Mme Liliane DUPORT, administratrice à l'Association 4D (Dossiers Débats pour le Développement Durable)
L'association 4D a été créée à l'issue de la Conférence de Rio afin de diffuser les principes de développement durable dans les politiques publiques nationales et locales. Elle a aujourd'hui une quinzaine d'années. J'en suis l'administratrice, tandis que Laurence Ermisse fait partie du personnel permanent. Nous vous présenterons le contexte français en matière de développement durable, qui intéresse les collectivités locales.
Mme Laurence ERMISSE, responsable du Pôle Territoires et Développement durable à l'Association 4D (Dossiers Débats pour le Développement Durable)
Bonjour à tous et merci de nous accueillir aujourd'hui dans cet échange franco-japonais. Nous essaierons de vous brosser un rapide panorama de l'intégration du développement durable dans les politiques publiques françaises et de la façon dont les collectivités locales s'en sont saisies. Notre approche vise le développement durable au sens large, et sa mise en oeuvre à travers les Agendas 21 locaux.
Le Sommet de la Terre réuni à Rio de Janeiro en 1992 a constitué une date importante dans la prise de conscience du rôle des collectivités locales dans le développement durable puisque c'est lors de cette conférence que celles-ci ont été reconnues comme des acteurs de premier plan, comme le suggère le programme Action 21. D'après ce programme de la conférence des Nations Unies, ce sont « les collectivités locales qui construisent, exploitent et entretiennent les infrastructures économiques, sociales et environnementales, qui surveillent les processus de planification, qui fixent les orientations et la réglementation locale en matière d'environnement et qui apportent leur concours à l'application des pratiques de l'environnement adaptées à l'échelle nationale et infranationale. Elles jouent donc, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l'éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d'un développement durable » (Action 21, Conférence des Nations Unies de Rio, 1992). Cette conférence internationale représente un peu l'acte fondateur du rôle des collectivités dans le développement durable.
En France, cette affirmation issue de la conférence de Rio a trouvé un écho assez rapidement dans les textes et la réglementation, même si cela s'est opéré de manière progressive au fil des ans. Dès 1995, la loi Barnier sur la protection de l'environnement évoque et intègre, pour la première fois, la notion de développement durable. Suivront ensuite de nombreuses lois qui évoqueront cette question. La loi de 1999 dite loi Voynet relative à l'aménagement du territoire, notamment, crée les pays et les agglomérations en les incitant fortement à s'engager dans des Agendas 21 locaux et intègre le principe de la participation de la société civile à l'élaboration des politiques publiques, l'un des principes fondamentaux du développement durable.
En parallèle, des dispositifs plus expérimentaux ont été initiés par l'Etat. Trois séries d'appels à projets, dénommés « Outils et démarches en vue de la réalisation d'Agendas 21 » ont été lancées en 1997, 2000 et 2003. Ces appels à projets avaient pour objet d'encourager les collectivités, notamment par le biais d'une incitation financière, à engager des actions en faveur du développement durable et surtout de leur donner la possibilité d'expérimenter de nouvelles démarches dans ce secteur. Plus récemment, les lois Grenelle ont constitué un moment important du développement durable, leur élaboration ayant suscité une large concertation de la société civile. La dernière de ces lois se trouve toujours en cours d'adoption à l'Assemblée nationale.
Enfin, la question du développement durable en France a été portée en 2003 à son plus haut niveau puisque, intégrée au préambule de la Constitution française, cette notion a acquis une valeur constitutionnelle. Le préambule, constitué de la Charte de l'environnement, indique que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement ». Un de ses articles précise également que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, du développement économique et du progrès social ».
M. Bruno LEPRAT
Nous pouvons peut-être préciser à nos invités japonais que la Constitution représente le cadre juridique suprême dans lequel doivent s'inscrire toutes les initiatives des acteurs de la société française.
Mme Laurence ERMISSE
Quant aux politiques étatiques récentes en matière de développement durable, les lois Grenelle I et II ont été initiées en 2007. Ces lois relatives à l'environnement représentent un cap important. Elles marquent en effet le passage de l'incitation et de la volonté d'inscrire le développement durable dans les politiques à un cadre beaucoup plus contraignant, comportant des objectifs chiffrés qui concernent de près les collectivités locales puisque ces dernières assument, pour nombre de sujets, la maîtrise d'oeuvre. Parmi ces sujets figurent la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le développement urbain, la réduction des transports routiers et le développement des transports collectifs. En parallèle, ces lois incitent également à la mise en place de deux dispositifs généraux. L'Agenda 21 local constitue le premier de ces dispositifs et a vocation à devenir un véritable outil de contractualisation entre l'Etat, les régions et les collectivités locales. Le second dispositif consistant en la mise en place de Plans Climats illustre la forte connotation de ces lois en faveur de l'anticipation et de l'adaptation au changement climatique.
Mme Liliane DUPORT
Je m'attacherai à vous présenter les résultats de l'expérimentation lancée en 1997, qui s'est traduite par des appels à projets et un échange de retours d'expérience pour dégager les bonnes pratiques des collectivités. A l'époque, les approches intégrées en termes de développement durable au niveau d'une collectivité locale étaient mal connues. A l'issue de ce travail de près de 10 ans, associant de nombreux acteurs au premier rang desquels les collectivités, qui se sont fortement mobilisées, le ministère de l'Ecologie et du Développement durable a défini un cadre de référence, recueillant l'assentiment d'un grand nombre de parties prenantes, notamment des collectivités locales et de leurs associations.
La mise en place de ce cadre de référence s'avérait nécessaire, les expériences locales se développant sans grande homogénéité. Elle a permis de reconnaître une acception commune à l'Agenda 21 ou au projet territorial de développement durable. Ce cadre se décline en plusieurs parties. Il établit une meilleure définition de l'Agenda 21 et des finalités auxquelles celui-ci doit concourir et détermine également la façon dont la démarche peut être déclinée secteur par secteur. Il privilégie, au lieu de la définition généralement admise des trois piliers du développement durable, une définition suivant cinq finalités, qui fixe l'objectif auquel doit concourir l'ensemble des plans, actions et programmes qui touche au développement durable, celui-ci constituant aujourd'hui une priorité des politiques publiques, comme nous avons pu vous le montrer.
Avant d'aborder ces cinq finalités, je citerai encore la Charte de l'environnement qui, adossée à la Constitution, donne une certaine légitimité à cette déclinaison. Cette Charte rappelle les enjeux auxquels les politiques publiques doivent faire face, indiquant en effet que « la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par les exploitations excessives des ressources naturelles (...) ».
Les cinq finalités doivent être envisagées non pas séparément mais de façon concomitante. Une action en matière de cohésion sociale et de solidarité doit aussi participer à la préservation de la biodiversité, à l'épanouissement humain et à la lutte contre le changement climatique. De même une action ou un programme touchant la biodiversité doit-il s'attacher à veiller à contribuer à l'ensemble des autres finalités. Les collectivités doivent donc poursuivre ces cinq finalités intégratrices dans le cadre de toutes leurs actions. Deux de ces finalités concernent l'environnement en général. Elles touchent d'une part à la lutte contre le changement climatique et la protection de l'atmosphère et d'autre part à la préservation de la biodiversité et la protection des milieux et des ressources. Deux autres de ces finalités se rapportent à la société. Elles visent à contribuer à l'épanouissement humain et à l'accès de tous à une bonne qualité de vie et à aboutir à une cohésion sociale et à une solidarité entre les territoires et entre les générations. Toutes ces actions supposent enfin une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables, ce développement constituant à la fois un moyen et une finalité. La prise de conscience de la nécessité d'un changement des modes de production et de consommation représente en effet une condition sine qua non pour accéder au développement durable.
Pour atteindre ces finalités et accéder à un développement durable, il convient également de changer nos façons de faire et nos modes de travail. La participation des acteurs s'avère essentielle dans une démarche de développement durable. Il faut en effet piloter le projet en donnant la parole aux acteurs et de façon à ce que l'ensemble des organisations et des secteurs d'activité participe à l'élaboration des programmes de développement durable. La transversalité des approches constitue une autre méthode de travail très importante. Il convient enfin de suivre l'évolution des projets de développement durable. Pour cela, des outils d'évaluation doivent être définis. Toute cette démarche ne peut évidemment être accomplie d'un seul coup mais doit s'inscrire dans une stratégie d'amélioration continue qui pourrait s'apparenter à la politique des « petits pas » chère à Monsieur Kissinger, pour ceux qui s'en souviennent.
M. Bruno LEPRAT
Liliane Duport, pourriez-vous nous décrire les pratiques territoriales de développement durable en France ? Le ministère a voulu organiser et unifier les initiatives des collectivités locales. Il a, à cet effet, créé un observatoire qui permet de capitaliser ces bonnes pratiques. Combien d'initiatives avez-vous recensées et comment se répartissent-elles ?
Mme Laurence ERMISSE
Cet observatoire national des Agendas 21 locaux que l'association 4D anime a en effet été créé pour recenser et valoriser les démarches territoriales de développement durable et accompagner les collectivités dans la mise en oeuvre du développement durable.
On estime à 400 ou 500 le nombre de collectivités locales engagées aujourd'hui dans un projet territorial de développement durable. La France avait initié en 2003 une stratégie nationale de développement durable dont l'objectif était d'atteindre 500 démarches en 2008. Cet objectif est donc presque atteint. Il convient désormais, au regard de la nouvelle stratégie nationale, de passer à 1 000 d'ici 2015 le nombre de territoires engagés. En France, l'engagement des collectivités dans un projet de développement durable s'est avéré relativement progressif. Il a démarré en 1997 et jusqu'en 2000 il s'est mis en place peu à peu car d'autres outils dans lesquels les collectivités s'étaient engagées avaient déjà été développés, telles les chartes de l'environnement. L'institution d'une démarche plus générale comme pouvait l'offrir le cadre d'un Agenda 21 ne constituait pas alors une démarche spontanée. L'année 2002 représente un cap important, avec la rencontre de Johannesburg et la déclaration du Président Chirac assez forte, indiquant « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Par ailleurs, ce fut la première fois, à Johannesburg, que les collectivités locales étaient présentes sur une conférence internationale. Le mouvement qui suivra cet événement sera beaucoup plus massif en France. Entre 2002 et 2008, le nombre d'engagements dans des projets territoriaux de développement durable est ainsi passé de 30 à 250, illustrant un fort engouement.
En 2008, la moitié des régions françaises et un tiers des départements ont mis en place des projets territoriaux de développement durable. Les communautés urbaines et les communautés d'agglomération se sont également spontanément engagées dans ces projets. Le caractère principalement urbain des problématiques présente un aspect incitatif qui pousse en effet les villes à s'engager plus naturellement dans la démarche. L'ensemble des collectivités, quel que soit l'échelon, s'est saisi du problème, même si les communes se révèlent relativement moins présentes. Les intercommunalités, les pays, les parcs régionaux ont eux-mêmes développé des projets. L'intercommunalité joue un rôle important dans ces démarches car le regroupement facilite la transversalité mais c'est aussi la raison pour laquelle les communes rurales éprouvent davantage de difficultés à s'engager.
Plusieurs leviers permettent de faciliter l'engagement des collectivités dans un projet global de développement durable. On observe ainsi une plus forte concentration sur certaines zones, dans la région Nord-Pas de Calais, autour de l'Ile-de-France, en Gironde et dans la région Rhône-Alpes par exemple. Ces phénomènes peuvent être expliqués par plusieurs raisons. L'une de ses raisons se révèle plutôt historique pour la région Nord-Pas de Calais ou le département du Bas-Rhin par exemple. Ces zones se sont engagées de manière assez spontanée car elles se trouvaient économiquement en difficulté et ont parfois vu le développement durable comme un moyen d'améliorer la situation de la région. L'impulsion politique constitue également un levier fort dans ces démarches. En Gironde par exemple, le conseil général s'est fortement impliqué pour appuyer les projets territoriaux de développement durable, faciliter les échanges entre les collectivités, mettre en place des formations et développer des outils. Ces actions peuvent jouer un rôle important. Des structures-relais locales, agences régionales de développement durable, associations multiples et variées ont également pu être mises en place, comme en Midi-Pyrénées, et jouent également un rôle de soutien et d'impulsion.
Au-delà du contexte et de l'encadrement législatif et réglementaire qui peuvent appuyer ces démarches, le rôle d'autres niveaux d'intervention et des politiques locales s'avère tout aussi essentiel et peut favoriser leur développement.
Mme Liliane DUPORT
Quelques éléments de conclusion pour terminer cette présentation de l'état des démarches territoriales de développement durable.
On constate, au terme de plusieurs années d'engagement, qu'aux premiers Agendas locaux ont succédé, dans certaines villes, des deuxièmes Agendas 21 ; ce qui démontre que la politique se poursuit et que les collectivités y trouvent un intérêt. Les villes de Lille ou de Lyon ainsi que certains départements se réengagent ainsi dans une deuxième série de programmes.
Par ailleurs, il est dorénavant acquis que le développement durable n'est pas uniquement constitué des politiques environnementales mais regroupe également les questions sociales ou économiques et représente un véritable facteur de développement.
Enfin, la participation des acteurs et des populations s'avère désormais incontournable dans toute politique de développement durable, même si des difficultés persistent dans ce domaine car la démocratie locale reste complexe à mettre en oeuvre. Les organisations des services publics restant sectorielles, la mise en oeuvre des approches transversales nécessaires en matière de développement durable se révèle parfois difficile. Des difficultés liées à la sectorisation se présentent également au niveau de l'Etat, des collectivités et des partenaires, qui entravent les possibilités d'agir selon des approches intégrées. A cela s'ajoute encore la difficulté d'approcher les acteurs économiques privés pour les associer à ces politiques publiques. Enfin, la mobilisation de moyens financiers adaptés ou l'adaptation pas toujours immédiate des dispositifs réglementaires mettent parfois en difficulté la mise en oeuvre locale des principes de développement durable.
M. Bruno LEPRAT
A quel stade les lois Grenelle I et II se situent-elles ? Sont-elles votées ? Si oui, le sont-elles à l'unanimité politique ou le développement durable fait-il débat ?
Mme Laurence ERMISSE
La loi Grenelle I, plus générale, a été adoptée l'an dernier. La loi Grenelle II, qui fixe des objectifs relativement précis dans la mise en oeuvre du développement durable, est en cours d'adoption. Elle a été révisée et adoptée par le Sénat en octobre dernier et son examen continue à l'Assemblée nationale. La première loi a été adoptée et doit désormais être mise en oeuvre mais les décrets d'application n'ont pas encore été publiés. Ce processus doit donc être mis en place avant une véritable concrétisation de la démarche.
M. Bruno LEPRAT
Dans quel climat ces textes sont-ils discutés au Parlement ? Pourriez-vous également nous préciser d'où vient le nom de Grenelle ?
Mme Liliane DUPORT
Je pense que Monsieur Assouline aurait répondu plus justement à cette question puisqu'il participe aux assemblées délibératives mais il est vrai que l'intérêt exceptionnel de ce processus du Grenelle a consisté dans la méthode de travail utilisée, associant à l'élaboration des textes non seulement les institutions et ministères mais également les parties prenantes, dont les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile. Cette façon de faire donne une légitimité nouvelle à ces lois Grenelle, qui fait aujourd'hui référence, y compris dans des secteurs extérieurs au développement durable. Quant au nom, cette appellation de Grenelle a été reprise d'un grand accord social signé à l'issue des événements de mai 1968.
M. Bruno LEPRAT
Nous vous proposons maintenant d'écouter Itaru Yasui, président de l'Institut national de la technologie et de l'évaluation et vice-président d'honneur de l'Université des Nations Unies, qui va nous expliquer comment les collectivités japonaises se sont converties au développement durable. Merci de votre intervention Monsieur le président. A l'issue de son exposé, aura lieu un échange avec la salle.