B. LE PROJET DE LOI : LE RETOUR DE LA TRANSACTION EN MATIÈRE PÉNALE
Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet principal d'améliorer le fonctionnement des alternatives aux poursuites, qui s'apparentent en fait davantage à des alternatives aux classements, et de proposer de compléter les possibilités actuelles par l'introduction d'une compensation judiciaire qui, sous d'autres noms, a déjà connu une histoire mouvementée.
1. Codifier les alternatives aux poursuites
Le
projet de loi a tout d'abord pour objet d'inscrire dans la loi les alternatives
aux poursuites utilisées depuis plusieurs années
déjà par les parquets. D'ores et déjà, la
médiation pénale a été consacrée par le
législateur dans l'article 41 du code de procédure pénale.
Le projet de loi tend à formaliser d'autres pratiques :
- le rappel à la loi ;
- l'orientation vers une institution sanitaire, sociale ou professionnelle ;
- la régularisation par l'auteur des faits de sa situation au regard de
la loi ou des règlements ;
- la réparation du dommage causé.
L'inscription dans la loi de ces possibilités déjà
très bien connues des parquets permettrait de prévoir que la mise
en oeuvre de ces différentes procédures suspend la prescription
de l'action publique, dont le Gouvernement estime qu'elle
peut être un
frein à l'utilisation de ces pratiques, la marge du procureur pouvant se
trouver réduite en cas d'échec des mesures.
2. La compensation judiciaire ou le retour de la transaction
La
disposition la plus importante du projet de loi est incontestablement celle qui
concerne la compensation judiciaire, nouvel avatar de ce qui s'appela
successivement transaction pénale, composition pénale, injonction
pénale avant d'être censuré par le Conseil constitutionnel,
compte tenu du pouvoir qu'il donnait au procureur de mettre en oeuvre des
mesures restrictives de liberté.
En 1994, lorsque M. Pierre Méhaignerie, alors Garde des Sceaux, proposa
d'instituer une possibilité de transaction en matière
pénale, cette suggestion rencontra un grand nombre d'oppositions.
Actuellement, la transaction n'est qu'un mode très exceptionnel
d'extinction de l'action publique. L'article 6 du code de procédure
pénale prévoit que l'action publique peut s'éteindre par
transaction "
lorsque la loi en dispose expressément
"
;
il en va notamment ainsi en matière fiscale (article L.248 à
L. 251 du livre des procédures fiscales) et douanière (article
350 du code des douanes)
ainsi qu'en matière de délits et
contraventions commis dans les bois et forêts soumis au régime
forestier (article L. 153-2 du code forestier), d'infractions
à la législation relative au transport aérien
(article L. 330-9 du code de l'aviation civile) et d'infractions aux
dispositions du code rural sur la pêche en eau douce
(article L. 238-1 du code rural). Les critiques formulées
à l'encontre de la transaction concernaient en particulier le sort de la
victime et le risque de porter atteinte à la force de la sanction
pénale en donnant le sentiment que l'impunité peut être
achetée.
Le Sénat et sa commission des Lois en particulier avait, pour sa part,
cherché à améliorer le dispositif proposé en
constatant qu'il était manifestement impossible de répondre
à la petite délinquance de masse dans le cadre de la
procédure pénale classique.
Le dispositif proposé aujourd'hui est très proche de l'injonction
pénale qui avait été adoptée en 1995 par les deux
assemblées. Il s'agit de
permettre au procureur de proposer une ou
plusieurs mesures à une personne majeure qui reconnaît avoir
commis certains délits ou contraventions limitativement
énumérés.
Les mesures en cause pourraient être le versement d'une indemnité
au Trésor public, le dessaisissement de la chose qui a servi ou
était destinée à commettre l'infraction, la remise pour
une durée limitée du permis de conduire ou du permis de chasse,
la réalisation d'un travail non rémunéré, enfin la
réparation des dommages causés à la victime lorsqu'elle
est identifiée.
Les mesures proposées devraient être acceptées par l'auteur
des faits. En cela, la compensation judiciaire revêt incontestablement un
caractère transactionnel. Si les mesures n'étaient pas
exécutées ou si l'auteur des faits ne donnait pas son accord, le
procureur de la République devrait apprécier la suite à
donner à la procédure. La prescription de l'action publique
serait suspendue entre la date de la proposition par le procureur et la date
d'expiration des délais impartis pour répondre à la
proposition.
L'exécution de la compensation éteindrait l'action
publique
, ce qui distingue cette procédure des autres alternatives
aux poursuites d'ores et déjà utilisées par les parquets.
En 1995, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à
la Constitution le dispositif de l'injonction pénale adopté par
le Parlement. Dans sa décision du 2 février 1995
1(
*
)
, le Conseil a estimé que le
dispositif de l'injonction pénale était contraire à la
Constitution en
" considérant que certaines mesures susceptibles
de faire l'objet d'une injonction pénale peuvent être de nature
à porter atteinte à la liberté individuelle ; que dans le
cas où elles sont prononcées par un tribunal, elles constituent
des sanctions pénales ; que le prononcé et l'exécution de
telles mesures même avec l'accord de la personne susceptible d'être
pénalement poursuivie, ne peuvent, s'agissant de la répression de
délits de droit commun, intervenir à la seule diligence d'une
autorité chargée de l'action publique mais requièrent la
décision d'une autorité de jugement (...) ".
Pour répondre à cette objection,
le Gouvernement propose que
la compensation judiciaire fasse l'objet d'une validation par le
président du tribunal.
Ce magistrat pourrait entendre l'auteur des
faits et la victime et serait même tenu de le faire à leur
demande. En l'absence de validation, la proposition de compensation judiciaire
deviendrait caduque.
Manifestement pour compenser l'alourdissement de la procédure
qu'entraînera cette validation, le Gouvernement a choisi de
présenter un dispositif moins précis que celui de 1995 en ce qui
concerne les formalités applicables au début de la
procédure (modalités de la proposition et de l'acceptation de la
compensation), afin de laisser une certaine souplesse au dispositif.
Le tableau ci-après établit la comparaison entre ces deux
dispositifs.
L'INJONCTION PÉNALE ET LA COMPENSATION
JUDICIAIRE
Tableau comparé
|
Injonction pénale 2( * ) |
Compensation judiciaire 3( * ) |
Infractions concernées |
- appels
téléphoniques mal-veillants (art. 222-16 du code
pénal) ;
|
Idem
+
violences ayant entraîné une incapacité totale de travail
pendant plus de huit jours (art. 222-11) ;
|
Conditions tenant à la personne poursuivie |
-
personne majeure ;
|
-
personne majeure ;
|
Mesures susceptibles d'être proposées |
-
versement au Trésor public d'une somme n'excédant
ni
50 000 F ni la moitié du maximum de la peine d'amende encourue
.
Prise en compte des circonstances de l'infraction, des ressources et des
charges de la personne concernée ;
|
-
versement d'une indemnité au Trésor public n'excédant pas
10 000 F
. Prise en compte de la gravité des faits ainsi
que des ressources et des charges de la personne.
Possibilité d'un
versement échelonné selon un échéancier fixé
par le procureur
, à l'intérieur d'une période maximale
de six mois ;
|
Procédure |
-
notification par le procureur de la République à la personne
concernée soit en la faisant comparaître devant lui, soit par
lettre recommandée, soit par officier ou agent de police judiciaire ;
|
-
compensation proposée par le procureur ;
|
Consé-quences du refus ou de l'inexécution des mesures proposées |
Le procureur de la République, sauf élément nouveau, exerce l'action publique. |
Le procureur de la République apprécie la suite à donner à la procédure. |
Consé-quences de l'exécution des mesures proposées |
-
extinction de l'action publique ;
|
-
extinction de l'action publique ;
|
Inscription des injonctions ou compen-sations |
- inscription à un registre national des injonctions pour 5 ans. Consultation par les seules autorités judiciaires |
Néant |