C. LES BASES JURIDIQUES DE L'INTERVENTION CONTRE LE TERRORISME
Les
bases juridiques de l'intervention contre le terrorisme doivent être
présentées dans ce rapport car elles constituent le cadre dans
lequel une intervention armée contre l'Irak pourrait prendre place.
On notera que, de manière préventive, la position irakienne est
de considérer que l'intervention des États-Unis est
illégale en droit international. Cette opinion n'est fondée que
sur la conviction que les États-Unis manipulent le Conseil de
sécurité et l'ONU dans son ensemble.
Si des questionnements de certains juristes internationaux ont pu avoir lieu
s'agissant de la qualification des attentats il convient de noter que le
dispositif juridique mis en place donne une légitimité juridique
et politique indéniable à l'intervention armée
internationale des Etats-Unis contre Al Quaida et l'Afghanistan des talibans.
La détermination d'autres agresseurs et donc potentiellement de l'Irak
pose de très délicats problèmes.
Dans l'état actuel des choses il apparaît clairement à
votre groupe d'amitié qu'une intervention militaire contre l'Irak ne
peut s'appuyer sur la légalité internationale et serait un acte
de guerre unilatérale des Etats-Unis et une faute politique majeure.
1. Une base juridique incontestable : la légitime défense
La position des États-Unis, exprimée dès après les attentats du 11 septembre s'appuie sur le droit de légitime défense reconnu à chaque Etat par l'article 51 de la Charte des Nations Unies.
D. ARTICLE 51Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. |
On
notera que le droit à la légitime défense est un droit
encadré :
• Il suppose une agression armée précise et clairement
identifiée.
• Il est limité dans le temps. Il cesse dès lors que le
Conseil de sécurité a pris les mesures nécessaires pour
maintenir la paix et la sécurité internationales, ce qu'il peut
faire à tout moment.
• Il intègre une obligation de rendre compte des mesures prises.
• Son exercice doit respecter le principe de proportionnalité par
rapport à l'avantage militaire escompté ou par rapport à
la menace.
Le Conseil de sécurité a immédiatement accepté -
à l'unanimité de ses membres permanents et non permanents, y
compris les Etats musulmans - que les États-Unis se placent sous le
couvert de l'article 51 de la Charte en adoptant dès le 12 septembre la
résolution 1368.
Résolution 1368 (2001)
Le
Conseil de sécurité,
1. Reconnaissant le droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective
conformément à la Charte,
|
Les
attentats du 11 septembre étant définis comme une
« menace contre la paix et la sécurité» le
Conseil de sécurité est habilité à prendre toutes
mesures utiles dans le cadre de l'application du chapitre VII de la Charte des
Nations unies.
La solidarité des Etats signataires de la Charte a encore
été renforcée par le fait que les 19 pays membres de
l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ont appliqué
l'article 5 du traité de Washington du 4 avril 1949 qui déclenche
la solidarité des membres lorsque l'un d'entre eux est
attaqué.
Article 5
Les
parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs
d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera
considérée comme une attaque dirigée contre toutes les
parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque
se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime
défense, individuelle ou collective, reconnu par l'
article 51 de la
Charte des Nations Unies
, assistera la partie ou les parties ainsi
attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec
les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris
l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la
sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.
|
C'est
donc sur la base, juridiquement incontestable, du principe de légitime
défense rappelé par la résolution 1368 du 12 septembre
2001 et sur la base des résolutions 1373 du 28 septembre 2001 et 1377 du
12 novembre 2001 du Conseil de sécurité sur la menace à la
paix et à la sécurité internationales résultant
d'actes terroristes, les États-Unis, soutenus par une large coalition de
pays, ont entrepris de conduire une vaste opération contre le terrorisme
international dont les aspects militaires ne constituent que l'un des volets
à côté notamment des aspects financiers.
On remarquera néanmoins que la reconnaissance par la résolution
1368 du droit de légitime défense était
superfétatoire puisque ce droit, aux termes de l'article 51 de la Charte
est « naturel ». Il constitue en cela un droit inhérent
pour tout Etat victime d'une agression armée.
C'est cette reconnaissance du droit de légitime défense qui a
débouché, à l'initiative des Etats-Unis, sur un conflit
armé international avec un Etat, l'Afghanistan.
La question qui se pose pour l'avenir est de savoir si ce même droit
pourrait être à nouveau invoqué pour déclencher un
second état de guerre au sens du droit international.
2. La question de l'identification du ou des agresseurs
La
question de l'identification de celui ou de ceux contre lesquels le droit de
légitime défense va s'appliquer est centrale pour l'avenir.
En reconnaissant aux Etats-Unis, frappés par les attentats du 11
septembre, le droit de légitime défense, la résolution
1368 indique de manière large contre qui ce droit pourra s'exercer .
Le paragraphe 3 de la résolution 1368 représente une
avancée juridique importante. En effet, après avoir appelé
à juger les auteurs, organisateurs et commanditaires des attentats, le
texte prévient que « ceux qui portent la responsabilité
d'aider, soutenir et héberger les auteurs, organisateurs et
commanditaires de ces actes devront rendre des comptes ».
Le cas de Al-Quaida, dont la responsabilité pleine et entière a
été apportée de manière irréfutable,
identifie clairement l'organisation responsable et donne la base juridique pour
détruire les réseaux et juger ses membres.
Il en va de même pour l'Afghanistan et le gouvernement Taliban qui a fait
cause commune avec Al Quaida et dont les liens avec le terrorisme sont
avérés de longue date comme en témoigne les diverses
résolutions de l'ONU depuis 1996 (notamment les résolutions 1193,
1214, 1267 et 1333). A titre d'exemple la résolution 1267 du 15 octobre
1999 déplore que les talibans donnent asile à Oussama Ben Laden
et à ses camps d'entraînement de terroristes et note que
« les talibans font peser une menace sur la paix et la
sécurité internationales » ouvrant ainsi
potentiellement la voie à une application du chapitre 7 de la Charte.
S'agissant des organisations terroristes le Département d'Etat
américain publie et met régulièrement à jour une
liste d'organisations dans un double but. Le premier est de mettre en garde les
Etats qui auraient de près ou de loin des relations avec ces
organisations et de les inciter à rompre ces liens pour ne pas se mettre
dans la situation où des comptes leur seraient demandés. La
seconde est de permettre, aux Etats-Unis puis dans les autres pays, la saisie
des avoirs et le blocage des comptes financiers de ces organisations. Le 7
décembre 2001 les ministres de la justice et de l'intérieur de
l'Union européenne ont entériné une liste
actualisée d'organisations terroristes constituant une menace pour un ou
plusieurs Etats. Cette liste qui ne sera pas rendue publique fera l'objet
d'actualisation à chaque présidence de l'Union.
S'agissant des pays, force est de constater que ce même lien entre un
Etat et le terrorisme pourrait être aussi bien effectué en
théorie vis-à-vis d'autres pays, y compris vis-à-vis de
certains qui sont pourtant très proches des Etats-Unis et dont le
soutien direct ou indirect à Al-Quaida est très probable.
Le lien avec l'acte terroriste du 11 septembre et avec Al-Quaida est
essentiel. Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité
les Etats-Unis se sont réservé le droit d'attaquer d'autres
organisations, d'autres Etats. Sauf à sortir de la
légalité internationale ce droit supposera que le Conseil de
sécurité accepte les justifications présentées et
que celles-ci apportent les preuves formelles de la responsabilité
d'autres organisations ou d'un autre Etat dans l'agression armée dont
les Etats-Unis ont été victimes le 11 septembre.
S'agissant de l'Irak ce lien de responsabilité ne peut être
évoqué.
Aucun lien n'a pu être trouvé entre l'Irak, les attentats du 11
septembre, Al Quaida et les attaques à l'anthrax. Comme le
reconnaît le Secrétaire générale de l'ONU dans une
déclaration du 19 décembre 2001 : « je n'ai aucune
preuve liant l'Irak à ce qui s'est passé le 11
septembre ». Les officiels américains du plus haut niveau, en
particulier M. Colin Powell, ont fait la même constatation. Cette
affirmation a d'autant plus de poids que les lobbies anti-irakien se sont
véritablement déchaînés aux Etats-Unis dans l'espoir
de prouver de tels liens.
Pourtant, les menaces d'intervention émises par le président
américain le 29 janvier 2002 dans son discours de l'Union,
établissent un lien entre la possession par certains Etats, d'armes de
destructions massives et la possibilité pour ceux-ci d'en armer des
réseaux terroristes.
De manière plus politique, l'Irak condamne toute forme de terrorisme
dont elle s'estime l'une des premières victimes. Elle réclame une
définition
5(
*
)
du terrorisme
incluant le terrorisme d'Etat visant ainsi clairement les Etats-Unis et
Israël.
On notera également que le blanc-seing donné par le Conseil aux
Etats-Unis est réversible ou, tout au moins peut être mis sous
contrôle, puisque l'article 51 de la Charte dispose que le Conseil de
sécurité a le pouvoir et le devoir d'agir à tout moment de
la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales. Cette
possibilité de remettre sous son contrôle le pouvoir de coercition
armée dont dispose le Conseil n'a jusqu'à présent
été évoquée par personne.
Les États-Unis n'ont toutefois pas souhaité profiter de ces
dispositions qui leur permettaient de s'appuyer sur la communauté
internationale et ont entrepris de conduire quasiment seuls les actions
militaires contre le gouvernement Taliban d'Afghanistan et l'organisation
terroriste Al-Quaida. Ce gouvernement et cette organisation constituaient la
première priorité de la vaste lutte anti-terroriste puisqu'ils
étaient directement responsables des attentats perpétrés
à New-York et à Washington.
Le succès de ces actions qui se traduisent par l'effondrement du
régime des Talibans et l'instauration d'un gouvernement provisoire en
Afghanistan pose la question de la suite des actions de lutte contre le
terrorisme international.
Le département d'Etat américain a publié une liste
d'organisations considérées comme terroristes dont les avoirs
sont gelés et qui constituent des cibles potentielles. De même ont
observe une nouvelle approche du traitement de foyers de tension extrême
au Proche Orient ou au Cachemire sous une même problématique de
lutte contre le terrorisme international.
Toutefois, il semble que la seconde priorité immédiate de
l'administration américaine est celle de la poursuite de la destruction
de l'organisation Al-Qaida dans tous les lieux où elle pourrait trouver
refuge. Outre la question du Pakistan qui a opté dès l'origine
pour un soutien de la coalition internationale cela pose la question
d'interventions militaires de même type dans d'autres pays tels que la
Somalie ou le Yémen comme l'a récemment déclaré M.
WOLFOWITZ.
3. La résolution 1390 du 16 janvier 2002
Le
Conseil de Sécurité a adopté le 16 janvier, à
l'unanimité, la résolution 1390 créant un régime de
sanctions contre Al-Qaïda. Ce nouveau régime de sanctions tient
compte de la situation nouvelle en Afghanistan : chute du régime des
Talibans, fermeture des camps terroristes en Afghanistan.
Dans le même temps, le Conseil de sécurité constate que les
activités d'Al-Qaïda n'ont pas complètement disparu et
justifient le maintien, moyennant une adaptation au nouveau contexte, des
sanctions contre les Talibans et les réseaux Ben Laden afin de
poursuivre la lutte contre le terrorisme.
La résolution reprend certaines dispositions utiles du régime de
sanctions contre les Talibans et le réseau d'Oussama Ben Laden
prévues notamment dans les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000)
et 1363 (2001) du Conseil de Sécurité, tout en
étendant
son champ d'application au monde entier
et non plus au seul ''territoire
afghan contrôlé par les Talibans''. En revanche, les sanctions
frappant l'Afghanistan en tant que tel sont tombées : l'embargo visant
la compagnie aérienne nationale Ariana a ainsi été
abrogé par le Conseil de Sécurité le 15 novembre (R 1388).
Conformément à une volonté constante de la diplomatie
française le nouveau
régime de sanctions est ciblé
:
q il prévoit la reprise et la mise à jour de la liste d'individus
et entités instituées par les résolutions
précédentes, et qui comprend Ben Laden, les membres
d'Al-Qaïda et les Talibans ainsi que les groupes, individus, entreprises
et entités qui leur sont associés.
o Il impose aux Etats des obligations précises, à l'encontre des
personnes et entités portées sur cette liste :
o gel des avoirs et des ressources financières.,
o interdiction d'entrée et de transit sur le territoire (sauf pour les
nationaux de l'Etat concerné).,
o interdiction de fournir des armes, des matériels et de l'assistance
technique militaires.
q Une clause de rendez-vous est fixée, dans 12 mois, pour décider
de maintenir ou d'améliorer ce dispositif.
Cette résolution est importante dans la mesure où elle confirme
la volonté du Conseil de sécurité de cerner
précisément la question des sanctions et de la poursuite de la
lutte contre le terrorisme aux individus et aux organisations responsables des
attentats du 11 septembre.
Il nous semble que l'intervention de ces résolutions convergentes
rendent plus difficile leur utilisation pour mener une action militaire de
l'ONU contre l'Irak. L'action qui se profile et que nous ne pouvons que
dénoncer ne peut ainsi s'abriter derrière la
légalité internationale qui s'impose aux Etats-Unis comme
à tout Etat signataire de la Charte des Nations Unies.