M. Itaru YASUI, président de l'Institut national de la technologie et de l'évaluation, vice-président d'honneur de l'Université des Nations Unies

Comme il a été évoqué tout à l'heure, la Conférence des parties de Copenhague (COP15) n'a en effet pas connu le succès escompté. Or, au Japon également, cette question du changement climatique est considérée comme l'enjeu le plus important du développement durable. C'est pourquoi j'aimerais vous présenter notre approche dans ce domaine, en mettant bien entendu l'accent sur l'action des collectivités locales.

Le Japon cherche à trouver des solutions pour que ses villes émettent moins de gaz à effet de serre. Il s'oriente pour cela vers un recours à des moyens technologiques.

Nous avons eu dernièrement une alternance politique, avec l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Hatoyama. Peu après sa prise de fonction, Monsieur Hatoyama a annoncé lors d'une conférence aux Nations Unies que le Japon réduirait de 25 % ses émissions de CO 2 . Cet objectif dépasse celui de 20 % fixé par l'Union européenne. Il s'agit sans doute de l'objectif le plus ambitieux au monde après certains pays membres de l'Union européenne comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne qui se sont fixé des objectifs très élevés. Toutefois, les considérations du Premier ministre sur ce point sont peu claires. Comme je viens de vous l'indiquer, le Japon veut atteindre cet objectif grâce aux moyens technologiques, mais c'est probablement impossible. Dans ce cas, quelles sont les solutions pour arriver à cet objectif ? S'agit-il d'échanger des droits d'émission, de transférer des technologies ou d'aider les pays en voie de développement ? Nous ne le savons pas pour l'instant.

Le Japon est conscient depuis longtemps de l'importance de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'environnement urbain est considéré comme une question particulièrement importante. Aussi le précédent gouvernement du Parti libéral démocrate a-t-il lancé un appel à projets « Villes modèles pour l'environnement » en janvier 2008. Treize villes ont été distinguées à ce jour. Ces communes s'engagent à réduire considérablement les émissions de CO 2 et prévoient d'autres objectifs ambitieux pour le développement durable.

Il faut également reconnaître qu'il n'existe pas de solutions technologiques permettant de réduire d'une manière importante les rejets de gaz à effet de serre. Je peux citer comme solution possible l'utilisation des énergies renouvelables et des matériaux naturels, la maîtrise de l'énergie et des ressources, le principe des 3R (Réduire, Réutiliser et Recycler), la capture et la séquestration du gaz carbonique, et enfin l'énergie nucléaire. Ces deux dernières solutions doivent être mises en oeuvre par l'Etat, mais les première et deuxième solutions nécessitent, quant à elles, l'implication des collectivités locales. Parallèlement, des mesures sociales devraient être prises. Ceci dit, le Japon considère que les mesures sociales et économiques, malgré leur importance, ne permettent pas de tout résoudre, seulement de contribuer à accélérer la mise en oeuvre des technologies précédemment citées.

Un recours intensif à la technologie pourrait cependant entraîner des effets négatifs : une légère baisse du PIB, l'augmentation de la charge financière des citoyens et la montée du chômage. De plus, les technologies à haute performance énergétique ont déjà atteint un niveau important au Japon. J'ai été surpris d'apercevoir les derniers modèles de voitures hybrides de Toyota rouler dans les rues de Paris. Ces véhicules intègrent déjà des technologies avancées. Il faudra donc adopter d'autres technologies, mais dans quelle mesure ? Par exemple, l'électricité produite par les cellules photovoltaïques est de 142 millions de kW aujourd'hui, et il faudra multiplier ce chiffre par 25, voire par 40 d'ici 2020. Ensuite, concernant les véhicules de prochaine génération, les voitures électriques ou hybrides, qui représentent actuellement 1 % des voitures vendues, devront occuper de 50 à 100 % du marché des voitures neuves. En outre, les logements avec isolation thermique de prochaine génération représentent aujourd'hui 30 % des logements, mais à l'avenir, 100 % des logements devront en être équipés. Enfin, 700 000 chauffe-eau avec pompe à chaleur sont utilisés aujourd'hui, et ce nombre devra être multiplié par 50 ou 70. Or, toutes ces actions ne permettraient pourtant que de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 15 % environ. Les déclarations du Premier ministre induisent donc un effort national tout à fait considérable.

D'autre part, le coût marginal de toute réduction des rejets de gaz à effet de serre est élevé ; il faut compter jusqu'à 1 000 dollars pour une réduction d'une tonne de CO 2 . Les solutions technologiques coûtent donc beaucoup plus chers que le prix des permis d'émission sur les marchés de droits d'émission. Mais elles sont incontournables pour atteindre les objectifs fixés. C'est pourquoi le Japon consacre aujourd'hui un budget important à la recherche de technologies moins chères. Nous serons de toute façon contraints d'essayer toutes les solutions possibles, car les objectifs évoqués par le gouvernement japonais lors du sommet du G8 en 2008 étaient de l'ordre de 50 % de réduction à l'horizon 2050.

Dans ce contexte, les collectivités locales sont en première ligne. Au Japon, les conditions climatiques varient selon les régions : en hiver certaines régions ont beaucoup de neige, alors que dans la région de Tokyo le temps est toujours ensoleillé. Aussi les collectivités locales cherchent-elles à explorer toutes les pistes : exploiter des énergies naturelles renouvelables en fonction de leurs particularités climatiques, coopérer avec des industriels pour utiliser le surplus énergétique, modifier les modes de transport et la structure urbaine. Pour ce dernier point, je voudrais vous préciser que la structure urbaine des villes japonaises, surtout celle des villes de province, favorise la dépendance des citoyens à la voiture...

Un autre aspect crucial concerne l'assistance technique aux pays en voie de développement. Ce graphique (voir en annexe) présente l'évolution des émissions de CO 2 des pays en voie de développement et des pays industrialisés. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié entre 2010 et 2050, la courbe ascendante indiquant l'augmentation des émissions de gaz carbonique sur le graphique doit s'inverser. Or, c'est impossible si l'on ne coopère pas avec les pays en voie de développement. Il s'agirait par exemple de coopérer avec des villes étrangères, surtout asiatiques, dans le domaine de l'aménagement urbain. Cette idée de coopération avec les pays en voie de développement, appelée « initiative Hatoyama », est née il y a quelques mois, mais n'a pourtant toujours pas été précisée. Nul doute cependant que les collectivités locales seront impliquées au premier chef.

Les collectivités locales japonaises ont de toute façon d'ores et déjà pris des mesures concrètes, concernant la maîtrise de l'énergie dans leurs propres locaux, l'utilisation de voitures de fonction écologiques ou encore la promotion de la réduction des émissions de gaz carbonique chez leurs administrés. Elles pourraient également promouvoir à l'avenir l'achat éco-responsable. Il existe déjà au niveau de l'Etat un dispositif appelé « éco-points » : les personnes qui achètent un réfrigérateur, un téléviseur ou un climatiseur à faible consommation d'énergie gagnent des éco-points qui se transforment en bons d'achat. Les collectivités locales pourraient s'en inspirer. Par ailleurs, il existe des aides de l'Etat relatives à l'énergie solaire (mise en place de panneaux photovoltaïques) et à d'autres énergies renouvelables, auxquelles les collectivités locales pourraient participer. J'ai en outre mentionné précédemment l'importance de la participation directe des populations concernées. Il est en effet indispensable de les associer aux politiques des collectivités locales en matière de développement durable pour qu'elles prennent conscience de cet enjeu et qu'elles s'engagent concrètement. Le réchauffement climatique est une question particulière, en ce que nous ne sommes pour l'instant pas encore témoins des effets les plus pervers du changement climatique. C'est peut-être aux alentours de 2070 que des effets tangibles seront observés. Dans ce contexte, il est difficile de demander aux populations de dépenser de l'argent aujourd'hui dans la perspective de graves problèmes à l'horizon de 2070. C'est pourquoi il faut susciter une prise de conscience chez les citoyens.

Pour ce faire, il faudrait privilégier une approche permettant de faire d'une pierre deux coups. De quoi s'agit-il ? Le premier volet a trait à la réduction des émissions de CO 2 en tant que telle, tandis que le second concerne les populations. Ainsi, dans un Japon confronté à un vieillissement démographique accéléré, l'émergence d'une société à faibles émissions de gaz carbonique serait de toute évidence favorable aux personnes âgées. Le Japon est également confronté à un problème de dénatalité et la diminution de la population entraîne des problèmes de gestion des forêts et des espaces naturels faute de personnel. Des mesures concrètes visant à remédier à ces préoccupations immédiates permettraient là aussi de faire d'une pierre deux coups.

Par ailleurs, on envisage d'instaurer au Japon une limite d'âge, 75 ans ou 80 ans, au-delà de laquelle il serait interdit de conduire un véhicule automobile. Cependant, les personnes âgées qui n'habitent pas dans une grande ville et à qui on enlèverait leur permis de conduire risqueraient de ne plus pouvoir aller faire leurs courses par exemple. Pour résoudre ce problème, l'urbanisme devrait être revu pour que tous les besoins de la vie quotidienne des citoyens puissent être satisfaits à l'intérieur d'un périmètre urbain peu étendu, sans qu'ils aient besoin donc d'utiliser leur voiture.

Pour conclure, je dirais que si l'on exclut l'énergie nucléaire, le taux d'autosuffisance énergétique du Japon n'est que de 4 %. Pour augmenter ce taux et assurer notre sécurité énergétique, il nous faut donc avoir recours à la maîtrise de l'énergie ou aux énergies naturelles renouvelables, seuls équivalents des gisements de pétrole chez nous.

Mais, le Japon est aussi un pays innovant en matière technologique ; nous pourrions créer des technologies plus performantes de maîtrise de l'énergie et les vendre aux autres pays industrialisés. Une meilleure diffusion des technologies existantes permettrait aussi de faire baisser leur coût, les rendant accessibles aux pays en voie de développement.

L'arrivée au pouvoir de Monsieur le Premier ministre Hatoyama oblige ainsi le Japon à afficher des objectifs très ambitieux, mais le chemin à parcourir pour les atteindre est encore long. Je vous remercie.

M. Bruno LEPRAT

Merci Monsieur le professeur et président. Bonne chance pour ce pari des 25 % sur lequel vous semblez assez dubitatif. Merci également pour cet éloge de la sobriété. Vous évoquiez le chômage. Pourquoi le chômage constituerait-il un effet de la lutte accélérée contre le réchauffement climatique ?

M. Itaru YASUI

Le taux de chômage n'est pas très élevé au Japon. En fait, il y a du scepticisme sur les emplois créés par les technologies de l'environnement et de l'énergie. Le Président Obama a annoncé un plan de croissance verte qui devrait générer des emplois, mais pour l'instant il n'y a aucune certitude quant à la réalité d'une création massive d'emplois grâce à ce « green new deal ».

M. Bruno LEPRAT

Nous allons prendre trois questions. Je demanderai également à nos orateurs quelles sont les villes, dans leurs pays respectifs, qu'ils nous inviteraient à aller visiter comme des laboratoires du développement responsable et écologique.

De la salle

Je suis fonctionnaire territorial à Limoges, ville jumelée à Seto dans le département d'Aichi. Je remarque qu'en France nous avons la chance de disposer d'un moyen, les Agendas 21. Le Japon possède-t-il un cadre législatif et des moyens de ce type en faveur du développement durable ?

M. Bruno LEPRAT

Je propose de prendre toutes les questions les unes à la suite des autres et de les traiter ensuite dans leur ensemble.

De la salle

Je suis également fonctionnaire territorial, actuellement mis à disposition de la préfecture du Languedoc-Roussillon. Qui est l'auteur du concept de faire d'une pierre deux coups ? Est-ce une initiative nationale ou émane-t-il des collectivités territoriales ?

M. Itaru YASUI

Concernant la première question sur les Agendas 21, conformément aux dispositions de la Loi-cadre relative à l'environnement, les collectivités locales japonaises doivent élaborer leur programme-cadre pour l'environnement, qui est ensuite révisé tous les cinq ans. Je ne connais pas la législation française, mais je suppose que l'approche est similaire. Le Japon a connu dans les années 1960 de graves problèmes d'environnement, mais aujourd'hui les problèmes de pollution sont maîtrisés même dans la région de Tokyo, et la protection de la biodiversité représente actuellement un enjeu important. Pour ce qui est de la question des déchets, la situation s'est beaucoup améliorée grâce aux efforts considérables déployés par les collectivités locales. Nous allons entendre tout à l'heure la présentation de la ville de Kawaguchi à ce sujet. Et le grand problème restant à résoudre, d'après moi, c'est celui du réchauffement climatique.

Pour ce qui est de la deuxième question concernant le concept de faire d'une pierre deux coups, pour l'instant c'est une proposition que je fais à titre personnel. En effet, je suis souvent sollicité par des collectivités locales qui me demandent conseil, et je leur fais cette proposition.

M. Bruno LEPRAT

Monsieur Yasui, quelle serait la ville que vous inviteriez le public français à visiter et qui vous semble la plus intéressante dans ses efforts pour la préservation de la planète et de ses administrés ?

M. Itaru YASUI

C'est une question assez difficile. Il y en a quelques-unes, mais elles présentent chacune un profil différent. Par exemple, les villes de Kyoto et de Kawaguchi représentées ici aujourd'hui sont des communes situées en zone urbaine. Il est bien sûr intéressant d'aller visiter Kyoto, car c'est une ville historique, mais du point de vue technologique, il faudrait aller voir la ville de Kitakyûshû. S'agissant d'une commune qui mène des actions en faveur de l'agriculture, ce serait plutôt la ville d'Obihiro dans le département de Hokkaidô que je conseillerais de visiter. En tout état de cause, comme il existe de nombreux cas de figure, il est très difficile de citer une seule ville.

M. Bruno LEPRAT

Merci. Mesdames Duport et Ermisse, pourriez-vous répondre à la même difficile question ?

Mme Liliane DUPORT

Il s'avère effectivement difficile de choisir parmi les communes ou les territoires qui ont réalisé des Agendas 21 au sein duquel sont développées de nombreuses innovations et actions qui participent aux cinq finalités du développement durable. Comme nous avions préparé une présentation sur le Grand Lyon, autant le citer. L'Agenda 21 du Grand Lyon comporte deux périodes, de 2005 à 2007 et de 2007 à 2009. Parmi les actions entreprises, cette agglomération a initié le Vélo'V pour offrir une alternative à la voiture, une initiative qui s'est ensuite étendue à Paris (Vélib') et dans d'autres villes françaises. Elle a également mené une action sur le pôle de compétitivité chimie-environnement. La grande agglomération lyonnaise compte en effet de nombreux pôles de compétitivité qui constituent des approches transversales avec les entreprises et le territoire et ses ressources pour développer des secteurs d'activité. Il existe 4 ou 5 pôles de ce type sur le territoire de la communauté urbaine. De très nombreuses actions sont mises en place pour lutter contre l'effet de serre, comme, dans le domaine de l'urbanisme, une analyse environnementale de l'urbanisme afin d'essayer d'éviter que les villes ne s'étendent trop largement, non seulement pour les personnes âgées mais aussi pour l'ensemble de la population. Laurence Ermisse pourrait vous parler d'un projet plus rural.

Mme Laurence ERMISSE

Le développement durable n'est pas encore forcément visible. Il peut se matérialiser par des démarches. De nombreuses villes n'en sont qu'au stade des réflexions ou de projets et n'ont pas encore mis en oeuvre d'actions concrètes très visibles, même si des éco-quartiers commencent à émerger, comme à Strasbourg, où il est en cours de construction. Des actions intéressantes sont également menées sur Bordeaux, Lille ou Mulhouse. De nombreuses villes s'engagent. Le département de la Drôme, plutôt rural malgré une artère relativement urbaine, a choisi de se développer sur une niche qui lui paraissait innovante pour son territoire et qui lui permettait de valoriser ses ressources tout en s'engageant dans de nouveaux modes de production et de consommation. Il s'agit de travailler sur les produits biologiques. Cette orientation lui permet de relancer une activité économique sur le département, de travailler sur les questions de santé et avec les jeunes et de se positionner sur un secteur innovant De la même façon, il a mis en place un Conseil du développement durable qui réunit l'ensemble des acteurs du département pour travailler sur des chantiers comme les transports ou la valorisation des déchets. Des initiatives de ce type revêtent un grand intérêt.

M. Bruno LEPRAT

Monsieur YASUI, que vous inspirent ces Vélib' dans les grandes villes françaises ?

M. Itaru YASUI

Je trouve le design de ces bicyclettes assez original et sympathique. Pour l'instant aucune ville japonaise n'a mis en place ce système de vélos en libre service. A Tokyo, comme il y a beaucoup de quartiers avec des côtes, il n'est pas toujours facile de circuler en vélo. C'est pour cette raison qu'au Japon il y a beaucoup de vélos électriques. Il faut pédaler un peu pour actionner le moteur électrique. En tout cas, il serait intéressant, pour les villes de province par exemple, de mettre un place un système de vélo électrique en libre service.

M. Bruno LEPRAT

Merci Mesdames et Monsieur. Nous allons passer à la première table ronde, après ce cadrage technique et opérationnel. Madame Nicole Gontier et Monsieur Yoshirô Hosomi vont nous rejoindre pour évoquer l'action des collectivités territoriales en faveur de la réduction des émissions de CO 2 et de la maîtrise de l'énergie.

TABLE RONDE 1

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