EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article 1er
(art. 19 de la Constitution)
Nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature
par le Président de la République sans contreseing

Avant l'article 1er, votre commission vous propose d'insérer un article additionnel destiné à réparer une omission dans la rédaction de l'article 19 de la Constitution.

Cet article énumère les articles de la Constitution relatifs aux actes que le Président de la République peut accomplir sans le contreseing du Premier ministre et, le cas échéant, des ministres responsables.

Alors que figure dans cette énumération la référence à l'article 56 relatif à la nomination des membres du Conseil constitutionnel, n'y figure pas, en revanche, la référence à l'article 65 pour la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Or, à l'évidence, la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature, comme de membres du Conseil constitutionnel, constitue un pouvoir propre du Président de la République qui doit s'exercer sans exigence de contreseing.

Il apparaît donc opportun de compléter l'énumération des actes que le Président de la République peut accomplir sans contreseing par une référence à l'article 65 de la Constitution.

Votre commission vous propose d'adopter un amendement tendant à modifier en ce sens l'article 19 de la Constitution.

Article premier
(art. 65 de la Constitution)
Composition et attributions
du Conseil supérieur de la magistrature

Cet article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend à une nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution, relatif à la composition et aux attributions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont le texte actuel est issu de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

I. La composition du Conseil supérieur de la magistrature

Le projet de loi constitutionnelle prévoit tout d'abord une profonde modification des dispositions de l'article 65 de la Constitution relatives à la composition du Conseil supérieur de la magistrature : celui-ci comprendrait désormais une formation unique (et non plus deux formations respectivement compétente à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet) qui serait majoritairement composée de personnalités extérieures à l'ordre judiciaire (et non plus de magistrats), le nombre total des membres étant sensiblement accru.

Seul le premier alinéa de l'article 65, relatif à la présidence et à la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature, subsisterait dans sa rédaction actuelle, issue de la Constitution de 1958 qui n'avait pas été modifiée sur ce point en 1993 ; la présidence et la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature resterait donc attribuées de droit au Président de la République et au ministre de la justice, ce dernier pouvant suppléer le Président de la République.

A. La situation actuelle : deux formations distinctes composées en majorité de magistrats

Selon la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, issue de la révision constitutionnelle de 1993, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège et l'autre compétente à l'égard des magistrats du parquet.

Cette disposition résulte d'une initiative du Sénat qui, en 1993, avait souhaité étendre aux magistrats du parquet les compétences du Conseil supérieur de la magistrature, à titre consultatif, mais avait jugé nécessaire, compte tenu de la différence de nature des fonctions exercées par les magistrats du siège et par les magistrats du parquet, de prévoir deux formations distinctes en adaptant leur composition à la nature des fonctions concernées.

Outre le Président de la République et le garde des Sceaux, les deux formations actuelles comprennent chacune dix membres dont six magistrats.

Seuls les quatre membres qui ne sont pas magistrats appartiennent à la fois aux deux formations. Il s'agit, d'une part, de trois personnalités extérieures à la magistrature et au Parlement désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat et, d'autre part, d'un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat.

Hormis ces quatre membres, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, tandis que la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège.

Ces magistrats sont élus par leurs pairs dans les conditions fixées par la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.

Les sièges réservés aux magistrats sont répartis, de la manière suivante, entre les différentes catégories hiérarchiques de magistrats :

- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège :

* 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du siège hors hiérarchie de ladite cour ;

* 1 premier président de cour d'appel élu par l'assemblée des premiers présidents de cour d'appel ;

* 1 président de tribunal de grande instance élu par l'assemblée des présidents de tribunal de grande instance, de première instance ou de tribunal supérieur d'appel ;

* 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet " de base " des cours et tribunaux ;

- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :

* 1 magistrat du parquet hors hiérarchie à la Cour de cassation élu par les magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite cour ;

* 1 procureur général près une cour d'appel élu par l'assemblée des procureurs généraux près les cours d'appel ;

* 1 procureur de la République près un tribunal de grande instance élu par l'assemblée des procureurs de la République ;

* 2 magistrats du parquet et 1 magistrat du siège " de base " des cours et tribunaux.

L'élection des représentants des magistrats " de base " a lieu au scrutin uninominal à un tour, à deux degrés :

- les magistrats -autres que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et les chefs des cours d'appel et des tribunaux de grande instance- élisent deux collèges, l'un composé de membres du siège et l'autre composé de membres du parquet ;

- les magistrats composant ces deux collèges élisent ensuite en leur sein les magistrats appelés à siéger au Conseil supérieur de la magistrature.

Quant au représentant du Conseil d'Etat, il est élu par l'assemblée générale du Conseil d'Etat.

*

Bien que la réunion du Conseil supérieur de la magistrature en formation plénière n'ait été prévue par aucun texte, une pratique de réunion plénière des deux formations du siège et du parquet s'est instaurée dans les faits.

Ces deux formations se réunissent ainsi une fois par mois afin, selon les rapports d'activité du CSM, d'assurer la cohérence des procédures et l'harmonisation des positions de chaque formation.

Le projet de loi constitutionnelle consacre en quelque sorte le développement de cette pratique puisqu'il tend à supprimer la division actuelle en deux formations au profit d'une formation unique.

B. Le projet de loi constitutionnelle : une formation unique composée en majorité de membres extérieurs à la magistrature

1. L'institution d'une formation unique


" Afin de marquer l'unité du corps judiciaire ", selon les termes de l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle tend à instituer une formation unique du Conseil supérieur de la magistrature dont le nombre des membres serait porté à 23 (y compris le Président de la République et le Garde des Sceaux).

2. Une majorité de membres n'appartenant pas au corps judiciaire

Dans le souci d'" une approche plus ouverte de la gestion du corps judiciaire ", toujours selon les termes de l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle prévoit au sein de cette formation unique, une majorité de membres n'appartenant pas au corps judiciaire.

Outre le conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat, dont la présence serait maintenue, le nombre de personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement serait ainsi fortement accru, passant de trois à dix dont :

* 2 membres désignés par le Président de la République ;

* 2 membres désignés par le Président de l'Assemblée nationale ;

* 2 membres désignés par le Président du Sénat ;

* 2 membres désignés par le Président du Conseil économique et social " en-dehors de celui-ci " ;

* 2 membres désignés " conjointement " par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes.

Le nombre de personnalités désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat serait donc porté de un à deux chacun.

La désignation de membres par le Président du Conseil économique et social, d'une part, et par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, d'autre part, constitue en revanche une innovation.

La formation désormais unique du Conseil supérieur de la magistrature comprendrait également " dix magistrats du siège et du parquet élus ".

A la différence du texte actuel, le principe de l'élection des représentants des magistrats serait désormais inscrit dans le texte de la Constitution lui-même.

Selon l'avant-projet de loi organique communiqué à votre commission, feraient ainsi partie du Conseil supérieur de la magistrature six magistrats du siège et quatre magistrats du parquet répartis ainsi qu'il suit entre les différentes catégories hiérarchiques de magistrats :

- 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du siège hors hiérarchie de ladite Cour ;

- 1 magistrat du parquet hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite Cour ;

- 1 premier président de cour d'appel élu par les premiers présidents de cours d'appel ;

- 1 procureur général près une cour d'appel élu par les procureurs généraux près lesdites cours ;

- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux placés hors hiérarchie ou appartenant au premier grade ;

- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux appartenant au second grade.

Pour la désignation de ces magistrats du premier et second grade, au système actuel d'élection au suffrage indirect et au scrutin majoritaire serait substituée une élection au suffrage direct et au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle au plus fort reste, par l'ensemble des magistrats autres que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et les chefs de cours d'appel, chaque liste de candidats devant comprendre au moins un président de tribunal de grande instance et un procureur de la République.

Cette modification semble destinée à assurer une représentation plus équilibrée des différentes organisations représentatives de magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature, le scrutin majoritaire actuel entraînant une sur-représentation du syndicat majoritaire (à savoir l'Union syndicale des magistrats, USM).

En rendant impossible les candidatures individuelles, le choix de la représentation proportionnelle risque cependant d'aboutir à un monopole des organisations syndicales de magistrats pour la présentation des candidats, avec pour conséquence un regrettable renforcement de l'étiquetage syndical, et donc de la coloration politique des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, par rapport au système actuel, l'institution d'une formation unique aurait pour conséquence une moindre représentation du parquet , le nombre de magistrats du parquet membres du Conseil supérieur de la magistrature étant réduit à quatre contre six au total aujourd'hui (à savoir cinq au sein de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet et un au sein de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège). Quatre seulement sur un ensemble de 23 membres.

C. Les propositions de votre commission des Lois : une formation plénière regroupant deux formations spécifiques

Tout en approuvant la volonté d'affirmer l'unicité de la magistrature par la consécration d'une formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, votre commission des Lois a jugé nécessaire de maintenir en son sein des formations distinctes adaptées à la spécificité des questions à traiter.

S'agissant des modalités de la désignation des personnalités extérieures à la magistrature, elle a en outre souhaité supprimer la désignation de deux membres par le Président du Conseil économique et social au bénéfice de l'accroissement à quatre du nombre des membres désignés conjointement par les présidents des trois plus hautes juridictions françaises.

1. Le maintien au sein d'une formation plénière de deux formations spécifiques respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet

Votre commission approuve la volonté de consacrer l'unité de la magistrature par l'institution d'une formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature.

Elle estime néanmoins que la différence de nature entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet rend nécessaire le maintien de deux formations distinctes pour l'exercice des compétences du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nominations et en matière disciplinaire.

En effet, les métiers de magistrats du siège et de magistrats du parquet sont profondément différents et le resteront à l'issue de la réforme : les uns jugent, les autres exercent l'action publique et requièrent à l'audience. De plus, le statut des magistrats du parquet est et restera à bien des égards différent de celui des magistrats du siège, dont il se distingue notamment par l'absence d'inamovibilité et le lien hiérarchique avec le garde des Sceaux résultant de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Or, ce n'est que dans le cadre de deux formations distinctes que l'on peut assurer une représentation des magistrats adaptée à la nature des fonctions concernées, comme tel est le cas actuellement.

La formation plénière recevrait pour sa part une compétence pour émettre des avis sur des questions générales intéressant le statut de la magistrature, compétence qui serait désormais précisément encadrée comme on le verra plus loin.

Sur la base de ces orientations, le Conseil supérieur de la magistrature pourrait comprendre trois formations : une formation compétente à l'égard des magistrats du siège, une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet et une formation plénière réunissant ces deux formations.

Le CSM comprendrait, en formation plénière, outre le Président de la République et le garde des sceaux, dix magistrats élus (dont 5 magistrats du siège et 5 magistrats du parquet), un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et dix personnalités extérieures à la magistrature, soit 23 membres au total comme dans le projet de loi constitutionnelle.

- La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprendrait, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet (comme actuellement) ainsi que la conseiller d'Etat et six des dix personnalités extérieures, soit 15 membres.

- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprendrait, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège (comme actuellement) ainsi que le conseiller d'Etat et six des dix personnalités extérieures, soit 15 membres.

Cette composition présenterait l'avantage de réduire de 23 à 15 le nombre des membres dans les formations spécialisées, ce qui permettrait de constituer des structures de travail plus opérationnelles.

Le parquet serait en outre mieux représenté puisqu'il aurait 5 membres sur 15 au sein de sa formation, au lieu de 4 sur 23 comme le propose le projet de loi constitutionnelle .

2. Une modification des modalités de désignation des personnalités extérieures à la magistrature

Votre commission approuve l'ouverture du Conseil supérieur de la magistrature à une majorité de personnalités extérieures à la magistrature et tient à ce que celles-ci soient effectivement majoritaires au sein des deux formations spécialisées comme au sein de la formation plénière.

Cependant, elle s'interroge sur la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature par le Président du Conseil économique et social.

Elle constate en effet que les compétences du Conseil économique et social n'ont pas de relation directe avec la magistrature et que son président ne bénéficie pas de la même légitimité que le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires élus au suffrage universel.

Elle estime préférable d'accroître le nombre de membres désignés conjointement par les présidents des trois plus hautes juridictions françaises en raison de leur rôle éminent dans notre organisation juridictionnelle et dans le souci d'établir un certain équilibre entre les membres désignés par des autorités issues du suffrage universel et ceux désignés par des autorités juridictionnelles.

Elle considère néanmoins que les personnalités ainsi désignées ne doivent en aucun cas être des magistrats, qu'il s'agisse de magistrats administratifs, financiers ou judiciaires.

Ces orientations conduisent votre commission des Lois à vous proposer de désigner comme suit les dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, ni au Parlement qui sont appelées à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature :

- le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désigneraient chacun deux personnalités, comme dans le projet de loi constitutionnelle ;

- le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président près de la Cour de cassation et le premier président près la Cour des comptes désigneraient conjointement quatre personnalités.

II. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature

Si le projet de loi constitutionnelle n'apporte pas de modification aux prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège, telles qu'elles résultent de la réforme constitutionnelle de 1993, il tend en revanche à renforcer considérablement son rôle à l'égard des magistrats du parquet, tant en matière de nominations qu'en matière disciplinaire.

Aucun magistrat du parquet ne pourrait désormais être nommé sans l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci ne se verrait toutefois pas confier à l'égard des nominations des hauts magistrats du parquet un pouvoir de proposition analogue à celui qu'il exerce pour les nominations des plus hauts magistrats du siège.

En revanche, l'alignement entre le parquet et le siège serait total en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature statuant désormais comme conseil de discipline de l'ensemble des magistrats.

A. Les nominations de magistrats

1. Les nominations des magistrats du siège : le maintien par le projet de loi constitutionnelle des compétences actuelles du CSM


Sous réserve de la suppression de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège au profit d'une formation unique, le projet de loi constitutionnelle laisse inchangées les prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des nominations des magistrats du siège.

Ces nominations relèvent de deux régimes distincts selon les magistrats concernés.

Les magistrats du siège à la Cour de cassation (au nombre de 135), les premiers présidents de cours d'appel (au nombre de 35) et, depuis la réforme de 1993, les présidents des tribunaux de grande instance (au nombre de 181) sont nommés sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans la pratique, pour la nomination à ces plus hauts postes de magistrats du siège, c'est donc la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui, après examen des dossiers et entretien avec les candidats, opère un choix entre les candidatures dont elle est saisie, afin d'arrêter, sur le rapport de l'un de ses membres, la proposition soumise au Président de la République qui prend ensuite la décision de nomination au cours d'une séance tenue sous sa présidence et en présence du garde des Sceaux, au Palais de l'Elysée.

Les autres magistrats du siège sont nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature depuis la réforme de 1993. Celle-ci a en effet consacré l'usage établi antérieurement, suivant lequel le garde des Sceaux ne passait pas outre un avis défavorable émis par le Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination d'un magistrat du siège.

Pour toutes ces nominations, l'avis de la formation compétente est donné sur la proposition du ministre de la justice qui est transmise au Conseil supérieur de la magistrature avec la liste des candidats pour chacun des postes concernés.

Après examen des dossiers par un rapporteur, la formation compétente arrête un avis qui est ensuite présenté au cours d'une séance tenue sous la présidence du garde des Sceaux, au siège du Conseil, palais de l'Alma.

Les propositions ayant fait l'objet d'un avis favorable sont ensuite transmises au Président de la République en vue de la signature du décret de nomination.

Les statistiques établies par le Conseil supérieur de la magistrature font apparaître un très faible pourcentage d'avis défavorables, de 1,75 % seulement entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998, soit 63 avis défavorables sur 3 714 avis rendus au cours de cette période.

2. Les nominations des magistrats du parquet : le renforcement des compétences du CSM par le projet de loi constitutionnelle prévoyant l'exigence d'un avis conforme

Le Conseil supérieur de la magistrature n'intervient pour les nominations des magistrats du parquet que depuis la réforme de 1993 et seulement à titre consultatif.

Les magistrats du parquet sont nommés après un avis simple de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, qui ne lie pas le Garde des Sceaux. Toutefois, cette procédure n'est pas applicable, selon le texte de l'article 65 de la Constitution, aux " emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres ", c'est-à-dire les emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d'appel 9( * ) .

Les nominations des autres magistrats du parquet font l'objet d'un avis émis par la formation compétente selon la même procédure que celle retenue pour les avis émis par la formation compétente à l'égard des magistrats du siège.

Selon les statistiques établies par le CSM, la proportion d'avis défavorables émis par la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet reste très faible (de l'ordre de 3 %) quoique supérieure à la proportion d'avis défavorables émis par la formation du siège.

Du 1er juin 1994 au 31 mars 1998, le nombre des avis défavorables s'est élevé à 39 sur un total de 1 418, soit 2,88 % des avis. Sur ces 39 avis défavorables, 8 n'ont pas été pris en compte par l'autorité de nomination (soit 0,56 % seulement du total des avis).

Dans son rapport d'activité pour 1996, le Conseil supérieur de la magistrature avait souligné que l'autorité de nomination était passée outre aux avis défavorables à sept reprises au cours de la période allant du 1er juillet 1995 au 31 décembre 1996, ce qui traduisait une rupture avec la pratique antérieure. Il en déduisait que l'indépendance des magistrats du parquet, s'agissant de leur nomination, était encore imparfaitement assurée.

Afin de mettre fin à cette situation et de lever les soupçons d'intervention de l'autorité politique en matière de nominations, le projet de loi constitutionnelle prévoit de soumettre l'ensemble des nominations des magistrats du parquet, y compris celle des procureurs généraux, à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui liera donc la décision de l'autorité de nomination.

Il laisse cependant au garde des Sceaux, comme actuellement, le pouvoir de proposition pour les nominations à toutes les fonctions de magistrats du parquet. L'assimilation des garanties statutaires des magistrats du parquet à celles des magistrats du siège, à laquelle tend le projet de loi constitutionnelle n'est donc pas complètement achevée sur ce point.

Dans la pratique, compte tenu du faible nombre d'avis défavorables et du nombre encore plus faible de ceux auxquels il était passé outre par l'autorité de nomination, la modification proposée du régime de nomination des magistrats du parquet revêt un caractère essentiellement symbolique pour les nominations des magistrats autres que les procureurs généraux.

En revanche, elle a une toute autre portée s'agissant des procureurs généraux dont la nomination en conseil des ministres relève actuellement de l'appréciation discrétionnaire du pouvoir exécutif.

B. Les attributions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature

1. La situation actuelle : une compétence de décision à l'égard des magistrats du siège et une compétence consultative à l'égard des magistrats du parquet


Le Conseil supérieur de la magistrature statue traditionnellement comme conseil de discipline des magistrats du siège. Cette compétence est actuellement exercée par la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, sous la présidence du Premier président de la Cour de cassation.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1993, à l'initiative du Sénat, le CSM intervient également en matière disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, mais seulement à titre consultatif, comme pour les nominations de ces magistrats. La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, alors présidée par le Procureur général près la Cour de cassation, émet donc un simple avis sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet, qui sont prononcées par le garde des Sceaux, alors que les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du siège sont prononcées par la formation compétente du CSM.

Dans la pratique, le CSM est très rarement saisi par le garde des Sceaux qui a l'initiative des poursuites disciplinaires.

Selon les statistiques établies par le CSM, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège a prononcé seulement 13 décisions au fond (ainsi que 8 interdictions temporaires) entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998.

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet a pour sa part émis 11 avis au fond (et un relatif à une interdiction temporaire) entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998.

Le Conseil supérieur de la magistrature a cependant regretté, dans son rapport annuel de 1995, que ses compétences disciplinaires soient exercées par deux formations distinctes, soulignant que " deux instances engagées pour des faits connexes et indissociables, à l'encontre des chefs d'une même juridiction " avaient dû être soumises à deux organes différents.

2. Le projet de loi constitutionnelle fait du Conseil supérieur de la magistrature le conseil de discipline de l'ensemble des magistrats

Répondant au souhait d'unification, le projet de loi constitutionnelle tend à confier à la formation désormais unique du CSM le pouvoir de statuer comme conseil de discipline, et donc de prononcer les sanctions disciplinaires à l'égard de l'ensemble des magistrats du siège et du parquet.

Les garanties disciplinaires offertes aux magistrats du parquet seraient ainsi totalement alignées sur celles des magistrats du siège.

Le CSM statuant en conseil de discipline serait alternativement présidé par le Premier président de la Cour de cassation ou le Procureur général près ladite cour selon qu'il statuerait à l'égard d'un magistrat du siège ou à l'égard d'un magistrat du parquet, la pratique actuelle étant donc maintenue sur ce point.

C. Les propositions de votre commission des Lois : l'approbation de l'extension des compétences du Conseil supérieur de la magistrature sous réserve de deux aménagements

Votre commission approuve l'extension des compétences du Conseil supérieur de la magistrature à laquelle tend le projet de loi, notamment par l'exigence d'un avis conforme pour les nominations des magistrats du parquet se substituant à l'avis simple prévu jusqu'ici. Elle vous propose cependant d'y apporter deux aménagements.

1. L'extension du pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions d'outre-mer

Votre commission vous propose tout d'abord de procéder à un aménagement technique de la rédaction de l'article 65 de la Constitution afin de répondre à une préoccupation légitimement exprimée par notre excellent collègue Daniel Millaud dans le cadre d'une proposition de loi constitutionnelle 10( * ) concernant la nomination des présidents de certaines juridictions d'outre-mer.

Selon les dispositions actuelles de l'article 65 de la Constitution que le projet de loi constitutionnelle n'envisage pas de modifier sur ce point (sous réserve de l'institution d'une formation unique) les premiers présidents des cours d'appel et les présidents des tribunaux de grande instance sont nommés sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature.

Cependant, en raison de l'organisation juridictionnelle particulière des territoires et collectivités territoriales d'outre-mer, il n'existe pas de tribunaux de grande instance dans les territoires d'outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna) et dans les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ces tribunaux étant remplacés par des tribunaux de première instance. En outre, il n'existe pas de cour d'appel à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon où les tribunaux supérieurs d'appel jouent le rôle de juridiction d'appel.

Les présidents de ces tribunaux de première instance et de ces tribunaux supérieurs d'appel, qui ne sont pas mentionnés dans la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, sont nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature comme les autres magistrats du siège.

Ils ne bénéficient donc pas des mêmes garanties de nomination que ceux de leurs collègues qui président des juridictions équivalentes en métropole, alors même que les premiers présidents de cours d'appel des territoires d'outre-mer sont, pour leur part, soumis au même régime de nomination que les premiers présidents de cour d'appel de métropole.

Ainsi que le suggérait opportunément la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Daniel Millaud, votre commission vous propose de mettre fin à cette situation injustifiée et de rétablir l'égalité entre les présidents de juridictions d'outre-mer et ceux de métropole quant à leur régime de nomination, en réparant l'omission actuelle de la rédaction de l'article 65 de la Constitution sur ce point, afin d'étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents des tribunaux de première instance et des tribunaux supérieurs d'appel.

2. L'encadrement de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière d'avis

Dans le cadre de sa mission d'assistance du Président de la République en sa qualité de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, qui lui est confiée par l'article 64 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est tout d'abord conduit à répondre aux demandes d'avis que lui adresse le chef de l'Etat. De 1994 à 1998, une seule demande d'avis lui a été adressée par le Président de la République, le 22 décembre 1994, concernant l'éventuel dessaisissement d'un magistrat instructeur.

Par ailleurs, selon les rapports d'activité du Conseil supérieur de la magistrature, le Garde des Sceaux a demandé à plusieurs reprises l'opinion du Conseil sur des questions relatives à l'institution judiciaire.

En outre, selon les termes de son dernier rapport d'activité, " le Conseil supérieur de la magistrature a considéré que l'article 64 de la Constitution lui donnait aussi, en dehors de toute demande expresse, le pouvoir de faire connaître au Président de la République son avis sur les grandes questions relatives à la magistrature ".

Il a ainsi pris à deux reprises (le 19 décembre 1996, puis le 16 octobre 1997) l'initiative d'émettre des avis sur le statut des magistrats du ministère public, dans le cadre desquels il a formulé des propositions de réforme.

Votre commission considère que ces initiatives excèdent les compétences du Conseil supérieur de la magistrature telles qu'elles sont explicitement définies par la Constitution et le conduisent à jouer un rôle qui n'est pas le sien.

Elle souhaite donc encadrer, pour l'avenir, la possibilité pour le Conseil supérieur de la magistrature de donner des avis en la subordonnant aux seules demandes du Président de la République. Cette disposition s'inscrirait dans la logique de l'article 64 de la Constitution qui -rappelons-le- prévoit que le Président de la République est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature dans son rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

En outre, selon votre commission, ces avis ne devraient porter que sur des questions d'ordre général intéressant le statut des magistrats, à l'exclusion de toute question concernant des affaires particulières qui risqueraient d'interférer avec les compétences confiées au Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire.

Aussi, votre commission a-t-elle souhaité préciser explicitement dans le texte même de l'article 65 de la Constitution que le Conseil supérieur de la magistrature se réunirait en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République.

En résumé, votre commission vous propose donc d'adopter un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution destinée à :

- maintenir au sein d'une formation plénière deux formations spécifiques respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet ;

- substituer à la désignation de deux membres par le Président du Conseil économique et social la désignation conjointe de ces membres par les présidents des trois plus hautes juridictions (qui désigneraient donc en tout quatre personnalités) ;

- étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions d'outre-mer ;

- et encadrer strictement la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière d'avis.

Article 2
Dispositions transitoires

Cet article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend à préciser qu'à titre transitoire le Conseil supérieur de la magistrature actuel continue à exercer les compétences qui lui sont aujourd'hui conférées par l'article 65 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993, jusqu'à la première réunion du nouveau Conseil supérieur de la magistrature qui sera constitué en application de la présente loi constitutionnelle.

Dans la mesure où il envisageait une réforme prochaine du Conseil supérieur de la magistrature, le Gouvernement avait un temps envisagé de proroger, à titre transitoire, le mandat des membres désignés en 1994, dont le mandat venait à expiration au début du mois de juin 1998.

Cependant, il a finalement renoncé à soumettre au Parlement un projet de loi organique rédigé en ce sens, qui aurait présumé de l'adoption ultérieure du présent projet de loi constitutionnelle.

Aussi des élections ont-elles été organisées au cours du mois de mai dernier en vue du renouvellement des membres du Conseil supérieur de la magistrature représentant les magistrats.

Le Conseil supérieur de la magistrature ainsi renouvelé vient d'être constitué à l'issue de ces élections et de la désignation des autres membres par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, la liste des nouveaux membres ayant été publiée au Journal Officiel daté du 5 juin 1998.

Ainsi que le prévoient les dispositions du présent article, il devrait exercer les attributions résultant de la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution jusqu'à la désignation des membres constituant la nouvelle composition du Conseil supérieur de la magistrature, sur la base de la loi organique qui devrait être adoptée pour l'application de la présente loi constitutionnelle.

Cependant, il convient de souligner que les dispositions constitutionnelles transitoires ont jusqu'à présent toujours été inscrites dans le texte même de la Constitution.

Votre commission des Lois estime donc préférable de faire figurer les dispositions transitoires prévues à l'article 2 au sein même de la Constitution, de même que les dispositions transitoires relatives au Conseil supérieur de la magistrature avaient été insérées dans l'article 93 de la Constitution par la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

En effet, la procédure d'examen de la présente loi, comme des précédentes lois constitutionnelles adoptées à ce jour sous la Vème République, est une procédure de révision de la Constitution et ne peut donc conduire à l'adoption de dispositions constitutionnelles qui lui demeureraient extérieures.

Elle vous propose donc d'adopter un amendement tendant à insérer ces dispositions à la fin de la Constitution dans le cadre de l'article 90 laissé vacant par son abrogation par la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995, tout en prévoyant qu'elles seront abrogées à la date de la première réunion du CSM dans sa composition issue de la présente loi.

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Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi constitutionnelle .

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