N° 731
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2023
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi relatif à l'industrie verte (procédure accélérée),
Par M. Fabien GENET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin, secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen.
Voir les numéros :
Sénat : |
607, 725 et 727 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a examiné, le 13 juin 2023, le projet de loi relatif à l'industrie verte, pour les dispositions entrant dans son champ de compétences, sur le rapport de Fabien Genet.
Partageant les objectifs du Gouvernement, elle a toutefois déploré l'écart entre l'intention affichée et le contenu réel du texte, qui s'apparente à une loi « signal » : en l'état, le texte devrait en effet avoir peu d'impact et contribuera à la marge à la réindustrialisation du pays.
Afin de redresser un texte imparfait, la commission a adopté 34 amendements, dont 19 du rapporteur, poursuivant trois objectifs :
- garantir l'intégrité environnementale du projet de loi
- corriger des dispositifs qui n'atteignent pas leur cible
- assurer la sécurité juridique d'un texte imprécis.
I. EN DÉPIT D'OBJECTIFS PARTAGÉS, UN TEXTE DÉCEVANT AUX DISPOSITIONS PRINCIPALEMENT TECHNIQUES ET PARFOIS COSMÉTIQUES
A. UN PROJET DE LOI TRADUISANT IMPARFAITEMENT LES OBJECTIFS AFFICHÉS
1. « Réindustrialisation verte » et réduction des émissions de l'industrie : les objectifs consensuels affichés par le Gouvernement
Selon le Gouvernement, le projet de loi soumis au Parlement poursuit deux objectifs :
- renforcer l'attractivité et la compétitivité de la France, pour favoriser sa réindustrialisation et faire de notre pays « le champion de l'industrie verte et des technologies décarbonées » ;
- réduire le bilan carbone de l'industrie, qui représente aujourd'hui près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
La commission ne peut que souscrire à ces
orientations :
- d'une part, le contexte particulièrement concurrentiel, marqué par l'adoption par le Congrès américain, en août 2022, de la loi protectionniste Inflation Reduction Act (IRA), appelle à une réaction des pouvoirs publics pour éviter la fuite des industries européennes et françaises « bas carbone » outre-Atlantique ;
- d'autre part, la nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC), attendue pour cette année 2023, impliquera de poursuivre la réduction des émissions engagée par l'industrie française (graphique - trajectoire d'émissions de l'industrie annoncée par la Première ministre en mai 2023).
Source : Secrétariat
général
à la planification écologique
2. Un écart entre l'intention affichée et le contenu réel du texte
La commission déplore toutefois l'écart entre l'intention affichée du Gouvernement et le contenu réel du texte.
Son périmètre d'application est plus large que la notion d'« industrie verte » qui n'en est que la « vitrine », sans pour autant en constituer le contenu.
Aucun dispositif du projet de loi ne répond véritablement à l'objectif de réduction des émissions de l'industrie française.
B. UNE LOI « SIGNAL », QUI CONTRIBUERA À LA MARGE À LA RÉINDUSTRIALISATION DU PAYS
1. Loin de la « révolution » revendiquée par le Gouvernement, un texte « signal »
Le projet de loi constitue manifestement un texte « signal » à l'attention des investisseurs étrangers : aux yeux du Gouvernement, l'existence d'un véhicule législatif dédié à la réindustrialisation et la communication qui lui est associée semblent plus compter que son contenu.
Il en découle une « petite » loi, très loin de la « révolution » revendiquée par le Gouvernement.
2. Un projet de loi impressionniste, aux dispositions principalement techniques et parfois cosmétiques
Le Gouvernement a fait le choix d'un texte « impressionniste », composé de mesures ciblées sur des sujets très divers.
Derrière l'ambition affichée, ses dispositions, principalement techniques, s'apparentent à un projet de loi « balai », ajustant à la marge le droit existant (tel l'article 13 sur le « verdissement » de la commande publique) ou corrigeant des textes récents, au mépris parfois des choix du Parlement récemment exprimés (tel l'article 2 qui supprime des dispositions d'accélération des énergies renouvelables, pourtant introduites dans la loi de mars 2023 à l'initiative du Sénat).
Certains articles sont même cosmétiques, élevant au rang législatif des mesures réglementaires ou consacrées par la jurisprudence déjà en vigueur (à l'exemple de l'article 4 sur la sortie implicite du statut de déchet).
Les articles du projet de loi relevant de l'expertise de la commission devraient donc avoir peu d'impact et contribueront à la marge à la réindustrialisation du pays.
Certains leviers qui ne sont pas abordés par le texte et qui peuvent, dans certains cas, relever du pouvoir réglementaire -- à l'instar de l'encadrement des délais contentieux -- pourraient avoir un impact bien plus grand au regard de cet objectif.
II. GARANTIR L'INTÉGRITÉ ENVIRONNEMENTALE DU TEXTE, CORRIGER LES DISPOSITIFS QUI N'ATTEIGNENT PAS LEUR CIBLE ET ASSURER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DU TEXTE
A. GARANTIR L'INTÉGRITÉ ENVIRONNEMENTALE DU PROJET DE LOI
1. Une protection du principe « pollueur-payeur »
prévue L'accélération de l'implantation de projets d'industrie verte ne doit pas se faire au détriment du principe « pollueur-payeur » : la réhabilitation des friches industrielles doit rester de la responsabilité des industriels.
La commission propose ainsi de revenir sur la suppression de la garantie financière, imposée à certains exploitants de sites industriels lors de l'ouverture du site, par le Gouvernement à l'article 6. Si cette garantie qui couvre les frais industriels et de réhabilitation est supprimée, la responsabilité de la réhabilitation risque de se reporter sur la puissance publique et sur les collectivités territoriales.
Bien qu'imparfait, le dispositif de garantie financière devrait être réformé, plutôt que supprimé. L'objectif légitime d'amélioration de la compétitivité des entreprises ne peut pas se faire au détriment des collectivités territoriales et du principe « pollueur-payeur ».
2. Une préservation du principe de participation du public
La commission partage le constat d'une nécessité de moderniser la procédure de consultation pour accélérer la procédure d'autorisation environnementale.
Pour autant, cette accélération ne doit pas occulter la qualité de la participation du public ou remettre en cause le principe de participation du public, consacré par la Charte de l'environnement, et gage de l'acceptabilité des projets industriels.
La commission propose ainsi :
- de revenir sur la désignation du garant de la concertation préalable comme commissaire enquêteur (article 2). Cette proposition du Gouvernement n'accélérera pas la procédure de consultation et peut réduire la confiance du public dans la procédure de participation ( COM-270) ;
- de réduire les contraintes s'imposant à un projet souhaitant s'implanter sur un site qui a déjà fait l'objet d'un débat public global ou d'une concertation globale tout en préservant le droit à la participation du public (article 3) : la commission propose une position d'équilibre tendant à soumettre ce type de projet à une concertation préalable -- moins lourde qu'un débat public -- là où le Gouvernement souhaitait supprimer toute forme de participation du public ( COM-273) ;
- de rétablir la possibilité de désigner une commission d'enquête plutôt qu'un commissaire enquêteur unique, pour les projets les plus complexes (article 2) ( COM-351) ;
- de prévoir la contribution du public à la consultation par voie postale en plus de la voie électronique, pour que l'illectronisme ne devienne pas un obstacle à la démocratie environnementale (article 2) ( COM-185).
3. Une compensation des atteintes à la biodiversité modernisée et sécurisée
L'article 7 du projet de loi prévoit une modernisation des mécanismes de compensation des atteintes à la biodiversité, par la transformation des sites naturels de compensation en sites naturels de restauration et de renaturation (SNRR). Tenant compte de l'avis du Conseil national de la transition écologique (CNTE), la commission a souhaité mieux distinguer les notions de restauration et de renaturation, d'une part, et de compensation, d'autre part ( COM-277).
4. Une accélération des procédures d'autorisation des énergies renouvelables rétablie
À l'initiative de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, la loi « ENR » de mars 2023 fixe un délai particulier pour l'examen des demandes d'autorisations environnementales des projets d'énergies renouvelables situés dans des zones d'accélération. L'article 2 supprime ce délai, en raison de la parallélisation de la phase d'examen et de consultation.
Pour rétablir la spécificité des projets d'énergies renouvelables et accélérer leur déploiement en zone d'accélération, la commission propose de transposer la directive RED III, en cours d'adoption, en limitant à douze mois le délai d'octroi de permis pour les projets d'énergies renouvelables situés dans les zones d'accélération ( COM-269), et en limitant à six mois le délai d'octroi pour les demandes de renouvellement de projets d'énergies renouvelables situés dans les zones d'accélération ( COM-251).
5. La création de projets territoriaux d'industrie circulaire
La commission a enfin complété le volet « économie circulaire » du texte, en prévoyant la création de projets territoriaux d'industrie circulaire à l'image des projets alimentaires territoriaux (PAT) (article 4 A (nouveau), COM-243 rect.).
B. CORRIGER DES DISPOSITIFS QUI N'ATTEIGNENT PAS LEUR CIBLE
1. Sanctionner le non-respect de l'obligation d'établir un bilan de gaz à effet de serre
65 % des presque 5 000 organisations assujetties ne respectent pas leur obligation de réaliser un bilan d'émissions de gaz à effet de serre (BEGES). Pour pallier ce déficit d'application de la loi, dommageable d'un point de vue environnemental et industriel, le projet de loi propose de faire du non-respect de cette obligation un motif d'exclusion facultatif des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession (article 13).
Des réserves peuvent toutefois être émises quant à l'efficacité de ce levier facultatif, très peu (ou pas) mobilisé par les acheteurs publics.
La vocation première du code de la commande publique n'est pas, au demeurant, de faire respecter d'autres dispositions législatives, relevant par exemple du code de l'environnement.
La commission a donc supprimé ce dispositif pour privilégier un relèvement des sanctions administratives applicables en cas de non-respect de l'obligation d'établir un BEGES ( COM-284).
2. Renforcer l'intégration des critères environnementaux dans la commande publique : étendre le projet de loi aux contrats de concession
L'article 13 rappelle la possibilité de mobiliser des critères qualitatifs, notamment environnementaux, pour attribuer les marchés publics : la commission a souhaité, par souci de cohérence, procéder à une consécration analogue pour les contrats de concession ( COM-281).
3. Consacrer juridiquement la sortie implicite du statut de déchet
Renforcer l'économie circulaire, dans un double objectif environnemental et de souveraineté économique et industrielle de notre pays, constitue un objectif louable du projet de loi.
L'article 4 vise à contribuer à cette ambition, en facilitant la sortie du statut de déchet sans fixation de critères réglementaires (sortie « implicite » du statut de déchet). Les amendements adoptés par la commission vise à conforter ce principe en en renforçant la sécurité juridique par une rédaction plus robuste des conditions de sortie du statut de déchet, afin notamment de corriger l'écart manifeste entre l'intention affichée du Gouvernement et la rédaction proposée par le projet de loi ( COM-18 rect. bis, COM-311 rect. bis et COM-274).
B. ASSURER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE D'UN TEXTE IMPRÉCIS
1. Sécuriser l'intervention de l'État en cas de transferts transfrontaliers de déchets illégaux
Sanctionner les transferts transfrontaliers de déchets illégaux est indispensable à notre souveraineté industrielle et à la préservation de l'environnement. Le dispositif proposé à l'article 4 est à cet égard bienvenu, mais sa rédaction pourrait être contraire à l'objectif recherché. La commission a souhaité corriger le dispositif, pour sécuriser l'intervention de l'État : le principe du contradictoire ne trouvera à s'appliquer que pour l'imposition d'amendes administratives, et pas pour les décisions urgentes pouvant être prises par l'autorité administrative en cas de transferts transfrontaliers de déchets ( COM-275). Dans le même état d'esprit, la commission a souhaité relever le niveau maximal de sanctions applicables, ainsi que la durée pendant laquelle ces sanctions peuvent être mises en oeuvre ( COM-196 et COM-194).
2. Non-application du statut de déchet aux résidus de production produits au sein des plateformes industrielles : corriger une non-conformité au droit de l'Union européenne
La non-application du statut de déchet aux résidus de production produits au sein des plateformes industrielles proposé à l'article 4 poursuit le même objectif de développement de l'économie circulaire. Le dispositif du Gouvernement souffre cependant d'un défaut de non-conformité au droit de l'Union européenne : les amendements adoptés par la commission visent à dissiper cette insécurité juridique ( COM-19 rect. bis, COM-276 rect. bis et COM-310).
3. Une mutualisation des SPASER permise y compris pour les plus petites collectivités territoriales
L'article 13 ouvre la possibilité de mutualiser un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables entre plusieurs acheteurs publics. La commission a souhaité ouvrir cette possibilité aux acheteurs publics volontaires dont le montant total annuel d'achats est inférieur au seuil réglementaire rendant obligatoire la réalisation d'un SPASER (50 millions d'euros hors taxes) ( COM-278 et COM-308).
Des collectivités plus petites pourront ainsi bénéficier des initiatives et démarches de « verdissement » de la commande publique engagées par de plus grandes collectivités territoriales.
4. Une clarification de la notion de « territoire délimité et homogène » concernant les débats publics globaux et des concertations préalables globales
L'article 3 ouvre la possibilité, sur un « territoire délimité et homogène », d'organiser des débats publics globaux et des concertations préalables globales pour plusieurs projets, afin de renforcer la cohérence de la participation du public. L'amendement adopté par la commission renforce la sécurité juridique associée à ces nouveaux modes de participation en renvoyant la définition du « territoire délimité et homogène » à un décret en Conseil d'État ( COM-272).