II. COMMENT ÉVITER LE RISQUE DE DISPARITION DE NOTRE SAVOIR-FAIRE DANS LE DOMAINE DE LA COOPÉRATION ?
Votre
rapporteur a participé, avec deux de ses collègues, à une
mission d'information approfondie sur la réforme de la
coopération
6(
*
)
. Il
reviendra sur certaines des conclusions de cette étude en insistant sur
les aspects qui lui paraissent les plus importants.
Le ministère des affaires étrangères a toujours
manifesté une certaine ambivalence vis-à-vis de la
coopération où un certain dédain se combinait avec une
réelle envie pour les moyens financiers dont bénéficiait
l'aide au développement. La fusion a très largement
répondu aux voeux des diplomates. La situation actuelle -l'effacement de
la coopération au sein du Quai d'Orsay et les redéploiements des
crédits- ne sont que la suite logique des motivations profondes à
l'origine de la réforme.
A. L'INDISPENSABLE RECONNAISSANCE DE LA SPÉCIFICITÉ DES MÉTIERS DU DÉVELOPPEMENT
1. Une cohérence problématique
L'absorption des services du Secrétariat d'Etat
à la
coopération par le Quai d'Orsay avait pour vocation d'assurer une plus
grande complémentarité entre l'action diplomatique et la
politique de coopération.
Cette ambition s'est traduite sur le plan institutionnel par la création
d'une nouvelle direction générale au Quai d'Orsay -la
direction générale de la coopération internationale et
du développement
(DGCID) qui réunit dans un même
ensemble les attributions de l'ancienne direction du développement de la
rue Monsieur et celles de l'ancienne direction générale des
relations culturelles et scientifiques (DGRCST) du ministère des
affaires étrangères.
Un bilan de trois ans de fonctionnement de la DGCID appelle un triple constat.
- D'abord, la DGCID représente un
ensemble institutionnel très
lourd
du fait de l'étendue de ses compétences qui va de la
promotion de l'audiovisuel en Amérique du Nord à la lutte contre
le SIDA en Afrique centrale, du fait aussi des procédures de
décision complexes et du poids de ses effectifs.
- Ensuite
le brassage des cultures diplomatique et de coopération n'a
reçu qu'une application limitée.
Il n'a vraiment
fonctionné que dans un sens. Si plusieurs diplomates se sont investis
dans les actions de développement, très peu des personnels issus
de la coopération se sont vu affectés à des postes
diplomatiques. De là ce sentiment « d'absorption »
de la coopération par le quai d'Orsay dont plusieurs des interlocuteurs
de la délégation sénatoriale se sont fait l'écho.
- Enfin, la réforme avait pour objectif de renforcer notre politique de
coopération grâce à notre influence diplomatique et
réciproquement. Or elle risque d'affaiblir l'une et l'autre. D'un
côté, comme l'a d'ailleurs reconnu l'un des inspirateurs de la
réforme, l'énergie des agents de la DGCID est accaparée
par la mise en oeuvre d'une
multiplicité d'opérations
, au
détriment de notre capacité à intervenir de manière
méthodique et persévérante dans les instances
multilatérales. De l'autre côté, la somme de
compétences souvent remarquables réunies en matière de
coopération n'a pas été valorisée comme elle
l'aurait mérité. En outre, et c'est peut-être encore plus
grave, ce
vivier d'expertises risque de se tarir
car les règles
statutaires du Quai d'Orsay ne favorisent ni les détachements, ni
l'emploi de contractuels. Or l'aide au développement requiert des
spécialités pointues -médecine, économie,
agronomie...- qui ne se trouvent pas au ministère.
2. L'intérêt d'une grande Agence de développement
La
diplomatie et le développement sont
deux métiers
différents
. Leur spécificité doit être reconnue.
Si ces deux activités apparaissent à bien des égards
complémentaires, cette complémentarité n'implique pas
nécessairement qu'elles soient fusionnées au sein d'un même
ensemble.
La spécificité du développement suppose une
grande
diversité de formations
et donc un
cadre institutionnel
souple
. A cet égard l'exemple britannique doit être
médité : le Royaume-Uni a en effet suivi une option aux
antipodes du choix français : il a retiré au Foreign Office
ses responsabilités en matière du développement et
créé un nouveau département ministériel
confié à un secrétaire d'Etat chargé de la
coopération. Cette nouvelle structure a été affranchie des
règles propres à la fonction publique afin de
bénéficier d'une
grande souplesse de recrutement
.
La France dispose avec l'
Agence
française de
développement
dotée du statut d'établissement public,
d'une structure souple à même de faire appel à des
compétences diversifiées. En outre, l'Agence française de
développement a vu ses attributions étendues par la
réforme aux infrastructures dans les secteurs sociaux. Pourquoi ne pas
aller au bout de cette logique et confier à l'AFD l'
ensemble
des projets d'aide au développement
? La culture de projet
est en effet commune aux agents de l'Agence française de
développement et à ceux de la coopération. C'est pourquoi
votre rapporteur plaide pour une
grande agence de développement
.
Deux pôles seraient ainsi constitués : d'une part, autour de
l'Agence française de développement, un
pôle
développement -
réunissant aux compétences actuelles de
l'AFD celles dévolues aujourd'hui à deux sous-directions de la
DGCID : développement économique et de l'environnement,
développement social- d'autre part, autour de la DGCID, un pôle
diplomatie d'influence
appuyé notamment sur les
outils
traditionnels de la coopération culturelle et la francophonie
.
L'Agence doit rester un organe d'exécution. La préparation et
l'élaboration des grandes orientations de notre politique de
coopération incombent au Quai d'Orsay. La DGCID devra ainsi participer
de manière déterminante au cadrage des priorités
géographiques et sectorielles de notre aide. De même,
dégagée de toute fonction d'exécution, elle pourra se
concentrer sur sa mission prioritaire de préparation des grandes
réunions internationales dans le domaine du développement afin de
mieux défendre les positions françaises.
Cette réorganisation suppose que trois conditions soient
satisfaites : le maintien de «
passerelles
»
entre les personnels du Quai d'Orsay et ceux de l'Agence afin que les fonctions
de conception puissent être nourries en permanence par les leçons
de l'expérience ; une
adaptation
importante des structures
de l'AFD dans le sens, notamment, d'une plus grande déconcentration et
un
renforcement de la tutelle
du ministère des affaires
étrangères sur l'AFD.
D'une manière générale, le
contrôle politique
sur l'agence doit être renforcé. Le
Parlement
devrait
être
mieux représenté
au sein du Conseil de
surveillance.
B. LE RENFORCEMENT IMPÉRATIF DE LA COORDINATION
La
multiplicité des responsabilités dans le domaine du
développement a souvent été cause de dispersion et donc
d'inefficacité. Un effort de coordination s'imposait mais il rencontre
de difficultés.
- A l'
échelon
gouvernemental
, le Comité
interministériel de la coopération internationale et du
développement (CICID) n'est pas en mesure de jouer le rôle
d'impulsion qui lui incombe. En outre, même si la part respective des
ministères des finances et des affaires étrangères tend
à se rééquilibrer, le
poids déterminant de
Bercy
sur des aspects décisifs de notre politique de
coopération inscrit les relations entre les deux administrations
davantage dans le cadre d'un rapport de forces que d'un partenariat réel.
- Sur le terrain
, le souci d'une coordination plus efficace s'est
traduit par un
renforcement de l'autorité de l'ambassadeur
. La
transformation des missions de coopération en service de
coopération et d'action culturelle a atténué le risque de
« dyarchie » -ambassadeur, chef de mission- au sein de nos
représentations. En outre, l'ambassadeur est désormais
appelé à donner son avis d'opportunité sur les projets mis
en oeuvre par l'AFD.
Toutefois, il semble que l'AFD continue de conduire ses projets d'une
manière indépendante et considère encore l'avis de
l'ambassadeur comme théorique.
Il importe de rappeler qu'il appartient au ministère des affaires
étrangères et non à Bercy de conduire notre politique de
coopération. Cette prééminence peut se traduire sous deux
formes : d'abord une part accrue des dotations consacrées au
développement doit figurer au budget du Quai d'Orsay. A cet
égard, l'inscription des crédits du Fonds européen de
développement au budget du ministère des affaires
étrangères dans le projet de loi de finances pour 2002 va dans le
bon sens. Ensuite, la tutelle du Quai d'Orsay sur l'AFD doit recevoir une
application effective : en particulier la consultation de l'ambassadeur
sur les projets de l'AFD doit revêtir la forme d'un avis conforme.