B. DES OBJECTIFS PARFOIS PEU LISIBLES
1. Un projet déconcertant
Outre que la forme prise par le projet a évolué au fil du temps, les avant-projets qui ont circulé étaient beaucoup plus ambitieux ou - en tout cas - plus complets que le texte finalement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale.
La transformation de plusieurs dispositions envisagées en articles portant habilitation à légiférer par ordonnances a été perçue comme un témoignage supplémentaire de la volonté de réduire - artificiellement en l'espèce - la taille du texte, d'autant plus inexplicable que le délai mis à son élaboration était plus que suffisant pour établir les projets de modifications législatives correspondantes.
La teneur de l'étude d'impact du projet de loi constitue une preuve supplémentaire du défaut de méthode qui a présidé à l'élaboration du projet de loi : si le doublement du nombre d'articles lors de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale témoigne de la qualité des débats, il conduit à y inscrire plusieurs des dispositions initialement envisagées et ensuite écartées par le Gouvernement et qui, de ce fait, n'ont pas fait l'objet d'une véritable étude d'impact préalable.
2. Des objectifs destinés à masquer le manque d'ambition de la politique culturelle des dernières années
Le 17 mai 2015, intervenant en clôture d'un débat sur le droit d'auteur organisé dans le cadre du festival de Cannes, M. Manuel Valls, Premier ministre, a estimé que « cela a été une erreur au cours des deux premières années du quinquennat de François Hollande de baisser le budget de la culture ».
De fait, la loi de finances pour 2016 a marqué le début du rétablissement des moyens consacrés à la culture au sein du budget de l'État, même si la baisse concomitante des dotations aux collectivités territoriales les conduit à devoir faire des choix difficiles, y compris dans leur soutien à la culture, dont elles sont le premier financement.
En période de très forte contrainte budgétaire, la sanctuarisation des crédits promise pour l'avenir constitue un autre élément positif, bien qu'elle ne doive pas masquer les renoncements passés, à l'image du soutien à l'éducation artistique et culturelle : ainsi le début de rétablissement des crédits aux conservatoires laisse leur dotation très en deçà de ce qu'elle était en 2012.
Mais parce que la marge de manoeuvre budgétaire restera, quoi qu'il arrive, limitée, le Gouvernement avait encore davantage besoin de marquer, par des déclarations fortes, son attachement à la culture. D'où sa volonté d'inscrire dans la loi une liberté de création artistique, dont le contour parait fort difficile à établir précisément.
Comme le souligne l'étude d'impact « Cette reconnaissance par le législateur ne va pas modifier substantiellement l'état du droit dans la mesure où la liberté artistique a toujours été appréhendée par l'intermédiaire de la liberté d'expression qui peut se prévaloir d'un ancrage constitutionnel et constitue l'un des droits fondamentaux. La reconnaissance législative permettra toutefois de mettre pour la première fois en exergue la spécificité de la démarche artistique au sein de la liberté l'expression, ce qui pourra peut-être peser dans l'appréciation portée par le juge ».
« Peut-être peser » : chacun se fera son opinion sur la portée du travail du législateur !
En outre, si certaines formes d'expression artistique font l'objet de controverses, voire d'attaques, cette contestation, hélas parfois violente et conduisant à l'autocensure, n'est en rien nouvelle. La liste est longue des oeuvres refusées ou retirées du lieu pour lequel elles avaient été conçues, de la Mort de la Vierge du Caravage, en 1606, à Piss Christ de Andres Serrano, vandalisée en 2011.