B. RÉSUMÉ DU RAPPORT DES EXPERTS MÉDICAUX
L'un des
objectifs principaux de la mission du groupe d'amitié sénatorial
en Irak était de procéder à une évaluation des
effets de l'embargo sur l'état de santé de la population
irakienne, en particulier infantile ; Le rapport réalisé par le
docteur Nadia Benamer chirurgien Orthopédiste) et le docteur Jean Marie
Privat (Neurochirurgien), annexé au présent rapport
d'information, est basé sur une étude des données
épidémiologiques du Ministère de la santé
irakienne, confirmées par les rapports des instances internationales
(OMS, Unicef), ainsi que sur les visites des centres de santé à
Bagdad et à Babylone (hôpitaux, dispensaires) et
l'expérience pratique d'opérations. Le texte suivant a
été transmis à votre groupe d'amitié comme un
résumé du rapport complet publié en annexe. Comme le
rapport dans son ensemble il exprime les analyses et les opinions de ses
auteurs.
« L `extrême précarité de la situation
sanitaire a été confirmée dès la première
visite hospitalière au centre de Bagdad. Les visites effectuées
au cours de la mission ont montré que cette situation s'appliquait
à l'ensemble du territoire irakien. Il est du reste vraisemblable que
les conditions sanitaires et l'approvisionnement en médicaments soient
meilleurs à Bagdad que dans le reste du pays. Comme le confirme l'OMS,
la résolution 986 du conseil de sécurité des Nations
unies signée en 1996 par l'Irak n'a pas permis d'éviter la
catastrophe prévue en 1991.
Malgré les efforts déployés par les services hospitaliers,
le manque de moyens est tel que certains hôpitaux ressemblent à
des "mouroirs d'enfants".
Les déficits concernent l'ensemble des secteurs pouvant avoir des
conséquences directes et indirectes sur la santé d'une population.
Les grandes fractures sociales s'ajoutent à la misère de
l'état sanitaire, de la médecine, à une disparité
entre les hôpitaux "privilégiés" peu nombreux où il
y a une concentration du peu de moyens existants et les autres.
Les pénuries alimentaires persistent ; ce pays est sous alimenté
depuis 1990 ; le programme alimentaire mondial a montré que l'indice du
pouvoir d'achat est inférieur à 20 fois le seuil au-dessous
duquel il existe une insuffisance nutritionnelle dans la famille depuis 1955.
Les quotas pharmaceutiques (les classes de médicaments autorisés
sont toujours insuffisantes) rendent impossible les schémas
thérapeutiques même les plus élémentaires tel que le
traitement d'une angine. Les pénuries de médicaments par exemple
les pénuries d'insulines pour les diabétiques, ainsi que leur
coût moyen rapporté au salaire moyen, aggravent bien
évidemment cette situation.
Aux manques de matériel paramédical, de produits de base
(perfusions, seringues), de matériel chirurgical consommable, viennent
s'ajouter les problèmes de distributions dans les centres de
santé, l'insuffisance des transports et des communications, un
matériel lourd obsolète (pauvreté des équipements
médicaux), l'absence de maintenance, les dégradations des
infrastructures, les coupures d'électricité (la conservation de
certains produits est impossibls notamment les vaccins), le manque d'eau
potable (touchant plus de 50 % de la population).
La science est gelée depuis 10 ans. Alors que ce pays était
parmi les plus avancés de la région, le manque d'accès
aux nouvelles technologies se répercute sur la formation des
médecins et des paramédicaux.
Tous ces problèmes font que les urgences ne sont pas assurées,
qu'il existe une diminution de plus de la moitié des investigations
biologiques et de 60 % des activités chirurgicales par rapport à
1989. Il n'y plus de médecine préventive efficace (absence de
vaccination). Les difficultés, voire l'impossibilité
d'accéder aux soins adaptés, résument pour la
majorité des malades leur dramatique quotidien.
Les conséquences à court et à long terme sont la
dénutrition, les résurgences des maladies infectieuses
(choléra fréquent), l'augmentation des maladies infantiles, la
réapparition de pathologies initialement éradiquées
(poliomyélite, 0 cas en 1989, OMS). La fréquence et l'aggravation
des maladies dites bénignes sur un terrain de malnutrition,
exacerbées par l'arrêt des campagnes de prévention sont
responsables d'une mortalité importante en particulier infantile
dès les premières années de l'embargo.
La sous nutrition dont est victime la population irakienne a donné
naissance à de grands états carentiels tels le marasme, le
kwashiorkor, maladies qui sont habituellement fréquentes dans les pays
en voie de développement dont l'Irak ne faisait pas partie en 1989.
En ce qui concerne les irradiations, et la question de la responsabilité
de l'utilisation d'armes à uranium appauvri, les médecins qui
accompagnaient la mission ont retenu deux constatations :
q L'augmentation anormale de la fréquence des cancers,
q des malformations et la prédominance des patients originaires des
zones bombardées (Bassora et environs).
Les conséquences socio-psychologiques de l'embargo sont
considérables :
q Les guerres successives, l'embargo, la dégradation de
l'économie, et l'absence de conditions sanitaires minimales sont
responsables d'un important exode rurale vers la capitale mais aussi d'un
exode des autres villes vers Bagdad.
q le bouleversement de la cellule familiale, et la diminution de la
scolarisation (sur 5 millions d'enfants plus de 40 % ne sont plus
scolarisés) sont également des conséquences directes de
l'embargo.
q La recrudescence des maladies mentales (avec une incidence directe sur
l'augmentation du taux des suicides) est liée au désespoir d'une
population épuisée moralement et physiquement, qui meure de plus
en plus jeune.
Les conséquences d'un état de guerre militaire, puis
économique, ont des conséquences psychologiques évidentes
chez les enfants de moins de 12 ans qui ont toujours vécu sous ces
contraintes.
L'irakien est au niveau le plus bas de la pyramide de Maslow qui est
basée sur la santé, la sous nutrition et
l'insécurité permanente. L'Irak s'avance lentement mais
incontestablement vers le passé ; il est non seulement en danger, mais
il le devient également. pour les pays alentours ainsi qu'à
l'échelle planétaire. Le non respect des consensus
thérapeutiques d'utilisations des médicaments crée des
résistances bactériennes aux antibiotiques et l'extension de
certaines maladies graves comme la poliomyélite entre autre.
Les indicateurs de santé font état d'une mortalité de plus
de 1 million de morts supplémentaires qui résulte majoritairement
des problèmes socioéconomiques dus à l'embargo et aux
sanctions.
Sur le plan sanitaire trois priorités claires apparaissent :
q lutter contre la malnutrition,
q permettre les campagnes de vaccinations, notamment pour prévenir les
maladies infantiles,
q lutter contre les cancers.
En dépit de l'intervention du programme « pétrole
contre nourriture » depuis 1996 les moyens dont dispose l'Irak pour
sortir de cette sous nutrition et cette dégradation du secteur sanitaire
sont notoirement insuffisants. La mission médicale a en particulier pu
constater l'obsolescence des moyens en matériel (il existe
exceptionnellement des matériels récents mais l'absence de
maintenance et de pièces de rechange les rendent indisponibles
dès la première panne). Le système D, ne saurait pallier
l'insuffisance de ces moyens. La mission médicale ne peut que constater
que les soins de santé primaires essentiels ne peuvent être
assurés en Irak. Notamment l'étude épidémiologique
des maladies infectieuses en Irak de 1996 à 2001 fait état
d'aucune amélioration significative de leur incidence.
L'étude pratique effectuée par les médecins qui ont
accompagné la mission sénatoriale s'avère confortée
par l'étude des dossiers cliniques qui montre à l'évidence
que la moitié des enfants malades présentés sont
condamnés à mourir. Quant à l'expérience
chirurgicale au bloc opératoire dans un hôpital de Bagdad, elle a
permis de constater l'insuffisance des moyens, y compris des plus simples
(comme les champs opératoires usés, insuffisants pour recouvrir
en totalité le patient), le manque d'asepsie, et le retard de
"l'école chirurgicale". »
*
* *
Les
rapports de l'OMS, les déclarations du ministre irakien de la
santé et les constatations de la mission médicale qui
accompagnait votre groupe d'amitié convergent pour décrire une
dégradation sans précédent de la situation de la
santé dans ce pays, due aux conséquences de l'embargo.
Votre groupe de ne peut toutefois pas ignorer que les Nations Unies et
naturellement le gouvernement américain, rendent les autorités
irakiennes responsables de cette situation. C'est ainsi que dans le dernier
rapport du Secrétaire général, acceptant le plan de
distribution de la Phase XI du programme pétrole contre nourriture
(rapport du 4 janvier 2002) le directeur exécutif du programme Irak
indique :
« En outre, je voudrais réitérer ce qu'a
déclaré le Secrétaire général à
plusieurs reprises dans ses rapports au Conseil de sécurité
(voir, par exemple, S/2001/919, par. 105), à savoir qu'avec
l'amélioration des niveaux de financement du programme, le Gouvernement
iraquien est effectivement en mesure de remédier aux problèmes de
nutrition et de santé du peuple iraquien, s'agissant notamment de
l'état nutritionnel des enfants. .../...Contrairement aux
préoccupations exprimées à maintes reprises par le
Gouvernement iraquien au sujet des pénuries de médicaments et de
fournitures médicales, à moins que le Gouvernement iraquien
considère que les fournitures qui sont déjà disponibles ou
qui sont dans la filière suffisent pour satisfaire les besoins du peuple
iraquien, l'Organisation des Nations Unies demande respectueusement au
Gouvernement iraquien d'accroître les montants alloués et de faire
en sorte que les pénuries continues de médicaments et de
fournitures médicales dans le système public de soins de
santé soient éliminées. »
Votre groupe d'amitié n'entend pas trancher ce différend sur
la responsabilité respective du comité 661, des
dysfonctionnements du programme dus aux mises en attente, et du gouvernent
irakien sur l'état de pénurie dont souffre la population
irakienne.
Les effets cumulés depuis plus de dix années aboutissent à
un génocide rampant inacceptable. La dénonciation de cet
état de fait s'est jusqu'à présent heurtée à
un mur d'indifférence scandaleux.
Aujourd'hui, au delà de polémiques qui ne servent qu'à
exonérer de responsabilités les acteurs de ce drame en en
renvoyant la responsabilité sur l'autre, le meilleur moyen de lever ces
interrogations est de supprimer totalement l'embargo.