CHAPITRE I : LES RELATIONS FRANCO IRAKIENNES
I. UNE DÉGRADATION TEMPORAIRES DES RELATIONS POLITIQUES FRANCO-IRAKIENNES
Au moment où la délégation de votre groupe sénatorial d'amitié visitait l'Irak (juin 2001), l'image de la France s'était considérablement dégradée depuis le début de l'année 2000 en raison de son action en faveur du projet de résolution sur les sanctions dites « intelligentes ». Cette caricature parue dans Al Tawka du 21 juin 2001 stigmatisait la position jugée désormais en retrait, indifférente, de notre pays à l'ONU.
A. LA POSITION DE LA FRANCE À L'ONU
La
politique étrangère de la France, ne pouvant se satisfaire du
statu quo qui aboutit à un désastre humanitaire moralement
inacceptable, poursuit trois objectifs :
• Améliorer la situation humanitaire
• Assurer la sécurité régionale
• Restaurer l'autorité du Conseil de sécurité
Le gouvernement français, constatant le blocage de la situation depuis
l'expulsion en 1998 de l'UNSCOM et la reprise des bombardements anglo-saxons
sur l'Irak, a accepté, en 2001, de participer, au sein du Conseil de
sécurité, à la mise en place d'un dispositif nouveau
d'application des sanctions susceptible, selon lui, d'améliorer
sensiblement la situation humanitaire de la population irakienne. C'est cet
accord français sur un nouveau dispositif qui a été
à l'origine d'un très sérieux refroidissement des
relations franco-irakiennes.
Ce nouveau dispositif, prévu par la résolution 1352 du 1 er juin 2001 a été finalement entériné par le Conseil de sécurité dans la résolution 1382 du 29 novembre 2001. Celle-ci prévoit que sa mise en oeuvre opérationnelle devra intervenir le 30 mai 2002. Dans l'état actuel des choses l'Irak refuse ce dispositif et continue de prôner une levée pure et simple de l'embargo. Votre groupe d'amitié, dont l'objectif a toujours été la levée totale de l'embargo économique, souhaite que ce dispositif qui, selon toute vraisemblance s'imposera à l'Irak, soit assorti de conditions claires de levée des sanctions. Dans le contexte de l'après 11 septembre, notre action politique devrait porter sur un refus catégorique d'une intervention militaire anglo-saxonne contre ce pays et rechercher, avec l'Irak, les voies et moyens de sortie de la crise actuelle. |
1. Améliorer la situation humanitaire : les résolutions 1352, 1360 et 1382 du Conseil de Sécurité
a) Le contenu de la résolution 1352 du 1er juin 2001
La
résolution 1352, adoptée à l'unanimité par le
Conseil de sécurité le 1
er
juin 2001, peut s'analyser
comme une tentative anglo-saxonne, à laquelle les autres pays se sont
ralliés, de sortir du blocage du régime des sanctions, sans pour
autant envisager une levée de l'embargo auquel les États-Unis,
soutenus par la Grande Bretagne, s'opposent.
Cette nouvelle approche reposait sur deux principes :
• Libéraliser le flux des biens civils vers l'Irak à travers
une liste limitative de biens contrôlés (notamment en raison de
leur double usage militaire et civil potentiel), qui demeureraient soumis
à l'appréciation du comité des sanctions, dit
comité 661,
• Lutter contre la contrebande avec l'aide des pays limitrophes de l'Irak.
Il s'agissait en somme de passer d'une logique où tout est interdit sauf
ce qui est autorisé par le comité des sanctions, à une
logique où tout est permis sauf pour un certain nombre de produits
contrôlés par le même comité.
Les discussions sur les modalités pratiques d'application de ces
principes avaient porté sur deux volets principaux :
a1 - Un nouveau concept d'approbation des contrats civils
Tous les contrats qui n'incluraient pas de biens formellement visés par
la liste seraient libres d'exportation, après simple notification au
Secrétariat des Nations Unies.
Une amélioration substantielle du fonctionnement du programme
humanitaire était donc attendue d'un dispositif qui avait le
mérite pour les Etats-Unis de maintenir le cadre général
du régime des sanctions (compte séquestre, économie
irakienne administrée depuis New York).
a2 - L'amélioration des contrôles
Il s'agissait essentiellement d'améliorer le contrôle des
transactions prohibées, c'est-à-dire de la contrebande. Dans la
mesure où les efforts du gouvernement irakien allaient dans le sens d'un
contournement de l'embargo avec l'aide intéressée des pays
limitrophes, il était proposé de négocier des
« arrangements » avec les pays voisins et de leur offrir
des « compensations » en échange de cette
coopération.
Il était même envisagé que ces compensations
destinées à indemniser ces pays des effets indirects de l'embargo
sur leurs économies, soient prélevées sur les revenus du
programme pétrole contre nourriture.
b) la résolution 1360 du 3 juillet 2001
Le
dispositif de la résolution 1352 donnait un mois au Conseil pour trouver
un terrain d'entente sur la mise en oeuvre des principes qu'elle
énonçait et dont les deux volets ont été
rappelés ci-dessus.
L'Irak a immédiatement dénoncé ce nouveau projet en
mettant en avant les arguments suivants :
q L'Irak estime avoir totalement satisfait aux obligations prévues par
les résolutions de l'ONU et notamment la résolution 687 et
demande en conséquence que soient appliqués les articles 21 et 22
qui prévoient la levée des sanctions,
q Elle n'accepte pas la résolution 1284 du 17 décembre 1999 dont
les critères de déclenchement de la suspension des sanctions ne
sont pas clairs,
1(
*
)
q Elle dénonce l'absence de toute référence à une
sortie de l'embargo,
q Elle rejette le principe d'une liste de produits à double usage qui
permettrait l'instauration d'un nouvel embargo, plus sévère que
le dispositif existant,
q Elle refuse la mise en place d'une tutelle totale sur les revenus de l'Etat
irakien, y compris ceux provenant des accords de libre échange
régionaux,
q Elle dénonce un mécanisme d'indemnisation des Etats voisins qui
serait financé par les revenus provenant du compte séquestre,
c'est-à-dire, au détriment du programme humanitaire.
Cette dénonciation a été soutenue par la Russie tandis que
les pays voisins de l'Irak faisaient savoir qu'ils n'acceptaient pas la
proposition « d'arrangements commerciaux » aussi incitatifs
étaient-ils. La menace de veto de la Russie, membre permanent du Conseil
de sécurité, a abouti à l'adoption de la résolution
1360 qui reconduisait pour 6 mois le dispositif existant. L'Irak, qui avait
cessé d'exporter son pétrole pour peser sur les cours, a
considéré cette décision comme une victoire.
c) La résolution 1382 du 29 novembre 2001
La
résolution 1382, adoptée à l'unanimité par le
Conseil de sécurité deux mois et demi après les attentats
du 11 septembre 2001, résulte d'un intense travail diplomatique,
notamment en direction de la Russie et, dans une moindre mesure, de la Chine.
Elle permet de constater l'unité retrouvée du Conseil et
l'isolement de l'Irak.
Par rapport au schéma esquissé par la résolution 1352, la
nouvelle résolution se caractérise par trois points
fondamentaux :
q Elle abandonne toute référence à un système
d'arrangements et de compensations à destination des pays voisins de
l'Irak. Ceux-avaient du reste refusé de participer à ce
dispositif de contrôle des échanges économiques hors
programme pétrole contre nourriture,
q Elle publie en annexe la liste des articles sujets à examen et
détermine les procédures relatives à l'application du
nouveau dispositif,
q Elle fixe au 30 mai 2002 le commencement de mise en oeuvre du nouveau
dispositif.
Comme les autres résolution de l'ONU la R1382 rappelle le maintien
absolu de l'embargo militaire et réaffirme son « attachement
à un règlement global sur la base des résolutions
pertinentes du Conseil de sécurité, et des
éclaircissements nécessaires à l'application de la
résolution 1284 (1999) ».
2. Position exprimée par votre groupe d'amitié
a) Pour une levée de l'embargo civil
La
levée des sanctions a d'abord été organisée par la
résolution 687 du 3 avril 1991, dans ses paragraphes 21 et 22. Ce
dernier paragraphe vise les obligations prévues aux paragraphes 8
à 13 de la résolution qui concerne la destruction et l'engagement
de l'Irak a ne pas fabriquer des armes de destruction massive, biologiques,
chimiques et nucléaires ainsi que des vecteurs balistiques susceptibles
de les propulser. La levée des sanctions était explicitement
liée au respect par l'Irak des obligations
énumérées aux paragraphes 8 à 13 et dont
l'application a été supervisée jusqu'en 1998 par l'UNSCOM.
Les objectifs fixés par la résolution ayant été
atteints à l'issue du conflit, avec le retrait de l'Iraq du Koweït,
les sanctions auraient dû être levées surtout après
la reconnaissance des frontières entre les deux pays. La commission des
Nations Unies a coopéré avec l'Irak jusqu'en 1998. Elle a pu
effectuer sur place l'ensemble des contrôles voulus. Le comportement de
cette mission, dont l'ONU elle même a reconnu qu'elle s'était
éloigné de sa mission originelle, a été vivement
dénoncé par l'Irak qui, en dépit d'une coopération
certaine, ne voyait pas d'issue à la levée de l'embargo.
Dans l'excellent rapport de la Commission des affaires étrangères
de l'Assemblée nationale qu'a présenté notre
collègue René MANGIN
2(
*
)
l'analyse suivante est
présentée :
« Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont opposés
à la levée des sanctions, en dépit du fait que les
conditions ayant justifié l'imposition de ces sanctions étaient
caduques. L'objectif des sanctions a alors changé pour l'administration
américaine : il s'est agi d'obtenir la démission de Saddam
Hussein.
Après une période de bonne coopération de l'Iraq avec les
experts de la Commission de contrôle des armements (UNSCOM), pendant les
années 1995 à 1998, l'absence de perspectives quant à la
levée des sanctions a conduit l'Iraq à rejeter ces
procédures considérées comme humiliantes. Le rejet
iraquien a entraîné, en retour, des bombardements
unilatéraux américains et britanniques en décembre 1998
contraires à toutes les résolutions.
Comme on l'a vu, le Conseil de sécurité a adopté la
résolution 1284 pour sortir de l'impasse. Celle-ci prévoit la
suspension temporaire et renouvelable des sanctions civiles en cas de
« coopération à tous égards » de
l'Iraq avec la nouvelle Commission de contrôle des armements (CCVINU). La
résolution a été adoptée avec l'abstention de trois
des cinq membres permanents (Russie, Chine et France). La France s'est abstenue
considérant que la résolution contenait de trop nombreuses
ambiguïtés : le flou de la notion de
« coopération à tous égards »,
l'absence de précisions quant aux conditions de surveillance
financière de l'Iraq après la suspension des sanctions. Les
diplomates reprochent à la rédaction de la résolution de
faciliter le statu quo pour Saddam Hussein : mais, la résolution
fut-elle plus précise, le Président iraquien ne
préfère-t-il pas voir perdurer la situation actuelle ?
C'est pourquoi notre pays a longtemps demandé que cette
résolution soit précisée dans un nouveau texte, afin de
proposer à l'Iraq une perspective plus claire et plus précise de
suspension des sanctions.
La situation actuelle est celle d'une gestion du dossier dépourvue de
logique conductrice : les exigences récurrentes du Conseil
reflètent la mauvaise foi de certains de ses membres, l'Iraq a
été conduit à mener une politique de contournement
systématique de l'embargo, les sanctions ont pris une connotation
répressive, punitive, qui n'a plus guère de
légitimité eu égard aux objectifs du Conseil de
sécurité, et ce, quelque soit l'appréciation que l'on
porte sur le régime de Bagdad. »
Votre groupe d'amitié partage cette analyse sur la levée de
l'embargo. Celle ci demeure un objectif prioritaire non seulement pour les
raisons humanitaires évidentes mais aussi pour des raisons politiques.
Il est en effet évident que démocratie et développement
économique vont de pair.
b) position de votre groupe sur l'application des résolutions 1352 et 1382
A la
suite de la mission effectuée en Irak par votre groupe d'amitié,
des courriers, en date du 27 juin 2001, ont été adressés
au Président de la République, au Premier ministre et au ministre
des affaires étrangères pour attirer leur attention sur
l'extrême précarité dans laquelle l'embargo forçait
la population civile irakienne à vivre.
S'agissant de la résolution 1352 la position de votre groupe
d'amitié, que nous avions exprimée dans une lettre
adressée à M. Védrine le 27 juin 2001, était alors
la suivante :
« Lors des entretiens politiques, les responsables irakiens ont
utilisé vis-à-vis de la politique suivie par notre pays un
langage de critique et de déception. Il nous est reproché ce que
les autorités irakiennes considèrent comme un abandon de la
position équilibrée de la France au Conseil de
sécurité.
J'ai bien évidemment rappelé la position de la France et notre
objectif premier qui est d'alléger le sort des populations civiles.
Je voudrais, ainsi que mes collègues missionnaires, attirer votre
attention sur les arguments mis en avant par M. Tarek AZIZ, qui nous paraissent
dignes d'être pris en considération.
Fondamentalement notre groupe s'interroge sur la nécessité d'une
nouvelle résolution et d'une modification unilatérale, puisque
l'Irak s'y oppose, de la règle du jeu. Le fait même de parler de
sanctions « intelligentes » par rapport aux
précédentes est caractéristique. Notre objectif, que je
crois vous partagez à terme, est celui de la levée totale de
l'embargo économique. Plutôt qu'une nouvelle résolution
nous préférerions que les conditions de levée de l'embargo
soient vérifiées, voire même précisées. C'est
un point fondamental et le fait que l'on semble oublier dans ce nouveau projet
la possibilité de levée des sanctions nous paraît
inquiétant pour l'avenir. Une pérennisation des sanctions me
paraît aller évidemment à l'encontre de l'objectif de
retour de l'Irak dans le concert des nations.
C'est dans cet esprit de contrôle et de transparence que nous avons
appelé les responsables irakiens à accepter la venue de la
nouvelle commission de contrôle dans un esprit de coopération
mutuelle.
Le projet de résolution qui est à l'heure actuelle en cours de
négociation au sein du Conseil de sécurité, s'il devait
être adopté, risque d'avoir des effets indirects qui me paraissent
néfastes. Certes, l'inversion du principe des interdictions paraît
a priori être un gain pour alléger l'embargo et ses effets sur les
populations civiles. Il semble toutefois que la liste limitative de produits
interdits, même limitée comme je sais que vous le souhaitez,
permettrait en fait l'interdiction d'importation d'un grand nombre de produits
par le jeu de composants essentiels, par exemple aux ordinateurs.
Par ailleurs, les arrangements commerciaux incitatifs avec les pays
limitrophes, notamment la Jordanie et la Syrie, sont inacceptables pour l'Irak
qui y voit, à juste titre, un moyen de contrôler totalement les
ressources de son Etat. Ils comportent également, si ils étaient
mis en oeuvre des risques de déstabilisation de l'économie de ces
pays, notamment de la Jordanie.
Dans l'état actuel des choses, la signature par la France de cette
résolution aboutira à une crise grave entre nos deux pays. Les
effets dommageables de cette crise, notamment pour nos entreprises, ne peuvent
que nous préoccuper alors même que, grâce à vos
efforts, nous avions ménagé à notre pays une place
éminente en Irak. Je suis convaincu que la négociation est
préférable à l'affrontement et que cette nouvelle
résolution restera vraisemblablement inappliquée et inapplicable
du fait du refus irakien mais aussi des très fortes réticences
des pays voisins ».
Depuis cette lettre la résolution 1382 est intervenue et rentrera en
application au 30 mai 2002. En droit, cette résolution s'applique
à l'Irak qui, comme le rappelle le Conseil de sécurité
« est tenu de coopérer à l'application de la
présente résolution et des autres résolutions
pertinentes... ». L'Irak peut certes décider de ne pas
appliquer les résolutions des Nations Unies et d'engager une partie de
bras de fer dont la principale victime serait une fois de plus la population
civile. C'est cette position qui a été jusqu'à
présent choisie par le gouvernement irakien. On observera cependant que
le contexte économique qui prévalait en juin 2001 (tensions sur
le marché pétrolier mondial, volume des contrats en attente,
effets financiers du contournement de l'embargo) a considérablement
changé aujourd'hui. On remarquera également que le contexte
politique a été bouleversé par les attentats du 11
septembre. La marge de manoeuvre de l'Irak s'est indiscutablement
singulièrement rétrécie.
Votre groupe d'amitié, qui approuve tout objectif d'amélioration
du sort des populations civiles, constate que les critiques qu'il avait
formulées en juin 2001 ont été en partie prises en
compte :
q L'effort de notre diplomatie a porté sur la réduction de la
liste dont les produits resteront soumis au comité 661,
q Le dispositif de contrôle des échanges, hors programme
pétrole contre nourriture, a été abandonné,
q Une référence à la levée définitive des
sanctions a été incluse.
Ces avancées importantes ne permettent cependant pas de lever les
critiques opposées par le gouvernement irakien et notamment
l'utilisation qui pourrait être faite de la liste annexée à
la résolution 1382. Seule la pratique permettra de dire s'il s'agit d'un
progrès.
L'un des objectif immédiat de notre diplomatie devrait être
d'oeuvrer a préciser les modalités d'application des nouvelles
procédures. Il est particulièrement important qu'il soit bien
clair que ces nouvelles procédures se substituent totalement et
complètement aux procédures antérieures. Le dispositif
1382 entraîne en effet au moins trois conséquences fondamentales
qu'il convient de souligner et de rappeler :
q Les plans de distribution disparaissent,
q Le mandat des observateurs est à revoir profondément,
q Le contrôle d'opportunité des exportations cesse.
Ces trois conséquences bouleversent manifestement les relations de l'ONU
et de l'Irak. Votre groupe pense que si les conséquences de la
résolution 1382 sont pleinement tirées il en résultera un
effet bénéfique quasi immédiat pour l'Irak et sa
population.
Votre groupe d'amitié n'ignore évidemment pas, comme il l'avait
du reste rappelé clairement à ses différents
interlocuteurs irakiens, que la levée définitive de l'embargo
suppose une reprise de la coopération entre ce pays et les Nations Unies
et notamment le
retour d'une mission de contrôle
des armements.
Faute de ce geste, les objectifs de sécurité régionale et
de restauration de l'autorité du Conseil de sécurité ne
seraient pas atteints.
Toutefois, la rhétorique martiale qui consiste à subordonner
toute ouverture de discussion à une présence effective de la
mission de l'ONU en Irak ne peut être retenue par votre groupe
d'amitié. Le geste qui est demandé au gouvernement irakien doit
impérativement s'accompagner d'un dispositif clair de sortie de
l'embargo. Il serait souhaitable que le Conseil de sécurité
puisse, d'ici le 30 mai 2002, clarifier ce point et offrir ainsi à
l'Irak une perspective acceptable lui permettant de reprendre la
négociation avec l'ONU. Il doit également, selon votre groupe
d'amitié, s'accompagner d'un engagement particulièrement ferme et
d'une action diplomatique déterminée contre toute tentation de
régler par les armes le blocage politique actuel.
Cette position de votre groupe d'amitié rejoint très largement
celle du ministère des affaires étrangères telle que
l'exprimait M. Hubert Védrine, le 8 août 2001, en réponse
à notre lettre du 27 juin.
« D'emblée, je tiens à vous indiquer que la
politique de la France n'a pas varié à l'égard de l'Iraq
et que nous n'avons d'aucune façon renoncé à notre
position équilibrée et légaliste. Nos objectifs sont
constants. Ils visent à promouvoir une solution durable et globale qui
permette de garantir la stabilité et la sécurité
régionales ainsi que de réinsérer l'Iraq et sa population
dans la communauté internationale. La réalisation de cette
perspective ne peut cependant se décréter unilatéralement.
Elle ne pourra se décider qu'en contrepartie du respect par l'Iraq de
ses obligations internationales..
La mise en oeuvre de la résolution 1284, adoptée par le Conseil
de sécurité en décembre 1999, pourrait permettre
d'atteindre ces objectifs. Cette résolution largement inspirée
d'idées françaises repose en effet sur le principe d'une
suspension des sanctions, première étape vers leur levée,
en contrepartie de la coopération de l'Iraq avec une commission de
contrôle des armements rénovée (CCVINU). Cela suppose
cependant que l'Iraq accepte de coopérer à sa mise en oeuvre, ce
que Bagdad a refusé jusqu'ici, en dépit des encouragements
réitérés, tout au long des deux années
passées, par les autorités françaises lors de leurs
contacts réguliers avec les responsables iraquiens. Cela suppose
également, comme vous le signalez, que le Conseil de
sécurité en clarifie les termes. Ce second point, souhaité
notamment par la France et la Russie, n'a cependant reçu aucun
écho positif de la part de l'Iraq, qui s'en tient à une exigence
non recevable de levée inconditionnelle des sanctions.
Dans l'attente d'une telle perspective, que nous continuons d'appeler de nos
voeux, il nous a cependant paru nécessaire de sortir du statu quo, dont
les effets sont en tout point préoccupants, s'agissant aussi bien de la
situation de la population iraquienne, que de la préservation de la
sécurité régionale, ou de l'autorité du Conseil de
sécurité.
La France a donc appelé, au cours des derniers mois, à la mise en
place d'une nouvelle approche à l'égard de l'Iraq, qui ne soit
plus fondée sur une logique de sanctions punitives mais de vigilance et
de contrôle, susceptible de favoriser une réelle
amélioration de la situation humanitaire iraquienne et de mieux garantir
la sécurité régionale. Dans ce contexte,
différentes idées ont été avancées,
notamment par les Etats-Unis, qui nous sont apparues aller dans le sens de nos
propres préoccupations, s'agissant en particulier de la
nécessité d'aller vers la quasi-levée des sanctions
civiles, à travers un assouplissement substantiel des mécanismes
d'exportation des biens civils vers l'Iraq.
Sur cette base, le Conseil de sécurité a adopté à
l'unanimité le 1
er
juin la résolution 1352 qui exprime
l'intention du Conseil d'envisager de nouveaux arrangements, en particulier
pour libéraliser l'exportation de biens civils vers l'Iraq. Le
délai d'un mois fixé par ce texte pour mener à bien les
discussions n'a cependant pas permis de conclure. En dépit
d'avancées importantes, plusieurs questions techniques doivent encore
être réglées. Le Conseil de sécurité est donc
convenu de se donner un délai supplémentaire pour poursuivre et
achever la négociations en votant, le 3 juillet dernier, la
résolution 1360 qui reconduit pour cinq mois le programme humanitaire
dit « pétrole contre nourriture ».
Cette nouvelle approche envisagée par le Conseil de
sécurité n'a pas pour ambition de régler la question
iraquienne sur le fond, ce qui dépend de l'Iraq, ni de pérenniser
un système de sanctions, dont la France a toujours dénoncé
les effets cruels et dangereux. Il s'agit d'améliorer substantiellement
les choses et, en particulier, la situation humanitaire de la population
iraquienne, en l'absence de signes de coopération de la part de Bagdad.
Il n'est pas non plus question pour la France de remettre en cause sa relation
avec l'Iraq, pays majeur du Moyen-Orient, ni avec la population iraquienne,
à laquelle nous rattachent des liens anciens et étroits. A cet
égard, et comme vous le savez, la France demeure le seul pays occidental
à conduire, dans le cadre des résolutions des Nations unies, une
politique de coopération suivie avec ce pays, en particulier dans les
domaines culturel et linguistique mais aussi médical et universitaire et
ce, dans le souci de contribuer au désenclavement intellectuel de
l'Iraq, à la reformation de ses élites universitaires ainsi
qu'à l'atténuation des difficultés de sa population, dans
l'attente de la levée des sanctions.
Nous sommes enfin très sensibles à ce que, dans le cadre du
programme humanitaire, les entreprises françaises puissent poursuivre le
développement de leur action en Iraq et y préserver leur rang.
Cet objectif ne doit pas conduire notre politique à s'écarter des
principes et des objectifs qui l'ont toujours guidée et que nous avons
toujours exposés avec clarté et franchise aux Iraquiens. Ces
principes restent, à nos yeux, la seule véritable voie vers une
sortie de crise durable et globale. »
3. L'amélioration des relations politiques depuis juin 2001
Les
tensions qui avaient opposé les deux pays se sont apaisées
dès le mois de septembre 2001. Lors d'un interview accordé
à l'AFP le 31 octobre, le ministre des affaires étrangères
M. Naji Sabri Al-Hadithi, a indiqué qu'il souhaitait ouvrir une nouvelle
page des relations franco-irakiennes et qu'il était prêt à
oeuvrer en ce sens.
Cette position, confirmée par le vice premier ministre, M. Tarek Aziz,
souligne bien le rôle que notre pays pourrait jouer dans la
résolution de ce conflit tant vis-à-vis de nos partenaires
européens qu'au Conseil de sécurité. L'intransigeance de
la politique américaine conduit l'Irak a opposer une même
intransigeance, tout dialogue étant rendu impossible.
Notre pays et notre diplomatie peuvent jouer, comme ils l'ont fait depuis
1990, un rôle de modérateur. Notre connaissance
particulière du monde arabe, nos liens anciens avec l'Irak, une position
constante de condamnation des conséquences humanitaires de l'embargo,
notre volonté d'aboutir à une solution de la crise et à la
réintégration de l'Irak dans le concert des nations, notre souci
d'assurer la sécurité régionale, donnent à la
France une légitimité indiscutable pour trouver les
éléments de compromis nécessaires. Votre groupe
d'amitié est persuadé que le contexte actuel offre une
opportunité pour établir, d'ici le 30 mai 2002, une
négociation et permettre l'application, avec le concours de l'Irak, de
la résolution 1382, première étape de la levée
définitive des sanctions.