C. DES BESOINS QUI DEMEURENT
Les dernières statistiques connues sur
l'activité des juridictions confirment au niveau national, en moyenne,
les difficultés ressenties localement par les justiciables, à des
degrés divers selon les ressorts.
·
En matière civile
, la
durée moyenne de
traitement
des affaires reste très éloignée des
objectifs fixés par la loi de programme mais, sauf en appel, elle se
stabilise :
-
Cours d'appel
:
15,6 mois
en 1996, près d'un mois
de plus qu'en 1995 s'éloignant encore des 12 mois envisagés
par le plan pluriannuel ;
-
Tribunaux de grande instance
:
8,8 mois
, une
très légère amélioration par rapport à 1995
(8,9 mois), encore loin des six mois prévus par le plan
pluriannuel ;
-
Tribunaux d'instance
:
5 mois
(contre 5,1 mois
en 1995) au lieu des 3 mois fixés par le plan.
Ces chiffres justifient la priorité définie par le ministre en
faveur des cours d'appel pour la localisation des nouveaux emplois.
Toutefois, d'après les données provisoires connues pour 1996,
l'évolution des stocks et de la capacité de traitement conduit
à une reprise de l'accroissement de la durée de résorption
des stocks tant dans les cours d'appel que dans les juridictions de
première instance. Aucun gain de productivité ne pouvant
être attendu désormais à structure, procédure et
effectifs égaux, les besoins restent donc très importants en
juridiction.
Or,
les délais eux-mêmes ont un coût
pour les
justiciables d'ores et déjà et ils pourraient rapidement en avoir
un pour l'Etat. Le tribunal de grande instance de Paris vient en effet de
condamner l'Etat à verser 50 000 francs de
dommages-intérêts à un salarié qui, faisant appel
devant la Cour d'Aix-en-Provence d'une décision du Conseil des
prud'hommes de Grasse en matière de licenciement abusif avait appris que
son dossier ne pourrait être examiné que dans un délai de
40 mois (Tribunal de grande instance de Paris, 5 novembre 1997, Gauthier).
Le tribunal de grande instance de Paris a estimé que "
ce
délai anormal (...) révélateur d'un fonctionnement
défectueux du service de la justice, équivaut à un
déni de justice en ce qu'il prive le justiciable de la protection
juridictionnelle qu'il revient à l'Etat de lui assurer
".
·
En matière pénale
, le nombre des infractions
signalées (plaintes, dénonciations, procès-verbaux) est
stable
: 5.185.495, soit une baisse de 0,1 % selon les
données provisoires pour 1996.
La régulation du flux continue néanmoins largement à
être assurée par le
classement sans suite
qui avoisine
toujours les 80 % pour l'ensemble des affaires, tandis que le taux de
classement lorsque l'auteur est connu retombe à 50 % après
le pic constaté en 1995 (52,7 %). Si la part de ces classements qui
donnent lieu à une procédure alternative aux poursuites continue
à croître pour atteindre vraisemblablement, en 1996, 4,5 % au
lieu de 3,8 % en 1995, les classements purs et simples restent très
nombreux : 45,3 % des infractions dont l'auteur est connu en 1996.
Or, la capacité de croissance des procédures alternatives aux
poursuites paraît marquer le pas puisqu'après des taux de
progression d'un tiers en 1993 et 1994 (premières années
statistiques connues), elles n'ont progressé que de 20 % en 1995 et
de 8,8 % en 1996.
Quant au
délai
de réponse pénale pour les affaires
jugées, il baisse légèrement en moyenne pour les
délits (10,3 mois en 1995 au lieu de 11,3 mois en 1994) et les
contraventions (7,5 mois en 1995 au lieu de 9,2 mois en 1994) mais il
continue à augmenter pour les crimes (43,3 mois en 1995 au lieu de
41,5 mois en 1994)
8(
*
)
.
Ces données indiquent que malgré les efforts budgétaires
consentis ces dernières années
l'asphyxie des juridictions
demeure
.
Elle est en partie due aux délais de recrutement et de formation qui,
malgré la création et la localisation d'emplois au sein des
juridictions se traduisent par des
vacances
budgétaires
importantes, s'ajoutant aux vacances de " friction "
générées par la multiplication des mouvements de
personnels et aux vacances ponctuelles non intégralement
compensées par les magistrats ou greffiers placés (temps
partiels, congés-maladie, maternité et congés-formation).
Ainsi,
195 postes
budgétaires de
magistrats
étaient-ils vacants au 1er septembre 1997, soit 3,1 % de
l'effectif budgétaire avec des durées moyennes de vacance
estimées à 3 mois à la Cour de cassation et dans les
Cours d'appel et à 5 mois dans les tribunaux de grande instance.
150 vacances résulteraient des délais de recrutement et de
formation pour les postes créés au cours des trois
dernières années. En ce qui concerne les
fonctionnaires
,
les vacances d'emplois prévisibles au 31 décembre 1997
s'élèveraient à
361 emplois
, soit un taux de
1,88 %, plus de deux fois supérieur à celui de 1996.
Là encore, les gels et les délais de recrutement font ressentir
leurs effets.
Dans le même temps, le nombre des
magistrats placés
est
resté stable : 117 emplois budgétaires affectés
auprès des premiers présidents et des procureurs
généraux de Cour d'appel ou auprès des chefs de cours dans
des proportions variant de 0,35 % des effectifs à Paris à
6,06 % à Bastia.
Aucun des 30 emplois de magistrats créés en 1997 ne devrait
être localisé dans cette fonction " tournante " qui
permet de faire face aux urgences dans le cadre d'un ressort. Or, en
application de la loi organique portant statut de la magistrature, il serait
possible de porter le nombre des magistrats placés à
304 emplois (1/15ème du total des emplois des tribunaux de
première instance de chaque ressort de Cour d'appel).
Ces vacances, qui ne représentent, avec le mode de remplacement des
temps partiels et les problèmes spécifiques à certaines
régions jugées peu attractives, qu'une faible part des
difficultés liées aux effectifs insuffisants des juridictions,
cristallisent en revanche, lorsqu'elles se cumulent à des délais
qui confinent au déni de justice, l'insatisfaction des justiciables.
Celle-ci a été manifeste au cours de l'année 1997 au
travers des protestations organisées localement puis au niveau national
par de nombreux barreaux particulièrement lors de la journée du
jeudi 6 novembre.
Amorcées par les manifestations des ressorts de Pontoise, Rodez, Grasse,
Montpellier, Toulouse, Metz et Nancy, les grèves des avocats ont eu pour
objet d'attirer particulièrement l'attention sur les retards
constatés dans certaines juridictions où, comme l'avait
souligné en son temps la mission d'information sur les moyens de la
justice, des appels peuvent attendre jusqu'à 4 ans pour être
jugés tandis que certains jugements ne peuvent être
dactylographiés -donc notifiés ou signifiés- faute de
personnels dans les greffes, ainsi que sur le mauvais état des locaux de
certaines juridictions (un indispensable programme de mise aux normes de
sécurité est prévu pour répondre aux nombreuses
observations des commissions de sécurité).
Le paradoxe est en outre que, du point de vue du justiciable, la justice
apparaît à la fois lente (délais d'audiencement) et
expéditive (passage à l'audience en quelques minutes).
Compte tenu des besoins existants et des réformes annoncées,
Madame le Garde des Sceaux a conclu sa communication au Conseil des ministres
du 29 octobre 1997 en affirmant la nécessité qu' "
un
effort budgétaire significatif (soit) consenti en faveur de la justice
au cours des prochaines années
".
Elle a par ailleurs annoncé un recrutement exceptionnel de magistrats
pour accélérer l'affectation effective dans les juridictions des
nouveaux emplois créés (156 recrutements, dont 100 par
concours exceptionnels " pyramidés ", s'ajouteront aux 154
postes offerts aux concours de l'ENM,).
L'ENM bénéficiera au demeurant de crédits accrus en 1998
(+ 9,66 %).
La répartition des 70 emplois de magistrats créés en
1998 souligne la priorité donnée aux besoins les plus
marquants : 30 emplois seront localisés dans les cours d'appel
(dont 18 conseillers en service extraordinaire)
9(
*
)
; 40 dans les tribunaux de
grande instance dont 10 juges des enfants, 10 substituts,
5 juges de l'application des peines et 5 juges d'instance.
De même pour les greffiers et fonctionnaires de catégorie C
des procédures exceptionnelles permettront de multiplier par deux les
recrutements.
Au regard des objectifs de la
loi de programme de 1995
,
l'étalement opéré en 1997 est en partie rattrapé
par le projet de budget pour 1998. Ainsi, fin 1998, les taux d'exécution
devraient être les suivants :
|
Autorisations de programme |
Créations d'emplois |
|
|
en tenant compte
|
Magistrats |
Fonctionnaires |
Juridictions judiciaires |
79 % |
73 % |
59 % |
Juridictions administratives |
79 % |
75 % |
75 % |
En revanche, les crédits de paiement présentent, notamment pour les services judiciaires un certain retard sans toutefois, selon la Chancellerie, entraver la réalisation des opérations les plus urgentes.