INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Lors de l'absorption du ministère de la coopération par le Quai
d'Orsay en 1998, votre rapporteur s'était fait l'écho de
certaines interrogations : les moyens propres de la coopération
pourraient-ils être préservés au sein de l'enveloppe
globale du ministère des affaires étrangères ? Au fil
des exercices budgétaires, ces interrogations sont devenues de
véritables appréhensions. Aujourd'hui le doute n'est
malheureusement plus de mise : le Quai d'Orsay ne peut sauvegarder ses
dotations qu'au prix d'une réduction de l'aide au développement.
Les changements récurrents de nomenclature depuis 1999 ne permettent
désormais plus de prendre la juste mesure de ces redéploiements
qui s'opèrent ainsi
à l'insu du contrôle
parlementaire
.
Sans doute est-il essentiel de donner à notre diplomatie les moyens de
ses ambitions. Mais en aucun cas, cette priorité ne doit se faire au
détriment de notre action de coopération qui participe
directement à notre rayonnement international.
Ce rapport tentera de le démontrer une fois encore dans un contexte de
tension internationale où l'impératif de solidarité du
Nord vis-à-vis du Sud s'impose avec une acuité encore plus
grande.
I. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LES FLUX FINANCIERS EN FAVEUR DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
A. UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE DÉSORMAIS TRÈS FRAGILISÉE
Les pays
en développement ont connu une forte croissance en 2000 (+ 5 %).
Les risques d'une récession américaine pèseront cependant
sur leurs évolutions économiques. Avant même les
événements du 11 septembre dernier,
le ralentissement de la
conjoncture aux Etats-Unis
et les conséquences négatives
induites pour les exportations des pays du sud avaient conduit à ramener
les projections de croissance pour les pays en développement à 3
% en 2001. Parallèlement cependant, la
demande intérieure
bénéficie d'un redressement de la consommation privée sous
l'effet d'une inflation durablement maîtrisée et de la reprise de
l'investissement productif encouragé par la baisse des taux
d'intérêt.
Ces données générales jouent de manière très
différente en fonction de l'évolution du
cours des
matières premières
dont le rôle reste encore
déterminant pour les pays en développement. Si l'orientation des
prix pétroliers (25 dollars le baril en moyenne en 2001)
bénéficie aux pays producteurs, la chute du cours des autres
produits de base représente un facteur potentiel de crise. Les prix ont
en effet atteint, pour de nombreux produits, leur
niveau le plus bas
depuis dix ans ; les stocks accumulés et une production souvent
excédentaire ne laissent guère présager une reprise
à prochaine échéance.
Ainsi les pays en développement apparaissent de plus en plus comme une
zone hétérogène
.
En
Asie du sud-est
, les perspectives de croissance -autour de 3 % en
2001- devraient être moins favorables pour les pays comme Singapour ou la
Malaisie dont les exportations représentent 100 % du PIB, en raison
notamment du ralentissement cyclique dans le secteur de l'électronique.
Moins dépendant des exportations, le Cambodge, le Vietnam et le Laos
devraient, pour leur part, connaître une amélioration de la
production agricole après les effets sévères des
inondations et de la sécheresse en 2000, ainsi que d'une progression des
investissements étrangers (en particulier au Vietnam) et de la mise en
place de réformes économiques.
Au
Moyen-Orient et au Maghreb
, la reprise de l'activité
amorcée en 2000, demeure freinée par l'aggravation des tensions
dans la région, et en particulier l'acuité du conflit
israélo-palestinien. Cependant, la conjoncture se présente sous
des auspices plus favorables pour les Etats du Maghreb. L'Algérie
continue de tirer parti de recettes pétrolières substantielles.
Au Maroc, après deux années de stagnation dues à la
sécheresse, la croissance devrait s'élever à 6 % en 2001
(contre 0,3 % en 2000) en raison de l'amélioration de la production
agricole à la faveur de meilleures conditions climatiques. En Tunisie,
l'activité reste soutenue (+ 5 %) dans un environnement
macroéconomique plutôt équilibré.
L'Afrique subsaharienne
qui compte
41 pays
sur les 61
de la
zone de solidarité prioritaire -
ZSP-
regroupant les
bénéficiaires de l'aide française, devrait être
moins touchée que les autres régions du monde en
développement, par le ralentissement de l'activité industrielle
mondiale en raison de sa faible intégration au commerce international
des produits manufacturés. Même si les cours des produits de base
(à l'exception du pétrole) demeurent déprimés, la
croissance devrait atteindre 3 % en 2001 contre 2,7 % en 2000.
Les deux géants de l'économie africaine -l'Afrique du Sud et le
Nigeria- connaissent des évolutions contrastées. Soutenue par la
demande intérieure, la croissance de
l'Afrique du Sud
(40 % du
PIB de la zone) devrait s'élever à 3,2 %. Parallèlement,
l'amélioration des termes de l'échange -en particulier
grâce à la stabilisation du prix de l'or- permettra sans doute le
retour à des comptes extérieurs excédentaires. Quant au
Nigeria
(12 % du PIB de la zone), la hausse des recettes
pétrolières ne semble pas s'être diffusée aux
revenus des ménages qui ont plutôt pâti d'une recrudescence
de l'inflation (liée à la hausse des dépenses publiques et
au renchérissement des coûts du transport). L'atonie de la
consommation intérieure, conjuguée au moindre dynamisme des
échanges extérieurs, pèsera sur la croissance,
ramenée de 2,8 % en 2000 à 2 % en 2001.
Les partenaires traditionnels de la France en Afrique subsaharienne -les
pays de la zone franc
- qui sont aussi les principaux
bénéficiaires de notre aide, ont connu une embellie en 2001. Le
taux de croissance devrait en effet s'élever à 4,4 % contre 2 %
en 2000, mais il recouvre en fait de
fortes disparités
entre
l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale.
La conjoncture au sein de
l'Union économique et monétaire de
l'Afrique de l'Ouest
(UEMOA) a connu un
net ralentissement
en 2000.
Après avoir atteint 4 % en 1999, la croissance ne devrait pas
dépasser 1,3 % en 2001, en raison, principalement, de la profonde
récession ivoirienne. La Côte d'Ivoire, en effet, pèse de
manière déterminante dans son environnement régional (22 %
de la population, 40 % du PIB, 50 % des exportations). Indépendamment
des répercussions économiques de la crise politique ivoirienne,
la zone dans son ensemble, souffre de la faiblesse des cours des cultures
de rente (café, cacao, coton).
L'orientation défavorable des prix conjuguée à la baisse
de la production, en particulier dans les Etats sahéliens
particulièrement touchés par la sécheresse, a pesé
sur les revenus ruraux et, par conséquent, sur la consommation
intérieure. Le pouvoir d'achat pâtit par ailleurs de certaines
tensions inflationnistes (hausse des prix de 3,7 % au terme du premier
trimestre 2001 contre 0,5 % pour la même période de l'année
précédente) liée aux augmentations successives du prix du
pétrole, ainsi qu'à la hausse des prix des denrées
alimentaires induites par les mauvaises récoltes.
La contraction de la production agricole s'est traduite par une
réduction des exportations de produits primaires (- 9,6 % en 2001 contre
7,1 % en 2000), sauf pour le Sénégal qui a, au contraire,
bénéficié d'une progression de ses exportations (+ 5,6 %)
-notamment pour le coton, l'arachide et les phosphates. Le solde de la balance
commerciale de la zone UEMOA, légèrement excédentaire en
2000, s'est ainsi dégradée en 2001 (- 1,7 %).
Dans ce contexte défavorable, les finances publiques, tributaires de la
réduction des recettes fiscales, se dégradent (le solde
budgétaire des Etats de la zone devrait représenter 0,8 % du PIB
contre 2,1 % en 2001). Enfin, l'investissement public recule,
singulièrement en Côte d'Ivoire et au Togo.
Les perspectives économiques demeurent largement subordonnées
à l'évolution de la conjoncture en Côte d'Ivoire et en
particulier au retour espéré des financements internationaux
consécutifs à la normalisation des relations entre Abidjan et les
institutions de Bretton Woods.
Bénéficiaires de la hausse du cours du pétrole, les Etats
de la
Communauté économique et monétaire en Afrique
centrale
devraient connaître une
croissance de 6 %
contre 3,2
% en 2000. Outre l'évolution très favorable des prix, la
production de pétrole brut
devrait progresser en raison de
l'exploitation de nouveaux gisements au Congo et de l'extension des puits en
activité en Guinée équatoriale (ainsi, dans ce dernier
pays, la croissance pourrait atteindre 70 %).
Les recettes budgétaires bénéficieront de l'augmentation
des revenus pétroliers mais aussi, dans le cadre d'une politique
budgétaire devenue
plus rigoureuse
, des mesures engagées
par les régies financières pour améliorer le recouvrement
des impôts et des taxes.
L'excédent extérieur courant devrait, quant à lui, se
contracter sous l'effet du dynamisme des importations lié à la
croissance.
Après la récession des années 80, les pays africains ont
montré leur capacité à renouer durablement avec la
croissance. Cette évolution dément l'
« afropessimisme » trop souvent répandu dans notre
pays. Il n'en reste pas moins que
l'augmentation du PIB n'est pas à
la mesure d'une progression démographique très rapide
.
Certes, la Banque mondiale projette une hausse annuelle de 1,3 % du revenu par
habitant pendant les dix prochaines années, soit un renversement
significatif des tendances observées au cours de la dernière
décennie, mais cette évolution ne représente encore que le
tiers des résultats enregistrés en moyenne pour l'Asie.
L'accélération de la croissance dépend pour une large part
de la mobilisation de l'épargne intérieure mais aussi d'une
hausse des financements extérieurs.
B. LES ENJEUX CONSIDÉRABLES DE L'ALLÉGEMENT DE LA DETTE POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
Si le
fléchissement ininterrompu de l'aide publique au développement
depuis dix ans ne devrait malheureusement pas être durablement
enrayé, l'initiative en faveur des pays pauvres très
endettés représente, pour les pays créanciers, un
effort considérable
dont les implications soulèvent
cependant encore beaucoup d'inconnues.
.
L'aide publique au développement
AIDE
PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT COMPARATIVE DE
LA FRANCE ET DES PAYS DU
G7
(Montants en millions d'euros)
|
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000* |
|||||||
|
Montant |
% du
|
Montant |
% du PIB |
Montant |
% du PIB |
Montant |
% du PIB |
Montan |
% du PIB |
Montant |
% du PIB |
Montant |
% du PIB |
France |
7.159 |
0.64 |
6.533 |
0.55 |
5.950 |
0.48 |
5.584 |
0.45 |
5.122 |
0.40 |
5.291 |
0.39 |
4.454 |
0.32 |
Royaume Uni |
2.703 |
0.31 |
2.443 |
0.28 |
2.555 |
0.27 |
2.985 |
0.26 |
3.447 |
0.27 |
3.238 |
0.24 |
4.837 |
0.31 |
Japon |
95.757 |
0.29 |
11.211 |
0.28 |
7.537 |
0.20 |
8.286 |
0.22 |
9.491 |
0.28 |
14.382 |
0.35 |
14.174 |
0.27 |
Allemagne |
5.765 |
0.34 |
5.822 |
0.31 |
6.070 |
0.33 |
5.236 |
0.28 |
4.978 |
0.26 |
5.176 |
0.26 |
5.462 |
0.27 |
Canada |
1.903 |
0.43 |
1.599 |
0.38 |
1.433 |
0.32 |
1.900 |
0.36 |
1.508 |
0.29 |
1.595 |
0.28 |
1.869 |
0.25 |
Italie |
2.287 |
0.27 |
1.256 |
0.15 |
1.929 |
0.20 |
1.090 |
0.11 |
2.032 |
0.20 |
1.695 |
0.15 |
1.484 |
0.13 |
Etats-Unis |
8.394 |
0.14 |
5.700 |
0.01 |
7.488 |
0.12 |
5.461 |
0.08 |
7.837 |
0.10 |
8.583 |
0.10 |
10.396 |
0.10 |
Total CAD |
50.023 |
0.30 |
45.559 |
0.27 |
44.270 |
0.25 |
42.129 |
0.22 |
46.444 |
0.23 |
52.975 |
0.24 |
57.573 |
0.22 |
*
chiffres provisoires
Les comparaisons précédentes le montrent, la
position
éminente de la France parmi les autres grands bailleurs
bilatéraux tend à s'estomper.
Or l'effort financier de notre
pays lui donnait un crédit certain pour peser sur les grandes
orientations retenues de la communauté internationale dans le domaine du
développement.
L'érosion régulière de notre aide permettra-t-elle encore
à notre pays de faire entendre sa voix à l'avenir ?
D'après les données du comité d'aide au
développement de l'Organisation pour la coopération et le
développement économique (OCDE), l'aide publique au
développement versée par la France s'est élevée en
2000 à 30,043 milliards de francs, représentant 0,33 % du PIB,
soit une réduction de 13,9 % par rapport à l'année
précédente.
Cette réduction s'explique pour partie, il est vrai, par le retrait des
montants destinés aux territoires d'outre-mer qui n'ont en effet que peu
de rapport avec l'aide au développement. A structure constante (hors
territoires d'outre-mer), la réduction est ainsi ramenée à
2,1 %.
Toutefois, cette nouvelle diminution apparaît
à rebours des
choix de deux de nos partenaires européens
qui, à l'instar de
la France, entendent conduire une vraie diplomatie mondiale : le
Royaume-Uni (+ 35,6 % -hausse qui s'explique par la rapide montée en
puissance du nouveau ministère de la coopération) et l'Allemagne
(+ 6 %).
La diminution de la contribution française s'explique par trois
séries de facteurs : la baisse des aides financières (les
concours d'ajustements structurels sont ainsi passés de 2,6 milliards de
francs en 1994 à 0,6 milliard de francs en 1999) ; la diminution du
volume des annulations de dettes de 8,7 milliards de francs en 1994 à
5,2 milliards de francs en 1999 ; la contraction drastique de nos
effectifs d'assistance technique au cours des dix dernières
années.
D'après les informations transmises par le gouvernement, les
perspectives pour 2001 devraient se présenter sous des auspices plus
favorables en raison des mesures prises en faveur du traitement de la dette
extérieure. Ainsi l'aide publique pourrait croître de 3 milliards
de francs tandis que sa part au sein du PIB passerait de 0,33 % à 0,35 %
.
la dette
Lancée au sommet du groupe de sept pays les plus industrialisés
à Lyon en 1996,
l'initiative pour les pays pauvres très
endettés
(PPTE) cherche à rétablir la
solvabilité des pays bénéficiaires en annulant, par
des mesures de caractère exceptionnel, la part de leur dette
extérieure jugée incompatible avec leur développement
économique. Cette initiative a été renforcée en
juin 1999 afin d'accroître le montant des créances annulées
et d'étendre le champ des pays bénéficiaires.
Les créances concernées représentent les
créances commerciales
éligibles à un traitement en
Club de Paris (qui regroupe les créanciers publics). Sont exclus :
les crédits accordés dans le cadre de l'aide au
développement, les crédits à court terme ou à vue,
les crédits au secteur public ne bénéficiant pas de la
garantie de l'Etat et les crédits au secteur privé.
La mise en oeuvre se déroulera en deux étapes :
- le «
point de décision
», date à
laquelle le pays est déclaré éligible à
l'initiative par les conseils d'administration du FMI et de la Banque
mondiale ;
- deux ou trois ans plus tard, le «
point
d'achèvement
», date d'application effective des mesures
de réduction de dette.
Toutefois, pour ne pas pénaliser les pays déclarés
éligibles, des mesures dites « intérimaires »
seront prises dès le point de décision pour alléger le
service de la dette jusqu'au point d'achèvement.
Quel bilan peut-on aujourd'hui dresser de l'effort ainsi consenti par les
créanciers ?
En juin 2001, 23 pays
1(
*
)
avaient atteint leur « point de décision » qui leur
permet de bénéficier d'allègements intérimaires du
service de la dette sous la forme d'accords de rééchelonnement au
sein du Club de Paris ou de refinancement par dons du service de la dette due
aux institutions financières internationales. Ils
bénéficient d'ores et déjà d'un allégement
du service de leur dette (20 milliards de dollars en valeur actuelle nette et
34 milliards de dollars en valeur nominale) correspondant aux
deux tiers
de l'allégement total qui sera accordé dans le cadre de
l'initiative PPTE et à près de la moitié de l'encours
total de la dette extérieure de ces pays.
Les ressources dégagées par l'allégement de dette ont
vocation à réduire la pauvreté dans les pays
bénéficiaires. D'après certaines estimations, les
dépenses à caractère social devraient augmenter dans ces
pays d'environ 1,7 milliard de dollars pendant les années 2001-2002
-à raison de 40 % pour l'éducation, 25 % pour la santé, le
solde se répartissant principalement entre la lutte contre le sida, le
développement rural, l'approvisionnement en eau, la bonne gouvernance,
la construction d'infrastructures routières.
Deux pays ont aujourd'hui atteint leur point d'achèvement -qui permet
l'annulation définitive de la partie du stock de dette concernée
par l'initiative PPTE : l'Ouganda et la Bolivie. Sept autres
pourraient l'atteindre d'ici à la fin de l'année 2001 et 12 en
2002.
L'initiative PPTE devrait représenter un coût global de 29,3
milliards de dollars en valeur actuelle (53 milliards de dollars en valeur
nominale) dont la moitié à la charge des créanciers
multilatéraux (2,4 milliards de dollars pour le FMI, 7 milliards de
dollars pour la Banque Mondiale, 6 milliards de dollars pour les banques
régionales de développement)
2(
*
)
.
Parallèlement, de nombreux pays créanciers annulent la dette au
titre de l'aide publique et certains d'entre eux -dont la France-
réduisent également la dette commerciale au-delà du niveau
requis dans le cadre de l'initiative PPTE.
L'allégement global de la dette issue de la conjonction de l'initiative
PPTE et des mécanismes traditionnels s'élèvera à
plus de 53 milliards de dollars sur la base d'un stock de dette initial de
74 milliards de dollars
;
Le service de la dette devrait ainsi passer de 27 % des recette publiques des
pays pauvres à
moins de 10 %
d'ici 2005.
.
Une forte implication de la France
Notre pays supportera environ
2 milliards d'euros
en valeur nominale du
coût global de l'initiative PPTE.
La France qui a joué un rôle moteur dans le lancement de
l'initiative PPTE à Lyon en 1996, s'est engagée en outre, comme
la plupart des créanciers bilatéraux, à annuler la
totalité des créances d'aide publique au développement
(Cologne, juin 1999), soit 3,5 milliards d'euros, ainsi que la totalité
des créances commerciales éligibles au Club de Paris, et non la
seule partie de ces créances considérée comme non
« soutenable » par les pays endettés (Tokyo, janvier
2000), soit 1 milliard d'euros.
Par ailleurs, lors de la clôture du sommet Afrique-France à
Yaoundé le 19 janvier 2001, le Président de la République
a annoncé la décision de la France d'accélérer une
partie des allégements pour les pays bénéficiaires
à l'initiative PPTE : le taux d'annulation des créances
commerciales sera porté de 90 à 100 % dès qu'un pays sera
reconnu éligible par le FMI et la Banque Mondiale. Cette mesure devrait
conduire à annuler plus tôt environ 500 millions d'euros de
créances.
Compte tenu de l'effort additionnel bilatéral français dans le
cadre de la mise en oeuvre de l'initiative PPTE (plus de 5 milliards d'euros)
ainsi que des mesures liées aux décisions du Club de Paris
indépendantes de l'initiative PPTE (3,5 milliards d'euros), le
coût total des allégements et annulations de dettes devrait donc
dépasser pour la France
10 milliards d'euros
.
L'utilisation des capacités financières dégagées
par les annulations de dettes représentent un enjeu essentiel au regard
de la politique de développement.
A la différence de l'aide-projet affectée à une
opération précise dans un objectif en principe bien
déterminé, l'annulation de la dette laisse une marge de manoeuvre
complète aux pays bénéficiaires. Par le passé,
certaines dérives ont été observées (laxisme de la
gestion publique , accaparement de la marge dégagée par une
poignée de privilégiés) qui ne doivent pas se renouveler.
Ce serait en effet donner une prime aux mauvais payeurs aux dépens des
Etats qui se sont scrupuleusement acquittés de leurs obligations au
prix, souvent, de lourds sacrifices pour leur population.
Sans doute, depuis plusieurs années, les conditions posées par la
communauté internationale se sont multipliées. Mais elles ont
tendu davantage à enserrer les pays bénéficiaires dans un
formalisme
consommateur de temps et de personnels, qu'à assurer
un contrôle vraiment efficace.
L'équilibre entre un contrôle légitime des ressources
libérées par les annulations de créance et la
nécessaire souplesse de gestion -qui seule peut responsabiliser les
Etats bénéficiaires- représente l'un des principaux
défis de la mise en oeuvre de l'initiative PPTE.
Notre pays a, pour sa part, conçu pour le volet bilatéral
d'annulation de la dette, un système original sous la forme du
contrat de désendettement et de développement
(C2D).
Plutôt que des annulations au sens strict, ce mécanisme permettra
le refinancement par dons des échéances dues au titre des
créances. Il ne s'appliquera qu'au service de la dette
contractée dans le cadre de l'aide publique au développement. Les
autres créances seront simplement annulées.
Le contrat sera conclu entre le gouvernement français et les
autorités de l'Etat bénéficiaire de l'initiative PPTE
lorsque ce pays aura atteint son point d'achèvement. Il devra, d'une
part, poser le principe de refinancement par dons des remboursements dus au
titre de la dette, d'autre part, définir les modalités
d'utilisation des sommes budgétaires ainsi libérées. Il
faut souligner, pour s'en féliciter, que Bercy ne sera pas le seul
maître d'oeuvre de cette négociation : le Quai d'Orsay y sera
en effet étroitement associé.
Au reste, la mise en oeuvre du contrat relèvera d'un comité
d'orientation et de suivi coprésidé par l'ambassadeur et le
gouvernement local. L'instruction des opérations financées par
les contrats de désendettement et de développement sera
répartie entre l'Agence française de développement et le
service de coopération et d'action culturelle selon leurs
compétences respectives.
Les priorités définies par les contrats de désendettement
et de développement -conclu en principe pour une durée de trois
ans- varieront naturellement d'un pays à l'autre. Elles devront
toutefois tenir compte des quatre grands domaines d'affectation retenus par le
comité interministériel de la coopération et du
développement (CICID) : l'éducation de base et la formation
professionnelle, les soins de santé primaires et la lutte contre les
grandes endémies, les équipements et infrastructures des
collectivités locales, l'aménagement du territoire et la gestion
des ressources naturelles.
La mise en oeuvre de l'initiative pour les pays pauvres très
endettés, soulève
trois séries
d'interrogations
:
- d'une part, alors que le ralentissement de la croissance pèsera
inévitablement sur les enveloppes budgétaires des Etats
industrialisés, l'effort consenti pour la réduction de la dette
n'aura-t-il pas, pour contrepartie, la
contraction de
l'aide-projet
? Les principaux bailleurs et, en particulier la France,
se sont engagés sur le
principe d'additionnalité
:
l'allégement de la dette ne se substituera pas aux versements de
l'aide-projet, mais la complètera ;
- d'autre part, les pays bénéficiaires
de l'initiative
PPTE pourront-ils obtenir de
nouveaux prêts
? La question n'a
pas encore été tranchée mais les instances
multilatérales inclinent vers l'exclusion de nouveaux crédits,
même concessionnels. Une telle position aurait cependant pour
conséquence un tarissement des transferts financiers en particulier vers
certains pays à revenu intermédiaire comme la Côte
d'Ivoire, le Cameroun ou le Congo qui verraient dès lors leurs
capacités de développement sérieusement
entravées ;
- compte tenu de l'implication de nombreux intervenants dans des cadres
différents -multilatéral, bilatéral- les modalités
de contrôle de l'affectation des ressources dégagées par
l'initiative PPTE devraient faire l'objet d'une
concertation
afin
d'harmoniser, dans la mesure du possible, les procédures et les
objectifs.
Enfin, compte tenu des sommes en jeu, votre rapporteur juge indispensable que
les conditions d'affectation des ressources fassent l'objet d'une
information régulière et précise des commissions
intéressées du Parlement
.
C. UNE ACTION TOUJOURS EN QUÊTE DE RÉELLES PRIORITÉS
La
réduction de l'aide devrait contraindre à une plus grande
sélectivité. Or, la réforme de la coopération
française a conduit à privilégier une tout autre
voie : le nombre de bénéficiaires théoriques de
l'aide a été élargi dans le cadre de la zone de
solidarité prioritaire tandis que les domaines d'action qu'entend
privilégier notre pays n'apparaissent pas clairement.
.
A quoi sert le CICID ?
La définition de vraies priorités géographiques et
sectorielles relève de l'autorité politique. Or, il faut le
reconnaître, le comité interministériel de la
coopération et du développement (CICID) chargé
précisément par la réforme d'assumer cette mission, ne
joue absolument pas son rôle.
La rareté et l'irrégularité de ses réunions (le
CICID s'est tenu deux fois depuis 1998 - le ministre
délégué à la coopération et à la
francophonie a indiqué qu'il se réunirait avant la fin de
l'année...), la composition inadaptée de cette instance :
aucune condition n'est réunie pour permettre à cette instance de
donner à notre politique de coopération l'impulsion indispensable.
.
La zone de solidarité prioritaire est-elle vraiment
prioritaire ?
La zone de solidarité prioritaire réunit 61 pays alors que
l'ancien champ de notre politique de coopération, avant 1998, se
limitait à 37 pays.
L'extension du cadre d'action ne s'est pourtant accompagnée d'aucun
moyen supplémentaire. Au contraire, la part de la ZSP au sein de l'aide
totale a tendu à décliner depuis la réforme de la
coopération, passant de 50 % à 44 %.
Parallèlement, la part de l'Afrique au sein de l'aide bilatérale
totale n'a cessé de se réduire : de 56,5 % en 1995 à
50,2 % en 1999, et pour l'Afrique subsaharienne sur la même
période, de 38,7 % à 34,2 %.
Aide
publique au développement
reçue par les pays de la zone de solidarité prioritaire
(en millions de dollars)
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
APD française reçue |
3 037 |
2 775 |
2 378 |
1 861 |
1 821 |
APD globale reçue |
19 003 |
17 608 |
15 727 |
16 107 |
14 195 |
La mise
en oeuvre de moyens réduits dans un cadre géographique
élargi constitue la
principale incohérence de la
réforme
. Incohérence dont nous devrons payer le prix dans les
années à venir si le champ d'action de notre coopération
n'est pas révisé.
En effet, ce décalage entre les ambitions et les moyens ne met pas
seulement en cause la cohérence interne de la réforme. Il
soulève un
double risque. Risque d'inefficacité
d'abord : l'application de moyens réduits à un plus
grand nombre de pays entraîne la multiplication d'opérations peu
significatives, l'éparpillement, la dispersion et finalement la dilution
de notre aide.
Risque politique
ensuite ; en effet, l'espoir
suscité dans certains pays par leur incorporation dans la zone de
solidarité prioritaire peut être déçu et nourrir une
certaine amertume vis-à-vis de la France tandis que certains des anciens
pays du « champ » appréhendent la banalisation de
nos relations bilatérales. A vouloir être présent partout,
ne risque-t-on pas de ne compter nulle part ? L'influence de la France n'a
rien à gagner à cette dispersion.
D. UNE INFORMATION TRÈS LACUNAIRE SUR NOTRE AIDE
La
réforme de la coopération a privilégié davantage
les modifications de structures qu'une réflexion de fond sur le
développement. Votre rapporteur regrette que notre politique de
coopération conduite sur plusieurs décennies n'ait pas
donné lieu à une analyse rétrospective des faiblesses mais
aussi des succès. Un tel travail aurait contribué à mieux
éclairer les choix actuels des gouvernants.
Aujourd'hui encore, les données relatives à notre aide
apparaissent fragmentaires et disparates. Elles ne rendent pas justice à
certains résultats remarquables et ne permettent pas en tout cas de
porter un regard d'ensemble sur notre politique.
Il est ainsi impossible de disposer de données complètes
permettant d'établir des comparaisons de secteur à secteur, de
pays à pays où les interventions des autres bailleurs seraient
également prises en compte. Tout ou presque reste à faire pour
établir un «
tableau de bord
» de la
coopération. Or un tel instrument constitue une condition indispensable
pour permettre aux pouvoirs publics de fixer des priorités
réelles.
Pourquoi la coopération ne disposerait-elle pas, à l'instar
d'autres administrations ou ministères, d'un
« observatoire » ? Il y a là aujourd'hui une lacune
considérable dont le brouillage actuel de nos actions apparaît une
conséquence directe.
E. L'INDISPENSABLE RÉFORME DE L'AIDE EUROPÉENNE
L'aide
communautaire a plus que doublé au cours de la dernière
décennie, passant d'un total de 4,2 milliards d'euros
engagés en 1988 à 8,6 milliards d'euros en 1998 (soit
6,8 milliards d'euros pour les pays en développement et
1,8 milliard pour les autres pays). Elle est financée, d'une part,
par le
budget communautaire
(6,5 milliards d'euros en 1999
gérés par la voie de programmes géographiques
3(
*
)
ou thématiques), d'autre part,
par le
Fonds européen de développement
(FED)
créé par la convention de Lomé. Ce fonds destiné
exclusivement aux 71 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) est
alimenté par des contributions spécifiques de la part des Etats
membres.
L'aide européenne souffre d'une faiblesse majeure :
l'
excessive
lenteur des décaissements
. Le montant des
reliquats
sur le FED s'élève à près de dix
milliards d'euros
-que les Quinze ont décidé d'engager au
cours des sept prochaines années, en complément des fonds
accordés au titre du neuvième FED (13,5 milliards d'euros).
Le volume des crédits engagés mais non décaissés
apparaît encore plus élevé pour les zones non couvertes par
le FED -principalement l'Amérique latine et la
Méditerranée. Il atteignait en effet, fin 1999, plus de
20 milliards d'euros. Les délais de mise en oeuvre des projets
peuvent dans certains cas excéder 8 ans.
En fait, 35 à 40 % seulement des ressources disponibles ont
été à ce jour dépensés.
La Commission avait admis elle-même que la
« gestion est
devenue extrêmement complexe et onéreuse en raison de
l'hétérogénéité des procédures et
l'éclatement ou l'inadéquation des systèmes de
communication ».
Ces dérives ont jeté un discrédit certain sur l'aide
extérieure communautaire. Une réorientation s'imposait. Les Etats
membres et la Commission en ont récemment pris conscience. Ils ont
souhaité, en novembre 2000, à l'initiative de la
présidence française
, jeter les
nouveaux fondements
d'une politique européenne de développement.
Parallèlement, la Commission a engagé un réel effort de
rénovation et de rationalisation de la gestion de l'aide
extérieure sur lequel vos rapporteurs ont pu recueillir certains
éclaircissements lors de leur déplacement à Bruxelles.
Une
déclaration commune
du Conseil et de la Commission,
adoptée lors du Conseil « développement » du
10 novembre 2000, a permis de fixer en quelque sorte la charte de l'action
de l'Union en matière de développement. Deux orientations
majeures se dégagent de ce texte. En premier lieu, il pose pour principe
une
division du travail
entre la Commission et les Etats membres en
fonction de leurs
avantages comparatifs
. Il recentre l'activité
de la Communauté sur
dix domaines d'intervention
prioritaires
: le lien entre le commerce et de
développement
4(
*
)
, la
promotion de l'intégration et des coopérations régionales,
l'appui aux politiques macroéconomiques et l'accès
équitable aux services sociaux, le développement des moyens de
transport, la sécurité alimentaire et le développement
rural durable, le renforcement des capacités institutionnelles et de la
démocratie. Au vu de cette liste, la Communauté continue
d'embrasser, il est vrai, un champ très large d'activités. La
définition de vraies priorités représente
décidément un exercice difficile. Ce constat appliqué
à la politique nationale vaut aussi, on le voit, à
l'échelle européenne.
Ce « recentrage » doit, en second lieu, s'accompagner d'un
changement de méthode
: la recherche d'une
coordination
et d'une
complémentarité accrues
entre
les opérations des Etats membres et celles de la Communauté,
d'une part, entre la Communauté et les autres donateurs internationaux,
d'autre part. La déclaration prévoit notamment la
« possibilité de
déléguer
la gestion des
crédits communautaires aux Etats membres ou à leurs agences
d'exécution en cas de cofinancements, comme le prévoit l'accord
interne sur le 9
ème
FED ».
Les Quinze ont apporté par ailleurs leur soutien au processus de refonte
de la gestion de l'aide extérieure engagé par la Commission.
Celle-ci a, en effet, décidé d'engager en 2000 une réforme
de la gestion de son aide extérieure visant trois objectifs
principaux :
-
réduire
de manière significative
le temps
nécessaire à la mise en oeuvre des projets
approuvés
;
- améliorer la
qualité de gestion
des projets et leur
condition de contrôle ;
- renforcer l'impact et la
visibilité
de la coopération
européenne.
Le plan d'action envisagé par la Commission repose sur
trois grands
volets
:
- l'unification de la programmation de l'aide extérieure
conformément aux objectifs des politiques de l'Union
européenne ;
- le développement d'une culture administrative commune au sein des
services de la direction des relations extérieures ;
- la
création d'un organe unique, Europeaid
, chargé de la
gestion du projet depuis l'identification jusqu'à l'exécution et,
parallèlement, une plus grande déconcentration de l'aide (tout ce
qui peut être mieux géré et décidé sur place,
près du terrain, ne devrait pas l'être à Bruxelles). A la
fin 2003, les 128 délégations de la Commission dans le monde
devraient gérer les programmes d'aide extérieure dans les pays
relevant de leur compétence.
La mise en place, en janvier 2001, d'Europeaid constitue incontestablement la
pièce maîtresse de cette réforme.
Europeaid a pris la place du Service commun des relations extérieures
institué en 1998 pour assurer une exécution plus efficace du
programme d'aide aux pays tiers. Le nouvel organisme s'est vu chargé de
la mise en oeuvre de 80 % de l'aide extérieure de l'Union (les
exceptions concernent les instruments de pré-adhésion tels que
Phare, la politique étrangère et de sécurité
commune et l'aide d'urgence). Il assure en conséquence la
responsabilité de
toutes les phases du cycle d'opérations
décidées dans le cadre des programmations établies par la
direction générale du développement et par la direction
générale des relations extérieures : identification
et instruction des projets, préparation des décisions de
financement, mise en oeuvre, évaluation.
L'Office disposera d'un effectif total de 1 200 personnes. Lorsque le transfert
des responsabilités et des personnels vers les délégations
sera achevé, la moitié environ de ces personnels sera
redéployé vers les délégations.
Europeaid est placé sous la double autorité des commissaires en
charge des relations extérieures d'une part, du développement et
de l'aide humanitaire d'autre part, l'un et l'autre membres du Comité de
direction (respectivement avec le titre de président et d'administrateur
général).
Votre rapporteur, à l'issue d'une mission accomplie à Bruxelles,
destinée à réunir les informations complémentaires
sur la réforme engagée de l'aide communautaire, souhaiterait
présenter ses réflexions sous la forme de trois observations.
.
Le chantier de la simplification
L'efficacité de l'aide communautaire dépendra, dans une large
mesure, de la simplification des procédures. Or, le chantier est
immense : 27 000 contrats en cours dans 132 pays avec 2 000
appels d'offre par an ; 70 lignes budgétaires sur quelque 87 bases
juridiques différentes. Plusieurs de ces lignes ont été
créées sous la pression du Parlement européen. Cette
multiplicité est source de lourdeurs bureaucratiques et de nombreux
délais. Quelques progrès ont d'ores et déjà
été accomplis ; ainsi le nombre de procédures de
passation de marché est passé en deux ans de 80 à 8...
Mais c'est, aujourd'hui, l'architecture d'ensemble des lignes
budgétaires qui doit être revue.
Un effort de simplification et de rationalisation particulier doit porter sur
les
relations nouées entre la Commission et les ONG
. L'aide
versée à ces dernières dépasse 200 millions d'euros
par an. Cependant, le nombre des dossiers traités par les services de la
Commission -de l'ordre du millier- ne leur permet pas toujours d'assurer un
contrôle rigoureux des fonds.
En outre, les conditions d'éligibilité d'une ONG à l'aide
communautaire restent très ouvertes -une ONG doit être
légalement enregistrée et bénéficier d'une certaine
notoriété. Cette dernière condition se prête
à une marge d'appréciation très large. Lié à
la diversité des droits nationaux en matière d'association, ce
cadre souple conduit parfois à accorder une aide à des
organisations dont la vocation ne correspond pas aux objectifs poursuivis par
l'Union.
. Les interrogations soulevées par l'augmentation des effectifs et le
renforcement du rôle des délégations de l'Union.
La réforme de l'aide communautaire reposera sur une
déconcentration, sous la responsabilité d'Europeaid.
Le renforcement du rôle des délégations de l'Union
représente, on l'a vu, un axe fort de la réforme. Il reposera sur
une déconcentration, organisée sous les auspices d'Europeaid,
vers les délégations de l'ensemble des opérations qui
peuvent être mieux gérées sur place, ainsi que sur une
augmentation progressive de leurs effectifs
. En effet, la Commission
procédera à la création de 400 postes
supplémentaires dont 250 pour la direction des relations
extérieures -en raison de la mise en place d'Europeaid. Dans un
deuxième temps, sur une période de 3 ans, 600 fonctionnaires
seront redéployés vers les délégations.
Jusqu'à présent, le manque de moyens humains sur le terrain
pouvait constituer pour l'Union une incitation assez forte à recourir
aux services des Etats membres, favorisant ainsi la recherche des
complémentarités. Désormais dotée de ressources
nécessaires, ne sera-t-elle pas conduite à mener seuls les
projets qu'elle finance ?
Le Conseil « affaires générales » du 22
janvier 2001 a certes fixé des lignes directrices pour le renforcement
de la coordination sur le terrain entre les Etats membres de la Commission
-réunions régulières, coordination appliquée
à toutes les étapes non seulement de la programmation mais aussi
des projets, désignation, le cas échéant, d'un
« chef de file » pour suivre la coordination dans un
secteur particulier. Le Conseil avait déjà adopté en 1998,
des orientations sur le renforcement de la coordination opérationnelle.
La réitération, trois ans plus tard, des mêmes principes
montre la difficulté de l'exercice.
La volonté de recentrer l'activité de l'Union sur les six
domaines où elle offre une valeur ajoutée permettra-t-elle
d'avancer dans cette voie ? Incontestablement elle marque une prise de
conscience par les Etats membres et la Commission des risques d'un
éparpillement excessif. On l'a vu cependant, le champ ouvert à la
Communauté demeure très large. En outre, il
recoupe
sur
plusieurs aspects les priorités que la France a assigné à
sa politique de développement, qu'il s'agisse de l'intégration et
de la coopération régionale, de l'accès équitable
aux services sociaux ou encore du développement rural durable. Enfin,
comme l'a souligné le commissaire européen devant votre
rapporteur, l'Union n'entend pas se laisser enfermer dans le rôle de
simple payeur, voué aux projets les plus dispendieux. Elle souhaite
faire prévaloir une démarche plus exigeante : « On
ne veut pas payer des coûts récurrents ».
L'accroissement des moyens des délégations concourra à
cette nouvelle ambition. Une fois encore, la perspective de transformation des
délégations en véritables missions de coopération,
loin de favoriser les complémentarités, risque d'aiguiser la
concurrence avec les représentations nationales. Trop souvent, l'Union
européenne est perçue par les bénéficiaires comme
un seizième Etat membre. L'action communautaire doit être encore
plus sélective. Compte tenu des compétences reconnues à la
Commission dans le domaine des négociations commerciales, elle pourrait
concentrer son action sur l'intégration des pays en développement
dans l'économie mondiale (coopération dans les domaines
liés au commerce et à la préparation aux
négociations multilatérales).
.
Quel rôle pour la France ?
La participation française à l'aide européenne
représente actuellement 14 % du montant total de notre aide
publique au développement contre 11 % en 1994. Cette
évolution s'explique principalement par l'importance de la quote-part
française -24,3 %- au Fonds européen de développement
qui place notre pays au premier rang des contributeurs européens.
A l'occasion des discussions relatives au financement du neuvième FED
dans le cadre des accords de Cotonou signés le 23 juin 2000, notre pays
aurait souhaité un rééquilibrage de sa clé de
contribution dans un sens plus conforme à sa part dans le budget
communautaire.
Pour préserver l'enveloppe destinée aux pays ACP,
contestée par une partie de nos partenaires européens, la France
a cependant dû consentir, à l'heure où elle prenait la
présidence de l'Union, au maintien des clés de répartition.
Toutefois, la Commission a récemment fait part de son intention de
soumettre au Conseil avant 2003 un examen des avantages et des
inconvénients d'une
budgétisation
du FED.
L'intégration de l'aide aux pays ACP au sein du budget communautaire
permettrait un partage des charges proportionnel aux participations des Etats
membres au budget et donc une répartition plus équitable que
celle retenue dans le cadre d'un fonds dont les dotations doivent
régulièrement être renégociées.
La relative inefficacité de l'aide communautaire dont témoigne la
part considérable des engagements non liquidés a conduit certains
à se demander s'il était opportun pour la France de maintenir son
effort financier et s'il ne serait pas plus efficace de privilégier le
canal bilatéral. Le rapport de M. Yves Tavernier au Premier
ministre
5(
*
)
s'est fait
l'écho de cette interrogation : «
l'Europe n'est pas
à la hauteur de ses engagements et de ses responsabilités. Son
cadre fonctionnel, sa bureaucratie centralisée, ses lourdeurs
procédurières et ses contradictions limitent son influence dans
le débat sur les valeurs, les objectifs et les moyens. La France,
premier contributeur au FED, est en droit de s'interroger sur la
lisibilité et l'efficacité de sa dotation
».
Le renforcement de l'influence française peut prendre différentes
formes. Il est possible et souhaitable en premier lieu d'étendre les
délégations de crédit
comme le permet le
neuvième FED sur la base de procédures qu'a encouragées,
comme on l'a vu, la déclaration commune du Conseil et de la Commission
de novembre 2000. L'AFD a déjà participé à des
dispositifs de ce type : elle a signé deux accords financiers lui
déléguant la gestion de crédits
multilatéraux : ligne de financement de projets PME/PMI pour le
compte de la société financière internationale (20
millions de dollars), facilités de refinancement PROPARCO pour le compte
de la Banque européenne d'investissement (20 millions d'euros). En juin
1999, l'AFD et la Commission ont signé un protocole d'accord relatif au
cofinancement, à la gestion de projets, d'échanges de personnels,
de rapprochement des procédures et d'évaluation conjointe des
projets. La généralisation de ce dispositif peut toutefois
rencontrer certains obstacles : on a déjà dit la
réticence de la Commission à jouer le rôle de simple
guichet ; en outre, nos autres partenaires européens dont beaucoup
restent faiblement représentés dans les pays de la zone ACP
soupçonnent parfois la France de privilégier ses
intérêts diplomatiques et économiques. Les services de la
Communauté leur apparaissent comme une garantie utile de
neutralité. C'est pourquoi, la voie des délégations de
crédit, qu'il convient de développer, doit être
utilisée avec un souci constant d'explication et de transparence tant
vis à vis de la Commission que des autres Etats membres.
Aussi conviendrait-il de ne pas négliger l'
influence indirecte
qui peut s'exercer en amont du processus de décision auprès des
cadres de la Commission. Le Royaume-Uni est passé maître dans un
exercice destiné à influer sur les
« décideurs » communautaires, à les
convaincre si bien de la pertinence de ses positions qu'ils les font leurs. Cet
exemple devrait être médité par la France. Les Britanniques
procurent aux services communautaires des dossiers d'information très
documentés et des analyses qui contribuent à nourrir leur
réflexion. Plus encore, au cours de 2001, ils ont adressé
à une cinquantaine de fonctionnaires de la Commission un document
intitulé « Comment influencer l'aide
communautaire ? » et organisé par la suite des
réunions individuelles avec chacun des destinataires. Les interlocuteurs
de votre rapporteur ont reconnu que ces efforts, conduits intelligemment,
avaient pour résultat une certaine imprégnation des choix
communautaires par les idées britanniques. La France ne semble pas avoir
suffisamment pris la mesure de l'intérêt de ce type de
démarche.
F. LE RÔLE MAJEUR DES OPÉRATEURS PRIVÉS ENCORE TROP MÉCONNU PAR LES POUVOIRS PUBLICS
Dans un
contexte de tarissement de l'aide publique, la progression des flux financiers
privés représente un enjeu absolument capital pour le ponde en
développement.
Or, l'attention accordée par les pouvoirs publics au secteur
privé n'est pas à la mesure du rôle primordial que nos
investisseurs jouent dans le développement.
Non seulement les investissements des entreprises génèrent des
ressources nouvelles, mais ils sont aussi un aiguillon de la modernisation
économique et juridique des pays bénéficiaires.
Cependant les pays en développement et, parmi eux, les pays les moins
avancés restent très largement à l'écart des flux
mondiaux d'investissements : ils reçoivent chaque année
moins du quart des investissements directs étrangers.
La part des flux de capitaux privés
tend, il est vrai, à
progresser
par rapport à l'aide publique au
développement : ils représentent en effet 60 % des
financements externes à long terme destinés aux pays en
développement, alors que l'APD n'en assure plus que 16 %. En 1991 la
répartition apparaissait quasiment inverse : la moitié des
financements destinés aux PED provenait de l'aide publique et 29 %
seulement des investissements directs étrangers.
Nos entreprises, il faut le souligner, ont joué un rôle important
dans ces évolutions positives. 1 300 filiales de sociétés
françaises sont établies en Afrique subsaharienne ; elles
représentent à elles seules 65 % du secteur privé. Cette
présence contribue d'une manière décisive à la
création de richesses, d'emplois, à l'amélioration des
conditions de vie, ainsi qu'à l'émergence d'une classe moyenne.
En outre, elle participe à la diffusion d'un modèle
d'organisation -souci de la rentabilité, respect du droit du travail, de
la fiscalité- dont les mérites peuvent se diffuser
progressivement au sein de la société.
De son côté, la France, il faut le souligner,
bénéficie de ces liens économiques
privilégiés : elle a ainsi réalisé en 2000
9,2 milliards de francs d'excédent avec les seuls pays de la zone
franc,
soit 15,7 % de l'excédent commercial total.
Si le rôle de certains grands groupes doit être salué, le
dynamisme de notre présence économique repose aussi, pour une
très large part, sur les petites et moyennes entreprises.
Or les pouvoirs publics quels qu'ils soient, n'ont pas su prendre la juste
mesure des enjeux importants que représente ce réseau dense
d'entrepreneurs pour le développement de l'Afrique comme pour
l'économie française. En particulier ils n'apportent pas à
nos compatriotes, qui prennent le risque de s'expatrier et de parier sur le
continent, les garanties nécessaires. Aux yeux de votre rapporteur, une
double initiative s'impose aujourd'hui.
- Il convient d'abord de favoriser la mise en place d'un
dispositif
d'indemnisation
lorsque les ressortissants français subissent des
dommages à l'occasion de crises ou d'événements dans
lesquels ils n'ont évidemment aucune part. Pourquoi la solidarité
nationale ne s'exercerait-elle pas aussi en faveur des Français
expatriés ? Aujourd'hui l'absence de toute mesure
réparatrice peut laisser nos compatriotes, victimes d'exactions sur
leurs biens ou sur leur personne, ruinés et
désespérés.
- Il faut ensuite agir de manière beaucoup plus déterminée
en faveur des ressortissants qui ont régulièrement cotisé
auprès des systèmes sociaux africains et ne peuvent
bénéficier des prestations correspondantes compte tenu de la
faillite financière de beaucoup de ces structures. La mise en place des
contrats de désendettement et de développement dans le cadre des
annulations de dette
doit impérativement être
utilisée pour exiger de nos partenaires que leurs organisations sociales
honorent leurs obligations vis-à-vis de leurs populations et de nos
ressortissants.