EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis au Sénat constitue le premier acte d'un vaste projet de réforme de la justice qui trouve son origine dans les réflexions diverses menées autour de trois objectifs.

Le premier concerne l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien. C'est là, sans nul doute, la plus urgente et la plus attendue des réformes, ainsi que l'avait souligné la mission d'information sur les moyens de la justice constituée en 1996 par votre commission des Lois sous la présidence de votre rapporteur 1( * ) .

Le second a trait au renforcement des garanties apportées aux justiciables quant au respect des libertés fondamentales. Il a également fait l'objet de réflexions approfondies de votre commission des Lois, dans le cadre des travaux menés en 1994 et 1995 par une autre mission d'information portant sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction, dont le rapport avait été établi par votre présent rapporteur 2( * ) .

Enfin, le troisième objectif, dont participe la réforme du Conseil supérieur de la magistrature proposée par le présent projet de loi constitutionnelle, relève du souci de mieux assurer l'indépendance et l'impartialité de la justice.

Cette préoccupation constituait, hormis le problème du respect de la présomption d'innocence déjà évoqué, la principale question que M. Jacques Chirac, Président de la République, avait souhaité soumettre à la réflexion d'une commission constituée à cette fin sous la présidence de M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation et à laquelle il avait demandé de s'interroger sur l'opportunité et les moyens d'une indépendance des magistrats du parquet à l'égard du pouvoir exécutif, soulignant alors, dans sa lettre de mission, que " nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du Gouvernement ".

Cette commission, dans son rapport publié en juillet 1997, s'est prononcée notamment en faveur d'une extension des pouvoirs et d'une modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature

Un large débat s'est ainsi engagé dans notre pays autour de la question de l'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif et du statut des magistrats du parquet, de même que dans certains pays voisins comme l'Italie où un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature est actuellement à l'étude, ainsi qu'a pu le constater votre rapporteur au cours d'une mission ponctuelle effectuée récemment au nom de la commission des Lois en compagnie de M. Michel Dreyfus-Schmidt 3( * ) .

C'est dans ce contexte que Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, propose aujourd'hui une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, essentiellement destinée à renforcer ses pouvoirs à l'égard des magistrats du parquet de manière à faire bénéficier ceux-ci de garanties constitutionnelles d'indépendance comparables à celles des magistrats du siège, tout en ouvrant sa composition à une majorité de personnes extérieures à la magistrature.

Cette nouvelle réforme intervient moins de cinq ans après la révision constitutionnelle de 1993 qui a déjà considérablement accru les garanties constitutionnelles de l'indépendance de l'autorité judiciaire. En effet, la réforme adoptée en 1993 a largement renforcé les prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature, notamment par l'extension du champ de ses compétences aux magistrats du parquet à la suite d'une initiative du Sénat, en même temps qu'elle a diversifié le mode de désignation de ses membres.

I. LA REFORME DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE ADOPTÉE EN 1993 A CONSIDÉRABLEMENT ACCRU LES GARANTIES CONSTITUTIONNELLES DE L'INDÉPENDANCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE

La composition et les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont actuellement définies par l'article 65 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

La portée de la réforme intervenue en 1993 doit cependant être appréciée à la lumière d'un bref rappel historique.

Le Conseil supérieur de la magistrature n'apparaît en tant que tel qu'en 1946.

Cependant, depuis 1883, était désignée sous cette appellation une formation particulière de la Cour de cassation toutes chambres réunies statuant en matière disciplinaire à l'égard des magistrats.

Jusqu'au début de la IVème république, les nominations des magistrats relevaient exclusivement du pouvoir exécutif ; toutefois, l'exercice du pouvoir de nomination avait été encadré, à partir du début du XXème siècle, par la création de commissions spéciales intervenant pour l'élaboration des tableaux d'avancement.

La Constitution de 1946 crée un Conseil supérieur de la magistrature doté de compétences étendues à l'égard des magistrats du siège qui sont nommés par le Président de la République " sur sa présentation " ; en outre, il " assure, conformément à la loi, la discipline de ces magistrats, leur indépendance et l'administration des tribunaux judiciaires ".

Ce Conseil est alors composé de 14 membres :

- le Président de la République, président ;

- le garde des Sceaux, vice-président ;

- 6 personnalités élues pour six ans par l'Assemblée nationale, à la majorité des deux tiers, en dehors de ses membres ;

- 2 personnalités désignées pour six ans par le Président de la République en dehors du Parlement et de la magistrature, mais au sein des professions judiciaires ;

- enfin, 4 magistrats élus pour six ans, représentant " chacune des catégories de magistrats ".

La Constitution de 1958 fait du Président de la République le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, assisté dans ce rôle par le Conseil supérieur de la magistrature, qu'il préside, le ministre de la justice étant vice-président de droit.

C'est également le Président de la République qui désigne les neuf membres de ce Conseil, dans les conditions fixées par la loi organique.

Suivant les dispositions de l'ordonnance organique n° 58-1271 du 22 décembre 1958, ces neuf membres comprennent :

- six magistrats, à savoir trois membres de la Cour de cassation, dont un avocat général, et trois magistrats du siège des cours et tribunaux, ces six membres étant choisis sur une liste établie par le bureau de la Cour de cassation et comportant pour chacune des catégories un nombre de noms triple du nombre de postes à pourvoir ;

- un conseiller d'Etat choisi sur une liste de trois noms établie par l'assemblée générale du Conseil d'Etat ;

- et deux personnalités n'appartenant pas à la magistrature et choisies à raison de leur compétence.

En matière de nominations, le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour les nominations de magistrats du siège à la Cour de cassation et pour celles de premier président de cour d'appel et donne son avis sur les propositions du ministre de la justice relatives aux nominations des autres magistrats du siège.

En matière disciplinaire, il statue comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation.

Les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont alors exclusivement limitées aux magistrats du siège.

Cependant, une commission de discipline du parquet est consultée sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet.

En outre, la loi organique du 23 février 1992 crée une commission consultative du parquet chargée de donner un avis sur les propositions de nominations à l'ensemble des emplois du parquet formulées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, à l'exception de l'emploi de procureur général près la Cour de cassation et des emplois de procureur général près une cour d'appel.

C'est dans ce contexte juridique qu'intervient la révision constitutionnelle de 1993, adoptée à la suite des propositions établies par le Comité consultatif présidé par M. Georges Vedel.

Cette réforme a renforcé les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège et a étendu ses compétences aux magistrats du parquet, en instituant deux formations distinctes respectivement compétentes à l'égard de ces deux catégories de magistrats, afin de bien marquer la spécificité de leurs fonctions. Elle a en outre diversifié le mode de désignation de ses membres.

A. LES POUVOIRS DU CSM ONT ÉTÉ SUBSTANTIELLEMENT RENFORCÉS

1. Les prérogatives du CSM ont été accrues à l'égard des magistrats du siège

A l'initiative du Sénat, le pouvoir de proposition dont disposait déjà le Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège de la Cour de cassation et des premiers présidents des cours d'appel a été étendu par la réforme de 1993 aux présidents des tribunaux de grande instance .

Ces chefs de juridiction, ainsi que les magistrats du siège de la Cour de cassation, sont donc nommés par le Président de la République sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature dont la formation compétente est chargée d'opérer un choix entre les candidatures à l'un de ces postes afin d'arrêter la proposition qu'elle soumet au Président de la République.

S'agissant de la nomination des autres magistrats du siège, la réforme de 1993 a institué l'exigence d'un avis conforme (et non plus d'un avis simple) du Conseil supérieur de la magistrature sur les propositions arrêtées par le garde des Sceaux. Elle a ainsi consacré l'usage établi antérieurement, suivant lequel le garde des Sceaux ne passait pas outre un avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature, mais dont le Conseil constitutionnel avait refusé de valider l'inscription dans la loi organique votée par le Parlement en février 1992 4( * ) .

Pour les nominations de cette très grande majorité des magistrats du siège, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature donne donc un avis sur la proposition du ministre de la justice qui lui est transmise avec la liste des candidats pour chacun des postes concernés. Dans la pratique, les avis défavorables, qui doivent donner lieu à une nouvelle proposition du ministre de la justice, sont très peu nombreux (soit 1,75 % seulement des avis rendus entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998).

2. Le champ des compétences du CSM a été étendu aux magistrats du parquet

Jusqu'à la révision constitutionnelle de 1993, les compétences du Conseil supérieur de la magistrature avaient toujours été exclusivement limitées aux magistrats du siège.

C'est à l'initiative du Sénat que le champ de ces compétences a été étendu aux magistrats du parquet par la réforme de 1993.

En effet, le Sénat avait alors souhaité tirer les conséquences du principe de l'unicité de la magistrature en confiant au Conseil supérieur de la magistrature les missions dévolues à la commission consultative du parquet créée en 1992, qui jouait un rôle consultatif en matière de nominations des magistrats du parquet, à l'exception de celles des procureurs généraux.

Compte tenu de l'organisation hiérarchisée du parquet et des pouvoirs du garde des Sceaux en matière d'action publique, il avait cependant jugé nécessaire d'une part, que les pouvoirs conférés au Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet soient purement consultatifs et d'autre part, qu'ils soient exercés par une formation de ce Conseil adaptée à la nature spécifique des fonctions exercées par les magistrats du parquet, comme on le verra plus loin.

Depuis cette réforme, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature émet donc un avis sur les propositions du garde des Sceaux pour les nominations des magistrats du parquet, à l'exception toutefois des " emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres " (c'est-à-dire les 36 emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d'appel).

Cet avis ne lie pas la décision de l'autorité de nomination. Cependant, la proportion d'avis défavorables est restée faible depuis la mise en oeuvre de la réforme, quoiqu'un peu plus élevée que pour les magistrats du siège (soit environ 3 % d'avis défavorables seulement), et celle des avis défavorables non pris en compte a été encore plus faible.

Ainsi, alors que les avis avaient toujours été suivis par le garde des Sceaux jusque là, on a dénombré 8 avis non suivis entre le 1er juillet 1995 et le 31 décembre 1996 (sur 21 avis défavorables au total).

Mme Elisabeth Guigou, actuel garde des Sceaux, s'est pour sa part engagée à ne jamais passer outre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, la révision constitutionnelle de 1993, toujours à l'initiative du Sénat, a également étendu le champ des compétences du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire aux magistrats du parquet, mais seulement à titre consultatif, comme pour les nominations.

Depuis cette réforme, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, alors réunie sous la présidence du procureur général près la Cour de cassation, donne donc son avis sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet ; elle s'est en effet substituée dans ce rôle à l'ancienne commission de discipline du parquet.

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