CHAPITRE I : LES RELATIONS FRANCO IRAKIENNES

I. UNE DÉGRADATION TEMPORAIRES DES RELATIONS POLITIQUES FRANCO-IRAKIENNES

Au moment où la délégation de votre groupe sénatorial d'amitié visitait l'Irak (juin 2001), l'image de la France s'était considérablement dégradée depuis le début de l'année 2000 en raison de son action en faveur du projet de résolution sur les sanctions dites « intelligentes ». Cette caricature parue dans Al Tawka du 21 juin 2001 stigmatisait la position jugée désormais en retrait, indifférente, de notre pays à l'ONU.

A. LA POSITION DE LA FRANCE À L'ONU

La politique étrangère de la France, ne pouvant se satisfaire du statu quo qui aboutit à un désastre humanitaire moralement inacceptable, poursuit trois objectifs :

• Améliorer la situation humanitaire

• Assurer la sécurité régionale

• Restaurer l'autorité du Conseil de sécurité

Le gouvernement français, constatant le blocage de la situation depuis l'expulsion en 1998 de l'UNSCOM et la reprise des bombardements anglo-saxons sur l'Irak, a accepté, en 2001, de participer, au sein du Conseil de sécurité, à la mise en place d'un dispositif nouveau d'application des sanctions susceptible, selon lui, d'améliorer sensiblement la situation humanitaire de la population irakienne. C'est cet accord français sur un nouveau dispositif qui a été à l'origine d'un très sérieux refroidissement des relations franco-irakiennes.


Ce nouveau dispositif, prévu par la résolution 1352 du 1 er juin 2001 a été finalement entériné par le Conseil de sécurité dans la résolution 1382 du 29 novembre 2001. Celle-ci prévoit que sa mise en oeuvre opérationnelle devra intervenir le 30 mai 2002. Dans l'état actuel des choses l'Irak refuse ce dispositif et continue de prôner une levée pure et simple de l'embargo. Votre groupe d'amitié, dont l'objectif a toujours été la levée totale de l'embargo économique, souhaite que ce dispositif qui, selon toute vraisemblance s'imposera à l'Irak, soit assorti de conditions claires de levée des sanctions. Dans le contexte de l'après 11 septembre, notre action politique devrait porter sur un refus catégorique d'une intervention militaire anglo-saxonne contre ce pays et rechercher, avec l'Irak, les voies et moyens de sortie de la crise actuelle.

1. Améliorer la situation humanitaire : les résolutions 1352, 1360 et 1382 du Conseil de Sécurité

a) Le contenu de la résolution 1352 du 1er juin 2001

La résolution 1352, adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité le 1 er juin 2001, peut s'analyser comme une tentative anglo-saxonne, à laquelle les autres pays se sont ralliés, de sortir du blocage du régime des sanctions, sans pour autant envisager une levée de l'embargo auquel les États-Unis, soutenus par la Grande Bretagne, s'opposent.

Cette nouvelle approche reposait sur deux principes :

• Libéraliser le flux des biens civils vers l'Irak à travers une liste limitative de biens contrôlés (notamment en raison de leur double usage militaire et civil potentiel), qui demeureraient soumis à l'appréciation du comité des sanctions, dit comité 661,

• Lutter contre la contrebande avec l'aide des pays limitrophes de l'Irak.

Il s'agissait en somme de passer d'une logique où tout est interdit sauf ce qui est autorisé par le comité des sanctions, à une logique où tout est permis sauf pour un certain nombre de produits contrôlés par le même comité.

Les discussions sur les modalités pratiques d'application de ces principes avaient porté sur deux volets principaux :

a1 - Un nouveau concept d'approbation des contrats civils

Tous les contrats qui n'incluraient pas de biens formellement visés par la liste seraient libres d'exportation, après simple notification au Secrétariat des Nations Unies.

Une amélioration substantielle du fonctionnement du programme humanitaire était donc attendue d'un dispositif qui avait le mérite pour les Etats-Unis de maintenir le cadre général du régime des sanctions (compte séquestre, économie irakienne administrée depuis New York).

a2 - L'amélioration des contrôles

Il s'agissait essentiellement d'améliorer le contrôle des transactions prohibées, c'est-à-dire de la contrebande. Dans la mesure où les efforts du gouvernement irakien allaient dans le sens d'un contournement de l'embargo avec l'aide intéressée des pays limitrophes, il était proposé de négocier des « arrangements » avec les pays voisins et de leur offrir des « compensations » en échange de cette coopération.

Il était même envisagé que ces compensations destinées à indemniser ces pays des effets indirects de l'embargo sur leurs économies, soient prélevées sur les revenus du programme pétrole contre nourriture.

b) la résolution 1360 du 3 juillet 2001

Le dispositif de la résolution 1352 donnait un mois au Conseil pour trouver un terrain d'entente sur la mise en oeuvre des principes qu'elle énonçait et dont les deux volets ont été rappelés ci-dessus.

L'Irak a immédiatement dénoncé ce nouveau projet en mettant en avant les arguments suivants :

q L'Irak estime avoir totalement satisfait aux obligations prévues par les résolutions de l'ONU et notamment la résolution 687 et demande en conséquence que soient appliqués les articles 21 et 22 qui prévoient la levée des sanctions,

q Elle n'accepte pas la résolution 1284 du 17 décembre 1999 dont les critères de déclenchement de la suspension des sanctions ne sont pas clairs, 1( * )

q Elle dénonce l'absence de toute référence à une sortie de l'embargo,

q Elle rejette le principe d'une liste de produits à double usage qui permettrait l'instauration d'un nouvel embargo, plus sévère que le dispositif existant,

q Elle refuse la mise en place d'une tutelle totale sur les revenus de l'Etat irakien, y compris ceux provenant des accords de libre échange régionaux,

q Elle dénonce un mécanisme d'indemnisation des Etats voisins qui serait financé par les revenus provenant du compte séquestre, c'est-à-dire, au détriment du programme humanitaire.

Cette dénonciation a été soutenue par la Russie tandis que les pays voisins de l'Irak faisaient savoir qu'ils n'acceptaient pas la proposition « d'arrangements commerciaux » aussi incitatifs étaient-ils. La menace de veto de la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, a abouti à l'adoption de la résolution 1360 qui reconduisait pour 6 mois le dispositif existant. L'Irak, qui avait cessé d'exporter son pétrole pour peser sur les cours, a considéré cette décision comme une victoire.

c) La résolution 1382 du 29 novembre 2001

La résolution 1382, adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité deux mois et demi après les attentats du 11 septembre 2001, résulte d'un intense travail diplomatique, notamment en direction de la Russie et, dans une moindre mesure, de la Chine. Elle permet de constater l'unité retrouvée du Conseil et l'isolement de l'Irak.

Par rapport au schéma esquissé par la résolution 1352, la nouvelle résolution se caractérise par trois points fondamentaux :

q Elle abandonne toute référence à un système d'arrangements et de compensations à destination des pays voisins de l'Irak. Ceux-avaient du reste refusé de participer à ce dispositif de contrôle des échanges économiques hors programme pétrole contre nourriture,

q Elle publie en annexe la liste des articles sujets à examen et détermine les procédures relatives à l'application du nouveau dispositif,

q Elle fixe au 30 mai 2002 le commencement de mise en oeuvre du nouveau dispositif.

Comme les autres résolution de l'ONU la R1382 rappelle le maintien absolu de l'embargo militaire et réaffirme son « attachement à un règlement global sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et des éclaircissements nécessaires à l'application de la résolution 1284 (1999) ».

2. Position exprimée par votre groupe d'amitié

a) Pour une levée de l'embargo civil

La levée des sanctions a d'abord été organisée par la résolution 687 du 3 avril 1991, dans ses paragraphes 21 et 22. Ce dernier paragraphe vise les obligations prévues aux paragraphes 8 à 13 de la résolution qui concerne la destruction et l'engagement de l'Irak a ne pas fabriquer des armes de destruction massive, biologiques, chimiques et nucléaires ainsi que des vecteurs balistiques susceptibles de les propulser. La levée des sanctions était explicitement liée au respect par l'Irak des obligations énumérées aux paragraphes 8 à 13 et dont l'application a été supervisée jusqu'en 1998 par l'UNSCOM.

Les objectifs fixés par la résolution ayant été atteints à l'issue du conflit, avec le retrait de l'Iraq du Koweït, les sanctions auraient dû être levées surtout après la reconnaissance des frontières entre les deux pays. La commission des Nations Unies a coopéré avec l'Irak jusqu'en 1998. Elle a pu effectuer sur place l'ensemble des contrôles voulus. Le comportement de cette mission, dont l'ONU elle même a reconnu qu'elle s'était éloigné de sa mission originelle, a été vivement dénoncé par l'Irak qui, en dépit d'une coopération certaine, ne voyait pas d'issue à la levée de l'embargo.

Dans l'excellent rapport de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale qu'a présenté notre collègue René MANGIN 2( * ) l'analyse suivante est présentée :

« Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont opposés à la levée des sanctions, en dépit du fait que les conditions ayant justifié l'imposition de ces sanctions étaient caduques. L'objectif des sanctions a alors changé pour l'administration américaine : il s'est agi d'obtenir la démission de Saddam Hussein.

Après une période de bonne coopération de l'Iraq avec les experts de la Commission de contrôle des armements (UNSCOM), pendant les années 1995 à 1998, l'absence de perspectives quant à la levée des sanctions a conduit l'Iraq à rejeter ces procédures considérées comme humiliantes. Le rejet iraquien a entraîné, en retour, des bombardements unilatéraux américains et britanniques en décembre 1998 contraires à toutes les résolutions.

Comme on l'a vu, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1284 pour sortir de l'impasse. Celle-ci prévoit la suspension temporaire et renouvelable des sanctions civiles en cas de « coopération à tous égards » de l'Iraq avec la nouvelle Commission de contrôle des armements (CCVINU). La résolution a été adoptée avec l'abstention de trois des cinq membres permanents (Russie, Chine et France). La France s'est abstenue considérant que la résolution contenait de trop nombreuses ambiguïtés : le flou de la notion de « coopération à tous égards », l'absence de précisions quant aux conditions de surveillance financière de l'Iraq après la suspension des sanctions. Les diplomates reprochent à la rédaction de la résolution de faciliter le statu quo pour Saddam Hussein : mais, la résolution fut-elle plus précise, le Président iraquien ne préfère-t-il pas voir perdurer la situation actuelle ?

C'est pourquoi notre pays a longtemps demandé que cette résolution soit précisée dans un nouveau texte, afin de proposer à l'Iraq une perspective plus claire et plus précise de suspension des sanctions.

La situation actuelle est celle d'une gestion du dossier dépourvue de logique conductrice : les exigences récurrentes du Conseil reflètent la mauvaise foi de certains de ses membres, l'Iraq a été conduit à mener une politique de contournement systématique de l'embargo, les sanctions ont pris une connotation répressive, punitive, qui n'a plus guère de légitimité eu égard aux objectifs du Conseil de sécurité, et ce, quelque soit l'appréciation que l'on porte sur le régime de Bagdad. »


Votre groupe d'amitié partage cette analyse sur la levée de l'embargo. Celle ci demeure un objectif prioritaire non seulement pour les raisons humanitaires évidentes mais aussi pour des raisons politiques. Il est en effet évident que démocratie et développement économique vont de pair.

b) position de votre groupe sur l'application des résolutions 1352 et 1382

A la suite de la mission effectuée en Irak par votre groupe d'amitié, des courriers, en date du 27 juin 2001, ont été adressés au Président de la République, au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères pour attirer leur attention sur l'extrême précarité dans laquelle l'embargo forçait la population civile irakienne à vivre.

S'agissant de la résolution 1352 la position de votre groupe d'amitié, que nous avions exprimée dans une lettre adressée à M. Védrine le 27 juin 2001, était alors la suivante :

« Lors des entretiens politiques, les responsables irakiens ont utilisé vis-à-vis de la politique suivie par notre pays un langage de critique et de déception. Il nous est reproché ce que les autorités irakiennes considèrent comme un abandon de la position équilibrée de la France au Conseil de sécurité.

J'ai bien évidemment rappelé la position de la France et notre objectif premier qui est d'alléger le sort des populations civiles.

Je voudrais, ainsi que mes collègues missionnaires, attirer votre attention sur les arguments mis en avant par M. Tarek AZIZ, qui nous paraissent dignes d'être pris en considération.

Fondamentalement notre groupe s'interroge sur la nécessité d'une nouvelle résolution et d'une modification unilatérale, puisque l'Irak s'y oppose, de la règle du jeu. Le fait même de parler de sanctions « intelligentes » par rapport aux précédentes est caractéristique. Notre objectif, que je crois vous partagez à terme, est celui de la levée totale de l'embargo économique. Plutôt qu'une nouvelle résolution nous préférerions que les conditions de levée de l'embargo soient vérifiées, voire même précisées. C'est un point fondamental et le fait que l'on semble oublier dans ce nouveau projet la possibilité de levée des sanctions nous paraît inquiétant pour l'avenir. Une pérennisation des sanctions me paraît aller évidemment à l'encontre de l'objectif de retour de l'Irak dans le concert des nations.

C'est dans cet esprit de contrôle et de transparence que nous avons appelé les responsables irakiens à accepter la venue de la nouvelle commission de contrôle dans un esprit de coopération mutuelle.

Le projet de résolution qui est à l'heure actuelle en cours de négociation au sein du Conseil de sécurité, s'il devait être adopté, risque d'avoir des effets indirects qui me paraissent néfastes. Certes, l'inversion du principe des interdictions paraît a priori être un gain pour alléger l'embargo et ses effets sur les populations civiles. Il semble toutefois que la liste limitative de produits interdits, même limitée comme je sais que vous le souhaitez, permettrait en fait l'interdiction d'importation d'un grand nombre de produits par le jeu de composants essentiels, par exemple aux ordinateurs.

Par ailleurs, les arrangements commerciaux incitatifs avec les pays limitrophes, notamment la Jordanie et la Syrie, sont inacceptables pour l'Irak qui y voit, à juste titre, un moyen de contrôler totalement les ressources de son Etat. Ils comportent également, si ils étaient mis en oeuvre des risques de déstabilisation de l'économie de ces pays, notamment de la Jordanie.

Dans l'état actuel des choses, la signature par la France de cette résolution aboutira à une crise grave entre nos deux pays. Les effets dommageables de cette crise, notamment pour nos entreprises, ne peuvent que nous préoccuper alors même que, grâce à vos efforts, nous avions ménagé à notre pays une place éminente en Irak. Je suis convaincu que la négociation est préférable à l'affrontement et que cette nouvelle résolution restera vraisemblablement inappliquée et inapplicable du fait du refus irakien mais aussi des très fortes réticences des pays voisins ».


Depuis cette lettre la résolution 1382 est intervenue et rentrera en application au 30 mai 2002. En droit, cette résolution s'applique à l'Irak qui, comme le rappelle le Conseil de sécurité « est tenu de coopérer à l'application de la présente résolution et des autres résolutions pertinentes... ». L'Irak peut certes décider de ne pas appliquer les résolutions des Nations Unies et d'engager une partie de bras de fer dont la principale victime serait une fois de plus la population civile. C'est cette position qui a été jusqu'à présent choisie par le gouvernement irakien. On observera cependant que le contexte économique qui prévalait en juin 2001 (tensions sur le marché pétrolier mondial, volume des contrats en attente, effets financiers du contournement de l'embargo) a considérablement changé aujourd'hui. On remarquera également que le contexte politique a été bouleversé par les attentats du 11 septembre. La marge de manoeuvre de l'Irak s'est indiscutablement singulièrement rétrécie.

Votre groupe d'amitié, qui approuve tout objectif d'amélioration du sort des populations civiles, constate que les critiques qu'il avait formulées en juin 2001 ont été en partie prises en compte :

q L'effort de notre diplomatie a porté sur la réduction de la liste dont les produits resteront soumis au comité 661,

q Le dispositif de contrôle des échanges, hors programme pétrole contre nourriture, a été abandonné,

q Une référence à la levée définitive des sanctions a été incluse.

Ces avancées importantes ne permettent cependant pas de lever les critiques opposées par le gouvernement irakien et notamment l'utilisation qui pourrait être faite de la liste annexée à la résolution 1382. Seule la pratique permettra de dire s'il s'agit d'un progrès.

L'un des objectif immédiat de notre diplomatie devrait être d'oeuvrer a préciser les modalités d'application des nouvelles procédures. Il est particulièrement important qu'il soit bien clair que ces nouvelles procédures se substituent totalement et complètement aux procédures antérieures. Le dispositif 1382 entraîne en effet au moins trois conséquences fondamentales qu'il convient de souligner et de rappeler :

q Les plans de distribution disparaissent,

q Le mandat des observateurs est à revoir profondément,

q Le contrôle d'opportunité des exportations cesse.

Ces trois conséquences bouleversent manifestement les relations de l'ONU et de l'Irak. Votre groupe pense que si les conséquences de la résolution 1382 sont pleinement tirées il en résultera un effet bénéfique quasi immédiat pour l'Irak et sa population.


Votre groupe d'amitié n'ignore évidemment pas, comme il l'avait du reste rappelé clairement à ses différents interlocuteurs irakiens, que la levée définitive de l'embargo suppose une reprise de la coopération entre ce pays et les Nations Unies et notamment le retour d'une mission de contrôle des armements. Faute de ce geste, les objectifs de sécurité régionale et de restauration de l'autorité du Conseil de sécurité ne seraient pas atteints.

Toutefois, la rhétorique martiale qui consiste à subordonner toute ouverture de discussion à une présence effective de la mission de l'ONU en Irak ne peut être retenue par votre groupe d'amitié. Le geste qui est demandé au gouvernement irakien doit impérativement s'accompagner d'un dispositif clair de sortie de l'embargo. Il serait souhaitable que le Conseil de sécurité puisse, d'ici le 30 mai 2002, clarifier ce point et offrir ainsi à l'Irak une perspective acceptable lui permettant de reprendre la négociation avec l'ONU. Il doit également, selon votre groupe d'amitié, s'accompagner d'un engagement particulièrement ferme et d'une action diplomatique déterminée contre toute tentation de régler par les armes le blocage politique actuel.

Cette position de votre groupe d'amitié rejoint très largement celle du ministère des affaires étrangères telle que l'exprimait M. Hubert Védrine, le 8 août 2001, en réponse à notre lettre du 27 juin.

« D'emblée, je tiens à vous indiquer que la politique de la France n'a pas varié à l'égard de l'Iraq et que nous n'avons d'aucune façon renoncé à notre position équilibrée et légaliste. Nos objectifs sont constants. Ils visent à promouvoir une solution durable et globale qui permette de garantir la stabilité et la sécurité régionales ainsi que de réinsérer l'Iraq et sa population dans la communauté internationale. La réalisation de cette perspective ne peut cependant se décréter unilatéralement. Elle ne pourra se décider qu'en contrepartie du respect par l'Iraq de ses obligations internationales..

La mise en oeuvre de la résolution 1284, adoptée par le Conseil de sécurité en décembre 1999, pourrait permettre d'atteindre ces objectifs. Cette résolution largement inspirée d'idées françaises repose en effet sur le principe d'une suspension des sanctions, première étape vers leur levée, en contrepartie de la coopération de l'Iraq avec une commission de contrôle des armements rénovée (CCVINU). Cela suppose cependant que l'Iraq accepte de coopérer à sa mise en oeuvre, ce que Bagdad a refusé jusqu'ici, en dépit des encouragements réitérés, tout au long des deux années passées, par les autorités françaises lors de leurs contacts réguliers avec les responsables iraquiens. Cela suppose également, comme vous le signalez, que le Conseil de sécurité en clarifie les termes. Ce second point, souhaité notamment par la France et la Russie, n'a cependant reçu aucun écho positif de la part de l'Iraq, qui s'en tient à une exigence non recevable de levée inconditionnelle des sanctions.

Dans l'attente d'une telle perspective, que nous continuons d'appeler de nos voeux, il nous a cependant paru nécessaire de sortir du statu quo, dont les effets sont en tout point préoccupants, s'agissant aussi bien de la situation de la population iraquienne, que de la préservation de la sécurité régionale, ou de l'autorité du Conseil de sécurité.

La France a donc appelé, au cours des derniers mois, à la mise en place d'une nouvelle approche à l'égard de l'Iraq, qui ne soit plus fondée sur une logique de sanctions punitives mais de vigilance et de contrôle, susceptible de favoriser une réelle amélioration de la situation humanitaire iraquienne et de mieux garantir la sécurité régionale. Dans ce contexte, différentes idées ont été avancées, notamment par les Etats-Unis, qui nous sont apparues aller dans le sens de nos propres préoccupations, s'agissant en particulier de la nécessité d'aller vers la quasi-levée des sanctions civiles, à travers un assouplissement substantiel des mécanismes d'exportation des biens civils vers l'Iraq.

Sur cette base, le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité le 1 er juin la résolution 1352 qui exprime l'intention du Conseil d'envisager de nouveaux arrangements, en particulier pour libéraliser l'exportation de biens civils vers l'Iraq. Le délai d'un mois fixé par ce texte pour mener à bien les discussions n'a cependant pas permis de conclure. En dépit d'avancées importantes, plusieurs questions techniques doivent encore être réglées. Le Conseil de sécurité est donc convenu de se donner un délai supplémentaire pour poursuivre et achever la négociations en votant, le 3 juillet dernier, la résolution 1360 qui reconduit pour cinq mois le programme humanitaire dit « pétrole contre nourriture ».

Cette nouvelle approche envisagée par le Conseil de sécurité n'a pas pour ambition de régler la question iraquienne sur le fond, ce qui dépend de l'Iraq, ni de pérenniser un système de sanctions, dont la France a toujours dénoncé les effets cruels et dangereux. Il s'agit d'améliorer substantiellement les choses et, en particulier, la situation humanitaire de la population iraquienne, en l'absence de signes de coopération de la part de Bagdad.

Il n'est pas non plus question pour la France de remettre en cause sa relation avec l'Iraq, pays majeur du Moyen-Orient, ni avec la population iraquienne, à laquelle nous rattachent des liens anciens et étroits. A cet égard, et comme vous le savez, la France demeure le seul pays occidental à conduire, dans le cadre des résolutions des Nations unies, une politique de coopération suivie avec ce pays, en particulier dans les domaines culturel et linguistique mais aussi médical et universitaire et ce, dans le souci de contribuer au désenclavement intellectuel de l'Iraq, à la reformation de ses élites universitaires ainsi qu'à l'atténuation des difficultés de sa population, dans l'attente de la levée des sanctions.

Nous sommes enfin très sensibles à ce que, dans le cadre du programme humanitaire, les entreprises françaises puissent poursuivre le développement de leur action en Iraq et y préserver leur rang. Cet objectif ne doit pas conduire notre politique à s'écarter des principes et des objectifs qui l'ont toujours guidée et que nous avons toujours exposés avec clarté et franchise aux Iraquiens. Ces principes restent, à nos yeux, la seule véritable voie vers une sortie de crise durable et globale. »

3. L'amélioration des relations politiques depuis juin 2001

Les tensions qui avaient opposé les deux pays se sont apaisées dès le mois de septembre 2001. Lors d'un interview accordé à l'AFP le 31 octobre, le ministre des affaires étrangères M. Naji Sabri Al-Hadithi, a indiqué qu'il souhaitait ouvrir une nouvelle page des relations franco-irakiennes et qu'il était prêt à oeuvrer en ce sens.

Cette position, confirmée par le vice premier ministre, M. Tarek Aziz, souligne bien le rôle que notre pays pourrait jouer dans la résolution de ce conflit tant vis-à-vis de nos partenaires européens qu'au Conseil de sécurité. L'intransigeance de la politique américaine conduit l'Irak a opposer une même intransigeance, tout dialogue étant rendu impossible.

Notre pays et notre diplomatie peuvent jouer, comme ils l'ont fait depuis 1990, un rôle de modérateur. Notre connaissance particulière du monde arabe, nos liens anciens avec l'Irak, une position constante de condamnation des conséquences humanitaires de l'embargo, notre volonté d'aboutir à une solution de la crise et à la réintégration de l'Irak dans le concert des nations, notre souci d'assurer la sécurité régionale, donnent à la France une légitimité indiscutable pour trouver les éléments de compromis nécessaires. Votre groupe d'amitié est persuadé que le contexte actuel offre une opportunité pour établir, d'ici le 30 mai 2002, une négociation et permettre l'application, avec le concours de l'Irak, de la résolution 1382, première étape de la levée définitive des sanctions.

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