3. Une iconothèque documentaire

Le troisième volet concerne la création d'une iconothèque documentaire (photothèque et informatique).

Le travail de l'historien de l'art ne se conçoit pas en effet sans un recours très fréquent à des rapprochements d'images ni, comme toute recherche historique, sans collecte de documents et de sources écrites de nature très variée. Or, en France, les organismes regroupant de tels instruments de travail font gravement défaut. Une des raisons fondamentales de la création de l'Institut national d'histoire de l'art est la nécessité de fournir aux chercheurs la documentation scientifique actuellement dispersée ou inexistante.

Si l'on peut espérer que le regroupement des quatre bibliothèques fournira une base solide pour les imprimés et les périodiques spécialisés, tout ou presque reste à faire pour créer une iconothèque digne des documentations photographiques qui existent à Florence, Rome, Londres, La Haye, Munich, Washington ou Los Angeles. Cette iconothèque, installée dans le quadrilatère Richelieu, comprendra des photothèques, des banques de données et des documentations thématiques.

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Le 13 décembre prochain, vont être inaugurés les nouveaux bâtiments de la fondation Getty à Los Angeles. Cet événement doit être l'occasion de mesurer l'enjeu de culture, de prestige, mais aussi de pouvoir que constitue un centre de recherche en histoire de l'art . Vu d'Europe, le " Getty ", comme on a pris l'habitude de le désigner familièrement, est considéré comme un musée. Or cette institution d'une puissance financière considérable - sa dotation est de l'ordre de 3,7 milliards de dollars et son budget annuel supérieur à 130 millions de francs ; son nouveau centre construit par l'architecte Richard Meier, va coûter environ un milliard de dollars - met actuellement moins l'accent sur l'enrichissement de son musée que sur la création d'un centre de recherche.

Ce qui compte pour les dirigeants du trust, et la construction du nouveau centre de Brentwood en est la preuve, c'est avant tout de constituer le pôle dominant de la connaissance dans le domaine de l'histoire de l'art et plus généralement des " humanités " aux États-Unis et sans doute dans le monde.

Issue de la volonté d'un homme, plutôt fantasque, le trust est aujourd'hui gérée comme une organisation. L'esprit initial tourné vers l'objet, l'histoire de l'art stricto sensu et les humanités classiques, a laissé la place à une conception moins élitiste où l'analyse du contexte a tendance à prendre le pas sur l'étude de l'œuvre en elle même.

La fondation Getty ne fonctionne pas comme un centre de recherche classique avec une certaine continuité dans les programmes. Le centre a l'ambition d'être un carrefour, un lieu de rencontre entre chercheurs intellectuels de tous les pays, systématisant la technique du brassage des hommes comme des idées autour de thèmes fédérateurs hétérogènes 11( * ) . Développant des programmes de stages sur place mais aussi des bourses non résidentes, la fondation Getty met actuellement l'accent sur les pays du Tiers Monde et surtout des pays de l'Est qui bénéficient d'un programme spécifique. Il constitue à cet égard une concurrence redoutable sur plan du rayonnement international pour le futur Institut d'art de la rue Vivienne.

Le pouvoir du " Getty " ne se mesure pas par les ouvrages ou les travaux de qualité dont il a pu favoriser la réalisation, mais dans sa capacité à rassembler l'élite intellectuelle mondiale, attirée, moins par le soleil californien, que par les conditions de travail incroyablement confortables offertes aux chercheurs invités , bureau, secrétariat

La fondation Getty est donc un concurrent redoutable sur le plan du rayonnent intellectuel ; mais il pourrait être également un partenaire.

D'une part, le trust, en s'efforçant de se constituer avec ses special collections, un fonds de documents rares ou uniques a pour ainsi dire lancé une course aux archives, créant un marché là où il n'existait pas, et amenant certaines personnes à vendre ce qu'elles auraient autrefois donné 12( * ) .

D'autre part, la France, coopère de façon fructueuse avec la Fondation Getty dans le cadre de deux programmes :

· La bibliographie d'histoire de l'art résulte de la fusion du répertoire d'art et d'archéologie - né d'une initiative de la fondation Doucet, aujourd'hui reprise par le CNRS - et du RILA ( Inernational Repertory of the litterature of art);

· Sous l'appellation de Provenance index figure un programme de recherche consistant à rassembler sous forme informatique, des informations actuellement éparses, relatives à l'histoire des oeuvres -principalement des tableaux- à travers le suivi des ventes ou des inventaires 13( * ) :

Il s'agit d'une entreprise d'envergure qui devrait à terme faire progresser l'histoire de l'art. Même si ce genre de programme ne peut tenir lieu de doctrine, car il ne s'agit que d'un outil, il devrait permettre de retracer le parcours des oeuvres d'une collection et, incidemment, de reconnaître des oeuvres ayant perdu leur identité, ce qui pourrait susciter de nombreuses réattributions. Une série d'institutions prestigieuses participe à ce projet tant aux Etats-Unis qu'en Europe. En principe, la France collabore, à travers la Bibliothèque du musée du Louvre, à ce projet. Mais pratiquement, faute de moyens et dans l'attente de la création du futur Institut national d'histoire de l'art, qui devrait gérer ce projet, ce programme ne semble pas avoir redémarré.

Mais dans l'un comme l'autre des ces projets, il faut être en mesure de " suivre " financièrement à peine de passer du statut de partenaire à celui de sous-traitant . Or, c'est bien ce qui pourrait arriver pour les deux programmes évoqués plus haut. Le risque est particulièrement important pour la BHA, alors que la France a considérablement investi, depuis maintenant près d'un siècle, dans cet outil jugé fondamental par les historiens d'art. Dans ce type de joint venture, il faut pouvoir suivre les augmentations de capital ou se résigner à devenir minoritaire.

La demi-douzaine de personnes affectées à ce projet dans le cadre de l'Institut de l'information scientifique et technique (INIST), et basées à Nancy, ne constituent pas une équipe suffisamment étoffée - les Américains sont trois ou quatre fois plus nombreux - pour prétendre couvrir les secteurs de compétence actuels de la France et, notamment, les pays d'Europe de l'Est. Si certains pays couverts veulent devenir autonomes, la France risque de se retrouver comme simple analyseur de son domaine propre . Déjà, faute de moyens, le système de gestion de la base de données, au départ français, est désormais de conception américaine . Il ne faudrait pas que la recherche d'économies budgétaires à Court terme fasse perdre à la France son statut d'associé et la fasse passer du statut de co-traitant à celui de sous-traitant, dépréciant ainsi le capital de savoir et de compétences accumulé avec le Répertoire d'art et d'archéologie.

La question de la participation de la France au Provenance index n'est pas de même nature. Il s'agit là d'un projet relativement récent et à très longue échéance, dont l'initiative revient à la fondation Getty. Actuellement, la participation française est, semble-t-il, suspendue de fait jusqu'à ce que les opérations de dépouillement des catalogues puissent être effectuées dans le cadre du nouvel Institut national d'histoire de l'art. Il y a là une situation, qui si elle se prolongeait, non seulement retarderait l'ensemble du programme mais encore rendrait le poids de la France marginal dans un projet capital pour l'histoire de l'art et risquerait de faire traiter à l'extérieur une part des sources relatives à l'art français.

Compte tenu de la modicité des moyens nécessaires, il ne devrait pas être très difficile de rattraper le retard et même d'aller au-delà. Ne pas participer, attendre que les autres fassent le travail à notre place, ce n'est pas seulement dépendre des autres pour la connaissance de son passé : c'est aussi manquer une occasion de conforter, à relativement peu de frais, le rôle du nouvel Institut. Au moment où l'on cherche à conserver à Paris une place significative sur le marché mondial de l'art, l'investissement que constituerait une base sur le marché de l'art en France -depuis le XVIIIème siècle et pas simplement depuis le XIXème siècle- serait d'un coût modéré par rapport aux dépenses à engager. L'importance du patrimoine artistique national, le rôle historique des collections françaises, les ambitions affichées aujourd'hui en matière d'histoire de l'art devraient nous inciter à ne pas nous contenter d'une participation minimale - pourquoi pas avec des emplois - jeunes - et nous conduire à proposer une relance du projet sur la base, le cas échéant, d'un partenariat plus équilibré.

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