III. LE PROJET DE BUDGET POUR 2002 : UNE OPACITÉ QUI DÉGUISE MAL LA DISSOLUTION PROGRESSIVE DES MOYENS
Il est
devenu aujourd'hui extrêmement difficile d'isoler les crédits
dévolus spécifiquement à l'aide au développement au
sein du budget du ministère des affaires étrangères. Les
modifications de nomenclature budgétaire récurrentes depuis la
mise en oeuvre de la réforme de la coopération en 1998 ont
conduit à une
confusion croissante entre les dotations de la
coopération culturelle et l'aide au développement
.
Le brouillage devient presque complet dans le projet de budget pour 2002 avec
la fusion, au sein d'un chapitre unique (42-15), des crédits de la
coopération culturelle, scientifique et technique (42-11) et de la
coopération technique et du développement (42-12). Ces
modifications dans la présentation du budget apparaissent
extrêmement
critiquables
à trois titres :
- sur le plan des principes, elles confondent des crédits dont la
vocation
est très différente ; à titre
d'exemple, il sera désormais difficile de distinguer le coût
respectif de l'assistance technique classique et des coopérants
culturels : les uns comme les autres dépendront d'un article
budgétaire unique, le « transfert de savoir-faire :
expertise de longue durée ». Il faut le répéter,
l'action culturelle et l'action du développement impliquent des buts,
des méthodes d'action et des compétences tout à fait
différents ;
- ensuite elles interdisent des
comparaisons
fiables d'une année
sur l'autre ;
- enfin, elles permettent des
redéploiements
invisibles ex-ante
de crédits entre aide au développement et coopération
culturelle, favorisant, à enveloppe globalement constante, le glissement
de l'effort de la première vers la seconde.
Sous couvert d'une rationalisation de caractère purement technique, les
modifications de nomenclature budgétaire recouvrent ainsi des enjeux
politiques autrement importants. La présentation commune des
crédits d'action culturelle et d'aide au développement s'inscrit
dans la logique de l'« absorption » du secrétariat
d'Etat à la coopération par le ministère des affaires
étrangères. Dans ces conditions, l'
enveloppe
consacrée à la coopération culturelle, n'a pu
être sauvegardé qu'au prix d'une réduction, inadmissible,
de l'aide au développement
.
Aussi bien, si les modifications de la présentation budgétaire
compliquent beaucoup le contrôle parlementaire, elles ne sauraient
dissimuler une
baisse tendancielle et très préoccupante de
l'aide au développement
.
Le tableau qui suit identifie les principaux volets de notre politique de
coopération : il intègre toutefois, dans le cadre du
« transfert de savoir-faire » et des « actions de
coopération internationale et de développement », des
crédits qui ne concernent que le volet culturel de nos
interventions.
|
Crédits votés en 2001 |
Loi de finances 2002 |
évolution
|
Concours financier (41-43) |
22 867 |
22 867 |
|
Transfert de savoir-faire
|
199 457 |
189 134 |
- 5 |
Transfert de savoir-faire
|
15 024 |
15 184 |
1 |
Bourses,
échange et formation
|
112 797 |
114 322 |
1,3 |
Appui aux organismes privés à la coopération (42-15-30) |
146 146 |
137 980 |
- 5,5 |
Appui local
aux projets de coopération
|
11 891 |
17 679 |
48 |
Appui local
aux projets de coopération
|
29 506 |
31 030 |
5,1 |
Appui à des initiatives privées ou décentralisées (42-13) |
34 392 |
34 453 |
- |
Coopération militaire et de défense (42-21) |
109 825 |
103 665 |
- 5,6 |
Action extérieure et aide au développement (68-80) |
(AP 5 124)
|
(4 803)
|
- 6,2
|
Fonds de solidarité prioritaire (68-91) |
(AP 174
943)
|
(150 163)
|
- 14,16
|
Dons destinés à financer des projets mis en oeuvre par l'AFD (68-93) |
(AP 173
792)
|
(152 449)
|
- 12,2
|
|
941 093 |
921 057 |
|
Par
ailleurs, la participation de la France au
Fonds européen de
développement
auparavant inscrite au budget des charges communes
figure désormais au budget des affaires étrangères. Ce
transfert, souhaité par les parlementaires, apparaît
opportun : dans l'ensemble très hétérogène
formé par les charges communes, la contribution de la France à
l'aide européenne, n'apparaissait pas clairement ; en outre, il
était naturel que ces crédits, compte tenu de leur importance,
soient attachés au ministère chargé de conduire notre
politique de coopération. Aussi, l'intégration du Fonds
européen de développement au budget du ministère aurait
incontestablement conforté la visibilité de notre action en
faveur du développement si la confusion croissante entre diplomatie
culturelle et coopération technique n'en altérait pas, par
ailleurs, la nature.
Votre rapporteur analysera successivement les deux volets essentiels de notre
politique de coopération : d'une part, le soutien financier et
économique, d'autre part, l'assistance technique.
A. L'ÉROSION CONTINUE DE L'APPUI FINANCIER ET ÉCONOMIQUE
1. Les risques possibles de tension sur les concours financiers
.
Les concours à l'ajustement structurel
Les concours financiers, rappelons-le, participent au soutien des programmes
d'ajustement structurel mis en oeuvre par les pays bénéficiaires
pour équilibrer leurs finances publiques. En contrepartie d'un soutien
de la communauté des bailleurs de fonds à l'équilibre de
leurs budgets et de leurs balances de paiements courants, les pays sous
ajustement structurel s'engagent à respecter les objectifs inclus dans
le document cadre de la politique économique élaborée par
les autorités nationales avec l'aide des services du FMI et de la Banque
mondiale.
Les financements d'ajustement structurel prennent deux formes :
- les dons en faveur de l'ajustement structurel pour les pays les moins
avancés ;
- les prêts pour les pays à revenu intermédiaire consentis
par l'Agence française de développement au nom et au risque de
l'Etat, à partir des ressources procurées par emprunts sur le
marché financier et bonifiés par l'article 20 du chapitre
41-43.
L'enveloppe retenue pour l'ajustement structurel (répartie à part
égale entre les dons et les bonifications dotés respectivement de
6,8 millions d'euros) reste stable par rapport à l'année
précédente. Ces ressources pourraient se révéler
insuffisantes pour deux raisons :
- la stabilisation politique en cours dans certains pays comme la Côte
d'Ivoire et le Congo devrait conduire les bailleurs de fonds
multilatéraux à lever les verrous interdisant encore l'octroi de
nouveaux financements ;
- par ailleurs, le contenu des programmes soutenus par le FMI et la Banque
mondiale traditionnellement axé sur les équilibres
budgétaires prend mieux en compte désormais la dimension sociale
de l'ajustement. Cette orientation rejoint les positions défendues de
longue date par la France dans le cadre de l'emploi des concours financiers.
Elle devrait donc amener notre pays à s'impliquer davantage -avec des
moyens financiers renforcés en conséquence- dans cette politique
d'ajustement « nouvelle manière ».
.
L'aide budgétaire
L'aide budgétaire est en principe destinée au financement
d'opérations exceptionnelles. La dotation attribuée en 2001, soit
6,8 millions d'euros, est reconduite pour 2002.
L'aide budgétaire, inscrite avant 1998 au budget de l'ancien
secrétariat d'Etat à la coopération,
bénéficiait exclusivement aux pays du
« champ ». A la suite de la fusion des budgets de la
coopération et des affaires étrangères, elle a vu son
champ d'utilisation s'élargir aux dimensions du monde entier, alors
même que les crédits diminuaient ou, dans le meilleur des cas,
stagnaient.
Ainsi, en 2000, plus du tiers des opérations avaient concerné la
seule Macédoine (7,5 millions d'euros). Au 20 septembre 2001, les
deux-tiers de l'enveloppe ont bénéficié aux pays de
l'ex-Yougoslavie (soit 15 millions d'euros sur 22 millions d'euros
-dotation initiale complétée par les reports de crédits).
Les mesures consacrées aux Etats de la zone de solidarité
prioritaire qui devraient être en principe les destinataires
privilégiés de l'aide budgétaire n'ont reçu,
à ce jour, qu'un million d'euros.
Il y a là une évolution très préoccupante et un
problème de fond. L'aide budgétaire traduit un effort de
solidarité particulier. Est-il normal de la consacrer à des pays
situés hors de la zone de solidarité prioritaire ?
Votre rapporteur ne le croit pas. Le recours aux ressources disponibles au
titre des instruments d'aide au développement pour répondre aux
situations d'urgence qui peuvent survenir à tout moment dans toute
partie du monde altère profondément la cohérence et la
portée de notre politique de coopération.
2. L'érosion continue de l'aide projet
L'aide
projet repose sur deux instruments principaux : les dons destinés
à financer des projets de développement institutionnel, social et
culturel sur les ressources du Fonds de solidarité prioritaire (FSP),
les dons affectés aux projets de développement économique
et social mis en oeuvre par l'Agence française de développement.
.
L'évolution préoccupante des autorisations de
programme du Fonds de solidarité prioritaire
Les dotations prévues par le Fonds de solidarité prioritaire
s'élèvent à 150 millions d'euros en autorisations de
programme (soit une baisse de 14,6 % par rapport à la loi de
finances initiale pour 2001) et à 112 millions d'euros en crédits
de paiement (- 3,5 %). La réduction des autorisations de programme qui
constituent le seul indicateur de l'effort consenti sur la durée pour
l'aide projet apparaît particulièrement alarmante. Elle confirme
en effet la réduction tendancielle de notre effort dans ce domaine
depuis plusieurs années, alors même que l'élargissement du
nombre de pays bénéficiaires de notre coopération à
la suite de la mise en place de la zone de solidarité prioritaire aurait
du, tout au contraire, conduire à inverser cette évolution.
Par ailleurs, l'orientation de l'aide projet inspire deux autres motifs de
préoccupation majeure :
- L'enveloppe toujours plus restreinte du FSP bénéficie à
un nombre croissant de pays
y compris hors de la zone de solidarité
prioritaire
. En effet, le décret du 11 septembre 2000 qui a
posé les nouvelles bases de l'organisation du FSP autorise le Fonds
à « financer, à titre exceptionnel, des
opérations d'aide et de coopération situées, le cas
échéant, hors de la ZSP ». Cette exception s'est
aujourd'hui banalisée. A titre d'exemple, 4,5 millions d'euros ont
été financés sur le FSP au titre de la mise en oeuvre du
pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est. Notre action dans les
Balkans ne peut être financée au détriment de notre aide
dans les pays en développement. Il y a là une
dérive
tout à fait inadmissible
par rapport à la vocation du FSP.
Une clarification devrait intervenir à partir de 2002 avec la
création, dans le projet de loi de finances, d'un article (42-37-50)
dédié aux sorties de crise, doté de 7,6 millions d'euros.
Dès lors, l'appui au retour à la stabilité ne devrait
entraîner aucun prélèvement sur le FSP.
- Par ailleurs, la mise en oeuvre des projets souffre encore de nombreux
retards ; ainsi la durée prévue des projets en cours, de
l'ordre de 35 mois, se trouve prolongée de 11 mois. Ces
délais interviennent à plusieurs niveaux : entre la
décision du comité directeur et la signature des conventions de
financement (cinq à six mois séparent parfois ces deux
étapes) mais aussi entre la décision d'attribution des fonds et
le déblocage effectif des crédits. L'impéritie des
administrations locales ne saurait toujours exonérer notre pays de ses
propres responsabilités dans ces retards : évaluation
insuffisante des projets, lourdeur du circuit de décision et, surtout,
régulation budgétaire dont les effets conduisent souvent à
bloquer une opération. Or l'intérêt d'une opération,
votre rapporteur a souvent été appelé à le
souligner, se trouve remis en question lorsque l'exécution en est
retardée.
Raccourcir les délais demeure une priorité
absolue.
Décisions ouvertes en 2001 - Répartition par pays
|
Total (en €) |
% |
Projets mobilisateurs |
17 121 534,07 |
65,18 |
Projets Etats |
9 146 442,23 |
34,82 |
Cambodge |
1 219 592,14 |
4,64 |
Liban |
1 524 700,00 |
5,80 |
Mali |
1 219 592,14 |
4,64 |
Tunisie |
1 600 000,15 |
6,09 |
Vietnam |
3 582 557,80 |
13,64 |
Total général |
26 267 976,30 |
100 |
Décisions ouvertes en 2001 - Répartition par secteurs
|
Total (en €) |
% |
Opérations intersectorielles |
0,00 |
0,00 |
Développement rural et environnement |
0,00 |
0,00 |
Développement industriel et minier |
1 499 999,97 |
5,71 |
Santé et développement social |
3 886 735,41 |
14,80 |
Enseignement-formation |
2 667 857,80 |
10,16 |
Action culturelle et information |
1 829 400,00 |
6,96 |
Développement institutionnel |
3 959 184,28 |
15,07 |
Recherche |
0,00 |
0,00 |
Crédits déconcentrés/Fonds social de développement |
610 000,00 |
2,32 |
Evaluations et contrôle |
0,00 |
0,00 |
ONG/Coopération décentralisée |
11 814 798,84 |
44,98 |
Total général |
26 267 976,30 |
100,00 |
Par
ailleurs, il convient aussi de regretter que la nouvelle organisation du FSP se
soit traduite par un affaiblissement du contrôle parlementaire. En effet,
dans le dispositif antérieur, les représentants du Parlement
pouvaient se prononcer au sein d'un comité directeur sur chacun des
projets envisagés. Ils ne sont désormais
représentés qu'au sein d'un Conseil d'orientation
stratégique chargé de formuler des recommandations de
caractère général « sur l'utilisation des
crédits du Fonds par secteurs d'activités et par zones
géographiques », tandis que l'examen au cas par cas des
opérations est renvoyé à un comité des projets
composé des seuls représentants de l'administration.
Le contrôle parlementaire, faut-il le souligner, à l'heure
où l'aide au développement se trouve de plus en plus
contestée, apparaît indispensable pour en renforcer la
légitimité.
.
Les dons destinés aux projets de développement
économique et social
La mise en oeuvre des projets de développement économique, sur
les ressources du budget du ministère des affaires
étrangères, incombe à l'Agence française de
développement.
Le champ d'attribution de l'AFD a été étendu à la
suite de la réforme de la coopération aux infrastructures de
santé et d'éducation. Malgré l'élargissement de ses
compétences, l'AFD voit les autorisations de programme
réservées aux dons-projets se réduire de plus de 12 %
(de 173,7 millions d'euros en 2001 à 152,4 millions d'euros en 2002)
tandis que les crédits de paiement restent stables.
Au 31 juillet 2001, le montant des engagements de l'AFD au titre des
dons-projets atteignait 123 millions d'euros. Au rythme d'engagement actuel,
les plafonds d'engagement annuels fixés par les tutelles de l'AFD pour
l'année 2001 devraient être atteints, soit au total 174 millions
d'euros.
Alors que les ressources dont disposera l'AFD sont appelées à se
réduire, il est inacceptable que les dons-projets -comme c'est aussi le
cas pour le FSP- concernent des pays hors de la ZSP. L'Albanie a ainsi
bénéficié à la fin de l'année 2000 d'une
subvention de 4,5 millions d'euros pour la construction d'une clinique à
Tirana.
.
La participation à l'aide projet mise en oeuvre par les acteurs non
gouvernementaux
Depuis plusieurs années, les organisations non gouvernementales, comme
les collectivités territoriales, jouent un rôle accru dans le
développement. Les évolutions du budget des affaires
étrangères portent la marque modeste de ces évolution.
.
La coopération avec les organisations de solidarité
internationale
Les dotations destinées aux organisations de solidarité
internationale progressent de 8 % par rapport à 2001. Elles devraient
principalement permettre le renforcement de la présence française
dans les instances internationales où interviennent les ONG, la
valorisation des actions soutenues par le Quai d'Orsay -publications,
communication- ainsi que le renforcement des actions de terrain en
Amérique latine.
La part dévolue aux ONG dans la mise en oeuvre de l'aide publique au
développement demeure plus faible en France que dans les autres pays de
l'Union européenne (4 % contre 12 % en moyenne). C'est pourquoi les ONG
souhaitent mettre en oeuvre directement un volume plus important de fonds
publics. Une telle évolution n'est toutefois guère envisageable
sans un contrôle plus approfondi des ressources et de la gestion de ces
organisations.
.
La coopération décentralisée
Les crédits dévolus à la coopération
décentralisée passent de 7 341 millions d'euros à 6 813
millions d'euros, soit une réduction de 7,2 %. Cette évolution
contredit la priorité affichée par le gouvernement, lors des
rencontres nationales de la coopération décentralisée en
1999 au cours desquelles cette forme de coopération avait
été reconnue comme un « volet important de l'action
internationale de la France ».
Le dialogue entre collectivités territoriales et Etat a pour cadre
privilégié la Commission nationale de la coopération
décentralisée où élus locaux et
représentants des pouvoirs publics se retrouvent à parité
pour formuler « toute proposition tendant à renforcer la
coopération décentralisée ». Cette commission a
élaboré un « guide de la coopération
décentralisée » publié en novembre 2000
destiné à donner des informations pratiques à l'ensemble
des partenaires intervenant dans le cadre de la coopération
décentralisée. Il paraît aujourd'hui essentiel de mener
à bien le travail relatif au « tableau de la
coopération décentralisée » : en effet le
foisonnement des initiatives rend indispensable un effort de coordination et,
partant, une meilleure information des différents intervenants.
La coopération décentralisée intéresse,
rappelons-le, un nombre croissant de collectivités territoriales (les 26
régions, 55 départements, la totalité de grandes villes,
une part importante des villes moyennes et aussi, désormais, des
institutions intercommunales). Le nombre de partenaires dans les pays en
développement dépend de la taille de la collectivité
française : en moyenne plus de 5 pour les régions,
près de 3 pour les départements, entre 4 et 5 pour les grandes
villes.
Les dépenses d'action extérieure des collectivités locales
représentaient en 1999 environ 230 millions d'euros hors cofinancements,
dont 115 millions se rattachant à des opérations de
coopération dans les pays en développement. Sur le montant total,
la part des régions représente 36 % (82 millions d'euros), celle
des départements 10,6 % (24 millions d'euros), celle des communes et de
leurs groupements 53,4 % (environ 122 millions d'euros). Les
départements, les communes et leurs groupements consacrent plus de la
moitié de leur dépense extérieure au développement
alors que les régions tendent à privilégier les actions de
promotion économique vers les pays émergents ou
développés.
B. L'AVENIR INCERTAIN DE L'ASSISTANCE TECHNIQUE
Grande oubliée de la réforme de la coopération, l'assistance technique civile devrait connaître, à partir de 2002, une profonde mutation. Il n'est pas sûr cependant, une fois de plus, que les perspectives budgétaires pour l'année prochaine donnent au gouvernement les moyens de ses ambitions. A terme plus rapproché, le principal motif de préoccupation porte sur le volet militaire de notre assistance technique dont les moyens enregistreront en 2002 une sévère contraction.
1. L'assistance technique civile
Le
ministre délégué à la coopération et
à la francophonie a annoncé en avril 2001 une importante
réforme de l'assistance technique. Ces changements se traduiront d'abord
par l'harmonisation du statut des coopérants. Ces derniers relevaient
jusqu'à présent de deux régimes de gestion : celui
hérité de l'ancien ministère de la coopération pour
les personnels affectés dans les pays de l'ancien
« champ » (décret de 1992), celui du
ministère des affaires étrangères pour les autres pays
(décret de 1967). Au terme d'une période transitoire de trois
ans, l'ensemble de l'assistance technique sera placée sous le
régime du décret de 1967.
Le nouveau dispositif présenté au Comité technique
paritaire du 27 février 2001, pourrait s'appliquer à compter du
1
er
janvier 2002 aux nouveaux contrats. Le renouvellement des
contrats en 2001 est intervenu sur la base du décret de 1992. Toutefois,
il semble d'ores et déjà acquis que les assistants techniques
relevant du régime de 1992 et dont le contrat arrivera à
expiration au 1
er
janvier 2002 -après la mise en place du
nouveau système- ne pourront voir leur contrat renouvelé dans les
mêmes conditions au-delà de cette date.
La réforme a aussi pour objet d'organiser au côté de
l'assistance technique traditionnelle, dite
« résidentielle », une nouvelle forme de
coopération. Cette dernière s'articule autour de cinq axes
principaux :
- la prise en compte des situations relativement nouvelles où le
savoir-faire français a jusqu'à présent été
trop peu mobilisé, telles que les sorties de crise ou la mise en place
des programmes européens ou multilatéraux ;
- la diversification de l'origine des assistants techniques non seulement au
sein de l'administration mais aussi à travers le recrutement de cadres
du secteur privé, de ressortissants des pays bénéficiaires
de la coopération française ;
- une capacité de mobilisation rapide de l'expertise
nécessaire ;
- enfin et surtout, la mise en oeuvre de missions dont la durée,
variable, se caractérise cependant par une grande
brièveté
.
Le ministre délégué à la coopération a
affirmé que cette forme d'expertise courte viendrait non pas en
substitution mais en complément de l'assistance technique
résidentielle (la part de l'expertise courte pourrait, à terme,
représenter le tiers des effectifs de l'assistance technique). Elle
portera sur des interventions « ciblées » de
plusieurs semaines ou de plusieurs mois de façon parfois
fractionnée.
Le nouveau système relèverait d'une structure rattachée au
ministère des affaires étrangères mais gérée
selon les règles de droit privé. Elle prendrait en charge toutes
les opérations liées à la mise en place de la mission
d'expertise (billets, assurance, prise en charge de tous les frais relatifs au
séjour dans le pays étranger, éventuellement logistique du
séjour, paiement éventuel d'honoraires ainsi que, dans certains
cas, remboursement du salaire principal de l'expert). Un tel organisme pourrait
également gérer un vivier d'experts. Il est entendu que
l'employeur resterait, dans le cas d'un agent public, l'administration
d'origine qui pourrait alors recourir à la position de mise à
disposition.
Le dispositif devra intégrer les compétences du secteur
privé, des associations et aussi de la coopération
décentralisée. De même, il pourrait
bénéficier à l'ensemble des intervenants qui inscrivent
leur action dans une logique d'intérêt
général : coopération européenne ou
multilatérale, coopération décentralisée.
Le système pourrait être mis en place de manière
expérimentale à compter du quatrième trimestre de cette
année.
Il peut d'ores et déjà s'appuyer sur une nomenclature
budgétaire refondue depuis l'adoption de la loi de finances pour
2001 : en effet, l'intitulé « assistance
technique » a disparu pour être remplacé par deux
rubriques inédites : d'une part, « transfert de
savoir-faire-expertise de longue durée » ; d'autre part,
« transfert de savoir-faire-missions d'experts de courte
durée ».
Dans la perspective de ces évolutions, les postes ont été
sollicités afin d'estimer les besoins qui pourraient être
éligibles à la nouvelle forme d'expertise et de prévoir
également la durée des contrats de l'assistance technique
proposée à compter du 1
er
janvier 2002 -un an, deux
ans ou trois ans.
De nombreuses questions demeurent cependant en suspens :
- comment mobiliser les expertises du secteur privé que l'on juge,
à juste titre, indispensables dans le cadre de la diversification des
missions de coopération ?
- comment valoriser, pour les agents du secteur public, dans le
déroulement de leur carrière, une mission de coopération
à l'étranger ?
- Quelle forme prendra concrètement la structure
de portage
? En particulier, la souplesse absolument
indispensable à l'organisation d'une assistance technique efficace
est-elle compatible avec les règles et principes statutaires en vigueur
dans une administration d'Etat comme le ministère des affaires
étrangères ?
L'évolution des crédits réservés à
l'expertise de longue durée pour 2002 suscite une certaine
préoccupation ; elle se traduit en effet par une nouvelle
diminution de 5 %. Cette contraction de 10,323 millions d'euros s'expliquerait
principalement par un transfert des crédits de
rémunérations correspondant au reclassement des coopérants
bénéficiaires d'une titularisation dans la fonction publique au
titre de la loi Le Pors vers d'autres ministères (9,4 millions d'euros)
et, pour le solde, par le regroupement au titre III de l'ensemble des
formations incluant celle des coopérants et de l'assistance technique.
Les moyens affectés à l'expertise de courte durée restent,
quant à eux, stables (15 millions d'euros).
Le gouvernement a rappelé en avril dernier qu'il s'était
fixé pour objectif « le maintien global des moyens
budgétaires dévolus à l'assistance technique ».
Or, dans le cadre d'une enveloppe budgétaire contrainte, le
développement d'une expertise de courte durée ne se fera-t-il pas
au détriment de l'assistance technique de longue durée qui
représente la vraie valeur ajoutée de la coopération
française ? Une récente enquête conduite auprès
de nos ambassadeurs dans les pays de la zone de solidarité prioritaire a
d'ailleurs confirmé que la présence de nos coopérants
techniques représentait un avantage comparatif très fort par
rapport aux autres bailleurs de fonds. Il apparaît d'ailleurs
significatif que la Commission européenne ait décidé cette
année de renforcer les effectifs d'experts au sein des
différentes délégations de l'Union européenne dans
les pays en développement.
Compte tenu de l'évolution des dotations, le nombre de coopérants
sera encore sans doute appelé à décroître en 2002.
Cette orientation sera encore aggravée par la disparition des
coopérants du service national (CSN). Parmi les 484 CSN en 2001 (soit un
coût de 8,99 millions d'euros), 202 sont affectés dans les pays de
l'ex-champ (3,20 millions d'euros). Cependant, à compter du mois de
novembre 2002, il n'y aura plus aucun appelé participant à
l'assistance technique. Sans doute, les CSN doivent-ils être, en
théorie, progressivement remplacés par des volontaires
internationaux. Toutefois, le volontariat ne se met que lentement en place. En
outre, comme l'a d'ailleurs admis le ministre délégué
à la coopération et à la francophonie devant notre
commission, le recrutement dans certaines disciplines -informatique et
médecine en particulier- rencontre beaucoup de difficultés. Il
importe donc aujourd'hui d'accorder une attention particulière à
l'attractivité des emplois proposés et donc aux conditions de
rémunérations. De ce point de vue, le projet de budget n'apporte
pas de réponse satisfaisante.
Effectifs des assistants techniques civils dans les pays ex-champ juin 2001
|
Enseignants |
Non-enseignants |
Total |
Angola |
7 |
4 |
11 |
Bénin |
15 |
23 |
38 |
Burkina Faso |
41 |
52 |
93 |
Burundi |
2 |
4 |
6 |
Cameroun |
40 |
62 |
102 |
Cap Vert |
3 |
5 |
8 |
Centrafrique |
31 |
43 |
74 |
Côte d'Ivoire |
90 |
56 |
146 |
Congo |
1 |
10 |
11 |
Comores |
0 |
9 |
9 |
Djibouti |
78 |
32 |
110 |
La Dominique |
0 |
1 |
1 |
Gabon |
101 |
37 |
138 |
Gambie |
3 |
0 |
3 |
Guinée Bissau |
0 |
1 |
1 |
Guinée équatoriale |
5 |
12 |
17 |
Guinée |
16 |
27 |
43 |
Haïti |
10 |
14 |
24 |
Ile Maurice |
9 |
4 |
13 |
La Grenade |
0 |
1 |
1 |
Sainte Lucie |
1 |
2 |
3 |
Madagascar |
36 |
65 |
101 |
Mauritanie |
55 |
40 |
95 |
Mali |
18 |
42 |
60 |
Mozambique |
6 |
8 |
14 |
Namibie |
2 |
9 |
11 |
Niger |
9 |
33 |
42 |
République démocratique du Congo |
0 |
1 |
1 |
Rwanda |
3 |
6 |
9 |
Sénégal |
78 |
86 |
164 |
Seychelles |
4 |
5 |
9 |
Sao Tomé et Principe |
3 |
5 |
8 |
Saint Vincent |
0 |
1 |
1 |
Tchad |
26 |
41 |
67 |
Togo |
8 |
11 |
19 |
Trinité |
0 |
1 |
1 |
Total |
701 |
753 |
1 454 |
2. Le déclin de notre présence militaire en Afrique
Le
projet de budget pour 2002 se caractérise dans le domaine de
l'assistance technique militaire par deux évolutions
préoccupantes :
- la baisse globale des crédits de 23,9 millions d'euros en 2001
à 22,1 millions d'euros en 2002 (soit - 7,5 %) :
- la poursuite du redéploiement des dotations de l'Afrique subsaharienne
vers d'autres pays du monde.
.
La contraction globale des crédits
Les trois principaux postes de la « coopération militaire
-aide en personnel, formation des stagiaires étrangers, appui aux
matériels- sont affectés par cette contraction.
Coopération militaire et de défense
Evolution des dotations
Libellé |
Dotation 2001 1 |
Dotation 2002² |
Evolution |
|
Euros courants |
Euros constants |
|||
Coopération technique
|
62 428 370 |
57 854 402 |
- 7,33 % |
- 8,79 % |
Formation des stagiaires étrangers (art 20) |
23 973 635 |
22 105 107 |
- 7,79 % |
- 9,25 % |
Appui aux
projets de coopération :
|
22 760 638 |
22 186 000 |
- 2,52 % |
- 4,05 % |
Appui aux coopérants militaires (art 50) |
663 306 |
1 219 592 |
+ 83,87 % |
+ 80,97 % |
Coopération militaire et de défense avec les organisations régionales (art 60) |
- |
304 898 |
- |
- |
Total Chapitre 42-29 |
109 825 949 |
103 670 000 |
- 5,51 % |
- 7,1 % |
Chapitre 68-80 |
1 219 592 |
1 219 592 |
- |
- |
Total général |
111 045 141 |
104 889 592 |
- 5,54 % |
- 7,03 % |
(1) Loi
de finances initiale
(2) Projet de loi de finances
(Source : Ministère des affaires étrangères)
.
Le redéploiement des crédits au détriment de
l'Afrique subsaharienne
La réforme de la coopération militaire s'est traduite par le
redéploiement sur les années 1999-2001 de 10 % des crédits
d'Afrique subsaharienne vers les nouveaux partenaires de la France en Europe
centrale. Ainsi les crédits réservés aux personnels
affectés dans les pays de l'ancien champ ont été
réduits -dans une proportion d'ailleurs plus importante que celle
initialement prévue compte tenu de l'arrêt de la
coopération avec la Mauritanie, les Comores, le Niger et, dans une
moindre mesure, la Côte d'Ivoire. Parallèlement, les
crédits affectés à l'Europe centrale et orientale ont
triplé entre 1998 et 2001 (passant de 3 à 9 millions
d'euros) ; ceux destinés au reste du monde ont également
sensiblement augmenté pendant la même période de 70
à 90 millions de francs.
Le mouvement de redéploiement se poursuit alors même que
l'enveloppe globale se contracte. Notre présence militaire en Afrique
est donc appelée décliner. Il s'agit pourtant d'un volet
fondamental de notre politique de coopération : elle contribue
à la mise en place de forces de sécurité efficaces,
soumises au pouvoir civil, et participent à ce titre à la
consolidation de l'Etat de droit qui apparaît aujourd'hui comme l'une des
clés de développement économique. Notre pays peut-il
prendre la responsabilité de sacrifier notre action dans ce
domaine ?