M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, la santé mentale est l’un des grands défis de notre époque. La consécration de cet enjeu comme grande cause nationale est le reflet d’une prise de conscience.
Je tiens à le mentionner d’emblée, cette prise de conscience a été notamment permise par l’engagement des parlementaires, sénateurs comme députés, issus de tous bords politiques, qui se sont largement investis sur ce sujet au cours des dernières années.
C’est pourquoi je tiens à remercier le groupe socialiste, et en particulier Marion Canalès, d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour et de nous donner ainsi l’occasion d’en débattre publiquement. En effet, je partage tout à fait l’ambition autour de laquelle nous nous réunissons ce soir : celle de nous donner les moyens de faire de cette grande cause qu’est la santé mentale une priorité.
J’ajouterai qu’il faut surtout se demander comment nous donner les moyens d’en faire une cause durable, car l’état inquiétant de la santé mentale de nos concitoyens, notamment d’une partie de notre jeunesse, nous oblige : vous l’avez dit, madame Canalès, un Français sur cinq est concerné par des troubles psychiques, notre pays est le premier consommateur de psychotropes d’Europe et le suicide reste tragiquement la première cause de décès chez les 15-35 ans.
Les besoins de soins ne cessent d’augmenter, révélant à la fois une meilleure acceptation des troubles psychiques et la nécessité d’adapter notre système de santé. En parallèle, les professionnels font face à des tensions croissantes : attractivité en berne, surcharge de travail ou encore manque de ressource médicale. Nous sommes tous concernés par ce qui représente un enjeu prioritaire de santé, indissociable de la santé globale, mais qui est aussi, plus largement, une véritable question de société.
Dans ce contexte, nous devons avoir un cap commun : faire en sorte que cette grande cause soit non pas un slogan ou un phénomène éphémère, mais un mouvement de fond. La mobilisation collective doit embarquer tout le système de santé et l’ensemble de la société.
Je l’ai évoqué d’emblée, les parlementaires prennent largement leur part dans cette démarche. En tant que ministre de la santé, je vois le nombre de propositions de loi, de rapports d’information et de débats qui portent sur ce sujet, avec des initiatives parfois très intéressantes provenant de tous les groupes.
Ici, au Sénat, on peut, par exemple, mentionner la mission d’information sur la grande cause qu’est la santé mentale menée par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin et qui fait directement écho à notre débat de ce soir. C’est d’ailleurs votre assemblée qui, la première, avait érigée la santé mentale, et spécifiquement celle des jeunes, en grande cause de dimension nationale, en janvier 2024, avec une résolution votée sur l’initiative de la sénatrice Nathalie Delattre.
Cet engagement parlementaire fait écho à des mentalités qui évoluent. On parle de plus en plus, et de plus en plus librement, de santé mentale dans les écoles, au travail, entre amis ou en famille. Des personnalités connues du grand public prennent aussi la parole, contribuant à supprimer le stigmate qui a longtemps pesé sur la maladie mentale. Je pense notamment à une personnalité qui a récemment révélé sa bipolarité.
Dans cette perspective et en lien avec le Parlement, la responsabilité du Gouvernement, et du ministre de la santé en particulier, est d’ancrer notre politique en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie dans une ambition de long terme, clairement affirmée et transversale.
Tel était l’objet de mon intervention lors du conseil des ministres du 19 mars dernier, durant lequel, sur la demande du Premier ministre, j’ai présenté devant l’ensemble du Gouvernement les grandes lignes de mon action pour réussir à donner corps à cet engagement politique fort et interministériel. J’ai pu, à cette occasion, insister sur mes priorités d’action, que je vais décliner devant vous.
La première priorité est le développement de l’accès aux soins et le renforcement de la prévention.
L’investissement important des dernières années, avec une hausse de 42 %, soit de 3 milliards d’euros, du budget consacré à la santé mentale et à la psychiatrie entre 2020 et 2024, a permis de mettre en place de nombreux dispositifs de prévention et de repérage précoce ; le numéro national 3114, de prévention du suicide, les dispositifs VigilanS et Sentinelle, ainsi que la formation des médecins du travail à la détection des troubles psychiques en sont l’illustration. Ce sont autant de dispositifs qui prennent de l’ampleur et que je veux renforcer pour garantir un accès rapide aux soins psychologiques et psychiatriques.
J’entends aussi poursuivre et amplifier la montée en charge de Mon soutien psy, qui, je le rappelle, est accessible et remboursé dès l’âge de 3 ans. Ce dispositif fonctionne de mieux en mieux. Le dernier point d’étape sur ce dispositif a montré que plus de 500 psychologues supplémentaires avaient choisi de s’investir dans ce dispositif le mois dernier.
Je vous réaffirme par ailleurs mon souhait d’engager une réforme des urgences psychiatriques, afin de garantir une prise en charge adaptée dans chaque territoire et de désengorger les services hospitaliers, à la suite du rapport parlementaire qui m’a été récemment remis par les députées Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat.
Vous le voyez, je compte bien m’appuyer sur les nombreux travaux parlementaires.
Toujours dans cette logique de mobilisation collective et transversale, j’ai demandé hier à la Commission nationale de la psychiatrie d’élaborer des propositions d’évolution de la psychiatrie de secteur pour qu’elle puisse, d’une part, mieux se coordonner avec les autres dispositifs du paysage psychiatrique comme les centres experts et, d’autre part, réduire les délais de prise en charge en centre médico-psychologique, qui sont souvent encore trop longs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que nous partageons le souhait d’ériger la santé mentale en priorité et de faire un effort particulier envers la jeunesse, pour laquelle je veux que notre investissement soit total.
Pour cela, nous allons renforcer les maisons des adolescents et les CMP infanto-juvéniles afin de répondre à la détresse psychologique croissante des enfants et des adolescents, tout en permettant une meilleure orientation dans l’offre de soins existante. Nous allons aussi porter une attention spécifique aux plus vulnérables, notamment aux enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et aux familles les plus précaires.
Je veux également insister sur l’importance que j’accorde à la lutte contre toutes les formes d’addiction, une source importante de souffrance psychique, qu’elles qu’en soient les causes et les conséquences aggravantes.
J’en viens à ma deuxième priorité : la formation et l’attractivité de la psychiatrie. En effet, sans un surcroît de professionnels de santé engagés en psychiatrie, toutes les actions importantes que je viens de mentionner ne resteront que des vœux pieux.
Il est important de le rappeler, si la maladie psychiatrique fait partie de la santé mentale, elle doit aussi être envisagée comme un sujet à part entière. La « déstigmatisation » de la santé mentale ne doit pas conduire à euphémiser la gravité de ces pathologies, qui nécessitent une prise en charge médicale par des spécialistes.
Je veux donc renforcer la formation de ces spécialistes et tout mettre en œuvre pour que de plus en plus de jeunes aient envie de rejoindre cette discipline certes complexe, mais essentielle, et qui reste encore, même dans le monde médical, mal connue, mal reconnue et mal comprise.
Je souhaite en particulier permettre à plus d’étudiants en santé d’effectuer un stage en psychiatrie pendant leur cursus. Il en ira de même pour le cursus paramédical des infirmiers. Cela leur permettra de découvrir très concrètement cet univers plus tôt dans leurs études, alors que 37 % des futurs médecins avouent encore que la psychiatrie continue de leur « faire peur ».
Je sais que cette appréhension vis-à-vis de la psychiatrie s’explique en partie par plusieurs drames, y compris très récents, liés à des actes de violence commis par des patients relevant de la psychiatrie.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Je conclus rapidement, monsieur le président.
Ces drames nous amènent à prendre des mesures fortes. Nous aurons l’occasion, comme Bruno Retailleau l’avait indiqué, de revenir sur les mesures pénales ici, au début du mois de mai, avec la proposition de loi de Philippe Pradal.
J’espère également que vous m’accorderez une majorité lorsque nous discuterons de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, que j’avais déposée en tant que député, pour former plus de médecins.
Enfin, je souhaite favoriser l’engagement des paramédicaux, notamment par le développement des infirmiers en pratique avancée en psychiatrie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aurai l’occasion de compléter mon propos lors des réponses à vos nombreuses questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Anne-Sophie Romagny et Mireille Conte Jaubert applaudissent également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute supplémentaire ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ou psychiatriques passe également par la garantie de leur propre sécurité. J’ajoute que changer le regard de la société sur la santé mentale ne peut se faire sans garantir la protection de tout un chacun, afin d’éviter que les exceptions dramatiques ne deviennent le prisme dominant par lequel on perçoit le sujet.
En 2011, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) pointait déjà de graves défaillances en matière de sécurité dans les établissements psychiatriques. Ce rapport évoquait le nombre de 10 000 fugues par an chez les patients hospitalisés sans consentement, ainsi qu’une vingtaine d’homicides sur cinq ans. Il dénonçait une sous-estimation des agressions, notamment sexuelles, et une organisation sectorielle peu adaptée à la diversité des pathologies.
Or des drames récents prouvent que des failles demeurent. Il y a quinze jours, à Massy, dans l’Essonne, département dont je suis élue, une femme a perdu la vie, poussée sur les rails du RER B par un homme souffrant de troubles psychiatriques et ayant fugué d’un établissement spécialisé.
Je veux le dire avec force : il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes malades, elles-mêmes victimes de leurs propres troubles, ni de mettre en cause les soignants, qui ne sont ni gardiens de prison ni agents de sécurité. Toutefois, il nous incombe de viser ensemble deux objectifs fondamentaux : garantir les droits et la dignité des personnes hospitalisées sans leur consentement, tout en ne renonçant pas à la sécurité de tous.
Cet homicide, comme d’autres, nous impose une feuille de route claire pour sécuriser les établissements, prévenir les fugues et protéger patients, personnel, familles et citoyens. C’était en partie l’enjeu du plan pour la sécurité des professionnels de santé publié en septembre 2023 qui, parmi quarante-deux mesures, prévoyait notamment d’améliorer la formation, de financer des dispositifs d’alerte ou encore d’inciter les collectivités à déployer des caméras de vidéosurveillance à proximité des établissements.
Monsieur le ministre, ce plan a-t-il donné lieu à un premier bilan en matière de psychiatrie ? Le Gouvernement entend-il mener de nouvelles actions pour mieux sécuriser nos établissements psychiatriques ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Guidez, vous m’interrogez sur la sécurité des établissements psychiatriques et celle de l’ensemble de nos concitoyens, à l’extérieur des établissements. Il s’agit d’un sujet bien légitime et nous avons tous à cœur de protéger les soignants et les patients.
D’abord, il faut sécuriser les infrastructures psychiatriques, afin de mieux protéger les patients. Cela implique de moderniser les unités et de prévoir une meilleure organisation des espaces, notamment pour les patients agités ou agressifs et ceux qui ont tendance à fuguer.
Ensuite, il faut renforcer les équipes spécialisées, notamment les équipes mobiles de crise ou d’après-crise, afin d’anticiper les décompensations et d’éviter les hospitalisations sous contrainte, qui sont toujours très difficiles à mettre en œuvre, notamment pour les maires. Le programme Quality Rights, soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), permet de réduire les pratiques coercitives et les contentions dans les établissements et de favoriser d’autres solutions thérapeutiques.
Enfin, il faut améliorer la sécurité des soignants, que j’ai évoquée tout à l’heure à la tribune. Selon les dernières données dont je dispose, le nombre d’agressions de soignants est d’environ 24 000 par an, et ce chiffre est probablement sous-estimé. La proposition de loi de l’ancien député du groupe Horizons Philippe Pradal sera examinée ici, début mai. Elle permet de renforcer les peines pénales, de rendre obligatoire la déclaration par les établissements des agressions de soignants, de favoriser le dépôt de plainte et surtout de rendre anonyme ce dernier, afin d’éviter que le personnel ne subisse des représailles.
Ce bouquet de mesures permettra, je l’espère, de protéger nos soignants. Cela ne nous empêche pas de travailler par ailleurs avec, d’une part, le secteur libéral, pour faire porter le dépôt de plainte par un ordre ou un syndicat, et, d’autre part, les élus locaux, sur les sujets de la vidéoprotection et des polices municipales.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. La santé mentale a été élevée au rang de grande cause nationale de 2025. Il s’agit d’un grand pas en avant pour nos concitoyens, qui nous amène à nous poser la question de l’effectivité de la prise en charge des patients en France et de l’adaptation de notre système de santé à la prise en compte d’un phénomène qui est de moins en moins ignoré.
À ce propos, je salue la prise de parole salutaire et courageuse de Nicolas Demorand sur sa bipolarité et l’errance médicale et pharmaceutique que peuvent vivre les patients. Par exemple, la quétiapine est en rupture totale de stock sur le territoire national depuis plusieurs mois.
Il faut évoquer le mal-être, de plus en plus documenté, de notre jeunesse et de toute notre société. Nous le savons, les chiffres sont inquiétants : 20 % de la population est atteinte de troubles psychiques ; le nombre de suicides est de 6 000 par an, et c’est la première cause de mortalité des 16-25 ans ; un jeune sur deux montre des signes de troubles psychiques, en particulier depuis le covid-19.
La prise en charge de ces troubles est toutefois empêchée par la désertification médicale, avec ce qu’elle suppose de prévention ratée, par les ruptures d’approvisionnement en médicaments ou, plus largement, par le manque de personnel médical.
Je veux illustrer mon propos en évoquant le service de pédopsychiatrie de Lens, dont le dernier médecin, qui assurait seule la gestion de dix unités fonctionnelles, démissionne. Sans médecin, les services ne peuvent plus fonctionner pour aider nos plus jeunes. Ce sont ainsi 2 500 enfants et jeunes qui se retrouvent sans solution, sur un bassin de vie de 240 000 habitants. Or, si les troubles ne sont pas traités au plus tôt, les pathologies psychiatriques vont se cristalliser et être encore plus difficiles à traiter.
Nous considérons que le système de santé et de protection sociale doit s’appuyer sur le triptyque accompagnement-traitement-soins adaptés pour chaque patient. Quels moyens l’État entend-il mettre en place pour y parvenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, les troubles bipolaires touchent environ 1 % à 2 % de la population. Vous avez évoqué les personnalités qui rendent publique leur maladie, ce qui permettra, je l’espère, de lever le voile sur ces pathologies souvent mal diagnostiquées ou diagnostiquées tardivement, avec des errances thérapeutiques aggravant la situation.
Ces pathologies très particulières, qui entraînent des troubles psychiatriques sévères, font pleinement partie de la priorité que nous donnons à la santé mentale, grande cause nationale. Aux côtés des troubles bipolaires, d’autres pathologies, comme la schizophrénie, bénéficient de centres experts labellisés par la fondation FondaMental. Ces centres offrent une prise en charge dans plusieurs champs, notamment les dépressions résistantes, les troubles bipolaires, la schizophrénie et l’autisme de haut niveau, avec des pratiques harmonisées et un référencement international.
Ensuite, il y a naturellement la question des moyens. Je le répète, notre souhait est de pouvoir former plus et mieux les professionnels médicaux et paramédicaux, ainsi que les psychologues, afin de réduire les délais de prise en charge dans les centres médico-psychologiques et de restaurer l’image de la psychiatrie. Je ne citerai qu’un chiffre à ce sujet : 60 % des étudiants considèrent la psychiatrie comme une sous-spécialité, une spécialité mal valorisée.
L’enjeu est important : si l’on veut que la situation s’améliore, il faut renforcer l’attractivité de la psychiatrie, ce qui implique notamment de faire passer les étudiants en médecine dans les services de psychiatrie.
En ce qui concerne enfin la quétiapine, vous savez sans doute que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé le remplacement de ce médicament sur la base d’un tableau d’équivalence et le recours au fractionnement à l’unité. Pour ma part, j’ai interdit aux grossistes-répartiteurs de livrer cet antipsychotique à l’étranger, pour éviter l’établissement de nouveaux traitements.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. En France, on prescrit plus qu’on ne guérit. Plus de 16 millions de Français ont déjà pris des médicaments psychotropes et 80 % de ces médicaments sont prescrits par des médecins généralistes, parfois sans suivi psychologique et médical adapté, malgré les graves risques de dépendance et d’effets secondaires. On estime que 20 % seulement des patients suivent une psychothérapie parallèlement à la prise d’un psychotrope.
Thérapies cognitives et comportementales (TCC), désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires (Eye movement desensitization and reprocessing, ou EMDR), thérapies interpersonnelles (TIP), tout cela ne vous dit peut-être rien et, pourtant, ces thérapies non médicamenteuses ont montré leur efficacité dans le traitement des troubles de la santé mentale. Tantôt méconnues, tantôt inaccessibles, elles sont pourtant aussi efficaces que les thérapies médicamenteuses, si ce n’est plus.
À Paris, les étudiants attendent cinq mois pour obtenir un rendez-vous dans un bureau d’aide psychologique universitaire (Bapu). Pour en décrocher un dans un centre médico-psychologique, il y a trois mois d’attente.
Alors, soigner, oui, mais avec quels moyens ? À quand une orientation systématique des patients sous psychotropes vers un professionnel de santé mentale et une psychothérapie ? À quand une généralisation sans discrimination du remboursement des séances de psychothérapie pour l’ensemble de la population, y compris en cas de troubles sévères, de risques suicidaires, de troubles des conduites alimentaires (TCA) ou de dépendance aux substances psychoactives ? À quand un remboursement de l’ensemble des séances de psychothérapie qui ont démontré leur efficacité ?
Oui, le soin psychique est un soin comme un autre !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Souyris, vous venez de souligner un paradoxe réel, qui consiste, pour résumer votre propos, en la coexistence en France d’une surmédication et d’un manque d’accompagnement humain. Parfois, notre système de soins, faute de temps et de présence médicale, prescrit en effet davantage de médicaments.
Cela étant, on n’observe pas tellement de distorsions entre l’augmentation des troubles et la hausse du nombre de prescriptions, sauf pour les benzodiazépines.
Vous l’avez dit, la France se classe au premier rang des pays européens consommateurs de psychotropes. Ce constat doit nous interpeller. C’est d’ailleurs dans cette perspective que nous avons favorisé la mise en place de Mon soutien psy et que nous avons cherché ensuite à le développer. Depuis 2022, on a enregistré près de 2,5 millions de consultations via ce dispositif ; le mois dernier, plus 500 psychologues l’ont rejoint pour une prise en charge plus humaine, plus précoce et plus accessible.
S’y ajoutent le déploiement d’équipes mobiles de soins intensifs pour développer la pair-aidance et le soutien que nous accordons au travers des groupes d’entraide mutuelle.
Il convient, bien entendu, d’aborder tous les sujets de façon équilibrée. En l’occurrence, la démédicalisation excessive n’est pas la solution, non plus que la médicalisation et, surtout, la prescription de médicaments. Il faut converger vers une approche intégrative, fondée sur l’alliance thérapeutique et le respect des droits, ainsi que sur la possibilité de renouer un lien, de rebâtir un projet, de rétablir la confiance. C’est pourquoi Mon soutien psy est totalement remboursé. C’est aussi la raison pour laquelle nous réfléchissons actuellement à un remboursement de la deuxième ligne pour les psychothérapies.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. J’ajoute que la consommation de médicaments psychotropes a nettement augmenté chez les enfants et les adolescents entre 2014 et 2021 : la hausse est de 62 % pour des antidépresseurs et de 78 % pour les psychostimulants, alors que la proportion de personnes suivies stagne à 20 %, ce qui montre bien qu’il existe un vrai problème en France, un problème que l’on ne parvient pas à résoudre, y compris par Mon soutien psy.
La question du remboursement systématique des psychothérapies, quoi qu’il s’y passe et quelle que soit leur durée, se pose et le dispositif Mon soutien psy n’apporte donc pas de véritable réponse. Il est absolument urgent d’agir : le nombre de jeunes ayant fait des tentatives de suicide a augmenté de 40 % ces dernières années !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. J’entends bien le sujet que vous évoquez, madame la sénatrice, mais il convient d’interpréter les chiffres que vous avez cités, même s’ils sont, dans les grandes lignes, tout à fait justes.
Je précise que nous avons, en France, une stratégie très intensive pour dépister tout un tas de troubles, notamment les troubles de l’attention chez les enfants, lesquels donnent lieu à de nombreuses prises en charge et prescriptions, en vertu notamment des recommandations de la Société française de pédiatrie. L’essor du dépistage de ces troubles a mécaniquement entraîné l’augmentation du nombre de prises en charge médicamenteuses.
Et oui, enfin, pour une réflexion sur la prise en charge des psychothérapies.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. J’espère que cette réflexion conduira à un remboursement automatique par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, les populations vulnérables sont souvent victimes d’une double stigmatisation du fait de leur situation psychique et sociale. Elles sont souvent marginalisées et vivent dans une grande précarité dans nos communes.
À ce jour, 75 % des personnes sans abri présentent des troubles psychiatriques en raison de parcours complexes, de problèmes de santé mentale non détectés et non suivis. Leur accès aux soins est problématique : le manque d’accessibilité tant géographique que financière les éloigne d’une offre de soins adaptée. Les services de psychiatrie sont saturés et peinent à recruter. Les professionnels spécialisés manquent cruellement et les soignants généralistes ne sont pas formés, ou le sont peu, à la prise en charge des troubles de la santé mentale.
Ces difficultés de prise en charge se répercutent sur le quotidien des maires, démunis face aux troubles à l’ordre public provoqués par des personnes laissées sans solution. Je pense par exemple au maire de Saint-Brieuc, agressé physiquement par un homme laissé sans suivi après des prises en charge ponctuelles, et connu des services médicaux, sociaux et de sécurité de la ville.
Combien y a-t-il de maires dans cette situation ? Combien de maires ont-ils eu à gérer ce type de difficultés ? Les élus interviennent souvent en lien avec les services de police ou de gendarmerie, qui absorbent les manquements de notre système de soins, sans avoir de mesure à proposer ni d’outil adapté à mobiliser dans l’exercice de leurs compétences.
Des réponses existent : je pense aux équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP), aux pensions de famille, qui ouvrent la voie à une prise en charge globale, aux groupes d’entraide mutuelle. Les moyens consacrés à tous ces dispositifs mériteraient d’être adaptés à la hauteur de chaque besoin singulier.
Les liens entre les services sociaux des collectivités locales et les services médico-sociaux doivent être resserrés ; les réponses médicales doivent être mieux coordonnées.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que ceux qui sont déjà éprouvés dans leur quotidien par des accidents de la vie soient mieux accompagnés face à leurs problèmes de santé mentale ? Quels investissements envisagez-vous pour développer l’« aller-vers » et soutenir les maires démunis ? Comment rendre les métiers de la santé mentale attractifs pour les psychiatres, les psychologues, et, plus généralement, les soignants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame Le Houerou, je ne sais pas si j’aurai assez de temps, dans les deux minutes dont je dispose, pour répondre à toutes les questions que vous me posez.
Tout d’abord, les publics vulnérables, comme l’ensemble des populations en difficulté d’ailleurs, font l’objet de toutes les attentions. Comme vous le savez, des projets territoriaux seront mis en place avant l’été. Nous privilégierons deux axes : le soutien aux publics les plus vulnérables et les parcours enfants-adolescents.
Ensuite, j’estime pour ma part que la question des moyens ne se pose pas tellement, dans la mesure où nous sommes avant tout limités dans notre action par le manque de ressources en professionnels de santé et la pénurie de personnel médical et paramédical.
Je ne vais pas réitérer mon propos, mais vous comprenez bien qu’il faut former plus de praticiens paramédicaux, en lien notamment avec les régions, plus d’infirmiers et d’infirmiers en pratique avancée consacrés à la psychiatrie. Je regrette vivement que l’on ait supprimé les infirmiers spécialisés en psychiatrie il y a quelques années, car cela a fortement grevé notre système. Il importe de former davantage de médecins, en espérant que, dans les nouvelles générations, certains praticiens choisiront de s’engager dans la spécialité psychiatrique, ce qui implique de les faire passer dans les services de psychiatrie – je l’ai dit – et de déstigmatiser ce type de prise en charge.
Je rappelle aussi que des docteurs juniors pourront exercer dans les territoires et qu’ils pourront prendre en charge un certain nombre de patients présentant des troubles psychiatriques. N’oublions pas non plus les 5 000 étudiants français qui suivent actuellement un cursus médical à l’étranger : si le Sénat adopte la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, ce que j’espère, ces étudiants pourront réintégrer notre filière universitaire en deuxième cycle et, ainsi, être plus rapidement opérationnels et renforcer notre prise en charge des patients.
Pour ce qui est des mesures prises pour renforcer l’intérêt de cette filière, nous avons évidemment prévu d’accroître l’attractivité financière de la filière, notamment dans le cadre de la revalorisation de Mon soutien psy.
Cet ensemble de mesures devrait permettre une meilleure prise en charge, mais cela suppose, non pas une année entièrement dédiée à la santé mentale, mais plusieurs années de travail et des investissements pluriannuels.