EXAMEN DES ARTICLES
Article additionnel avant l'article 1er
(art. 19 de
la Constitution)
Nomination des membres du Conseil supérieur de la
magistrature
par le Président de la République sans
contreseing
Avant
l'article 1er, votre commission vous propose d'insérer un article
additionnel destiné à réparer une omission dans la
rédaction de l'article 19 de la Constitution.
Cet article énumère les articles de la Constitution relatifs aux
actes que le Président de la République peut accomplir sans le
contreseing du Premier ministre et, le cas échéant, des ministres
responsables.
Alors que figure dans cette énumération la
référence à l'article 56 relatif à la
nomination des membres du Conseil constitutionnel, n'y figure pas, en revanche,
la référence à l'article 65 pour la nomination des
membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Or, à l'évidence, la désignation de membres du Conseil
supérieur de la magistrature, comme de membres du Conseil
constitutionnel, constitue un pouvoir propre du Président de la
République qui doit s'exercer sans exigence de contreseing.
Il apparaît donc opportun de compléter l'énumération
des actes que le Président de la République peut accomplir sans
contreseing par une référence à l'article 65 de la
Constitution.
Votre commission vous propose d'adopter un
amendement
tendant à
modifier en ce sens l'article 19 de la Constitution.
Article premier
(art. 65 de la
Constitution)
Composition et attributions
du Conseil supérieur de
la magistrature
Cet
article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend
à une nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution,
relatif à la composition et aux attributions du Conseil supérieur
de la magistrature (CSM), dont le texte actuel est issu de la loi
constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.
I. La composition du Conseil supérieur de la magistrature
Le projet de loi constitutionnelle prévoit tout d'abord une profonde
modification des dispositions de l'article 65 de la Constitution relatives
à la composition du Conseil supérieur de la magistrature :
celui-ci comprendrait désormais une formation unique (et non plus deux
formations respectivement compétente à l'égard des
magistrats du siège et des magistrats du parquet) qui serait
majoritairement composée de personnalités extérieures
à l'ordre judiciaire (et non plus de magistrats), le nombre total des
membres étant sensiblement accru.
Seul le premier alinéa de l'article 65, relatif à la
présidence et à la vice-présidence du Conseil
supérieur de la magistrature, subsisterait dans sa rédaction
actuelle, issue de la Constitution de 1958 qui n'avait pas été
modifiée sur ce point en 1993 ; la présidence et la
vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature resterait
donc attribuées de droit au Président de la République et
au ministre de la justice, ce dernier pouvant suppléer le
Président de la République.
A. La situation actuelle : deux formations distinctes composées
en majorité de magistrats
Selon la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, issue de
la révision constitutionnelle de 1993, le Conseil supérieur de la
magistrature comprend deux formations, l'une compétente à
l'égard des magistrats du siège et l'autre compétente
à l'égard des magistrats du parquet.
Cette disposition résulte d'une initiative du Sénat qui, en 1993,
avait souhaité étendre aux magistrats du parquet les
compétences du Conseil supérieur de la magistrature, à
titre consultatif, mais avait jugé nécessaire, compte tenu de la
différence de nature des fonctions exercées par les magistrats du
siège et par les magistrats du parquet, de prévoir deux
formations distinctes en adaptant leur composition à la nature des
fonctions concernées.
Outre le Président de la République et le garde des Sceaux, les
deux formations actuelles comprennent chacune dix membres dont six magistrats.
Seuls les quatre membres qui ne sont pas magistrats appartiennent à la
fois aux deux formations. Il s'agit, d'une part, de trois personnalités
extérieures à la magistrature et au Parlement
désignées respectivement par le Président de la
République, le président de l'Assemblée nationale et le
président du Sénat et, d'autre part, d'un conseiller d'Etat
désigné par le Conseil d'Etat.
Hormis ces quatre membres, la formation compétente à
l'égard des magistrats du siège comprend cinq magistrats du
siège et un magistrat du parquet, tandis que la formation
compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend
cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège.
Ces magistrats sont élus par leurs pairs dans les conditions
fixées par la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994
sur le Conseil supérieur de la magistrature.
Les sièges réservés aux magistrats sont répartis,
de la manière suivante, entre les différentes catégories
hiérarchiques de magistrats :
- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du
siège :
* 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation
élu par l'assemblée des magistrats du siège hors
hiérarchie de ladite cour ;
* 1 premier président de cour d'appel élu par l'assemblée
des premiers présidents de cour d'appel ;
* 1 président de tribunal de grande instance élu par
l'assemblée des présidents de tribunal de grande instance, de
première instance ou de tribunal supérieur d'appel ;
* 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet " de base "
des cours et tribunaux ;
- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du
parquet :
* 1 magistrat du parquet hors hiérarchie à la Cour de cassation
élu par les magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite
cour ;
* 1 procureur général près une cour d'appel élu par
l'assemblée des procureurs généraux près les cours
d'appel ;
* 1 procureur de la République près un tribunal de grande
instance élu par l'assemblée des procureurs de la
République ;
* 2 magistrats du parquet et 1 magistrat du siège " de base "
des cours et tribunaux.
L'élection des représentants des magistrats " de base "
a lieu au scrutin uninominal à un tour, à deux
degrés :
- les magistrats -autres que les magistrats hors hiérarchie de la Cour
de cassation et les chefs des cours d'appel et des tribunaux de grande
instance- élisent deux collèges, l'un composé de membres
du siège et l'autre composé de membres du parquet ;
- les magistrats composant ces deux collèges élisent ensuite en
leur sein les magistrats appelés à siéger au Conseil
supérieur de la magistrature.
Quant au représentant du Conseil d'Etat, il est élu par
l'assemblée générale du Conseil d'Etat.
*
Bien que
la réunion du Conseil supérieur de la magistrature en formation
plénière n'ait été prévue par aucun texte,
une pratique de réunion plénière des deux formations du
siège et du parquet s'est instaurée dans les faits.
Ces deux formations se réunissent ainsi une fois par mois afin, selon
les rapports d'activité du CSM, d'assurer la cohérence des
procédures et l'harmonisation des positions de chaque formation.
Le projet de loi constitutionnelle consacre en quelque sorte le
développement de cette pratique puisqu'il tend à supprimer la
division actuelle en deux formations au profit d'une formation unique.
B. Le projet de loi constitutionnelle : une formation unique
composée en majorité de membres extérieurs à la
magistrature
1. L'institution d'une formation unique
"
Afin de marquer l'unité du corps judiciaire
", selon
les termes de l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle
tend à instituer une formation unique du Conseil supérieur de la
magistrature dont le nombre des membres serait porté à 23 (y
compris le Président de la République et le Garde des Sceaux).
2. Une majorité de membres n'appartenant pas au corps
judiciaire
Dans le souci d'"
une approche plus ouverte de la gestion du corps
judiciaire
", toujours selon les termes de l'exposé des motifs,
le projet de loi constitutionnelle prévoit au sein de cette formation
unique, une majorité de membres n'appartenant pas au corps judiciaire.
Outre le conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat, dont la
présence serait maintenue,
le nombre de personnalités
n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement
serait
ainsi fortement accru, passant de trois à dix
dont :
* 2 membres désignés par le Président de la
République ;
* 2 membres désignés par le Président de
l'Assemblée nationale ;
* 2 membres désignés par le Président du
Sénat ;
* 2 membres désignés par le Président du Conseil
économique et social "
en-dehors de celui-ci
" ;
* 2 membres désignés "
conjointement
" par le
vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour
de cassation et le premier président de la Cour des comptes.
Le nombre de personnalités désignées par le
Président de la République, le Président de
l'Assemblée nationale et le Président du Sénat serait donc
porté de un à deux chacun.
La désignation de membres par le Président du Conseil
économique et social, d'une part, et par le vice-président du
Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le
premier président de la Cour des comptes, d'autre part, constitue en
revanche une innovation.
La formation désormais unique du Conseil supérieur de la
magistrature comprendrait également "
dix magistrats du
siège et du parquet élus
".
A la différence du texte actuel, le principe de l'élection des
représentants des magistrats serait désormais inscrit dans le
texte de la Constitution lui-même.
Selon l'avant-projet de loi organique communiqué à votre
commission, feraient ainsi partie du Conseil supérieur de la
magistrature six magistrats du siège et quatre magistrats du parquet
répartis ainsi qu'il suit entre les différentes catégories
hiérarchiques de magistrats :
- 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation
élu par l'assemblée des magistrats du siège hors
hiérarchie de ladite Cour ;
- 1 magistrat du parquet hors hiérarchie de la Cour de cassation
élu par l'assemblée des magistrats du parquet hors
hiérarchie de ladite Cour ;
- 1 premier président de cour d'appel élu par les premiers
présidents de cours d'appel ;
- 1 procureur général près une cour d'appel élu par
les procureurs généraux près lesdites cours ;
- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux
placés hors hiérarchie ou appartenant au premier grade ;
- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux
appartenant au second grade.
Pour la désignation de ces magistrats du premier et second grade, au
système actuel d'élection au suffrage indirect et au scrutin
majoritaire serait substituée une élection au suffrage direct et
au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle au plus
fort reste, par l'ensemble des magistrats autres que les magistrats hors
hiérarchie de la Cour de cassation et les chefs de cours d'appel, chaque
liste de candidats devant comprendre au moins un président de tribunal
de grande instance et un procureur de la République.
Cette modification semble destinée à assurer une
représentation plus équilibrée des différentes
organisations représentatives de magistrats au sein du Conseil
supérieur de la magistrature, le scrutin majoritaire actuel
entraînant une sur-représentation du syndicat majoritaire
(à savoir l'Union syndicale des magistrats, USM).
En rendant impossible les candidatures individuelles, le choix de la
représentation proportionnelle risque cependant d'aboutir à un
monopole des organisations syndicales de magistrats pour la présentation
des candidats, avec pour conséquence un regrettable renforcement de
l'étiquetage syndical, et donc de la coloration politique des membres du
Conseil supérieur de la magistrature.
Par ailleurs, par rapport au système actuel, l'institution d'une
formation unique aurait pour conséquence une
moindre
représentation du parquet
, le nombre de magistrats du parquet
membres du Conseil supérieur de la magistrature étant
réduit à quatre contre six au total aujourd'hui (à savoir
cinq au sein de la formation compétente à l'égard des
magistrats du parquet et un au sein de la formation compétente à
l'égard des magistrats du siège). Quatre seulement sur un
ensemble de 23 membres.
C. Les propositions de votre commission des Lois : une formation
plénière regroupant deux formations spécifiques
Tout en approuvant la volonté d'affirmer l'unicité de la
magistrature par la consécration d'une formation plénière
du Conseil supérieur de la magistrature, votre commission des Lois a
jugé nécessaire de maintenir en son sein des formations
distinctes adaptées à la spécificité des questions
à traiter.
S'agissant des modalités de la désignation des
personnalités extérieures à la magistrature, elle a en
outre souhaité supprimer la désignation de deux membres par le
Président du Conseil économique et social au
bénéfice de l'accroissement à quatre du nombre des membres
désignés conjointement par les présidents des trois plus
hautes juridictions françaises.
1. Le maintien au sein d'une formation plénière de deux
formations spécifiques respectivement compétentes à
l'égard des magistrats du siège et des magistrats du
parquet
Votre commission approuve la volonté de consacrer l'unité de la
magistrature par l'institution d'une formation plénière du
Conseil supérieur de la magistrature.
Elle estime néanmoins que la différence de nature entre les
magistrats du siège et les magistrats du parquet rend nécessaire
le maintien de deux formations distinctes pour l'exercice des
compétences du Conseil supérieur de la magistrature en
matière de nominations et en matière disciplinaire.
En effet, les métiers de magistrats du siège et de magistrats du
parquet sont profondément différents et le resteront à
l'issue de la réforme : les uns jugent, les autres exercent
l'action publique et requièrent à l'audience. De plus, le statut
des magistrats du parquet est et restera à bien des égards
différent de celui des magistrats du siège, dont il se distingue
notamment par l'absence d'inamovibilité et le lien hiérarchique
avec le garde des Sceaux résultant de l'article 5 de l'ordonnance
n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative
au statut de la magistrature.
Or, ce n'est que dans le cadre de deux formations distinctes que l'on peut
assurer une représentation des magistrats adaptée à la
nature des fonctions concernées, comme tel est le cas actuellement.
La formation plénière recevrait pour sa part une
compétence pour émettre des avis sur des questions
générales intéressant le statut de la magistrature,
compétence qui serait désormais précisément
encadrée comme on le verra plus loin.
Sur la base de ces orientations, le Conseil supérieur de la magistrature
pourrait comprendre trois formations : une formation compétente à
l'égard des magistrats du siège, une formation compétente
à l'égard des magistrats du parquet et une formation
plénière réunissant ces deux formations.
Le CSM comprendrait, en formation plénière, outre le
Président de la République et le garde des sceaux, dix magistrats
élus (dont 5 magistrats du siège et 5 magistrats du parquet), un
conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et dix
personnalités extérieures à la magistrature, soit
23 membres au total comme dans le projet de loi constitutionnelle.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du
siège comprendrait, outre le Président de la République et
le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet
(comme actuellement) ainsi que la conseiller d'Etat et six des dix
personnalités extérieures, soit
15 membres.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du
parquet comprendrait, outre le Président de la République et le
garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège
(comme actuellement) ainsi que le conseiller d'Etat et six des dix
personnalités extérieures, soit
15 membres.
Cette composition présenterait l'avantage de réduire de 23
à 15 le nombre des membres dans les formations
spécialisées, ce qui permettrait de constituer des structures de
travail plus opérationnelles.
Le parquet serait en outre mieux représenté puisqu'il aurait
5 membres sur 15 au sein de sa formation, au lieu de 4 sur 23 comme le
propose le projet de loi constitutionnelle .
2. Une modification des modalités de désignation des
personnalités extérieures à la magistrature
Votre commission approuve l'ouverture du Conseil supérieur de la
magistrature à une majorité de personnalités
extérieures à la magistrature et tient à ce que celles-ci
soient effectivement majoritaires au sein des deux formations
spécialisées comme au sein de la formation plénière.
Cependant, elle s'interroge sur la désignation de membres du Conseil
supérieur de la magistrature par le Président du Conseil
économique et social.
Elle constate en effet que les compétences du Conseil économique
et social n'ont pas de relation directe avec la magistrature et que son
président ne bénéficie pas de la même
légitimité que le Président de la République et les
présidents des assemblées parlementaires élus au suffrage
universel.
Elle estime préférable d'accroître le nombre de membres
désignés conjointement par les présidents des trois plus
hautes juridictions françaises en raison de leur rôle
éminent dans notre organisation juridictionnelle et dans le souci
d'établir un certain équilibre entre les membres
désignés par des autorités issues du suffrage universel et
ceux désignés par des autorités juridictionnelles.
Elle considère néanmoins que les personnalités ainsi
désignées ne doivent en aucun cas être des magistrats,
qu'il s'agisse de magistrats administratifs, financiers ou judiciaires.
Ces orientations conduisent votre commission des Lois à vous proposer de
désigner comme suit les dix personnalités n'appartenant ni
à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, ni au Parlement
qui sont appelées à faire partie du Conseil supérieur de
la magistrature :
- le Président de la République, le Président de
l'Assemblée nationale et le Président du Sénat
désigneraient chacun deux personnalités, comme dans le projet de
loi constitutionnelle ;
- le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président
près de la Cour de cassation et le premier président près
la Cour des comptes désigneraient conjointement quatre
personnalités.
II. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature
Si le projet de loi constitutionnelle n'apporte pas de modification aux
prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la magistrature
à l'égard des magistrats du siège, telles qu'elles
résultent de la réforme constitutionnelle de 1993, il tend en
revanche à renforcer considérablement son rôle à
l'égard des magistrats du parquet, tant en matière de nominations
qu'en matière disciplinaire.
Aucun magistrat du parquet ne pourrait désormais être nommé
sans l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci
ne se verrait toutefois pas confier à l'égard des nominations des
hauts magistrats du parquet un pouvoir de proposition analogue à celui
qu'il exerce pour les nominations des plus hauts magistrats du siège.
En revanche, l'alignement entre le parquet et le siège serait total en
matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature
statuant désormais comme conseil de discipline de l'ensemble des
magistrats.
A. Les nominations de magistrats
1. Les nominations des magistrats du siège : le maintien par le
projet de loi constitutionnelle des compétences actuelles du CSM
Sous réserve de la suppression de la formation compétente
à l'égard des magistrats du siège au profit d'une
formation unique, le projet de loi constitutionnelle laisse inchangées
les prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la
magistrature à l'égard des nominations des magistrats du
siège.
Ces nominations relèvent de deux régimes distincts selon les
magistrats concernés.
Les magistrats du siège à la Cour de cassation (au nombre de
135), les premiers présidents de cours d'appel (au nombre de 35) et,
depuis la réforme de 1993, les présidents des tribunaux de grande
instance (au nombre de 181) sont nommés
sur les propositions
du
Conseil supérieur de la magistrature.
Dans la pratique, pour la nomination à ces plus hauts postes de
magistrats du siège, c'est donc la formation compétente du
Conseil supérieur de la magistrature qui, après examen des
dossiers et entretien avec les candidats, opère un choix entre les
candidatures dont elle est saisie, afin d'arrêter, sur le rapport de l'un
de ses membres, la proposition soumise au Président de la
République qui prend ensuite la décision de nomination au cours
d'une séance tenue sous sa présidence et en présence du
garde des Sceaux, au Palais de l'Elysée.
Les autres magistrats du siège sont nommés
sur l'avis
conforme
du Conseil supérieur de la magistrature depuis la
réforme de 1993. Celle-ci a en effet consacré l'usage
établi antérieurement, suivant lequel le garde des Sceaux ne
passait pas outre un avis défavorable émis par le Conseil
supérieur de la magistrature sur la nomination d'un magistrat du
siège.
Pour toutes ces nominations, l'avis de la formation compétente est
donné sur la proposition du ministre de la justice qui est transmise au
Conseil supérieur de la magistrature avec la liste des candidats pour
chacun des postes concernés.
Après examen des dossiers par un rapporteur, la formation
compétente arrête un avis qui est ensuite présenté
au cours d'une séance tenue sous la présidence du garde des
Sceaux, au siège du Conseil, palais de l'Alma.
Les propositions ayant fait l'objet d'un avis favorable sont ensuite transmises
au Président de la République en vue de la signature du
décret de nomination.
Les statistiques établies par le Conseil supérieur de la
magistrature font apparaître un très faible pourcentage d'avis
défavorables, de 1,75 % seulement entre le 1er juin 1994
et le 31 mars 1998, soit 63 avis défavorables sur
3 714 avis rendus au cours de cette période.
2. Les nominations des magistrats du parquet : le renforcement des
compétences du CSM par le projet de loi constitutionnelle
prévoyant l'exigence d'un avis conforme
Le Conseil supérieur de la magistrature n'intervient pour les
nominations des magistrats du parquet que depuis la réforme de 1993 et
seulement à titre consultatif.
Les magistrats du parquet sont nommés après un
avis simple
de la formation compétente à l'égard des magistrats du
parquet, qui ne lie pas le Garde des Sceaux. Toutefois, cette procédure
n'est pas applicable, selon le texte de l'article 65 de la Constitution, aux
"
emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres
",
c'est-à-dire les emplois de procureur général près
la Cour de cassation et de procureur général près une cour
d'appel
9(
*
)
.
Les nominations des autres magistrats du parquet font l'objet d'un avis
émis par la formation compétente selon la même
procédure que celle retenue pour les avis émis par la formation
compétente à l'égard des magistrats du siège.
Selon les statistiques établies par le CSM, la proportion d'avis
défavorables émis par la formation compétente à
l'égard des magistrats du parquet reste très faible (de l'ordre
de 3 %) quoique supérieure à la proportion d'avis
défavorables émis par la formation du siège.
Du 1er juin 1994 au 31 mars 1998, le nombre des avis
défavorables s'est élevé à 39 sur un total de
1 418, soit 2,88 % des avis. Sur ces 39 avis défavorables, 8
n'ont pas été pris en compte par l'autorité de nomination
(soit 0,56 % seulement du total des avis).
Dans son rapport d'activité pour 1996, le Conseil supérieur de la
magistrature avait souligné que l'autorité de nomination
était passée outre aux avis défavorables à sept
reprises au cours de la période allant du 1er juillet 1995 au
31 décembre 1996, ce qui traduisait une rupture avec la
pratique antérieure. Il en déduisait que l'indépendance
des magistrats du parquet, s'agissant de leur nomination, était encore
imparfaitement assurée.
Afin de mettre fin à cette situation et de lever les soupçons
d'intervention de l'autorité politique en matière de nominations,
le projet de loi constitutionnelle prévoit de soumettre l'ensemble des
nominations des magistrats du parquet, y compris celle des procureurs
généraux, à
l'avis conforme
du Conseil
supérieur de la magistrature, qui liera donc la décision de
l'autorité de nomination.
Il laisse cependant au garde des Sceaux, comme actuellement, le pouvoir de
proposition pour les nominations à toutes les fonctions de magistrats du
parquet. L'assimilation des garanties statutaires des magistrats du parquet
à celles des magistrats du siège, à laquelle tend le
projet de loi constitutionnelle n'est donc pas complètement
achevée sur ce point.
Dans la pratique, compte tenu du faible nombre d'avis défavorables et du
nombre encore plus faible de ceux auxquels il était passé outre
par l'autorité de nomination, la modification proposée du
régime de nomination des magistrats du parquet revêt un
caractère essentiellement symbolique pour les nominations des magistrats
autres que les procureurs généraux.
En revanche, elle a une toute autre portée s'agissant des procureurs
généraux dont la nomination en conseil des ministres
relève actuellement de l'appréciation discrétionnaire du
pouvoir exécutif.
B. Les attributions disciplinaires du Conseil supérieur de la
magistrature
1. La situation actuelle : une compétence de décision à
l'égard des magistrats du siège et une compétence
consultative à l'égard des magistrats du parquet
Le Conseil supérieur de la magistrature statue traditionnellement comme
conseil de discipline des magistrats du siège. Cette compétence
est actuellement exercée par la formation compétente à
l'égard des magistrats du siège, sous la présidence du
Premier président de la Cour de cassation.
Depuis la réforme constitutionnelle de 1993, à l'initiative du
Sénat, le CSM intervient également en matière
disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, mais seulement
à titre consultatif, comme pour les nominations de ces magistrats. La
formation compétente à l'égard des magistrats du parquet,
alors présidée par le Procureur général près
la Cour de cassation, émet donc un simple avis sur les sanctions
disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet, qui sont
prononcées par le garde des Sceaux, alors que les sanctions
disciplinaires concernant les magistrats du siège sont prononcées
par la formation compétente du CSM.
Dans la pratique, le CSM est très rarement saisi par le garde des Sceaux
qui a l'initiative des poursuites disciplinaires.
Selon les statistiques établies par le CSM, la formation
compétente à l'égard des magistrats du siège a
prononcé seulement 13 décisions au fond (ainsi que
8 interdictions temporaires) entre le 1er juin 1994 et le
31 mars 1998.
La formation compétente à l'égard des magistrats du
parquet a pour sa part émis 11 avis au fond (et un relatif à une
interdiction temporaire) entre le 1er juin 1994 et le
31 mars 1998.
Le Conseil supérieur de la magistrature a cependant regretté,
dans son rapport annuel de 1995, que ses compétences disciplinaires
soient exercées par deux formations distinctes, soulignant que
"
deux instances engagées pour des faits connexes et
indissociables, à l'encontre des chefs d'une même
juridiction
" avaient dû être soumises à deux
organes différents.
2. Le projet de loi constitutionnelle fait du Conseil supérieur de
la magistrature le conseil de discipline de l'ensemble des magistrats
Répondant au souhait d'unification, le projet de loi constitutionnelle
tend à confier à la formation désormais unique du CSM le
pouvoir de statuer comme conseil de discipline, et donc de prononcer les
sanctions disciplinaires à l'égard de l'ensemble des magistrats
du siège et du parquet.
Les garanties disciplinaires offertes aux magistrats du parquet seraient ainsi
totalement alignées sur celles des magistrats du siège.
Le CSM statuant en conseil de discipline serait alternativement
présidé par le Premier président de la Cour de cassation
ou le Procureur général près ladite cour selon qu'il
statuerait à l'égard d'un magistrat du siège ou à
l'égard d'un magistrat du parquet, la pratique actuelle étant
donc maintenue sur ce point.
C. Les propositions de votre commission des Lois : l'approbation de
l'extension des compétences du Conseil supérieur de la
magistrature sous réserve de deux aménagements
Votre commission approuve l'extension des compétences du Conseil
supérieur de la magistrature à laquelle tend le projet de loi,
notamment par l'exigence d'un avis conforme pour les nominations des magistrats
du parquet se substituant à l'avis simple prévu jusqu'ici. Elle
vous propose cependant d'y apporter deux aménagements.
1. L'extension du pouvoir de proposition du Conseil supérieur de
la magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions
d'outre-mer
Votre commission vous propose tout d'abord de procéder à un
aménagement technique de la rédaction de l'article 65 de la
Constitution afin de répondre à une préoccupation
légitimement exprimée par notre excellent collègue Daniel
Millaud dans le cadre d'une proposition de loi constitutionnelle
10(
*
)
concernant la nomination des
présidents de certaines juridictions d'outre-mer.
Selon les dispositions actuelles de l'article 65 de la Constitution que le
projet de loi constitutionnelle n'envisage pas de modifier sur ce point (sous
réserve de l'institution d'une formation unique) les premiers
présidents des cours d'appel et les présidents des tribunaux de
grande instance sont nommés sur les propositions du Conseil
supérieur de la magistrature.
Cependant, en raison de l'organisation juridictionnelle particulière des
territoires et collectivités territoriales d'outre-mer, il n'existe pas
de tribunaux de grande instance dans les territoires d'outre-mer
(Nouvelle-Calédonie, Polynésie française,
Wallis-et-Futuna) et dans les collectivités territoriales de Mayotte et
de Saint-Pierre-et-Miquelon, ces tribunaux étant remplacés par
des tribunaux de première instance. En outre, il n'existe pas de cour
d'appel à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon où les
tribunaux supérieurs d'appel jouent le rôle de juridiction d'appel.
Les présidents de ces tribunaux de première instance et de ces
tribunaux supérieurs d'appel, qui ne sont pas mentionnés dans la
rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, sont
nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la
magistrature comme les autres magistrats du siège.
Ils ne bénéficient donc pas des mêmes garanties de
nomination que ceux de leurs collègues qui président des
juridictions équivalentes en métropole, alors même que les
premiers présidents de cours d'appel des territoires d'outre-mer sont,
pour leur part, soumis au même régime de nomination que les
premiers présidents de cour d'appel de métropole.
Ainsi que le suggérait opportunément la proposition de loi
constitutionnelle déposée par M. Daniel Millaud, votre commission
vous propose de mettre fin à cette situation injustifiée et de
rétablir l'égalité entre les présidents de
juridictions d'outre-mer et ceux de métropole quant à leur
régime de nomination, en réparant l'omission actuelle de la
rédaction de l'article 65 de la Constitution sur ce point, afin
d'étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la
magistrature aux nominations des présidents des tribunaux de
première instance et des tribunaux supérieurs d'appel.
2. L'encadrement de la compétence du Conseil supérieur de
la magistrature en matière d'avis
Dans le cadre de sa mission d'assistance du Président de la
République en sa qualité de garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire, qui lui est confiée par l'article 64
de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est tout
d'abord conduit à répondre aux demandes d'avis que lui adresse le
chef de l'Etat. De 1994 à 1998, une seule demande d'avis lui a
été adressée par le Président de la
République, le 22 décembre 1994, concernant
l'éventuel dessaisissement d'un magistrat instructeur.
Par ailleurs, selon les rapports d'activité du Conseil supérieur
de la magistrature, le Garde des Sceaux a demandé à plusieurs
reprises l'opinion du Conseil sur des questions relatives à
l'institution judiciaire.
En outre, selon les termes de son dernier rapport d'activité,
"
le Conseil supérieur de la magistrature a
considéré que l'article 64 de la Constitution lui donnait
aussi, en dehors de toute demande expresse, le pouvoir de faire connaître
au Président de la République son avis sur les grandes questions
relatives à la magistrature
".
Il a ainsi pris à deux reprises (le 19 décembre 1996,
puis le 16 octobre 1997) l'initiative d'émettre des avis sur
le statut des magistrats du ministère public, dans le cadre desquels il
a formulé des propositions de réforme.
Votre commission considère que ces initiatives excèdent les
compétences du Conseil supérieur de la magistrature telles
qu'elles sont explicitement définies par la Constitution et le
conduisent à jouer un rôle qui n'est pas le sien.
Elle souhaite donc encadrer, pour l'avenir, la possibilité pour le
Conseil supérieur de la magistrature de donner des avis en la
subordonnant aux seules demandes du Président de la République.
Cette disposition s'inscrirait dans la logique de l'article 64 de la
Constitution qui -rappelons-le- prévoit que le Président de la
République est assisté par le Conseil supérieur de la
magistrature dans son rôle de garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire.
En outre, selon votre commission, ces avis ne devraient porter que sur des
questions d'ordre général intéressant le statut des
magistrats, à l'exclusion de toute question concernant des affaires
particulières qui risqueraient d'interférer avec les
compétences confiées au Conseil supérieur de la
magistrature en matière disciplinaire.
Aussi, votre commission a-t-elle souhaité préciser explicitement
dans le texte même de l'article 65 de la Constitution que le Conseil
supérieur de la magistrature se réunirait en formation
plénière pour répondre aux demandes d'avis
formulées par le Président de la République.
En résumé, votre commission vous propose donc d'adopter un
amendement tendant à une nouvelle rédaction de
l'article 65 de la Constitution
destinée à :
- maintenir au sein d'une formation plénière deux formations
spécifiques respectivement compétentes à l'égard
des magistrats du siège et des magistrats du parquet ;
- substituer à la désignation de deux membres par le
Président du Conseil économique et social la désignation
conjointe de ces membres par les présidents des trois plus hautes
juridictions (qui désigneraient donc en tout quatre
personnalités) ;
- étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la
magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions
d'outre-mer ;
- et encadrer strictement la compétence du Conseil supérieur de
la magistrature en matière d'avis.
Article 2
Dispositions transitoires
Cet
article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend
à préciser qu'à titre transitoire le Conseil
supérieur de la magistrature actuel continue à exercer les
compétences qui lui sont aujourd'hui conférées par
l'article 65 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi
constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993, jusqu'à la
première réunion du nouveau Conseil supérieur de la
magistrature qui sera constitué en application de la présente loi
constitutionnelle.
Dans la mesure où il envisageait une réforme prochaine du Conseil
supérieur de la magistrature, le Gouvernement avait un temps
envisagé de proroger, à titre transitoire, le mandat des membres
désignés en 1994, dont le mandat venait à expiration au
début du mois de juin 1998.
Cependant, il a finalement renoncé à soumettre au Parlement un
projet de loi organique rédigé en ce sens, qui aurait
présumé de l'adoption ultérieure du présent projet
de loi constitutionnelle.
Aussi des élections ont-elles été organisées au
cours du mois de mai dernier en vue du renouvellement des membres du Conseil
supérieur de la magistrature représentant les magistrats.
Le Conseil supérieur de la magistrature ainsi renouvelé vient
d'être constitué à l'issue de ces élections et de la
désignation des autres membres par le Président de la
République, le Président de l'Assemblée nationale et le
Président du Sénat, la liste des nouveaux membres ayant
été publiée au Journal Officiel daté du 5 juin 1998.
Ainsi que le prévoient les dispositions du présent article, il
devrait exercer les attributions résultant de la rédaction
actuelle de l'article 65 de la Constitution jusqu'à la
désignation des membres constituant la nouvelle composition du Conseil
supérieur de la magistrature, sur la base de la loi organique qui
devrait être adoptée pour l'application de la présente loi
constitutionnelle.
Cependant, il convient de souligner que les dispositions constitutionnelles
transitoires ont jusqu'à présent toujours été
inscrites dans le texte même de la Constitution.
Votre commission des Lois estime donc préférable de faire figurer
les dispositions transitoires prévues à l'article 2 au sein
même de la Constitution, de même que les dispositions transitoires
relatives au Conseil supérieur de la magistrature avaient
été insérées dans l'article 93 de la
Constitution par la loi constitutionnelle n° 93-952 du
27 juillet 1993.
En effet, la procédure d'examen de la présente loi, comme des
précédentes lois constitutionnelles adoptées à ce
jour sous la Vème République, est une procédure de
révision de la Constitution et ne peut donc conduire à l'adoption
de dispositions constitutionnelles qui lui demeureraient extérieures.
Elle vous propose donc d'adopter un
amendement
tendant à
insérer ces dispositions à la fin de la Constitution dans le
cadre de l'article 90 laissé vacant par son abrogation par la loi
constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995, tout en
prévoyant qu'elles seront abrogées à la date de la
première réunion du CSM dans sa composition issue de la
présente loi.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi constitutionnelle .