C. LES DÉPENSES DE L'ADEME PEUVENT ÊTRE RATIONALISÉES
1. Une subvention et un plafond d'emploi en hausse, à rebours des exigences de rationalisation des dépenses publiques
La loi de finances initiale pour 2018 a opéré une rebudgétisation totale du financement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui prend également le nom d'« Agence de la transition écologique ». L'Agence était auparavant financée par l'attribution du produit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), emportant la création d'une nouvelle action (action 12 « ADEME ») sur le programme 181.
L'ADEME mène des politiques de natures diverses. Elle poursuit notamment des actions dans la mise en oeuvre des objectifs nationaux en matière de chaleur renouvelable, d'économie circulaire, de mobilité durable, d'amélioration de la qualité de l'air, de la résorption des décharges littorales et de la reconversion des friches polluées, d'accompagnement des entreprises et des territoires, et enfin d'adaptation au changement climatique.
Une subvention de 908 millions en AE et en CP est inscrite sur l'action 12 pour l'année 2025, soit une augmentation de 29 millions d'euros (+ 3,3 %) par rapport à la dotation retenue en 2024.
L'action de l'ADEME est toutefois déterminée par son budget d'intervention propre (« budget incitatif »), qui est fixé par son Conseil d'administration. Les sources de financement du budget incitatif vont au-delà de la SCP, pour inclure les fonds propres de l'agence.
Le montant du budget notifié à l'ADEME s'élève à 900 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 35 % par rapport à 2024 (1,4 milliard d'euros). Il est inférieur à celui de la SCP car celle-ci aura notamment vocation à réaliser les paiements programmés en 2025 sur ses engagements passés, sur son fonctionnement et sur les premiers paiements liés aux engagements 2025. Les économies sur le budget incitatif porteront principalement sur le fonds chaleur (voir infra).
Il n'en reste pas moins que la subvention pour charges de service public de l'ADEME a fortement progressé sur les dernières années, passant de 551,6 millions d'euros à 909 millions d'euros, ce qui représente une progression de 65,5 %.
Une partie de la hausse très importante enregistrée entre 2023 et 2024 devait permettre de compenser la fin des financements issus du plan de relance19(*). Toutefois, les financements « relance » étaient censés être temporaires, mais, comme de nombreuses autres mesures, ils se poursuivent au-delà de l'échéance initiale du plan.
Le plafond d'emploi de l'ADEME augmente de 35 ETPT entre la LFI pour 2024 et le PLF pour 2025, passant de 1 065 ETPT à 1 100 ETPT, sachant que deux emplois ont été octroyés au cours de l'exercice 202420(*).
Évolution de la subvention à l'ADEME entre 2020 et 2025
Source : commission des finances
Cette progression du plafond d'emploi de l'ADEME fait suite à plusieurs augmentations successives sur les dernières années, si bien que depuis 2020 l'Agence a gagné 242 ETPT, soit une augmentation de 28 % de ses effectifs. Les évolutions les plus notables sont les suivantes :
- en 2022, 65 ETPT ont été octroyés en cours d'année afin de mettre en oeuvre les mesures du plan France Relance ;
- en 2023, le plafond d'emploi a été rehaussé de 90 ETPT pour inclure les 65 ETPT susmentionnés, et 25 ETPT supplémentaires ont été accordés pour pérenniser certains des moyens humains en intérim en 2022 traitant de France 2030 et d'autres activités techniques, comme celles consacrées par exemple à la supervision des filières REP ;
- en 2024, le plafond d'emploi a été rehaussé de 99 ETPT pour gérer l'extension du fonds chaleur21(*), certaines mesures du fonds vert, les dispositifs France 2030, et un renforcement des missions de l'ADEME dans certains domaines, comme la mise en place du bonus-malus par modèle de véhicule ;
- en 2025, le plafond d'emploi a été rehaussé de 35 ETPT pour couvrir des postes actuellement pourvus par des intérimaires sur des dispositifs pérennisés.
L'ADEME et le plan « France 2030 »
L'ADEME a été désignée par l'État comme opérateur de France 2030, et elle est dotée à ce titre d'un budget d'environ 9 milliards d'euros pour une durée de cinq ans. L'objectif est que l'ADEME bénéficie d'un champ d'action large sur l'ensemble de la chaine de la transition écologique, du soutien aux innovations de rupture jusqu'à la massification et l'industrialisation de solutions disposant d'une maturité suffisante.
Dans ce cadre, trois appels à projets notamment sont déjà ouverts et opérés par l'ADEME :
- le « développement de briques technologiques et démonstrateurs pour les systèmes énergétiques », qui a pour objectif de promouvoir le développement de technologie et d'actions de démonstration de grande ampleur dans les domaines du photovoltaïque, de l'éolien flottant et des réseaux énergétiques ;
- le « développement de briques technologiques par des PME pour les systèmes énergétique », qui vise à soutenir les PME dans un objectif de structuration des filières de production des énergies renouvelables ;
- l'« aide à l'investissement de l'offre industrielle des énergies renouvelables », qui vise à développer les capacités industrielles dans les énergies renouvelables en accompagnant l'industrialisation de la production et l'assemblage des composants.
Source : commission des finances
Comme la progression de la subvention pour charges de service public, il apparaît qu'un certain nombre de ces ETPT correspondent à des missions qui devaient à l'origine être temporaires, mais qui ont finalement été pérennisés.
Or, l'Inspection générale des finances (IGF), dans une revue de dépenses d'avril 2023 consacrées aux aides à la transition écologique, relève que les trois-quarts des dispositifs d'aide de l'Ademe n'ont pas fait l'objet d'évaluations : « L'évaluation des dispositifs d'aide à la transition écologique et énergétique apparaît, en l'état, lacunaire. L'Ademe, pour sa part, dispose de quatre principaux indicateurs de suivi et d'impact. Sur les 114 dispositifs identifiés par la mission, 28 soit environ un quart ont fait l'objet d'évaluations, dont 17 en MWh d'énergie renouvelable produits, 19 en termes de tonnes de CO2 évitées, 1 selon le nombre de points de collecte soutenus et 10 en fonction du tonnage de matière recyclée. »22(*)
L'IGF précise ensuite qu'un grand nombre de dispositifs sont en réalité d'une ampleur limitée, et l'Inspection conclut que « le risque de redondance avec des dispositifs existants ne peut être exclu »1. Cette conclusion peut être étendue au-delà de la question des aides à la transition écologique.
Il ne s'agit pas en effet de remettre en cause le rôle de l'ADEME dans la distribution des aides à la transition écologique, dans la mesure où l'Agence dispose d'un rôle d'expertise reconnu, mais d'alerter plus généralement sur le risque que pose la multiplication des études et dispositifs expérimentaux. L'ADEME développe par exemple un outil de visualisation cartographique des risques, qui apparaît faire doublon avec des outils de l'État comme Géorisques.
D'autres programmes, tels que le fonds chaleur, ont une utilité avérée, mais il convient d'essayer de le gérer avec moins d'ETPT. À ce titre, l'ADEME conduit actuellement une évaluation externe du Fonds chaleur, portant en particulier sur l'efficacité et l'efficience du dispositif, et l'Agence précise qu'il « sera tenu compte de cette évaluation dans les réflexions sur les évolutions des modalités de gestion du fonds chaleur. »23(*)
Il convient également de se demander si certaines missions de l'ADEME ne pourraient pas être effectuées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). C'est le cas notamment du programme « démarches territoriales énergie / climat » qui consiste dans un accompagnement des collectivités dans leurs démarches territoriales par des programmes d'études, d'animation ou de communication.
Enfin, un certain nombre de publications et études de l'Ademe relatives à l'économie circulaire pourraient être directement financées par les filières REP.
Pour toutes ces raisons, le rapporteur présentera un amendement réduisant de 20 millions d'euros la subvention pour charge de service public de l'ADEME. Cet amendement ne vise pas à remettre en cause l'existence de l'Agence, mais constitue une incitation au recentrage de ses missions et à la rationalisation de ses dépenses de fonctionnement.
2. Les crédits du fonds chaleur diminuent fortement
Grâce au fonds « chaleur », l'ADEME soutient le développement des investissements de production et des réseaux de distribution de chaleur renouvelable, pour les besoins de l'habitat collectif, du tertiaire, de l'industrie et de l'agriculture.
Ce fonds finance deux types de projets : les installations de petite et moyenne taille, en complément d'autres aides (contrat de projets État-région par exemple) ; les installations biomasses de grande taille dans le secteur agricole et tertiaire, dans le cadre d'appels à projets nationaux annuels « Biomasse Chaleur Industrie Agriculture Tertiaire » (BIACT).
Les soutiens apportés par le fonds visent à atteindre les objectifs fixés tant par la loi que par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) d'avril 2020 :
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit que 38 % de la consommation finale de chaleur devra être d'origine renouvelable en 2030 et entend multiplier par cinq la quantité de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux de chaleur ;
- la PPE confirme cet engagement, avec un objectif d'augmentation de la consommation de chaleur renouvelable de 25 % en 2023 et de hausse de 40 % à 60 % en 2028 par rapport à 2016.
Entre 2009 et 2023, 4,28 milliards d'euros ont été engagés pour soutenir près de 8 500 opérations d'investissement. Il est estimé qu'ils ont généré un montant d'investissement de 14 milliards d'euros et une production de 45,4 TWh/an.
En mars 2022, dans le cadre du plan de résilience pour faire face aux conséquences de la crise en Ukraine, le fonds a été abondé de 152 millions d'euros supplémentaires pour atteindre 522 millions d'euros, et en 2023, un montant presque identique a été retenu. En 2024, le fonds chaleur a vu une nouvelle fois ses financements fortement augmenter : il gagne 300 millions d'euros, pour atteindre 820 millions d'euros.
Évolution des montants engagés par le fonds « chaleur » de l'ADEME
(en millions d'euros)
Fonds « chaleur » |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
168 |
263 |
249 |
231 |
206 |
165 |
216 |
213 |
197 |
259 |
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
||||
295 |
350 |
350 |
522 |
520 |
820 |
500 |
Note : les chiffres jusqu'en 2022 correspondent à l'exécution constatée du fonds chaleur, tandis que les chiffres pour 2023 et 2024 sont des prévisions.
Source : réponses au questionnaire budgétaire
Il était initialement prévu que le fonds chaleur connaisse une forte augmentation de ses crédits dans les années à venir. Dans la dernière trajectoire présentée par la direction générale de l'énergie et du climat dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, le fonds chaleur est censé atteindre 1,2 milliard d'euros en 2025, puis augmenter de 200 millions d'euros par an, jusqu'en 2029 où il progressera de 300 millions d'euros.
Trajectoire pluriannuelle prévisionnelle du fonds chaleur en 2024
(en millions d'euros)
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
1 200 |
1 400 |
1 600 |
1 800 |
2 000 |
2 300 |
Source : commission des finances
Pour 2025 toutefois, il est prévu que le fonds chaleur retombe à 500 millions d'euros. D'après les représentants de l'ADEME auditionnés par le rapporteur spécial, cette diminution de crédits conduirait à une « année blanche » du fonds chaleur, au sens où 2025 serait entièrement consacré au financement de projets déjà engagés, et qu'il serait impossible d'accepter de nouveaux projets. Ils estiment ainsi qu' « une réduction de 35 % du fonds chaleur (qui serait ramené à environ 500 millions d'euros) pourrait conduire à l'impossibilité de financer de nouveaux projets instruits et soutenus (l'enveloppe étant saturée par les 330 millions d'euros de projets reportés de 2024 à 2025 et les 170 millions d'euros de contrats pluriannuels déjà signés). »24(*)
Le fonds chaleur est un outil indispensable pour atteindre les objectifs fixés en termes de transition énergétique. Il convient de rester vigilant à ce que les baisses de crédits n'obèrent pas de manière trop importante ses capacités d'actions. C'est pourquoi le rapporteur spécial dépose un amendement de crédits visant à augmenter de 10 millions d'euros les CP pour 2025 et de 300 millions d'euros les AE. L'ADEME et le ministère ont indiqué que les règles de répartition des aides allaient être revues de manière à pouvoir continuer à soutenir le maximum de projets dans un contexte budgétaire contraint.
3. Les conséquences des économies sur le Fonds « économie circulaire » ne sont pas encore connues
Le Fonds « économie circulaire » vise à accompagner la politique des pouvoirs publics et à contribuer à l'atteinte des objectifs fixés par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, en réduisant significativement la part des déchets enfouis, en développant la réincorporation des matières recyclées, le recyclage, et en accompagnant la mise en oeuvre par les collectivités d'une tarification incitative. Il vise également à développer la méthanisation, ainsi que le soutien aux projets basés sur l'économie circulaire.
En 2023 et en 2024, 300 millions d'euros ont été consacrés au fonds « économie circulaire »25(*). Cette somme était en augmentation de 133 millions d'euros par rapport aux financements du fonds en 2022 par le budget incitatif de l'ADEME, mais elle venait surtout compenser la fin du plan de relance.
Il n'est pas encore déterminé dans quelle mesure les économies décidées pour 2025 sur le budget incitatif de l'ADEME auront des conséquences sur le montant du fonds économie circulaire.
Financements du fonds économie circulaire
(en millions d'euros)
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
|
Fonds Économie circulaire |
164,0 |
164,0 |
163,0 |
167,0 |
300 |
300 |
Plan de relance, volet économie circulaire |
- |
16,0 |
221,8 |
274 |
1,0 |
- |
Total |
164,0 |
180,0 |
384,8 |
431 |
301,0 |
300 |
Source : commission des finances
4. Un encadrement plus fort des « filière REP » est souhaitable
Ce fonds ne doit pas être confondu avec le bonus réparation, prévu par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). Le financement de ce dernier repose entièrement sur les contributions versées par les producteurs aux éco-organismes agréés par l'État, tels qu'Ecosystem ou Refashion, en accord avec le principe de responsabilité élargie du producteur (REP).
De la multiplicité des financements de l'économie circulaire nait une certaine illisibilité pour le citoyen. Par ailleurs, la décentralisation de cette politique par l'intermédiaire des éco-organismes peut nuire au déploiement des politiques publiques. Ainsi le ministère de la Transition écologique a prononcé vendredi 17 novembre 2023 une astreinte financière à l'encontre de l'éco-organisme Alcome, qui avait refusé de se conformer à la mise en demeure émise en juin 2023 par la direction générale de la prévention des risques de produire les éléments permettant de soutenir financièrement les collectivités territoriales.
Du fait d'un manque de ressources humaines, les contrôles de l'État sur les éco-organismes gestionnaires de REP sont peu nombreux. Pour autant, ces structures reçoivent des sommes significatives acquittées de manière obligatoire par les consommateurs. À titre d'exemple, ecosystem a perçu 263,3 millions d'euros nets d'éco-participation en 2023 et employait 169 collaborateurs. Malgré ces moyens financiers et humains importants, le rapporteur spécial a eu des retours selon lesquels l'éco-organisme ne répond pas aux consommateurs ni par voie électronique ni par voie postale.
* 19 En 2023, l'agence perçoit avait perçu 175 millions d'euros en CP par des crédits issus du plan de relance, sur le programme 362 « Écologie ». Le fonds de décarbonation de l'industrie est en tête des financements, avec 110 millions d'euros en CP, suivi par les mesures en faveur de la mobilité, pour un montant de 64,2 millions d'euros en CP.
* 20 Ces deux ETPT ont vocation à participer au développement d'éco-scores sur des équipements utilisés pour la transition écologique.
* 21 Lors des auditions du PLF pour 2024, les représentants de l'ADEME ont indiqué au rapporteur spécial qu'ils estiment que chaque tranche de 10 millions d'euros supplémentaires pour le fonds chaleur nécessite un ETPT de plus pour l'absorber.
* 22 Inspection générale des finances, « Revue des aides à la transition écologique », avril 2023.
* 23 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
* 24 Réponses de l'ADEME au questionnaire du rapporteur spécial.
* 25 Dont un million d'euro provenant de manière résiduelle du plan de relance.