission des Lois a souhaité procéder à
une étude de droit comparé concernant la justice italienne.
Le système judiciaire italien lui est en effet apparu présenter
un intérêt particulier dans la perspective de l'examen de ce
projet de réforme car il constitue un exemple original d'une totale
indépendance du Parquet, sans équivalent en Europe
11(
*
)
.
A l'initiative de son président, M. Jacques Larché, la commission
a donc désigné en son sein une mission chargée
d'étudier le fonctionnement de la justice en Italie, composée de
M. Charles Jolibois, rapporteur du projet de loi constitutionnelle relatif au
Conseil supérieur de la magistrature, et de M. Michel
Dreyfus-Schmidt.
Les entretiens auxquels a procédé la mission
12(
*
)
ont été centrés
autour du thème de l'indépendance du Parquet. Ils ont
porté sur le statut des magistrats du ministère public et sur le
rôle du Conseil supérieur de la magistrature -qui font
actuellement l'objet de projets de réforme en Italie-, ainsi que sur la
nouvelle procédure pénale de type accusatoire mise en place dans
ce pays depuis 1989.
I. LE STATUT DU MINISTÈRE PUBLIC ITALIEN : DES MAGISTRATS INDÉPENDANTS ET AUTONOMES
Les magistrats du Parquet italien jouissent d'une totale indépendance vis à vis de tout autre pouvoir, qui leur est reconnue par la Constitution ; ils bénéficient en outre d'une très large autonomie dans l'exercice des fonctions du ministère public.
A. UNE INDÉPENDANCE INCONTESTÉE
1. Un statut et des garanties identiques à ceux des magistrats du siège
En
Italie, les magistrats du Parquet sont des magistrats de l'ordre judiciaire
dont le statut est identique à celui des magistrats du siège.
Leur
indépendance
vis à vis de tout autre pouvoir est
reconnue par la Constitution dont l'article 104 dispose que "
la magistrature
constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre
pouvoir "
alors que l'article 107 précise que les magistrats du
ministère public jouissent de toutes les garanties résultant des
dispositions légales et réglementaires relatives à l'ordre
judiciaire.
Les magistrats du Parquet n'ont donc aucun lien hiérarchique avec le
ministre de la justice qui ne peut en aucun cas leur adresser des instructions
individuelles ou même des directives générales.
Comme les magistrats du siège, ils sont
inamovibles
, en vertu de
l'article 107 de la Constitution.
Leur carrière se déroule suivant les mêmes règles et
les mêmes garanties que celle des magistrats du siège, avec
lesquels ils sont réunis dans un corps unique recruté par le
même concours. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est
compétent pour statuer à leur égard en matière de
nominations, de mutations et d'avancement, comme en matière
disciplinaire, selon les mêmes modalités qu'à
l'égard des magistrats du siège et dans la même formation.
Les magistrats peuvent en toute liberté passer du Parquet au
siège et vice-versa (sous réserve d'une décision favorable
préalable du CSM qui actuellement ne constitue qu'une simple
formalité).
2. Une indépendance qui n'est pas remise en cause par les projets de réforme actuels
A
l'issue des entretiens avec l'ensemble des interlocuteurs rencontrés par
la mission, il est frappant de constater que le principe de
l'indépendance du Parquet apparaît perçu, en Italie, comme
un principe sur lequel il n'est plus possible de revenir.
Les projets de séparation complète des carrières des
magistrats du siège et des magistrats du Parquet, qui étaient
défendus par une partie de la classe politique mais se heurtaient
à une vive opposition des magistrats, semblent aujourd'hui
abandonnés.
Le projet de révision constitutionnelle adopté par la
" bicamerale "
13(
*
)
,
qui comprend un volet relatif à la justice, réaffirme le principe
de l'indépendance du Parquet ainsi que l'inamovibilité de ses
membres.
Il prévoit cependant des mesures tendant à rendre plus difficile
le passage du Parquet au siège et vice-versa :
- ce passage ne pourrait plus s'effectuer dans le ressort de la même
juridiction et nécessiterait donc une mobilité
géographique ;
- il serait en outre soumis à la réussite à un concours
interne.
L'ensemble des magistrats resteraient recrutés par un concours unique
mais la nomination en tant que magistrat du ministère public serait
désormais subordonnée à l'exercice préalable des
fonctions de juge du siège pendant une durée de trois ans.