II. RÉUSSIR LA SOBRIÉTÉ FONCIÈRE EN ASSOCIANT MIEUX LES ÉLUS LOCAUX À LA RÉPARTITION TERRITORIALE DES EFFORTS
La sobriété foncière fait aujourd'hui l'objet d'un fort consensus dans notre pays : aucun élu ne plaide pour l'abrogation d'un principe législatif modérant l'artificialisation des sols. Les acteurs de l'aménagement du territoire se sont peu à peu convertis aux vertus d'une approche économe en foncier et les habitants ont pris conscience de la nécessité de maîtriser l'étalement urbain.
Forte de ces constats, la commission confirme son attachement à l'ambition originelle de réduire graduellement le rythme national des consommations foncières jusqu'à atteindre l'absence d'artificialisation en 2050. Pour y parvenir, elle propose des évolutions calibrées et des assouplissements encadrés permettant aux territoires de déterminer les trajectoires adaptées à leurs spécificités et leurs dynamiques, tout en veillant au réalisme du rythme fixé.
A. UNE MÉTHODE REPENSÉE POUR FACILITER L'ATTEINTE DES OBJECTIFS
1. La pérennisation des modalités de décompte de l'artificialisation en Enaf (article 1er)
L'article 194 de la loi « Climat et résilience » dispose que le rythme d'artificialisation est mesuré durant la première décennie par la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), après quoi la trajectoire sera calculée en tenant compte de l'artificialisation observée.
De nombreux élus locaux font part de leur inquiétude concernant ce changement de métrique intervenant en 2031, craignant que des discordances comptables ne compliquent l'appréciation de la trajectoire par les territoires.
Ces deux méthodes de comptabilisation ne sont en effet pas équivalentes et des écarts parfois significatifs peuvent apparaître : la consommation d'Enaf, bien connue des élus locaux, est fondée sur une approche fiscale et conventionnelle ; l'autre décompte apprécie la réalité physique à partir d'une nomenclature discriminant les états du sol en fonction de critères prédéfinis.
Pour éviter ce hiatus qui risque de brouiller les repères et entraîner des divergences dont le redressement risque d'être source de contentieux, l'article 1er de la proposition de loi envisage de pérenniser la mesure de l'artificialisation en consommation d'Enaf, pour une meilleure lisibilité du droit. La prorogation de cette méthode de comptabilisation des trajectoires foncières n'est pas antagoniste avec la prise en compte de la multifonctionnalité des sols, les Enaf n'étant que l'unité de mesure de la trajectoire.
Afin d'harmoniser le décompte en Enaf, la commission a décidé de définir les notions d'espace urbanisé et de dent creuse ( amdt). Cette inscription dans la loi de critères aujourd'hui dégagés par la jurisprudence permettra d'éviter toute divergence d'interprétation concernant le décompte de la consommation des Enaf et d'unifier les approches d'un territoire à l'autre.
2. La non-mutualisation des projets d'envergure nationale et européenne (article 4)
Obtenu à l'initiative du Sénat par la loi du 20 juillet 2023, le principe de la mutualisation des projets d'envergure nationale et européenne (« Pene ») est parfois contesté pour son manque d'équité. Le décompte de l'artificialisation induite par ces projets, du fait de leur nature et de leur ampleur, indépendamment de leur localisation, est réparti entre l'ensemble des régions. Ces projets représentent actuellement un peu moins de 12 500 hectares et conduisent à ce que l'effort de réduction au niveau de chaque région est porté en réalité à 54,5 %, quel que soit le nombre de projets concernés par région.
La logique est vertueuse dans sa finalité, mais n'incite pas l'État à faire les mêmes efforts fonciers que ceux qu'il exige des collectivités. La commission est favorable à l'évolution proposée à l'article 4 de la proposition de loi : l'État doit s'astreindre à montrer l'exemple et il n'est pas incohérent à ce titre que ses projets fassent l'objet d'un décompte à part.
Elle propose de consolider juridiquement la non-imputation de la consommation d'Enaf engendrée par les Pene sur les enveloppes régionales et locales, pendant une période de 15 ans, tout en prévoyant l'établissement par l'État d'une stratégie de sobriété foncière pour les Pene dont il assure, directement ou indirectement, la maîtrise d'ouvrage ainsi qu'une trajectoire de réduction de l'artificialisation cohérente avec les objectifs nationaux ( amdt).
3. Des assouplissements pour éviter que les différentes priorités de l'action publique n'entrent en contradiction (article 4)
Plusieurs élus ont indiqué, au cours des auditions préparatoires, craindre que la stratégie de sobriété foncière ne les empêche par ailleurs de participer à l'effort de réindustrialisation encouragé par le législateur, d'investir dans les aménagements nécessaires à la transition écologique ou encore de favoriser la production de logements abordables. Il s'agit ici d'une question fondamentale de compatibilité des politiques publiques entre elles, à laquelle le législateur doit constamment veiller, afin que la loi votée hier n'entre pas en contradictoire avec la loi de demain.
Soucieuse de la cohérence de l'édifice normatif et de l'atteinte simultanée des priorités fixées au niveau national, la commission a fait le choix d'acter l'exclusion, jusqu'en 2036, de tout décompte local, régional ou national d'Enaf de la consommation occasionnée par la réalisation de projets industriels, ainsi que par la production de logements sociaux, pour les communes carencées ( amdt).