B. LA JUSTIFICATION DES CRÉDITS AU PREMIER EURO
La justification au premier euro du programme 185, si elle a indéniablement progressé, manque encore parfois de clarté. La répartition des effectifs entre actions se révèle aujourd'hui difficile, sans que votre rapporteur spécial ait été en mesure de connaître précisément la répartition des effectifs finalement retenue pour l'élaboration du projet annuel de performances 2007.
1. Le nécessaire suivi de la trésorerie des opérateurs
S'agissant des opérateurs, qui représentent la majeure partie du programme, votre rapporteur spécial souligne les progrès réalisés dans la présentation des crédits et des effectifs. Il regrette néanmoins qu'une analyse de la trésorerie ne soit pas présentée dans le projet annuel de performances.
Deux exemples soulignent l'importance de cette analyse de trésorerie.
Premièrement, la trésorerie significative de l'AEFE a diminué dans des proportions considérables pour une double raison. D'une part, l'AEFE a reçu en dotation immobilière un certain nombre d'établissements dont elle doit désormais conduire la rénovation et prévoir l'entretien, sans avoir reçu la totalité des crédits correspondant. D'autre part, alors que les deux tiers des crédits de l'AEFE constituent des dépenses de personne (l'équivalent du titre 2 pour le budget de l'Etat), la subvention versée à l'établissement pour charge de service public a fait l'objet en 2006 d'une régulation à un taux de 5 %, ce qui a amené l'agence à puiser dans sa trésorerie et à recourir à l'emprunt. La subvention de l'Etat a représenté en 2006 plus de la moitié des ressources de l'établissement. Il conviendrait donc en 2007 de distinguer en termes de régulation budgétaire les crédits de personnel (régulés à hauteur de 0,15 %) des autres crédits (régulés à hauteur de 5 %).
Budget de l'AEFE en 2006 |
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(en milliers d'euros) |
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Subventions de l'Etat |
Ressources propres |
Total |
|
324.300 |
282.937 |
609.237 |
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2007 « Action extérieure de l'Etat »
Budget de l'AEFE en 2006 :
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(en milliers d'euros) |
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Personnel |
Fonctionnement |
Investissement |
Total |
|
429.132 |
196.683 |
50.770 |
676.585 |
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2007 « Action extérieure de l'Etat »
Un croisement des deux tableaux souligne que, au-delà de l'investissement, une partie du fonctionnement devrait être financée en 2006, soit par un prélèvement sur la trésorerie, soit par emprunt, ce qui est peu vertueux.
En 2007, la dotation à l'AEFE est réévaluée de 8 millions d'euros, ce qui correspond à la quasi-totalité de l'augmentation de l'enveloppe du programme 185.
Deuxièmement, les reports d'opérations de CulturesFrance , ex-association française d'action artistique (AFAA), apparaissent importants , en raison d'une trésorerie qui reste significative à chaque fin d'exercice. Il faut noter que la LOLF limite les reports à 3 % des crédits ouverts s'agissant des dépenses de l'Etat. Dans le cas de ex -association française d'action artistique (AFAA), les reports ont atteint en 2005 10,5 % du budget de l'association , correspondant à 21,1 % de la dotation versée par le ministère des affaires étrangères, tous programmes confondus (16,4 millions d'euros 28 ( * ) ).
Montant des reports de crédits sur le budget de l'AFAA
(en %)
Source : rapports d'activité de l'AFAA
Le reliquat de trésorerie au 31 décembre de chaque exercice, toutes dettes acquittées, correspond, hors fonds propres et fonds de réserve, à des crédits d'opérations en report. Contrairement à certains établissements pour lesquelles une trésorerie importante est nécessaire, CulturesFrance ne doit faire face à aucun investissement. Contrairement à d'autres établissements culturels (musées, centres culturels...), les recettes de CulturesFrance sont essentiellement liées à des subventions publiques et à du mécénat. Elles ne sont liées à aucune exploitation commerciale, dont les recettes sont par définition soumises aux aléas de fréquentation. Les subventions couvrent amplement les salaires (4,5 millions d'euros).
C'est à l'aune de ces considérations que doit être examinée les projections de trésorerie pour le 31 décembre 2006 adressées à votre commission des finances par M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, le 27 novembre 2006. Au 31 décembre 2006, la trésorerie atteindrait 10,3 millions d'euros. De cette somme doivent évidemment être retranchés les fonds propres et les fonds de réserve (3 millions d'euros). Une fois acquittées les dettes (5,75 millions d'euros) et recouvrées les créances (650.000 euros), il restera à l'association CulturesFrance 3,4 millions d'euros, reportés sur 2007, soit 47 jours de fonctionnement. Ramenée aux seules dépenses de personnel, cette trésorerie représente plus de 275 jours de fonctionnement.
Naturellement, cette analyse de trésorerie n'est pas à proprement parler une analyse de fonds de roulement , même si elle s'en rapproche, du fait de la prise en compte des créances et des dettes. Aucune information n'existe s'agissant du fonds de roulement actuel. Néanmoins, le contrôleur financier du ministère des affaires étrangères a estimé le fonds de roulement consolidé des deux associations fusionnées, au 1 er janvier 2006, à 62 jours . Ce chiffre a sans doute baissé légèrement depuis, ce qui permet de retenir comme hypothèse de travail un fonds de roulement du même ordre de grandeur que celui de la trésorerie, créances et dettes étant déduites.
Evaluation de la trésorerie de CulturesFrance au 31 décembre 2006 |
|
(en euros) |
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Trésorerie au 15 novembre 2006 |
10.259.160 |
Dont fonds propres et fonds de réserve |
3.019.391 |
Total de la trésorerie disponible |
7.239.769 |
Entrées de trésorerie d'ici le 31 décembre 2006 |
650.000 |
Sorties de trésorerie d'ici le 31 décembre 2006 |
5.750.000 |
Versement complémentaire du ministère des affaires étrangères au titre de 2006 |
1.250.000 |
Estimation de la trésorerie au 31 décembre 2006 |
3.389.769 |
Source : ministre des affaires étrangères/CulturesFrance
Le montant du fonds de roulement paraît donc élevé pour une association n'ayant pas d'investissement à supporter, ni d'aléas commerciaux à couvrir. L'association a évidemment besoin d'un volant de trésorerie en attendant la subvention versée par le Quai d'Orsay en début d'année 29 ( * ) . Naturellement, cette subvention a vocation à être versée en tout début d'année, avant le paiement des premiers salaires du mois de janvier (moins de 400.000 euros). Il paraît peu justifié de maintenir 47 jours de fonctionnement en raison du léger décalage de versement de la subvention publique par rapport au début de l'exercice budgétaire.
De plus, la fusion entre l'ancienne association française d'action artistique (AFAA) et l'association pour le développement de la pensée française (ADPF) a suscité des gains de productivité, et c'est heureux, que reconnaît le ministère des affaires étrangères, en matière immobilière et d'effectifs. Selon le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2007 et présenté au Parlement, le nombre d'ETPT de la nouvelle agence devrait passer de 120,9 en 2006 à 105,2 en 2007, soit une diminution de 15 postes. Ce chiffre paraît justifié en raison des importantes synergies constatées entre les deux associations fusionnées.
Des gains de productivité prévus par l'opérateur et de la trésorerie significative prévue pour la fin 2006, la tutelle ne tire aucune conséquence dans l'évaluation de sa dotation pour 2007. Les gestionnaires du programme 185 ne proposent pas, comme ils le devraient, un ajustement des crédits de subvention à la nouvelle agence qui correspond très exactement à la somme des subventions versées précédemment aux deux associations AFAA et ADPF (8.990.327 euros). Votre rapporteur spécial vous propose un amendement d'ajustement. Une réduction de la trésorerie de 500.000 euros ramènerait les ressources disponibles de 47 jours à 40 jours de fonctionnement.
Au cours de ses investigations, durant lesquelles les informations financières fournies ont manqué de constance et de fiabilité, au gré des interlocuteurs rencontrés , votre rapporteur spécial a mis en évidence une incompréhension forte de l'association vis-à-vis de la logique de mise en réserve de crédits à laquelle est pourtant soumis l'ensemble des dépenses de l'Etat, ce qui a induit en 2006, et pourrait provoquer encore en 2007, une fuite en avant sur le plan financier.
Ainsi, en 2006, CulturesFrance a engagé 100 % des opérations prévues au titre de la subvention du ministère des affaires étrangères, alors que, sur cette subvention, le ministère des affaires étrangères a supporté une mise en réserve de 5 %. L'association n'a donc reçu logiquement que 95 % du versement prévu 30 ( * ) . L'écart entre les engagements de CulturesFrance et la subvention reçue s'établit à 844.210 euros. CulturesFrance a donc choisi d'afficher artificiellement un déficit pour 2006 , qui serait venu s'imputer sur les réserves de l'établissement. Ceci n'aurait pas dû être accepté par le conseil d'administration de l'association, qui s'est réuni plusieurs fois en cours d'année. Avait-il conscience de la situation ainsi provoquée ?
Inquiet de la situation, confrontée au risque de voir apparaître le premier exercice de CulturesFrance en déficit, le ministère des affaires étrangères a obtenu le dégel de la majeure partie de la subvention (300.000 euros) qui sera versée dans les prochains jours . Dès lors, lors de sa réunion de bureau du 29 novembre 2006, CulturesFrance a donc souhaité afficher un nouveau déficit pour le budget prévisionnel de 2007, de 832.342 euros, correspondant à l'écart entre 100 % des engagements, qu'elle entend donc maintenir nonobstant la mise en réserve de crédits, et 95 % des crédits qu'elle obtiendra (sauf dégel éventuel en fin d'année) 31 ( * ) .
Il y a là un comportement financier inquiétant qui implique une réaction de la tutelle , présente au conseil d'administration : CulturesFrance n'a pas vocation à engager plus de crédits qu'elle n'en dispose réellement , faute de quoi les réserves de l'établissement fondront irrémédiablement. Peut-être les projets envisagés en 2007 excèdent-ils les moyens de l'établissement, qui devra consacrer d'ailleurs une large part de son énergie à sa restructuration.
Ces éléments financiers recueillis par votre rapporteur spécial témoignent, s'il en était besoin, de la nécessité de confier une enquête à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2 de la LOLF, sur la gestion passée de l'Association française d'action artistique (AFAA). Cette enquête devra sans doute être complétée par un audit financier plus complet diligenté par le ministère des affaires étrangères, qui doit établir la vérité des engagements financiers de CulturesFrance. La Cour des comptes indique ainsi dans le rapport transmis à la commission des finances que « la comptabilité de l'AFAA a manqué gravement de transparence et de rigueur. Cette situation est aggravée par une absence de formalisation des délégations au sein de l'association, qui revient à confier le pouvoir au seul directeur au détriment des organes statutaires, et par un commissaire aux comptes dont les diligences de contrôle apparaissent nettement perfectibles ».
L'amendement de votre commission des finances constitue un avertissement, pour une remise en ordre de l'association sur le plan financier, avant toute transformation de celle-ci en établissement public.
La commission des finances a entendu le 8 novembre 2006 les responsables de la nouvelle agence CulturesFrance, dédiée à la promotion de la culture française à l'étranger, et les deux ministères de tutelle, sur la base de l'enquête demandée à la Cour des comptes concernant la gestion de l'Association française d'action artistique (AFAA). Elle s'est interrogée au terme de cette audition, ouverte à nos collègues des commissions des affaires culturelles et étrangères, sur la capacité de la tutelle à établir des priorités stratégiques, géographiques, culturelles précises, et des procédures d'évaluation, permettant de piloter efficacement la nouvelle agence. Elle regrette que la signature d'une convention d'objectifs et de moyens, et que l'audit relatif à l'exercice de sa tutelle sur les opérateurs par le Quai d'Orsay, n'aient pas précédé la création de la nouvelle agence. Cette création apparaît du même coup précipitée, le « positionnement stratégique de l'agence » manquant parfois de clarté.
Votre rapporteur spécial souligne que la tutelle a vocation à rendre compte au Parlement, dans les projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances, de manière précise, de l'effet de levier public - privé des opérations financées ainsi que des contreparties financières et culturelles réelles obtenues par la France lorsqu'elle organise dans l'hexagone une saison dédiée à un pays étranger.
Comme le rappelle la Cour des comptes, « dans la période récente, l'activité de l'AFAA s'est progressivement concentrée sur le territoire national sous l'effet, à titre principal, de la montée en puissance des opérations dénommées « les saisons » dont la réalisation lui est confiée. Aujourd'hui, les interventions de l'AFAA sont en majorité menées en France avec pour objectif principal d'assurer le rayonnement de cultures étrangères dans notre pays. La Cour a conscience qu'un tel choix se place dans la perspective de l'application d'un principe de réciprocité avec les partenaires de la France. Néanmoins, elle est fondée à s'interroger sur les nouvelles attributions ainsi dévolues à l'opérateur, dont la fonction originelle et principale était d'assurer le rayonnement culturel de la France à l'étranger, et sur l'impact des moyens qui sont affectés à cette nouvelle mission, en l'absence de toute évaluation des opérations culturelles ainsi menées. D'ailleurs, sous l'effet de ce redéploiement opérationnel, l'AFAA, qui agissait jusqu'à présent en soutien des demandes exprimées par les services des ambassades, devient un programmateur indépendant acquérant une visibilité signalée sur la scène nationale. A cet égard, on peut se demander si les ministères en charge de CulturesFrance sont bien conscients de cette évolution et l'estiment conforme à la place qu'ils entendent assigner à leur nouvel opérateur ».
Au cours de l'automne 2006 se déroulent simultanément en France les saisons suivantes : « Corée au coeur : 120 ans de relations diplomatiques », « Tout à fait Thaï » et « Arménie, mon amie ».
2. L'évolution nécessaire de l'Alliance de Paris
Votre rapporteur spécial suit avec attention la constitution d'une fondation reconnue d'utilité publique dédiée au développement des alliances française à l'étranger. Ce projet vise à séparer l'Alliance de Paris en deux entités juridiquement distinctes, l'une dédiée aux cours de français dispensés dans la capitale, l'autre correspondant à la tête de réseau des Alliances dans le monde, qui pourrait se consacrer, de manière plus active qu'aujourd'hui, au rayonnement de la langue française.
S'agissant de la structure ayant vocation à animer le réseau des Alliances dans le monde entier, le statut retenu est celui d'une fondation reconnue d'utilité publique dont les statuts sont en cours d'examen par le ministère de l'intérieur.
Il s'agit maintenant de doter la fondation d'un capital qui pourrait avoisiner 10 millions d'euros, afin que l'institution assume ensuite, de manière autonome, l'animation et le développement du réseau des Alliances. A son grand regret, l'Alliance de Paris éprouve des difficultés à constituer le capital auprès des entreprises privées françaises. Votre rapporteur spécial propose que l'Etat participe à la dotation en capital de la nouvelle dotation, à hauteur de 1 million d'euros, afin d'encourager les mécènes étrangers à faire de même.
3. Le rôle majeur des bourses
Votre rapporteur spécial souligne le rôle majeur des bourses en matière de rayonnement culturel et scientifique. 18,4 millions d'euros sont inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances, contre 16,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2006, mis en oeuvre, soit par l'administration centrale, soit par les postes à l'étranger.
Ce montant devrait permettre le financement de 16.500 mois/bourses. Des programmes de bourses d'excellence sont mis en oeuvre sur crédits centraux : les bourses « major » (588.000 euros), le programme Eiffel de bourses d'excellence (2.194.650 euros) destiné aux futurs décideurs, dont le nouveau programme Eiffel Doctorat (247.500 euros) qui finance des bourses de mobilité dans le cadre de thèses en cotutelle ou en codirection.
* 28 Ceci ne tient pas compte du fonds de solidarité prioritaire et des « commandes » passées par l'Etat en cours d'année.
* 29 Exceptionnellement, cette première tranche a été versée le 8 juin 2006 à l'ex-AFAA, en refus de cet organisme de signer sa convention avec le ministère des affaires étrangères. Celui-ci était dû au souhait de son directeur de ne pas supporter la mise en réserve de crédits de 5 %, prévue dans l'exposé général des motifs de la loi de finances initiale pour 2006 votée par le Parlement, mise en réserve de précaution assumée pourtant par l'ensemble des services de l'Etat, y compris les plus essentiels et les plus prestigieux.
* 30 Si CulturesFrance n'avait pas été soumise à la mise en réserve, d'autres actions du Quai d'Orsay, consacrées par exemple aux centres culturels, auraient dû être mises encore davantage à contribution...
* 31 Hors personnel : la dotation qu'elle obtiendra sur ses dépenses de titre 2 sera seulement défalquée d'une mise en réserve de 0,15 %, comme pour tous les autres opérateurs de l'Etat.