M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. J’y insiste, nous parlons ici de la pulvérisation des produits qui sont les moins dangereux. Pourquoi donc, dans ce contexte, prévoir une zone de non-traitement équivalente à celle qui est prévue pour la pulvérisation de produits pharmaceutiques classés CMR (cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) ?
Souvenons-nous que, dans le bulletin des autorisations de mise sur le marché (AMM), l’Anses définit des conditions d’usage, parmi lesquelles figurent la distance à respecter et la prise en compte du vent. Si elle considère qu’une zone de non-traitement doit être prévue lorsque certains produits sont pulvérisés par drone, elle le précisera assurément dans ses préconisations !
Nous parlons ici de traitements, terrestres ou aériens, utilisés dans des conditions idéales, notamment lorsque le vent est faible. En revanche, les essais effectués par l’Anses l’ont été dans des conditions plus difficiles, avec un vent plus fort…
Pierre Cuypers a évoqué l’expérimentation à laquelle nous avons assisté, pour nous rendre compte du risque de dérive lors de l’application de produits. Il y avait ce jour-là un fort vent ; pourtant, nous nous sommes rendu compte, de visu, que la distance de 20 mètres que vous préconisez était loin d’être nécessaire. Il faut être raisonnable à cet égard.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa pas une phrase ainsi rédigée :
Le présent alinéa ne s’applique pas sur les périmètres des espaces naturels définis aux titres II à IV du livre III du code de l’environnement.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Avant de présenter cet amendement, je souhaite dire à notre collègue Laurent Duplomb que nous ne sommes pas opposés au vecteur technologique qu’est le drone, mais que nous sommes simplement prudents quant aux produits utilisés, même si j’ai bien entendu que ces produits seraient naturels, autorisés, bio et contrôlés…
Je précise par ailleurs que la baisse de la production de bananes est due non pas uniquement à la cercosporiose noire, mais aussi à bien d’autres causes. Je regrette donc que l’on refuse obstinément ici, en commission comme en séance publique, de revoir les dotations ; nous avons évoqué ce sujet à plusieurs reprises.
Le présent amendement vise à obtenir quelques assurances quant à la préservation des espaces naturels, définis dans le code de l’environnement, qui seront exclus du champ dérogatoire de l’interdiction générale d’épandage des pesticides. Ce serait un mauvais signal que de permettre des dérogations à cet égard !
Afin d’éviter que de telles dérives ne surviennent, nous souhaitons qu’il soit précisé clairement dans le texte que ces espaces protégés ne sont pas concernés par le champ de la dérogation envisagée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent une exclusion large et sans discernement de la possibilité de pulvériser des produits non dangereux par drone sur tous les espaces naturels.
Cette exclusion s’appliquerait à des zones fort différentes. En outre, qui nous dit que, dans un parc naturel comportant une forte pente, l’usage d’un drone ne soit pas la seule solution pour éviter à l’applicateur de prendre des risques ?
Mme la ministre, qui a une certaine expérience du dossier des parcs naturels régionaux, pourra utilement compléter cet avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
pris après avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Cet amendement vise à exiger un avis conforme, et non pas simple, de l’Anses sur l’arrêté des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé mettant en œuvre le champ dérogatoire prévu à l’article 1er, en particulier pour ce qui concerne les programmes d’épandage par drones.
Pour les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l’indépendance et l’expertise de l’Anses constituent un gage indispensable pour autoriser ce champ dérogatoire, même si nous craignons que cette agence ne subisse des pressions ; elle fait d’ores et déjà l’objet d’intimidations. Aussi, un avis simple, surtout si celui-ci devait être réservé ou négatif, constituerait une garantie bien trop faible en ce domaine.
La précision juridique que nous vous proposons, mes chers collègues, est indispensable !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir un avis conforme, et non plus un avis simple, de l’Anses pour l’autorisation d’épandage par aéronefs télépilotés.
Dans ce domaine, chacun doit rester dans son rôle. L’Anses rend un avis et, en général, les ministres en tiennent compte dans l’arrêté définissant les conditions d’autorisation des programmes d’épandage par drones. Quoi qu’il en soit, le droit européen en la matière est précis et strict, et il s’impose aux autorités, que l’avis de l’Agence soit conforme ou non.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Quiconque s’intéresse au fonctionnement de l’Anses sait à quel point l’avis de cet organisme pèse lourd dans les décisions prises en matière d’usage de produits phytopharmaceutiques.
Un avis conforme de l’Anses n’ajouterait donc pas de garantie supplémentaire, compte tenu du fonctionnement, que nous connaissons bien, de cette agence.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
consultation
insérer les mots :
des associations agréées pour la protection de l’environnement ainsi que
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le présent amendement vise à prévoir une consultation, par le Gouvernement, des associations agréées pour la protection de l’environnement, en plus des organisations professionnelles et syndicales représentant les agriculteurs, en vue de l’élaboration de l’arrêté définissant les conditions d’autorisation d’épandage par drones de pesticides. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission rit.)
J’entends murmurer sur les travées de la droite ; pourtant, les associations environnementales ont toute leur place pour rédiger des arrêtés. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Aïe, aïe, aïe !
M. Daniel Salmon. L’acceptabilité des décisions, dont on parle beaucoup aujourd’hui, implique d’associer les citoyens à leur élaboration. C’est ainsi que le travail de tout un chacun pourra véritablement être reconnu !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Je comprends tout à fait la philosophie de nos collègues écologistes. Pour autant, même si l’on peut demander l’avis de telle ou telle association, celui qui prend in fine la décision, c’est le politique. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Henri Cabanel, rapporteur. Vous le savez, je suis un grand défenseur de la démocratie contributive, qui consiste à écouter et à consulter. Il n’en reste pas moins que la décision finale revient, dans le cadre de la démocratie représentative, aux personnes élues au suffrage universel.
Par ailleurs, je rappelle que les associations de protection de l’environnement sont autorisées à saisir l’Anses, ce qui constitue une forme de garantie.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je tiens à rappeler que le projet d’arrêté sera soumis à la consultation du public, en application des dispositions prévues par le code de l’environnement, puisqu’il s’agit d’une réglementation à incidence environnementale. Une large consultation est donc prévue.
Les associations de protection de l’environnement sont familières de ce type de pratiques, croyez-moi ! (Mme la présidente de la commission des affaires économiques sourit.)
Mme Frédérique Puissat. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Au regard de tous les amendements déposés par MM. Salmon et Tissot, je constate qu’il n’y a pas que les buses qui dérivent ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Salmon s’esclaffe.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Nous nous opposons à cette expérimentation, qui aboutira à la généralisation de l’usage des drones pour le traitement des cultures dans les années à venir ; c’est écrit en filigrane.
Pour autant, nous proposons d’autres solutions. Pour lutter, par exemple, contre la cercosporiose noire, qui atteint les bananeraies, il existe d’autres moyens que l’utilisation de pesticides, laquelle représente une fuite en avant : on le voit au Brésil, où l’on est obligé de renouveler les molécules tous les quatre ans, voire tous les deux ans, car de nouvelles maladies apparaissent…
D’autres solutions existent pour lutter contre cette maladie : en recourant à l’agronomie – j’ai entre les mains une étude réalisée sur ce sujet –, en travaillant sur la répartition spatiale des cultures, ou en plantant – mon propos ne va pas vous surprendre – des haies (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), lesquelles permettent d’éviter la propagation des spores de la cercosporiose, avec des résultats tout à fait probants.
Il y a donc, bien entendu, des solutions de substitution aux pesticides, mais elles ne correspondent pas aux attentes d’un certain nombre d’acteurs, qui n’en voient pas l’intérêt. Il faudra, tôt ou tard, se pencher sur ce sujet, parce qu’il s’agit d’une question de biodiversité et, avant tout, de santé humaine.
Par ailleurs, madame la ministre, vous m’avez dit que l’expression « avantages manifestes » avait été adoptée par nos collègues députés. Ce n’est pas tout à fait exact : ils ont en réalité ajouté le mot « manifestes » au mot « avantages ». Il s’agissait d’un repli au repli… Cela allait donc dans le même sens que ce que je défends : lorsque l’on fait une étude, on essaie d’être le plus impartial et objectif ; on ne commence pas par dire que cette étude doit comporter des avantages manifestes !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Cabanel, rapporteur. Je souhaite revenir sur certains propos. Nous avons entendu dire, par exemple, que cette proposition de loi risquait d’être un cheval de Troie.
Je rappelle que la directive européenne, qui s’impose à nous, interdit l’utilisation de drones pour traiter les terres agricoles. Cet usage n’est autorisé que par dérogation, strictement encadrée. Il n’y a donc là aucun cheval de Troie…
J’en viens à ce qui a été dit sur l’autorisation applicable aux terrains dont la pente est supérieure à 20 %, laquelle s’applique avant tout à certains vignobles. Pour ma part, je suis partisan d’une révision du cadre de l’encépagement de notre vignoble, afin que l’on puisse planter des cépages plus résistants. Cela nous permettra de diminuer drastiquement les intrants, notamment les traitements par pulvérisation terrestre ou aérienne.
Les dérogations prévues dans le texte représentent néanmoins une avancée importante pour les vignes mères, desquelles sont retirés les greffons qui feront les souches de demain. La vigne étant une liane, les traitements par drones se feront à 60 centimètres du sol, ce qui supprimera le risque de dérive.
En ce qui concerne les bananeraies, qu’a évoquées M. Lurel, il est vrai – je l’ai dit – qu’il y a un problème dans ce domaine, mais tous les traitements qui pourront être pulvérisés par drones, notamment dans l’agriculture bio, seront préventifs.
Lorsque le mildiou atteint les vignes, même en viticulture bio, on doit le subir – et les pertes qui vont avec – jusqu’à la récolte ; les traitements ne sont que préventifs. Eh bien, il en va de même avec les bananeraies, lesquelles sont souvent atteintes par la cercosporiose noire, qui se développe sur la canopée : tous les traitements préventifs qui leur seront administrés par drones seront bénéfiques pour les plantations, et rendront le travail des applicateurs moins pénible que s’ils devaient utiliser un atomiseur.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Henri Cabanel, rapporteur. J’espère, mes chers collègues, que ce texte attendu par les agriculteurs sera adopté !
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je tiens à remercier M. le rapporteur pour son travail.
Contrairement à ce que d’aucuns pensent, ce texte sera vecteur de progrès, car il permettra de diminuer significativement l’utilisation sur nos territoires des produits destinés à soigner les plantes. Il sera désormais possible d’intervenir sur des parcelles presque aussi petites que des timbres-poste, et non plus de manière généralisée. Ce faisant, on réduira les risques pour la santé humaine, ce qu’il ne faut pas négliger. (M. Thomas Dossus proteste.)
Je souhaite dire à notre collègue du groupe écologiste que, chaque fois qu’un paysan, où qu’il se trouve, peut éviter de traiter, il le fait !
Mme Pascale Gruny et M. Laurent Burgoa. Évidemment !
M. Daniel Gremillet. Et chaque fois qu’il est possible à un paysan de prendre des initiatives pour protéger l’environnement, par exemple en plantant des haies, il le fait aussi. C’est une chose que je réexplique en permanence…
En adoptant cette proposition, de loi, nous permettrons aux agriculteurs de travailler plus efficacement, de protéger davantage la biodiversité végétale et de diminuer de façon considérable les intrants. Pour ma part, je la voterai avec enthousiasme, parce que de son adoption découleront de l’innovation et de la créativité dans ce domaine, en vue d’atteindre nos objectifs d’efficacité, de protection environnementale et de préservation de la santé humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 260 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 237 |
Contre | 97 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Santé mentale, grande cause du gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je le rappelle, l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande du débat dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
La parole est à Mme Marion Canalès, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Marion Canalès, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quel contexte abordons-nous ce débat proposé par notre groupe ? Nous sommes en 2025, un Français sur cinq est touché par des problèmes de santé mentale, soit près de 13 millions de personnes, et 3 millions de personnes vivent avec des troubles psychiques sévères.
Les Français sont ceux qui consomment le plus d’anxiolytiques au monde. À l’occasion du Congrès français de psychiatrie et psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent en 2023, les professionnels ont constaté que 13 % des enfants et adolescents, soit 1,6 million de mineurs, présentaient un trouble psychique, mais que seulement 750 000 à 850 000 d’entre eux bénéficiaient des soins nécessaires.
Toujours pour ce qui concerne les plus jeunes, c’est-à-dire la génération des adultes de demain, un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge indique que la consommation de médicaments visant à soigner la santé mentale a doublé chez les 6-17 ans.
Faute de prise en charge adaptée, les prescriptions de médicaments psychotropes ont explosé et 5 % de la population pédiatrique, c’est-à-dire des bébés et des tout-petits, se voient même prescrire des psychotropes.
Cette hausse des prescriptions va de pair depuis dix ans avec une baisse du nombre de places de pédopsychiatrie, en institut ou hôpital : il n’est plus possible d’assurer une prise en charge dans un délai raisonnable, puisqu’il faut attendre de six à dix-huit mois pour avoir un premier rendez-vous.
Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros.
C’est fort de ces constats et de ces chiffres, qui ont de quoi donner le vertige, que, le 10 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le Premier ministre Michel Barnier érigeait la santé mentale grande cause nationale de l’année 2025.
Ce soir, je souhaite partager avec vous ce que serait ou sera la France de demain, si chacun d’entre nous s’attelle sérieusement et avec constance à cette vaste tâche : répondre aux enjeux de santé mentale. À quoi pourrait ressembler notre pays si nous avions une politique à la hauteur des enjeux ?
Je vous propose, mes chers collègues, de faire ensemble un exercice optimiste de projection. Le pessimiste voit dans toute opportunité une contrainte quand l’optimiste y voit tout simplement une opportunité. Sachons donc saisir celle-ci !
Portons-nous donc en 2040 ; les décisions ont été prises et les effets sont visibles.
Commençons par la santé mentale des jeunes. En 2040, la France a enfin rattrapé son retard et s’est hissée au niveau du Canada, car elle compte non plus 1 psychologue pour 30 000 étudiants, mais 1 psychologue pour 3 000 étudiants, et elle envisage même d’atteindre d’ici à dix ans la recommandation de 1 pour 1 500. Les étudiants vont mieux.
Nous sommes toujours en 2040 et les chiffres publiés par Santé publique France ne sont plus alarmants, comme ils l’étaient autrefois : le nombre de passages aux urgences pour geste suicidaire chez les enfants de 11 à 17 ans, qui avait augmenté de 70 % au milieu des années 2020, a fortement baissé. Les tensions aux urgences étant moindres, ce service public de première ligne a repris force et vigueur et n’est plus contraint de réguler ses accès.
Dans le Puy-de-Dôme, toujours en 2040, les 5,7 équivalents temps plein (ETP) de psychiatrie infanto-juvénile pour 100 000 enfants ne sont plus qu’un lointain et mauvais souvenir.
À l’école ensuite, il est loin le temps où l’on ne disposait que d’un poste de psychologue pour 1 500 élèves, alors même que le nombre de vulnérabilités explosait en 2025. Les enfants sont suivis, les mairies gardent leurs infirmières scolaires, voire en recrutent de nouvelles, et tout le monde va mieux.
Ainsi, alors que, en 2025, seulement la moitié des enfants et des adolescents souffrant de troubles psychiques bénéficiaient d’une prise en charge spécialisée, en 2040, toute une génération obtient une réponse acceptable, dans des délais suffisamment courts pour que les soins soient pertinents et les effets tangibles. Et les jeunes parents, qui n’avaient pas cette chance dans les années 2020, disent à leurs enfants : « Tu sais, à mon époque, tout cela n’existait pas ! »
Mes chers collègues, comment pourrions-nous parvenir à ce résultat concernant les jeunes ? En développant la prévention et les interventions précoces ; en créant dans chaque faculté trois postes universitaires de pédopsychiatrie, spécialisés l’un en soins du nourrisson, l’autre en soins de l’enfant et le troisième en soins de l’adolescent ; en ouvrant 15 000 postes de psychologue dans l’éducation nationale ; en déployant un programme massif, et surtout continu, de formation de la communauté éducative ; en développant les bureaux d’aide psychologique universitaire.
Je reprends ma projection à 2040 et je m’intéresse désormais à la démographie médicale et paramédicale. Les effets de l’ouverture du numerus clausus des années 2020, entre autres mesures d’attractivité, sont devenus réalité : la démographie médicale et paramédicale va mieux. Les projections réalisées par le ministère de la santé, il y a vingt ans, en 2021, se sont réalisées, et la remontée du nombre de psychiatres est réelle.
Alors qu’autrefois une dizaine de départements étaient dépourvus de toute offre de pédopsychiatres libéraux, plus aucun département ne connaît de désert pédopsychiatrique ; cette spécialité n’est plus sinistrée.
Comment pourrions-nous parvenir à ce résultat en matière de démographie médicale ? En revalorisant les professionnels de la santé mentale, en recréant des postes, en rouvrant des lits de pédopsychiatrie, en continuant de valoriser ces professionnels si essentiels.
Poursuivons notre projection avec l’hôpital. En 2040, l’hôpital public ne connaît plus la situation de vacance de 30 % des postes de psychiatres, comme c’était le cas en 2025, et le temps d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP), autrefois de dix-huit mois, s’est considérablement réduit. Les délais de prise en charge ne s’allongent plus pour une première consultation et les pathologies ne s’aggravent donc plus comme jadis, ce qui avait de lourdes conséquences sur la chaîne d’accompagnement.
Comment parvenir à ce résultat dans le domaine hospitalier ? En augmentant les effectifs d’internes.
Je poursuis ma projection à 2040, pour ce qui concerne les territoires. Les conseils locaux de santé mentale (CLSM) sont généralisés. Alors que les 270 CLSM existant en 2025 couvraient 20 millions de Français, mais de manière très inégale d’un point de vue territorial, ces conseils sont enfin mieux implantés dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui ne représentaient respectivement que 5 % et 15 % des territoires couverts en 2025. Le sujet des disparités et inégalités territoriales a enfin commencé à être traité.
Comment parvenir à ce résultat dans les territoires ? En consolidant et en finançant suffisamment les CLSM et les projets territoriaux de santé mentale, et en mettant au cœur de l’offre de soins les droits des usagers et des aidants. Les centres communaux d’action sociale (CCAS), qui, dans 75 % des cas, jouent un rôle actif dans les CLSM, ont été aidés et ont pris toute leur part dans cette réussite de la politique d’« aller-vers » à destination des publics les plus éloignés et vulnérables. Leur rôle a été reconnu, leurs financements protégés.
Évidemment, mes chers collègues, vous pourrez trouver cet exercice décalé, mais je veux faire des projections optimistes sur ce grave sujet, qui touche tout le monde, d’où que l’on vienne, qui que l’on soit. Je veux croire que, ici, nous pouvons prendre ensemble des décisions de long terme qui changeront radicalement la situation de la santé mentale et donc la vie des Français. Cette ambition, je sais que nous la partageons tous ici.
Comme disait Jaurès, « le courage, […] c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ».
Je ne méconnais pas la réalité budgétaire qui est la nôtre, en 2025, mais je sais que nous devons voir loin pour les politiques de prévention, notamment en santé mentale ; nous devons prévenir pour arrêter de mal guérir.
Pour arriver à cet idéal, pour relever ce défi, il nous faut de la constance et du sérieux. Or, de la constance, nous n’en manquons pas au Sénat, et du sérieux non plus. Combien de rapports – j’attends avec impatience celui de mes collègues de la commission des affaires sociales – ont déjà tracé les contours de ce que nous devons faire, malgré les vicissitudes budgétaires ?
Investir aujourd’hui garantit d’engager moins de dépenses demain et d’améliorer concrètement la vie des Français, qui se disent tous très concernés par la santé mentale. Je le rappelle, le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros…
Une véritable et ambitieuse loi de programmation des moyens que nous décidons d’allouer sur dix ans à la santé mentale doit être actée et appliquée avec rigueur. Sur le modèle de la loi de programmation militaire, qui a pour vocation de faire de la France une puissance d’équilibre et de garantir les moyens alloués à notre sécurité, une telle loi permettrait de faire de la France un pays où nos concitoyens retrouvent l’équilibre et la sécurité structurelle nécessaires à leur santé mentale.
Je sais que cette ambition pragmatique dépasse largement les clivages politiques. La santé mentale des Français serait gagnante, les finances publiques le seraient aussi. Faisons le pari ensemble de l’optimisme pour parvenir à la France de 2040 que je vous ai décrite ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Anne Souyris et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)