III. LE PROGRAMME 380 : LE FONDS VERT, HISTOIRE D'UNE DISPARITION PROGRAMMÉE
A. LE FONDS VERT VOIT SES AUTORISATIONS D'ENGAGEMENT ÊTRE RÉDUITES DE PLUS DE MOITIÉ
1. Le fonds vert sera fusionné avec la DSIL et la DETR
Le programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires » est un programme de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » depuis la loi de finances initiale pour 2023. La création du programme, mieux connu comme le « Fonds vert », a été annoncée le 27 août 2022, et il a été placé sous la responsabilité de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature.
Le programme a pour objectif de financer les projets des collectivités territoriales en lien avec la transition écologique, et il est composé des trois actions suivantes.
L'action 01 « Performance environnementale » a vocation à financer la rénovation des bâtiments publics des collectivités territoriales, le soutien au tri à la source et à la valorisation des déchets, et la rénovation des parcs de luminaires d'éclairage publique.
L'action 02 « Adaptation des territoires au changement climatique » vise surtout à financer des politiques de prévention des risques. Elle comprend la lutte contre l'érosion côtière, la prévention des incendies, le renforcement de la protection contre les vents cycloniques, la prévention des inondations et l'appui aux collectivités de montagne soumises à des risques émergents (crues, avalanches, chutes de blocs). Elle doit également financer des politiques de renaturation des villes.
Enfin, l'action 03 « Amélioration du cadre de vie » comprend des politiques de natures diverses. Elle doit permettre l'accompagnement du déploiement de zones à faibles émissions mobilité, de prendre des mesures de reconquête des friches, de favoriser la restructuration des locaux d'activité, et encourager le développer de l'industrie sur les territoires.
Pour 2025, le fonds vert est doté de 1 milliard d'euros en AE et de 1,143 milliard d'euros en CP, ce qui représente une baisse de 60 % en AE et une hausse de 1,7 % en CP.
Évolution des crédits du programme 380 entre 2024 et 2025
(en millions d'euros)
Programme 380 - Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires |
LFI 2024 |
LFI 2024 après annulations |
PLF pour 2025 |
Évolution PLF 2025/ LFI 2024 |
||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Action 01 - Performance environnementale |
1 209 |
488,5 |
972,3 |
355 |
500 |
569,3 |
- 58,6 % |
+ 16,5 % |
Action 02 - Adaptation des territoires au changement climatique |
425 |
199 |
492,7 |
111,1 |
200 |
230,5 |
- 52,9 % |
+ 15,8 % |
Action 03 - Amélioration du cadre de vie |
865 |
436,4 |
534 |
228 |
300 |
343,1 |
- 65,3 % |
- 21,8 % |
Total |
2 499 |
1 124 |
1 999 |
694 |
1 000 |
1 142,9 |
- 60 % |
+ 1,7 % |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
L'effondrement des autorisations d'engagement du programme est l'illustration des fragilités structurelles du fonds vert, que le rapporteur spécial a régulièrement dénoncées. Le fonds vert était initialement présenté comme « à la main des collectivités territoriales », mais il est en réalité devenu une variable d'ajustement des politiques environnementales de l'État.
Le décret d'annulation de février 2024 avait déjà coupé 500 millions d'euros en AE et plus d'un tiers (38,2 %) des CP du fonds vert, sachant que les deux tiers des crédits restants ont été mis en réserve. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 annule 400 millions d'euros en AE et 65 millions d'euros en CP sur le programme.
L'attribution de 1,143 milliard d'euros en CP pour 2025, soit un montant supérieur à celui inscrit dans la loi de finances initiale pour 2024, pourrait donner l'illusion d'une « stabilisation » du fonds vert. En réalité, ces crédits viennent principalement financer des projets qui ont déjà été engagés les années précédentes.
En outre, un amendement que le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale prévoit une diminution de 216 millions d'euros des CP du fonds vert pour 202526(*), pour atteindre un montant de 926,9 millions d'euros. Au regard des autorisations d'engagement consommés les années précédentes (917,5 millions d'euros pour 2024 au 1er août, et 2 milliards d'euros en 2023), il est vraisemblable que le fonds vert ne puisse pratiquement plus prendre aucun nouveau projet en 2025. Ces variations extrêmes sont particulièrement dommageables pour la conduite des politiques de transition écologique par les collectivités territoriales. Ce sont des investissements qui supposent de se placer dans le temps long, et qui nécessitent donc de la prévisibilité. En effet, avant même de formuler leurs demandes, les collectivités territoriales doivent identifier leurs besoins et élaborer les dossiers.
La situation actuelle des finances publiques nécessite de réaliser des économies, et il n'est pas question de remettre en cause cette exigence, mais la progression du fonds vert aurait dû être davantage lissée les années précédentes, afin d'éviter le mouvement de « Stop and Go » auquel nous faisons face aujourd'hui.
Une question s'impose alors : quel est l'avenir du fonds vert ? D'après les informations obtenues par le rapporteur spécial, des réflexions sont en cours pour fusionner le fonds vert avec la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Il serait donc désormais rattaché à la mission « Relations avec les collectivités territoriales », et les collectivités pourraient s'adresser à un guichet unique pour bénéficier de l'une de ces aides.
Dans la pratique, il arrive déjà que des dossiers déposés au titre du fonds vert soient basculés sur la DSIL et la DETR, et l'inverse a également été constaté. Il y a bien entendu des erreurs d'aiguillages, mais ces transferts sont également motivés par la disponibilité ou non des crédits sur les différentes enveloppes.
La fusion du fonds vert avec la DSIL et la DETR aura le mérite de simplifier la procédure de demande pour les collectivités territoriales. En effet, à l'heure actuelle, les collectivités territoriales doivent déposer trois fois le même dossier pour obtenir des subventions pour des projets similaires. L'administration confirmait ainsi l'année dernière que : « Le retour d'expérience réalisé à l'automne avec des porteurs de projets et des services instructeurs a permis d'identifier la simplification du processus d'instruction comme une attente majeure de la part des acteurs concernés par le fonds vert. »
Cette évolution interroge toutefois sur la nature du fonds vert. Lors de sa mise en place, il était présenté comme une nouvelle voie de financement des investissements de transition écologique des collectivités territoriales, plus favorable et plus souple que les dotations existantes. Il s'est en réalité avéré n'être qu'une enveloppe de plus gérée par les services préfectoraux, dont les moyens ne sont pas déterminés par les besoins des collectivités territoriales, mais par les priorités politiques de l'État central.
Certaines mesures ont d'ailleurs été ajoutées au fonds vert - comme le financement des « territoires d'industrie » - alors qu'elles n'ont qu'un rapport indirect avec la transition écologique.
D'autres mesures, comme l'adaptation au changement climatique, auraient pu être intégrées au programme 181 « prévention des risques », dans la mesure où elles s'intègrent à des politiques existantes. Par exemple, 72 % des dossiers acceptées en matière de prévention des inondations concernent le renforcement des aides apportées par les PAPI. La politique de valorisation des déchets est également en ligne droite des politiques déjà menées par l'ADEME dans le cadre du fonds « Économie circulaire ».
Cette diversité des politiques financées - qui met à mal le principe de spécialité budgétaire - est un héritage du plan de relance, dont la majorité des mesures du fonds vert sont issues.
Recoupement des politiques menées au
sein
du programme 380 et du programme 362 (Plan de relance)
Programme 380 |
Programme 362 |
Rénovation thermique des bâtiments publics |
Sous-action consacrée à la rénovation des bâtiments publics des collectivités au sein de l'action 01 « Rénovation énergétique » |
Reconquête des friches |
« fonds friche » dans la sous-action « Densification et renouvellement urbain » au sein de l'action 02 |
Appui à la Stratégie nationale biodiversité 2030 |
Politiques en faveur de la biodiversité dans la sous-action « Biodiversité, prévention des risques et résilience » au sein de l'action 02 |
Restructuration des locaux d'activité |
Fonds de restructuration des locaux d'activité au sein de l'action 02 |
Recul du trait de côte et renforcement de la protection des bâtiments des collectivités d'outre-mer contre les vents cycloniques |
Lutte contre l'érosion du littoral, gestion du trait de côte, et renforcement des bâtiments publics au risque cyclonique au sein de l'action 02 |
Soutien au tri à la source et valorisation des biodéchets |
Sous-action consacrée au développement du tri et à la valorisation des déchets au sein de l'action 04 |
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
L'absence de chiffrage des mesures du fonds vert pour 2025
Tout comme les années précédentes, la répartition prévisionnelle des crédits entre les différentes mesures du Fonds vert n'est pas détaillée dans les documents budgétaires. La justification donnée est à nouveau que le fonds vert est censé s'adapter aux besoins des territoires, et que préciser la répartition des financements aurait pour conséquence de limiter le choix des collectivités territoriales dans les politiques menées.
Cet argument n'est pas recevable, car il s'agit d'une simple mesure de bonne gestion budgétaire, et d'un préalable indispensable pour que le Parlement puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur les crédits du programme 380. Le fonds vert peut bien entendu connaître des évolutions importantes lors de l'exécution, mais cela n'est pas un obstacle à la réalisation de prévisions indicatives.
La lisibilité budgétaire ne doit pas être négligée. Elle est indispensable pour que les parlementaires puissent évaluer la destination et la progression des crédits chaque année lors de l'examen du projet de loi de finances.
Source : commission des finances
En tout état de cause, il importe de faire enfin confiance aux collectivités territoriales dans la détermination de leurs investissements en matière de transition écologique.
Pour cette raison, le rapporteur spécial avait proposé la création d'un « fonds territorial climat », qui a été adopté de manière transpartisane par le Sénat en séance public lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024. Le Gouvernement s'était ensuite engagé à le mettre en oeuvre, et une circulaire du 28 décembre a prévu qu'une part du fonds vert serait déployée en cours d'année pour accompagner la mise en oeuvre des « plan climat-énergie territoriaux » (PCAET).
Le fonds territorial climat avait en effet vocation à attribuer 200 millions d'euros du fonds vert directement aux intercommunalités ayant adopté un PCAET à raison de 4 euros par habitant27(*).
Cette ressource, dans la mesure où elle était connue d'avance, aurait été d'une plus grande efficacité que des crédits accordés via des appels à manifestation d'intérêt dans le cadre du fonds vert. La planification impose d'avoir en effet une vision de long terme sur le niveau des ressources disponibles, ce qui est impossible lorsque l'avenir des projets dépend d'une instruction menée par les services préfectoraux.
Interrogée sur le devenir du fonds territorial climat, l'administration a répondu que « les annulations puis les gels budgétaires n'ont pas permis de créer une part dédiée au sein du fonds vert mais l'identification des projets PCAET parmi les projets du fonds vert permet de souligner que les projets PCAET sont nombreux à solliciter et à bénéficier du fonds vert : 756 projets ont déjà reçu l'engagement d'un financement de l'État en 2024. » Ces projets, cependant, ont été financés par la procédure classique du fonds vert, alors que tout l'intérêt du fonds territorial était précisément que les crédits soient affectés directement aux intercommunalités.
Dans le cadre de la fusion du fonds vert avec la DSIL et la DETR, la mise en oeuvre du fonds territorial climat pourrait être facilitée. Le rapporteur spécial sera vigilant sur ce point.
2. Les collectivités territoriales doivent être davantage accompagnées dans l'ingénierie des dossiers
Charles Guené et Claude Raynal, dans leur rapport d'information sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales du 20 juillet 2022, pouvaient écrire qu'« il ressort des déplacements des rapporteurs spéciaux une insuffisante prise en compte des besoins des collectivités en termes d'ingénierie notamment préalablement au dépôt de leurs projets »28(*). Un constat similaire peut être dressé pour le programme 380.
Plusieurs mesures sont concernées par cette difficulté. D'après les auditions menées par le rapporteur spécial, les dossiers pour le fonds friche ne sont souvent pas d'une qualité suffisante pour engager les financements. Contrairement au plan de relance, la politique de rénovation énergétique des bâtiments publics requiert désormais une étude préalable des économies d'énergie prévues. Si cette étude permet de mieux évaluer l'efficacité de cette politique, elle crée des besoins en ingénierie supplémentaires pour les collectivités territoriales. Dans les réponses au questionnaire budgétaire, l'administration reconnaît d'ailleurs cette difficulté : « Au-delà des aspects financiers, les collectivités souhaitant réaliser des investissements de rénovation énergétique de leur parc peuvent se heurter à des difficultés d'accès à l'ingénierie, surtout les plus petites qui n'ont pas de compétences en interne. »
Le risque est que les élus et les préfets privilégient les mesures les moins exigeantes au niveau des études préalables, au détriment des politiques plus structurantes. Ce n'est pas le cas de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, qui concentre une part importante des dossiers, compte tenu des besoins très forts des collectivités en la matière. En revanche, la politique de soutien au tri à la source et à la valorisation des biodéchets, de recyclage foncier et de restructuration des locaux d'activité pâtissent de cette complexité. Des projets plus légers sur le plan technique, comme la rénovation de l'éclairage public, bénéficiaient du report des dossiers.
Il faut néanmoins reconnaître que le fonds vert comprend des mesures d'aide à l'ingénierie. Des prestations d'ingénierie peuvent être financées par le fonds, et des partenariats avec la Banque des territoires sont possibles. L'administration indique également que la montée en puissance du programme « Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique » (ACTEE) devrait permettre de résoudre une partie des difficultés concernant les études thermiques préalables pour la rénovation des bâtiments publics.
Toutefois, d'une manière générale, les difficultés d'ingénierie des petites collectivités territoriales auraient davantage dû être anticipées. C'est une problématique qui est en effet est connue depuis longtemps, à travers les retours d'expérience des dotations d'investissement, comme le montre le rapport précité.
* 26 Les AE demeureraient inchangées.
* 27 Le dispositif devait être applicable à la métropole de Lyon, et le périmètre de la métropole du Grand Paris, les fonds étaient prévus pour être versés aux établissements publics territoriaux.
* 28 Rapport d'information n° 806 (2021-2022) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales, Charles Guené et Claude Raynal, 22 juillet 2022, page 28.