M. le président. La séance est reprise.
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Lutte contre la vie chère, droit de la concurrence et régulation économique outre-mer
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, présentée par M. Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 199, texte de la commission n° 370 rectifié, rapport n° 369).
Conformément à l’article 74 de la Constitution ainsi qu’aux articles L.O. 6213-3, L.O. 6313-3 et L.O. 6413-3 du code général des collectivités territoriales, le Sénat a consulté les conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que l’assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna sur cette proposition de loi.
Dans sa délibération du 24 février 2025, le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon a émis un avis favorable sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, dans cette discussion générale, je serai volontairement bref et j’irai à l’essentiel, afin que puissions avoir le temps de débattre et de construire un compromis.
Mes premiers mots seront des remerciements que je tiens à adresser au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, auquel j’appartiens, et à son président. C’est la première fois, en effet, dans cette assemblée, qu’un groupe souhaite consacrer l’intégralité de sa niche parlementaire à l’examen de deux textes relatifs aux outre-mer. Cela constitue un symbole et un acte fort. Je vous en remercie, mes chers collègues.
Au fond, ces deux textes s’attaquent à une même question : quels outils nouveaux pouvons-nous utiliser pour lutter contre la vie chère dans nos territoires ?
Ce combat pour le pouvoir d’achat est au fondement de mon engagement et de mon action politique.
Lorsque j’étais ministre, j’ai tenu à ce que le premier texte présenté par la gauche, après son retour au pouvoir en 2012, soit la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.
Invention des injonctions structurelles, réglementation des marchés de gros, interdiction des accords d’exclusivité d’importation et de distribution, renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, décrets sur les carburants, création du bouclier qualité prix (BQP) : nous avons alors agi vite et, je crois, puissamment.
Par la suite, alors que j’étais redevenu député, j’ai, à la demande du ministre d’État ici présent, qui était alors Premier ministre, porté à l’Assemblée nationale la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Celle-ci visait à compléter la loi de 2012. Elle était utile et ambitieuse. Elle a été construite en synergie avec mon homologue, Mathieu Darnaud, qui était alors rapporteur du texte au Sénat.
Nous sommes aujourd’hui en 2025 et, disons-le, les structures de marché n’ont que trop peu évolué. L’opacité perdure, les rentes persistent, les concentrations et les dominations demeurent, l’activisme et l’ingéniosité sont toujours à l’œuvre pour contourner les lois.
Avec cette proposition de loi, il ne s’agit pas pour moi de verser dans l’accusatoire ou dans le déclamatoire. L’enjeu est de répondre à une urgence, la salubrité économique, en continuant d’intensifier la pression concurrentielle : c’est la seule solution, selon moi, pour faire baisser durablement les prix. Pour cela, il faut agir rapidement et efficacement par le biais de mesures concises et ciblées.
Conscient de l’existence du fait majoritaire et n’étant l’homme d’aucun dogme, je pense pouvoir dire que nous avons bien travaillé avec Mme la rapporteure.
Je tiens d’ailleurs, madame la rapporteure, à saluer votre disponibilité et votre attitude d’ouverture constructive. Grâce à un dialogue « compétitif » – comme on le dit dans le code des marchés publics (Sourires.) –, en faisant des pas réciproques et avec la volonté commune de trouver des avancées concrètes en faveur du pouvoir d’achat outre-mer, nous avons su trouver les voies d’un compromis.
Convaincu que de petits pas constituent souvent de grandes avancées, je pense que ce texte est équilibré et qu’il pourrait recueillir l’agrément de notre assemblée.
Toutefois, compte tenu de la prégnance du fléau de la vie chère et de la complexité des structures de marché, qui hélas ! comme le dit le ministre, continuent d’étouffer nos économies, je suis convaincu que nous devons aller aujourd’hui un peu plus loin.
C’est pourquoi je présenterai, dans quelques instants, en accord avec la rapporteure, qui, je l’espère, sera bienveillante, cinq amendements, afin de cranter de nouvelles avancées, qui sont attendues par nos compatriotes, mais également par de nombreux acteurs locaux.
Ces amendements tendent à prévoir des mesures fortes afin d’encadrer et de plafonner les marges arrière, de sécuriser les commerçants locaux face aux oligopoles qui contournent la loi de 2012, et de corriger une discrimination majeure en intégrant les outre-mer dans les conditions générales de vente des plateformes.
Je conclurai en m’adressant à M. le ministre d’État, qui, en quelques semaines, a eu l’audace de placer la lutte contre la vie chère parmi ses priorités.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que notre débat a lieu quelques jours après l’entrée en vigueur de l’exemption de TVA pour soixante-neuf familles de produits de grande consommation à la Martinique, à la suite du protocole sur la vie chère signé avec l’État.
Sur ce point, je vous demanderai, monsieur le ministre, de veiller au déploiement de toutes les mesures du protocole et surtout d’encourager la mise en œuvre d’une symétrie territoriale pour préserver le marché unique antillais, en demandant à la Guadeloupe, et notamment au président de la région, d’agir en faveur du pouvoir d’achat – on y refuse, pour le moment, de baisser l’octroi de mer.
Monsieur le ministre, vos mots sont forts, vos engagements sont fermes. Une volonté nouvelle semble avoir été affirmée. Elle doit dès aujourd’hui se traduire en actes. Ne décevez pas l’espoir suscité. Vous voulez, vous pouvez, vous devez donc agir !
Au-delà des lois, de nombreuses mesures réglementaires peuvent d’ores et déjà être prises : obtenez un renforcement des moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; suscitez des enquêtes approfondies de l’Autorité de la concurrence ; assurez-vous, par des circulaires, que les services de l’État à l’échelon local effectuent les contrôles nécessaires et font respecter les lois et les interdictions ; engagez une réforme des décrets sur les carburants ; etc.
De nombreux outils existent. Il est nécessaire que nous tous – Gouvernement, État, collectivités, citoyens consommateurs et Parlement – nous en saisissions.
Je constate avec regret et une grande frustration que, depuis 2017, les lois que j’ai fait voter, les rapports que j’ai rédigés, les multiples missives que j’ai envoyées à vos prédécesseurs ont pour la plupart été remisés dans les tiroirs et soumis à la critique rongeuse des souris… (Sourires.)
Nous espérons que cette proposition de loi prospérera ; à partir de ce soir, je n’en suis plus propriétaire.
Monsieur le ministre, toutes les idées sont sur la table, toutes les bonnes volontés s’expriment et nos peuples attendent des mesures fortes.
Faites vôtres les avancées conquises aujourd’hui. Je suis intimement convaincu que la discussion de ce texte peut utilement donner matière à une nouvelle grande loi contre la vie chère, qui serait soutenue par le Gouvernement. Je suis prêt à vous aider et à alimenter la réflexion en vue d’un tel texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je suis très fière d’avoir été désignée rapporteur de ce texte. J’ai découvert, dans le détail, le problème de la vie chère qui affecte nos compatriotes outre-mer. Je considère, sans doute avec le zèle bien connu des néophytes, qu’il s’agit d’un fléau contre lequel nous devons absolument lutter de toutes nos forces. Je comprends désormais toutes ces mobilisations récurrentes contre la vie chère dans ces territoires.
Je remercie l’auteur de la proposition de loi, Victorin Lurel, d’avoir partagé ses connaissances sur le sujet, du travail conjoint que nous avons effectué pendant deux mois, mais aussi de nos disputes conjointes… (Sourires.) Nous sommes ainsi parvenus à élaborer un texte consensuel, qui a été largement soutenu et adopté par la commission des affaires économiques voilà deux semaines.
Avant de revenir plus en détail sur les dispositions de cette proposition de loi, j’évoquerai les causes de cette situation et leurs conséquences.
Près de 2,8 millions de nos compatriotes outre-mer sont confrontés à des prix significativement plus élevés que dans l’Hexagone. La différence varie entre 9 % et 31 % selon les territoires. Je crains que cette situation ne s’aggrave au fil du temps.
Ces écarts sont particulièrement marqués pour les produits alimentaires, puisque les prix sont de 30 % à 70 % plus élevés qu’en métropole ; cela représente une part significative des paniers de consommation.
Les causes de ce phénomène sont bien identifiées, mais il est indispensable de les rappeler.
Tout d’abord, en raison d’une production locale faible et insuffisamment compétitive, les besoins de consommation ne sont pas satisfaits. Il est donc nécessaire de recourir massivement aux importations, de l’étranger ou de l’Hexagone.
Les importations de l’étranger sont réduites, car les échanges commerciaux avec les économies voisines sont limités dans la mesure où ces territoires ne participent à aucun accord de libre-échange : en effet, beaucoup de produits étrangers doivent d’abord entrer sur le territoire métropolitain avant d’être réexpédiés vers les outre-mer, et ce afin de respecter les normes sanitaires et réglementaires.
Les importations de l’Hexagone ont pour corollaire des coûts de transport et de logistique élevés, le versement d’une taxe spécifique, l’octroi de mer, due sur l’entrée des marchandises dans les territoires ultramarins, et l’application d’une fiscalité en cascade.
Ensuite, en raison de l’étroitesse des marchés, la plupart des entreprises locales souffrent d’un manque de débouchés, ce qui les empêche très souvent de réaliser des économies d’échelle. Leur compétitivité-prix est d’autant plus faible qu’elles subissent la rigidité des coûts du travail. Enfin, en raison des coûts d’entrée élevés sur le marché, peu d’entreprises peuvent s’y maintenir, si bien que, comme l’a indiqué M. Lurel, des monopoles et des oligopoles se forment dans des secteurs clés, tels que la distribution, l’énergie, ou les transports. La concurrence ne peut émerger, ce qui favorise le gonflement des marges, tandis que la clientèle est captive, sans solution de substitution.
Je partage donc bien évidemment le constat de l’auteur de la proposition de loi : il convient de constituer un marché réellement concurrentiel, et ce texte peut peut-être y contribuer.
En accord avec l’auteur de la proposition de loi, nous avons trouvé un compromis sur l’article 1er, qui consiste en la création d’une nouvelle procédure : le préfet pourra demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d’adresser une injonction sous astreinte aux dirigeants défaillants en vue de les contraindre à déposer les comptes de leur société. Je vous présenterai un amendement visant à préciser les modalités de cette astreinte.
Les compromis trouvés à l’article 2 visent à renforcer les prérogatives des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), qui auront la possibilité de saisir les agents de la DGCCRF, et à étendre la possibilité de saisine de l’Autorité de la concurrence aux départements d’outre-mer. Celle-ci pourra également être saisie par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) dès lors qu’une entreprise détient une part de marché de 25 % d’une zone de chalandise, et non plus de 50 % comme c’est le cas actuellement.
Selon moi, le réel problème réside moins dans la transmission de documents par les entreprises que dans la communication entre les services de l’État d’informations déjà détenues.
À cela s’ajoute la complexité de la structuration juridique et financière des grandes sociétés intégrées verticalement ou en situation d’oligopole transversal sur le commerce. Ces deux phénomènes nuisent à la transparence et à la compréhension de la structure des marges.
Dans les faits, ces groupes mutualisent leurs coûts d’approche, conservent tous les gains et les économies d’échelle, maîtrisent les coûts de financement et du foncier, ce qui empêche l’émergence d’autres opérateurs.
Pour toutes ces raisons, nous devons reconnaître que ces grands groupes sont des passages obligés.
Il nous faut, ensemble, réfléchir à des solutions techniques, qui soient acceptables par toutes les parties, et dont nous avons la certitude qu’elles auront, à terme, des effets pour le consommateur.
Je pense d’ailleurs que certains amendements représentent des avancées significatives. Je pense notamment à celui qui vise à uniformiser avec la métropole les conditions générales de vente entre fournisseurs et distributeurs, ou encore à celui qui tend à exclure les frais d’approche du seuil de revente à perte, comme cela avait été proposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la proposition de loi de la députée Bellay.
Mes chers collègues, je resterai mobilisée sur les enjeux de la vie chère dans les outre-mer. La commission des affaires économiques continuera d’apporter son soutien critique et vigilant à toute mesure permettant d’améliorer structurellement la situation. C’est dans cet esprit que nous avons examiné les amendements déposés sur ce texte.
Je terminerai mon propos par une remarque d’ordre plus général.
Monsieur le ministre, les territoires d’outre-mer ont véritablement besoin de vous pour réaliser une transformation en profondeur de leur économie, et ce sur plusieurs volets. Il faut améliorer la concurrence – ce texte y contribue déjà – ; réduire les rigidités des marchés ; renforcer les structures de financement et de paiement des petites entreprises pour améliorer leur rentabilité et réduire leur besoin en fonds de roulement ; concentrer les efforts d’investissement sur la modernisation des ports et des plateformes logistiques, ainsi que sur la transition énergétique et l’autonomie alimentaire, afin de développer l’agriculture locale ; œuvrer à l’intégration régionale de ces territoires.
L’exode vers la métropole des talents et des jeunes diplômés pénalise ces territoires. Rendons-les attractifs pour y maintenir nos forces vives ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Marc Laménie, Victorin Lurel et Lucien Stanzione applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame le rapporteur, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs : « L’histoire des outre-mer dans la République est celle d’une longue marche vers l’égalité, vers l’égalité réelle. » Ces mots ne sont pas les miens, ce sont ceux de Victorin Lurel, qui était alors ministre des outre-mer, lorsqu’il a présenté au Sénat son projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, le 26 septembre 2012.
Treize ans plus tard, alors que je me tiens à la place qui était la sienne, il m’est malheureusement impossible d’affirmer que cette marche vers l’égalité est terminée. Mais je peux dire en revanche que Victorin Lurel, avec d’autres bien sûr, a permis de bien avancer en la matière.
La loi dont je viens de parler a constitué un tournant dans l’encadrement des pratiques commerciales ultramarines. Elle a ainsi institué le bouclier qualité prix – le BQP –, réprimé les accords exclusifs d’importation et étendu la possibilité de saisir l’Autorité de la concurrence, tout en élargissant les prérogatives de cette dernière. Madame le rapporteur, vous avez raison : ce débat, en effet, n’est pas nouveau.
Comme Victorin Lurel, qui prouve aujourd’hui encore sa détermination en nous réunissant pour l’examen de cette proposition de loi, je veux faire de la lutte contre la vie chère outre-mer une priorité absolue de mon action.
Le constat est sans appel – cela vient d’être rappelé. Aucun territoire ultramarin n’est épargné. L’écart de prix par rapport à l’Hexagone est en moyenne de 15 %, mais pour les produits alimentaires, il dépasse souvent, comme nous avons déjà eu souvent l’occasion de le dire lors de nos débats dans cet hémicycle, les 40 %. C’est insupportable et insoutenable pour nos compatriotes ultramarins. Cela constitue une véritable fracture sociale, qui nourrit un sentiment d’inégalité et un ressenti d’injustice. Ces derniers s’aggravent dangereusement.
Cette situation met en péril non seulement la cohésion et l’intégrité de ces territoires, mais aussi tout simplement celles de notre Nation.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant l’Assemblée nationale : il nous faut désormais définir un plan de bataille complet, structurel, sérieux, crédible, qui s’attaque méthodiquement à tous les facteurs qui concourent à la cherté de la vie dans les outre-mer.
Ce plan se résume en cinq mots.
Le premier mot est : « concurrence ». Je tiens depuis plusieurs semaines un propos de vérité, qu’il aurait fallu sans doute tenir depuis bien longtemps. Oui, le partage et la chaîne de valeur outre-mer ne sont pas équitables. Oui, de grands groupes très performants créent de l’emploi et font travailler beaucoup de monde, mais ils étouffent parfois l’économie – je remercie d’ailleurs M. Lurel d’avoir repris mes mots – et, à travers elle, les populations.
Pour mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles, je ne crois pas en la seule bonne volonté des acteurs. Je veux remettre en première ligne de ce combat l’Autorité de la concurrence, renforcer ses moyens et la rapprocher du terrain. Sinon, cela ne marchera pas. Je souhaite avancer sur la création en son sein d’un service d’instruction spécialisé et consacré aux outre-mer.
En outre, nous le savons, il faudra également renforcer les moyens et les équipes de la DGCCRF. Il convient aussi d’élargir les possibilités de saisine de l’Autorité de la concurrence. Tel est le principal objectif de l’article 2 de la proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires économiques. Le Gouvernement soutient cet article sans réserve.
Le deuxième mot est : « transparence ». Trop d’entreprises ne se conforment pas à leur obligation de publication des comptes. Je suis déterminé à renforcer les sanctions et à les rendre plus dissuasives.
L’article 1er constitue à cet égard une réelle avancée, dans la mesure où il permet au représentant de l’État de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d’enjoindre sous astreinte au dirigeant d’entreprise de se conformer à ses obligations.
J’en viens au troisième mot : « exigences », au pluriel. Conformément à la philosophie du protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, les efforts doivent être partagés.
Du côté des collectivités, une réforme globale de l’octroi de mer devra enfin être mise sur la table. C’est un sujet compliqué, nous le savons. Je me rendrai aux Antilles à la mi-mars et j’aurai l’occasion d’aborder ce sujet avec l’ensemble des présidents des exécutifs locaux. Nous devons travailler en concertation avec eux, sans remettre en cause leur autonomie, mais des évolutions sont indispensables sur ce point.
De son côté, l’État a avancé. La promulgation de la loi de finances nous a permis de tenir notre engagement d’appliquer une TVA à taux zéro sur les produits de première nécessité.
Il nous reste à imaginer un mécanisme pour réduire les frais d’approche. Nous y travaillons très activement. J’ai saisi les inspections générales d’une demande flash afin de trouver le meilleur mécanisme possible, qui soit conforme au droit et puisse avoir des répercussions sur les prix. J’espère que leurs conclusions ne seront pas un copier-coller d’autres rapports et qu’elles nous fourniront des éléments précis pour nous permettre d’agir.
Les distributeurs, enfin, ont déjà réalisé un effort sur leurs marges, mais les marges arrière contribuent fortement à l’opacité sur la formation des prix des produits et sur la réalité des bénéfices réalisés par les grands groupes. Je souhaite donc, comme vous, renforcer la transparence sur ce sujet.
Le quatrième mot est « renaissance ». Mon projet à moyen terme est de parvenir à une véritable transformation économique. Vous avez, madame le rapporteur, parfaitement raison. Les économies ultramarines souffrent des stigmates de la colonisation. Pour sortir d’une économie de comptoir, il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l’autonomie alimentaire.
Enfin, j’en viens au cinquième et dernier mot : le bon sens ». Pour réduire les prix, nous devons mettre fin à un modèle infantilisant et ubuesque. Limitons les importations depuis l’Hexagone ou l’Union européenne, très coûteuses, à ce qui est strictement indispensable. Ce n’est pas facile, comme je peux le constater actuellement dans le département de Mayotte, qui, en pleine période de ramadan, a besoin d’un certain nombre de produits, notamment de bananes. Or, même pour ces dernières, il est très difficile de réduire les importations depuis la métropole, alors même que Mayotte se situe dans l’espace régional de l’océan Indien. Cela confine à l’absurde !
Les normes doivent être mieux adaptées à la réalité des sociétés ultramarines. Nous en parlerons tout à l’heure lors de l’examen de la proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer, déposée par la sénatrice Audrey Bélim.
Les idées sont nombreuses sur ce sujet. Je pense bien sûr aux deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui. À cet égard, je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et son président Patrick Kanner d’avoir choisi de consacrer sa niche parlementaire entière aux outre-mer, plus particulièrement à la problématique de la vie chère. Je le reconnais bien là !
Je pourrais également citer les travaux en cours, dans le cadre d’une mission d’information flash, de la délégation sénatoriale aux outre-mer – je sais, pour en avoir débattu avec elle, que sa présidente, Micheline Jacques, est pleinement impliquée sur ces sujets – ou encore la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit des outre-mer de la même Micheline Jacques, qui comporte un chapitre sur la vie chère.
Il nous faudra faire converger toutes ces initiatives et vous pouvez compter sur ma totale détermination et sur une très grande clarté de ma part. Je sais que je suis attendu sur les actes plus que sur les discours.
Il y a bien sûr ce qui relève d’une réalité économique : l’éloignement qui augmente les coûts, l’étroitesse des marchés qui empêche les économies d’échelle et, parfois, la faiblesse des infrastructures. Mais il y a aussi ce qui relève de la tromperie, du manque de concurrence, de l’abus de position dominante. Sur ces sujets, je serai intraitable ; nous devons tous l’être.
C’est dans ce rôle de régulation, de contrôle, que l’État est attendu. Nous devons être à la hauteur ; notre débat cet après-midi, grâce à vous, nous y aidera. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je remercie à mon tour l’auteur de ce texte important, Victorin Lurel, que je salue, ainsi que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
En septembre dernier, des manifestations ont éclaté en Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe. Elles n’ont pas toujours pris une forme légitime et nous condamnons toutes les violences qui ont été perpétrées à leur occasion.
Toutefois, ces manifestations étaient fondées sur un motif bien légitime : la vie chère. Dans les départements et régions d’outre-mer, les prix sont sans commune mesure avec ceux que l’on peut constater ici en France hexagonale ; dans les territoires ultramarins qui connaissent une double insularité, ce phénomène est encore plus grave.
La vie chère dans les outre-mer touche tous les secteurs. Nous aurons, juste après l’examen de ce texte, l’occasion d’évoquer le sujet du logement, notamment la question des loyers, mais on peut aussi citer les soins, qui coûtent jusqu’à 17 % de plus qu’ici, l’alimentation – 50 % de plus – ou les communications – jusqu’à 35 %. Le panier alimentaire hexagonal moyen coûte par exemple 46 % plus cher à La Réunion.
Ces chiffres, qui traduisent des écarts avec l’Hexagone pour le moins criants, sont d’autant plus importants qu’ils sont à considérer à l’aune d’un niveau de pauvreté tout aussi alarmant. Je rappelle que le niveau hexagonal se situe à 15 %.
La vie chère en outre-mer est donc une réalité, une réalité profondément injuste. Surtout, les écarts de prix continuent de se creuser et sont aggravés par l’inflation des dernières années.
Certes, cette réalité a pour cause des contraintes locales qui ont nécessairement un effet négatif sur les prix auprès des consommateurs : étroitesse des marchés, éloignement géographique, nécessité d’importer depuis l’Europe, possibilités limitées de productions locales et existence de certains oligopoles et monopoles particulièrement bien ancrés dans ces territoires.
Mais ces différentes causes ne sauraient justifier les abus. Surtout, des solutions existent. Je pense par exemple à la possibilité récemment octroyée à plusieurs collectivités ultramarines de déroger au marquage CE afin de pouvoir importer des produits de construction issus de pays de leur zone géographique. C’est une mesure de bon sens.
Auparavant, plusieurs mesures avaient déjà été adoptées en vue de lutter contre la vie chère. Je pense évidemment à la mise en place en 2007 dans les départements d’outre-mer des observatoires des prix, des marges et des revenus, qui ont notamment pour mission d’analyser les prix, les marges et leurs évolutions.
Je pense aussi aux outils issus de la loi de 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dont notre collègue Victorin Lurel était à l’initiative et qui a notamment permis d’instaurer un bouclier qualité prix sur des produits essentiels et de renforcer la transparence sur les prix, notamment dans le secteur de la grande distribution.
C’est d’ailleurs, entre autres, sur l’une des mesures de cette loi que la présente proposition vise à revenir. Dans sa version initiale, le texte prévoyait de transformer l’obligation, pour certaines entreprises, de transmettre leur comptabilité analytique sur demande en une transmission systématique annuelle.
Si nous comprenons bien l’objectif de cette mesure, qui est de renforcer la transparence des entreprises et des prix, nous partageons toutefois le point de vue de Mme le rapporteur : cette mesure serait bien trop lourde pour les entreprises, elle pourrait même être dissuasive pour l’implantation de nouvelles sociétés, d’autant plus que l’obligation existante de dépôt annuel des comptes est déjà trop peu respectée.
Nous soutenons donc la version de la commission qui vise à renforcer les sanctions en cas de non-respect des obligations existantes et qui crée la possibilité pour le préfet de demander au tribunal de prononcer une injonction avec sanction d’astreinte dans le cas où les comptes n’auraient pas été transmis.
L’objectif n’est donc autre que de contraindre davantage au respect du droit existant. Les outils existent, mais ils doivent être appliqués. La lutte contre la vie chère, pour être efficace, nécessite aussi, je le pense, un projet plus global, sur tous les sujets : octroi de mer, prime de vie chère pour les fonctionnaires, lutte contre les monopoles…
Sous réserve d’éventuelles modifications qui surviendraient durant son examen, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon collègue Victorin Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir permis, par l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, d’ouvrir un débat essentiel sur la lutte contre la vie chère en outre-mer.
Nous le savons tous ici : le coût des biens de consommation est en moyenne 40 % plus élevé dans nos territoires que dans l’Hexagone. Cette réalité pèse lourdement sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens ultramarins et alimente des mobilisations récurrentes.
Ce texte apporte certaines avancées, en renforçant la régulation économique et en stimulant la concurrence, deux leviers essentiels pour briser les situations de monopole ou d’oligopole qui maintiennent artificiellement des prix élevés dans de nombreux secteurs.