B. LA JUSTIFICATION DES CRÉDITS AU PREMIER EURO SOULIGNE L'INSUFFISANTE MAÎTRISE DE CERTAINES DÉPENSES
La justification des crédits au premier euro de la mission « action extérieure de l'Etat » a indéniablement progressé 20 ( * ) . Conformément aux recommandations de votre rapporteur spécial, le taux de change retenu pour le calcul des contributions en devises (dollar américain) est explicité. Les hypothèses change-prix sont ainsi connues. Elles doivent permettre d'établir une base pour la couverture du risque de change que le ministère des affaires étrangères devrait mettre en oeuvre, après une expérimentation limitée en 2006, à large échelle en 2007. La couverture du risque de change appliquée notamment aux contributions internationales libellées en devises avait été recommandée par votre rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007 . Cette recommandation a été suivie d'effet dans le contrat de modernisation 2006-2008.
La justification au premier euro appelle quatre séries de remarques :
- l'utilité d'un « guichet unique » pour le programme personnalités d'avenir et celui d'invitation de journalistes ;
- la nécessité de tirer les conséquences de la spécificité actuelle de l'immobilier de l'Etat à l'étranger pour engager une politique immobilière plus dynamique ;
- l'absence de gestion, et le dérapage correspondant, des contributions internationales ;
- l'inflation préoccupante de la masse salariale des recrutés locaux.
1. La nécessité d'un « guichet unique » pour le programme personnalités d'avenir et celui d'invitation de journalistes
La justification au premier euro au sein de l'action n° 1 fait apparaître deux programmes d'invitation de personnalités étrangères. Le premier, dédié aux journalistes étrangers, géré par la direction de la communication et de l'information, nécessite 639.122 pour inviter environ 150 journalistes en 2007. Le second, consacré aux personnalités d'avenir, géré par le centre d'analyse et de prévision (C.A.P.) du ministère, prévoit en 2007 des crédits à hauteur de 1.155.500 euros, afin d'inviter environ 120 jeunes représentants des futures élites d'une quarantaine de pays.
Ces deux programmes sont appréciés de manière très positive par les postes à l'étranger , notamment ceux ayant fait l'objet d'un contrôle de la part de votre rapporteur spécial en 2006, en application de l'article 57 de la LOLF. Toutefois, à l'expérience, certains interlocuteurs de votre rapporteur spécial ont pu regretter l'absence de « fongibilité » entre les deux programmes, et leur relatif cloisonnement : une année, un poste peut souhaiter, compte tenu de l'analyse politique qu'il fait du pays dans lequel il se trouve, privilégier plutôt les personnalités médiatiques que les personnalités politiques, ou l'inverse . La séparation des deux programmes d'invitation, répartis entre deux services, ne facilite pas les arbitrages. En conséquence, votre rapporteur spécial préconise, tout en préservant les deux programmes, et les deux cibles prioritaires pour les invitations, de constituer un guichet unique, qui pourrait être confié à la direction de la communication et de l'information.
2. La nécessité de tirer les conséquences de la spécificité actuelle de l'immobilier de l'Etat à l'étranger pour engager une politique immobilière plus dynamique
Sur le plan budgétaire, le ministère des affaires étrangères, dans le cadre de son contrat de modernisation 2006-2008, a prévu d'autofinancer ses opérations immobilières grâce aux cessions des éléments de son patrimoine à l'étranger devenu inutile à ses besoins. Ceci devrait conduire le ministère des affaires étrangères à entreprendre des ventes d'immeubles d'un volume de 120 à 150 millions d'euros au cours de cette période. Si cet objectif ne pouvait être atteint, compte tenu de la complexité d'un certain nombre d'opérations de vente et de la durée nécessaire à leur réalisation, la programmation des opérations immobilières sera diminuée en conséquence afin de prévenir tout risque de crise de financement.
Recettes de cessions immobilières du Quai d'Orsay
(en millions d'euros)
Source : ministère des affaires étrangères
Compte tenu de ses ressources financières, le ministère a ramené le nombre de ses opérations immobilières de 700 opérations « ouvertes » en 2005 à 250 à 300.
Deux remarques doivent être faites au sujet des implantations immobilières du Quai d'Orsay :
- s'agissant de l'immobilier de l'Etat à l'étranger, la spécificité du régime qui lui est applicable, notamment parce qu'il s'agit de bâtiments diplomatiques, ayant parfois fait l'objet d'accords internationaux, ou de conventions juridiques originales avec les autorités publiques, est trop souvent méconnue lorsque la question des cessions immobilières est évoquée. A l'inverse, les accords internationaux ou les conventions s'appliquant à l'immobilier de l'Etat à l'étranger doivent être mieux négociés par nos diplomates à l'avenir, afin de permettre une réversibilité des choix d'implantation des services diplomatiques, consulaires et culturels 21 ( * ) . Les conventions internationales soumises pour ratification par le Parlement portant sur l'immobilier à l'étranger doivent comporter une fiche d'impact à caractère budgétaire, précisant le coût des travaux éventuellement supportés par la France, les charges d'entretien et de réparation du bâtiment concerné, et les clauses permettant la réversibilité du choix d'implantation.
- s'agissant de l'implantation parisienne du Quai d'Orsay, votre rapporteur spécial prend acte de l'abandon du projet de « site unique » et la perspective d'une structuration à terme de ses implantations parisiennes autour de 3 sites : le Quai d'Orsay, qui demeurerait le site « historique », le site de La Courneuve qui accueillera les archives diplomatiques ainsi que d'autres services et un autre site ayant vocation à regrouper l'ensemble des autres services de l'administration centrale. Afin de pouvoir déterminer le budget sur lequel le Quai d'Orsay peut compter pour reloger certains de ses services, votre rapporteur spécial croit nécessaire d'engager la vente des immeubles parisiens (hors Quai d'Orsay) dès maintenant, quitte à assortir cette vente d'une location pendant la durée de recherche du nouveau site.
3. L'absence de gestion, et le dérapage correspondant, des contributions internationales
L'an passé, votre rapporteur spécial constatait une erreur manifeste d'appréciation dans la justification au premier euro concernant les opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU, dont la prévision de dépense s'établissait à 136,22 millions d'euros , « fixés de manière forfaitaire, au niveau des crédits de la loi de finances initiale pour 2005 ». En fonction des éléments transmis par le contrôleur financier, votre rapporteur spécial avait souligné qu'il manquait au minimum 75 millions d'euros à la justification au premier euro du programme 105.
Un projet de décret d'avance transmis à votre commission des finances le 13 novembre dernier a proposé l'ouverture de 80 millions d'euros au titre des opérations de maintien de la paix. Aussi, fort logiquement, la commission des finances a émis un avis défavorable sur le projet de décret précité en ce qui concerne les crédits affectés aux opérations de maintien de la paix de l'ONU inscrits sur la mission « Action extérieure de l'Etat ». Sur ce point d'ailleurs, le contrat de modernisation signé avec la direction du budget n'apparaît formellement pas respecté. Il prévoit que « le ministère des affaires étrangères s'engage à informer le Parlement de l'évolution des contributions obligatoires aux organisations internationales, dont les OMP, et de leur charge budgétaire ». Votre rapporteur spécial n'a pas eu l'opportunité de bénéficier de telles informations en cours d'année , du moins si l'on excepte les investigations qu'il a été amené à conduire.
Le contrat de modernisation 2006-2008 a prévu un rebasage progressif des opérations de maintien de la paix , avec une première tranche de 50 millions d'euros en 2007. A ce montant s'ajoute, toujours en 2007, une tranche complémentaire de 10 millions d'euros visant à réévaluer les autres contributions internationales, également notoirement sous-dotées.
Pourtant, la justification au premier euro 2007 n'est pas moins insincère que ne l'était celle de 2006. Ainsi, la dotation prévue au titre des contributions internationales s'établit dans le projet de loi de finances pour 2007 à 544,96 millions d'euros. Selon la « vraie » justification au premier euro que votre rapporteur spécial a obtenu, en application de l'article 57 de la LOLF, la dotation réelle s'établirait à 725 millions d'euros. Les impasses ne concernent pas seulement les opérations de maintien de la paix, mais aussi les autres contributions « obligatoires ». S'agissant en outre des contributions aux institutions européennes, les impasses sont également élevées : 48,4 millions d'euros dans la « vraie » justification au premier euro contre 41,7 millions d'euros dans la « fausse » justification au premier euro présentée dans le projet annuel de performances : la dotation au Conseil de l'Europe s'élèverait ainsi à 38 millions d'euros contre 34 millions d'euros affichés.
Au total, l'écart global entre « vraie » et « fausse » justification au premier euro s'établit à 187 millions d'euros, soit près de 13 % des montants du programme 105. Comme le souligne à juste titre une note de la direction des affaires financières du ministère des affaires étrangères en date du 26 janvier 2006 relative à la préparation du budget 2007 : « la lisibilité et la crédibilité constitueront les critères centraux du choix des déterminants. L'objectif premier est en effet de convaincre la direction du budget et les parlementaires de la pertinence de la dépense sollicitée. Plus une enveloppe reposera sur des bases juridiques obligatoires ou des engagements fermes et justifiés ainsi que sur un déterminant financier non négociable, moins elle sera discutée »...
La « vraie » et la
« fausse » justification au premier euro
en ce qui
concerne les contributions internationales
(en millions d'euros)
Source : ministère des affaires étrangères
Ces impasses ne prennent pas en compte les opérations de maintien de la paix non encore budgétées par l'ONU , qui peuvent être estimées de manière très prudente aux montants suivants :
- FINUL renforcée : 50 millions d'euros ;
- extension de la MINUS au Darfour : 83 millions d'euros ;
- création de la MINUT (Timor) : 14 millions d'euros.
Au-delà des aspects majeurs de sincérité budgétaire, deux points appellent de fortes critiques s'agissant des contributions internationales.
Il s'agit tout d'abord de « l'inventaire à la Prévert » des contributions internationales financées par le ministère des affaires étrangères . Votre rapporteur spécial en publiera la liste dans son rapport spécial. Parmi quelques exemples, on peut citer :
- l'association pour la conservation des albatros et des pétrels (ACAP) : 60.200 euros ;
- commission internationale pour la conservation des thonidés de l'atlantique (CICTA) : 260.000 euros ;
- centre international de recherche sur le cancer et union internationale contre le cancer : 1.100.000 euros ;
- organisation mondiale des douanes : 610.000 euros ;
- commission internationale permanente pour l'épreuve des armes à feu portatives : 2.300 euros ;
- office international des épizooties : 343.000 euros ;
- office international de la vigne et du vin : 593.000 euros ;
- accord relatif à la protection des chauves souris en Europe : 52.000 euros ;
- etc...
Les contributions « obligatoires » versées à ces organisations internationales font-elles l'objet d'un suivi attentif de la part des gestionnaires du Quai d'Orsay ? Rien n'est moins sûr compte tenu de la « modestie » des sommes en jeu. Les budgets de ces organismes font-ils l'objet d'un examen par nos diplomates lorsqu'ils sont votés ? Leur évolution est-elle maîtrisée ? Votre rapporteur spécial n'a aucune assurance dans le domaine. Or la France est membre d'un peu plus de 150 organisations.
Dans ces conditions, votre rapporteur spécial recommande que chaque projet de loi de ratification d'une convention créant un organisme international comporte une étude d'impact budgétaire affichant le budget prévisionnel de l'organisme créé, et son évolution prévisible .
Un tri s'impose pour réaffecter à des ministères disposant des compétences pour les suivre les contributions de la France aux organismes internationaux dans leur champ d'intervention.
Le ministère des affaires étrangères a la charge de dotations parfois lourdes, comme celle allouée à l'institut du monde arabe (9,46 millions d'euros) dont chacun connaît la situation financière délicate.
Sont ainsi principalement en cause en première analyse les ministères de l'agriculture, de la culture, de l'écologie et de la santé pour reprendre certaines contributions internationales. Votre rapporteur spécial vous proposera un amendement de suppression des dotations aux organismes cités plus haut afin d'inciter le gouvernement à inscrire ces crédits sur les missions idoines .
La conséquence de cette absence de suivi par le Quai d'Orsay de la multitude de contributions internationales qu'il devrait gérer consiste en un dérapage des crédits . Manifestement, les diplomates français ne parviennent pas à inciter les organisations internationales à maîtriser leur budget, comme la France s'efforce d'y parvenir avec le budget de l'Etat en général, et avec celui du Quai d'Orsay en particulier. Pourtant, le multilatéralisme est inséparable de la bonne gestion des crédits qui lui sont alloués .
Il s'ensuit une dérive préoccupante des dotations aux organisations internationales sur la période récente, et ce même sans intégrer les opérations de maintien de la paix.
Evolution des contributions internationales avec et sans les OMP
(en millions d'euros)
Source : ministère des affaires étrangères
Comme le reconnaît le ministère des affaires étrangères, il existe un besoin de « sensibilisation plus marquée de l'ensemble des négociateurs, à l'administration centrale et dans les postes, aux aspects budgétaires des programmes d'action de chaque organisation ». Votre rapporteur spécial se propose d'inciter à cette prise de conscience nécessaire en proposant un amendement de réduction de crédits correspondant à 0,5 % du montant des contributions payables en devises, afin que soit ralentie l'irrésistible ascension des coûts des organisations internationales. Si nos diplomates ne sont évidemment pas seuls autour de la table au moment de l'établissement des budgets des organisations internationales, ils ont le devoir de faire passer leur message de soutien au multilatéralisme dans un souci de modération budgétaire.
Compte tenu du périmètre du programme 105, les tensions inflationnistes sur les crédits dédiés aux contributions internationales conduisent à des arbitrages douloureux sur le réseau diplomatique, fongibilité oblige ! Or, sur la période 1998-2002, selon les termes du Quai d'Orsay, le « jeu des fermetures, des ouvertures et des transformations s'est traduit par un solde négatif de 1,83 million d'euros sur l'enveloppe globalisée de fonctionnement ».
4. L'inflation préoccupante de la masse salariale des recrutés locaux.
La masse salariale des agents de droit local employés par les ambassades dans les pays de l'OCDE augmente d'environ 5 % par an (hors prise en compte de la variation des effectifs), ce qui pourrait représenter une hausse d'au moins 36 % en 2013, et qui pourrait même aller jusqu'à 54 % « si l'on tient compte de la pluralité des facteurs pouvant contribuer à l'augmentation de la masse salariale (ancienneté, mérite, protection sociale, réforme des grilles, tous paramètres ayant fait l'objet d'une politique volontariste depuis les années 90) », selon les termes d'un audit de modernisation sur le sujet.
L'évolution de la masse salariale des agents de droit local du Quai d'Orsay est très supérieure au rythme de progression des rémunérations dans la fonction publique en France. La forte augmentation constatée intervient au moment où les indemnités de résidence des agents titulaires au Quai d'Orsay sont fortement contraintes.
La politique de l'emploi local dans les pays de l'OCDE se révèle être un pari budgétaire hasardeux. Alors que le nombre de recrutés locaux a globalement diminué, la masse salariale consacrée à ces personnels n'a cessé d'augmenter pour s'élever aujourd'hui à environ de 100 millions d'euros (82 millions d'euros en 2000), sous l'effet conjugué de l'évolution de la structure des emplois de recrutement local (accroissement des emplois de bureau et diminution du nombre des emplois de service) et de la mise en place d'un plan d'action visant à valoriser la situation des recrutés locaux ( intégration systématique d'un ou plusieurs niveaux supérieurs de rémunération dans les nouvelles grilles, d'une progression plus rapide entre les échelons afin d'assurer un véritable déroulement de carrière et de l'amélioration de la couverture maladie/accident du travail et retraite.
En outre, sur l'ensemble des recrutés locaux du réseau diplomatique et consulaire, on identifie près de 1.500 Français, soit environ un quart du total des effectifs. Ces Français ont le plus souvent un statut plus favorable que les autres recrutés locaux.
Manifestement, au moins en termes de coût, la transformation d'emplois de titulaires du ministère des affaires étrangères en emplois de recrutés locaux ne constituent pas une complète réussite. Il faut donc se féliciter que le ministère des affaires étrangères « explore en liaison avec d'autres administrations présentes à l'étranger les diverses voies qui permettront de définir de nouvelles règles non inflationnistes de rémunération de ces agents ».
Dans les pays de l'OCDE en outre, la complexité des droits du travail locaux, et l'insuffisante maîtrise de ces questions par nos postes, conduisent à des surcoûts importants en cas de contentieux sociaux. L'exemple le plus récent concerne la suppression des cours de français de l'institut français de Vienne, qui a conduit au terme d'un contentieux coûteux au paiement de 200.000 euros d'indemnités de licenciement au personnel concerné.
Selon le Quai d'Orsay, pour le monde entier, 263 contentieux seraient en cours. Le ministère des affaires étrangères estime à 1.050.000 euros le montant auquel il sera condamné au titre de ces contentieux.
Dès lors, votre rapporteur spécial a le sentiment que, au moins dans les pays de l'OCDE, du moins certains, le recrutement de contrats locaux aboutit à des rigidités supérieures à celui de fonctionnaires titulaires, rendant les choix d'implantation de la France à l'étranger difficilement réversibles . Les redéploiements doivent sans doute être mieux préparés. De plus, la substitution de personnels locaux aux titulaires du ministère n'a plus vocation à être systématiquement encouragée, sauf compétences particulières. Compte-tenu des perspectives de départ à la retraite au ministère des affaires étrangères (40 % des titulaires devraient quitter leurs fonctions d'ici 2016, soit 3.000 personnes), les redéploiements de personnels titulaires en cas de fermetures d'un poste diplomatique, consulaire ou culturel devraient être plus simples à mettre en oeuvre que le licenciement de recrutés locaux.
* 20 A l'exception de celle des contributions internationales comme on le verra plus loin.
* 21 Votre rapporteur spécial garde en mémoire l'inertie, pour motifs de complexité juridique, qui a conduit à ne pas céder jusqu'à présent la « maison de France » à Rio de Janeiro, alors que celle-ci est surdimensionnée par rapport aux besoins d'un consulat général et de la mission économique associée, que notre ambassade a été transférée à Brasilia depuis plusieurs décennies et que les coûts de fonctionnement associés au bâtiment sont élevés.