2. Le volet complémentaire de la couverture maladie universelle fait peser de lourdes menaces sur chacun des acteurs de la protection sociale complémentaire et crée un nouveau prélèvement obligatoire
a) Un risque de transfert des assurés vers la couverture maladie universelle
(1) Les craintes de la CANAM et de la MSA
La CANAM
et la MSA appliquent une cotisation minimale à chacun de ses
assurés, notamment ceux en début d'activité ou connaissant
des déficits. Le projet de loi ne la supprime pas explicitement et lors
des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a
expliqué que cette question ne rentrait pas dans le champ de ce projet
de loi qui ne modifiait pas les régimes professionnels
9(
*
)
.
Votre commission des finances ne partage pas ce point de vue. La cotisation
minimale s'applique en dessous des seuils de revenu qui sont ceux de la
couverture maladie universelle. Dès lors, il ne paraît pas
concevable que des assurés rationnels continuent de s'adresser à
la CANAM et à la MSA pour payer des cotisations alors qu'ils
bénéficieraient d'une couverture intégrale et gratuite
ailleurs. La CANAM et la MSA reconnaissent ainsi qu'il leur sera difficile de
maintenir une cotisation minimale aussi élevée que celle qui
existe et qu'il leur faudra probablement la supprimer. De ce point de vue, il
convient d'évaluer le coût de cette disparition. Elle
entraîne une perte nette de 1,295 milliard de francs pour la
CANAM :
Conséquences prévisionnelles pour la CANAM
en
cas de suppression de la cotisation minimale sur la base de 1998
Appel d'avril 1998 |
Débuts d'activité (*) |
Déficits |
Autres |
Total |
Effectifs |
113.660 |
67.834 |
391.740 |
573.234 |
Assiette (MF) |
|
|
|
|
Situation actuelle |
7.624 |
4.493 |
25.768 |
37.885 |
Après suppression |
0 |
0 |
12.539 |
12.539 |
Perte |
7.624 |
4.493 |
13.229 |
25.346 |
Cotisation (MF) |
|
|
|
|
Situation actuelle |
450 |
265 |
1.520 |
2.235 |
Après suppression |
0 |
0 |
740 |
740 |
Perte brute |
450 |
265 |
781 |
1.495 |
Perte nette après régularisation |
|
|
|
|
(*)
Assurés sans revenu N-2
Source : CANAM
Il en va de même pour la MSA, pour un coût de 415 millions de
francs et 163 600 chefs d'exploitation concernés.
Conséquences prévisionnelles pour la MSA
en cas de suppression de la cotisation minimale sur la base de
1998
|
Pertes de cotisations (en millions de francs) |
Manque
à gagner de cotisations sociales pour l'assiette de base à 800
SMIC/an
|
280
|
Manque
à gagner de cotisations sociales par le relèvement de l'assiette
entre 1,5 et 3,5 SMI
|
135
|
Total |
415 MF |
Source : MSA
Au total, la logique de ce projet de loi conduit à une perte de plus de
1,7 milliard de francs pour ces deux régimes, hors de tout risque
de fraude.
Le volet complémentaire pose par ailleurs un problème
spécifique à la MSA qui accueille aujourd'hui 21 sections
complémentaires sans compter les initiatives ponctuelles de certaines
caisses départementales. Elles proposent des prestations
complémentaires aux ressortissants de la MSA, dont beaucoup
possèdent des revenus en dessous du seuil établi pour le
bénéfice de la couverture maladie universelle. Cette
activité se voit donc remise en cause.
(2) Effets de seuil et minima sociaux : une incitation au travail clandestin
L'effet
de seuil généré par ce projet de loi, plus strictement et
durement ressenti par ceux qui le subissent que dans l'actuel système
où de très nombreux seuils existent risque de
générer une forte incitation à la fraude et au travail
clandestin.
En effet, à partir du moment où les caisses primaires d'assurance
maladie ne seront que faiblement en mesure, du moins lors de la mise ne place
du système, de réaliser un contrôle effectif des revenus,
se développe un fort risque de fraude. De plus, le projet de loi
prévoit une ouverture automatique des droits avant contrôle
effectif de sa justification. Par ailleurs, il ne mentionne la
possibilité d'aucune sanction en cas de fraude.
La seconde dérive possible concerne le travail clandestin. La plus
grande motivation à se faire déclarer résidait
jusqu'à maintenant dans la liaison entre cette formalité et
l'intégration dans un régime de protection sociale. Bien
sûr, les personnes en difficulté pouvaient avoir recours à
l'aide sociale te se faire assurer à l'assurance personnelle. Avec la
couverture maladie universelle, la protection devenant complète en
dessous d'un certain seuil de revenu, la désincitation est forte
à le dépasser officiellement.
(3) La question de l'harmonisation des régimes
Au delà du problème de la fraude et du contournement de la loi, la couverture maladie universelle reste l'occasion de soulever la question de l'harmonisation ou, du moins, du rapprochement des régimes d'assurance maladie. Leur justification s'émousse avec le temps et avec l'extension réalisée par ce projet de loi. Ils sont déjà intégrés par les transferts financiers de compensation qu'ils provoquent. Leur existence suscite des inégalités de traitement, des effets pervers et des comportements de choix du consommateur. Plus que jamais il paraît urgent de réfléchir à la possibilité d'un rapprochement progressif des conditions d'affiliation, des cotisations et des prestations.
b) La remise en cause des principes de la protection complémentaire : vers une libre concurrence ?
(1) Une remise en cause des principes de la protection complémentaire
Le
projet de loi remet en cause la différence essentielle entre la
protection complémentaire et l'assurance de base. La première
repose sur un effort volontaire et individuel (pouvant être offert au
niveau de l'entreprise) ; la seconde constitue une assurance obligatoire
et collective. Les organismes de protection complémentaire interviennent
donc de façon subsidiaire là où l'assurance maladie laisse
une place à l'initiative privée. Ce projet de loi supprime la
subsidiarité dans son champ d'application puisque l'assurance maladie
interviendra dans le champ de compétences des organismes
complémentaires ou bien ceux-ci dans celui de l'assurance maladie, selon
la lecture qui en est faite.
Il y a également une asymétrie puisque l'Etat peut alors
intervenir dans le régime de base et dans le régime
complémentaire tandis que les organismes de protection
complémentaire sont par définition limités à ce
dernier secteur.
Enfin, les principes d'adhésion, de cotisation, de participation
à la vie de la famille mutualiste sont remis en causse puisque le projet
de loi exclue toute obligation de paiement d'une cotisation et toute obligation
d'adhésion à la mutuelle.
(2) La compatibilité douteuse avec le droit communautaire : vers une libre concurrence ?
L'ambiguïté de la nature de la couverture maladie
universelle risque cependant de la rendre incompatible avec le droit
communautaire de la libre concurrence ou bien d'amorcer de nouvelles
évolutions. Cela dépend, une fois encore, de la nature de
l'aspect complémentaire de la couverture maladie universelle.
Il est possible d'imaginer qu'elle relève effectivement du secteur
complémentaire. Alors la concurrence entre les caisses primaires
d'assurance maladie et les organismes de protection complémentaire doit
être équilibrée.
Cependant elle ne l'est pas puisque l'Etat a pris l'engagement de la rembourser
au franc le franc les dépenses de la CNAMTS et de ne pas la soumettre
à l'obligation de prolongation durant un an de la couverture
complémentaire même en cas de dépassement du seuil, tandis
que les organismes complémentaires subissaient de plus un
prélèvement obligatoire nouveau. Il serait donc possible de faire
valoir que ce projet de loi encourt le grief d'incompatibilité avec le
droit communautaire parce qu'il donne une place privilégiée au
régime obligatoire d'assurance maladie sur les organismes de protection
complémentaire dans leur propre marché, ouvert à la
concurrence européenne.
Il est aussi possible de penser que la couverture complémentaire fait
partie des régimes de base. Le système du fonds de financement,
la péréquation, l'absence de cotisation rapprochent en effet
l'aspect complémentaire de la couverture maladie universelle d'un
régime de base.
Mais alors en associant le secteur privé à sa gestion, il
démontre que ce dernier peut trouver sa place dans l'assurance de base,
sous réserve de limites posées par la puissance publique. De ce
point de vue, ce projet de loi pourrait constituer un premier pas vers
l'introduction de la concurrence au sein de l'assurance maladie.
c) La création d'une nouvelle taxe qui augmentera les prélèvements obligatoires
(1) La contribution de 1,75% : un prélèvement obligatoire
L'article 25 du projet de loi détaille les dispositions
financières de la protection complémentaire. Le financement de
celle-ci repose ainsi sur une contribution de l'Etat et sur la création
d'un prélèvement obligatoire.
Celui-ci est détaillé dans le nouvel article L. 861-13 du code de
la sécurité sociale. L'assiette du prélèvement est
constitué par le
" montant hors taxes des cotisations et primes
afférentes à la protection complémentaire en
matière de santé, recouvrées au cours d'un trimestre civil
au titre de leur activité en France "
. Son taux est de 1,75 %.
Son produit est recouvré par les organismes chargés du
recouvrement des cotisations du régime général (URSSAF).
Il est perçu par le fonds de financement de la protection
complémentaire de la couverture maladie universelle. Les reversements
sont trimestriels et sont évalués nets du montant de la
contribution due par le fonds au titre de la prise en charge de
bénéficiaires de la couverture maladie universelle,
c'est-à-dire 375 F par trimestre.
La nature comptable de cette contribution doit bien entendu être une
charge venant au compte de résultat réduire le résultat de
l'exercice. De même, il ne s'agirait pas de soumettre les montants
perçus du fonds à paiement de l'impôt sur les
sociétés alors qu'il s'agit d'une compensation de charges :
si c'était le cas, le coût en serait augmenté du taux de
l'impôt sur les sociétés.
Le rendement estimé de cette contribution s'élève à
1,8 milliard de francs.
La contribution de 1,75 % fera partie des prélèvements obligatoires.
" Suivant la définition de l'OCDE, les
prélèvements obligatoires sont les versements effectifs
opérés par les agents économiques au profit du secteur des
administrations publiques, tel qu'il est défini par la
comptabilité nationale, dès lors que ces versements
résultent, non d'une décision de l'agent économique qui
les acquitte, mais d'un processus collectif de décisions relatives aux
modalités et au montant des débours à effecteur.
L'éventuel " Fonds de financement de la protection
complémentaire de la couverture universelle du risque maladie "
sera classé sans conteste dans le secteur des administrations publiques.
Le prélèvement éventuel de 1,75 % sur les cotisations
des mutuelles, institutions de prévoyance et assurances, qui constituera
ses ressources aurait donc toutes les caractéristiques d'un
prélèvement obligatoire.
Mais la notion de prélèvement obligatoire, sous son apparente
simplicité, n'est pas toujours facile à cerner. Elle ne fait
d'ailleurs pas l'objet encore d'une normalisation au sein du SEC 95. Parmi les
difficultés qu'elle soulève, figure le traitement des versements
effectués entre organismes appartenant aux administrations
publiques : à partir du moment où ces derniers financent de
tels versements avec des ressources provenant essentiellement de
prélèvements effectués sur des agents n'appartenant pas
eux-mêmes aux administrations publiques, prélèvements qu'il
est alors aisé de qualifier eux-mêmes d'obligatoires, il existe un
risque d'introduire un double compte si on classe ces versements parmi les
prélèvements obligatoires.
Tel est le problème soulevé par la qualification des ressources
du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture
universelle du risque maladie. Il est donc proposé de retenir dans les
prélèvements obligatoires, les seules ressources provenant des
contributions effectuées par les unités mentionnées
à l'article L.861-13 qui n'appartiennent pas aux administrations
publiques.
Les autres ressources relatives à l'article L.861-13 et celles de
l'article L.861-12-b seraient traitées comme des transferts courants
entre administrations publiques. "
Ainsi donc, la contribution de 1,75 % sera un prélèvement
obligatoire pour sa partie payée par des unités n'appartenant pas
aux administrations publiques.
Source : INSEE
(2) Elle n'est pas exempte de critiques techniques
Ce
prélèvement obligatoire n'est pas critiqué dans son
principe. Il convient d'ailleurs de noter que les premières
hypothèses de travail faisait état d'un taux pouvant aller
jusqu'à 2,5 % ce qui semble plus réaliste au regard de la
sous-estimation probable du montant de 1.500 F. Fixée à
2,5 %, la contribution rapporterait donc, toutes choses égales par
ailleurs, près de 2,6 milliards de francs. Il est possible que dans
l'avenir, le Gouvernement trouve dans cet engagement initial une justification
pour une augmentation future du taux destinée à couvrir les
coûts supplémentaires de la couverture maladie universelle.
La première critique porte sur la nature du mécanisme. Il aurait
été possible d'établir un système similaire
à celui de la taxe d'apprentissage où les dépenses sont
déduites en totalité du montant dû, ou bien un
système séparant explicitement le versement de la
rétribution de 1500 F pour bien montrer qu'il s'agit d'un
prélèvement et que par ailleurs, les organismes
complémentaires le souhaitant assument une mission de service public
pour laquelle ils sont indemnisés.
La seconde critique porte sur l'imprécision de l'assiette du
prélèvement au regard de la réassurance et de
l'émission d'appels de primes depuis l'étranger. En effet,
l'assiette actuelle impose doublement les montants des cotisations et
primes : lors de leur perception et lors de leur éventuelle
réassurance. De plus, sont exclus de l'assiette les organismes
émettant des primes ou des cotisations depuis un autre pays que la
France. Dans le cadre de l'harmonisation européenne, il est possible
à un assureur européen de réaliser son activité
sans mandataire en France ; il se verrait alors, dans la rédaction
actuelle du texte, exclu du champ de la contribution alors que son
activité se déroulerait pourtant en concurrence avec des
sociétés françaises qui y seraient soumises. Votre
commission des finances vous proposera ainsi de revoir la rédaction de
l'assiette de la taxe.
La troisième critique porte sur la référence explicite
dans le texte au montant de 375 F par trimestre. Cette qualification
législative du montant estimé du panier de soins rendra d'autant
plus difficile sa revalorisation lorsqu'il se révélera que les
calculs initiaux étaient effectivement sous évalués. Votre
commission des finances vous proposera ainsi de renvoyer la fixation de ce
montant au pouvoir réglementaire et donc de déconnecter ce
montant de la contribution pour éviter l'obstacle de l'article 34 de la
Constitution.
Enfin, il convient d'exclure explicitement le montant de la somme versée
par le fonds de financement du chiffre d'affaires, et donc de l'extraire de
l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
(3) Son articulation douteuse avec le droit communautaire
Enfin, la contribution de 1,75 % risque d'être inapplicable vis-à-vis des acteurs de protection complémentaire européens désireux d'intervenir sur le marché français. En effet, pour être assujetti à cette taxe il leur faudra désigner un mandataire en France ou bien faire preuve de la bonne volonté de la payer. Dans le même temps, ils pourront arguer d'une entrave à la libre concurrence et proposer des produits non soumis aux 1,75 % aux courtiers français qui les placeront.