Mais comment garantir une véritable concurrence, si les marchandises peinent à arriver à destination ou si les coûts logistiques deviennent insoutenables ?

À Saint-Martin, le problème de la vie chère est aggravé par la double insularité et un modèle économique qui repose essentiellement sur l’importation. Chaque hausse des coûts logistiques se traduit immédiatement par une augmentation des prix dans les commerces.

Avec la suppression de certaines dessertes maritimes directes, Saint-Martin devient encore plus dépendante des plateformes portuaires régionales pour son approvisionnement. Cela signifie plus de transbordements, de délais et de surcoûts.

Nos commerçants et entrepreneurs, déjà confrontés à une concurrence complexe avec la partie néerlandaise de l’île, risquent de voir leur situation se détériorer encore davantage.

Les consommateurs, eux, paient le prix fort sans disposer de solution de substitution.

Prenons des exemples très concrets : à Saint-Martin, les prix de certains produits de première nécessité grimpent déjà en raison de retards d’acheminement. L’incertitude concernant les liaisons maritimes entraîne des hausses de tarifs par les importateurs, lesquelles sont répercutées sur les consommateurs.

Les commerçants locaux subissent de plein fouet l’instabilité des livraisons. Un conteneur retardé, c’est tout un stock qui manque en rayon, obligeant les détaillants à passer par des circuits plus coûteux. Ces fluctuations logistiques pèsent lourdement sur les charges des entreprises de la restauration et de l’artisanat, mettant en péril leur rentabilité.

Ces situations ne sont pas anecdotiques : elles affectent directement le pouvoir d’achat des familles ultramarines et fragilisent notre tissu économique local.

Face à ces défis, nous devons sortir d’une dépendance excessive aux routes d’importation traditionnelles et mieux intégrer nos territoires aux circuits économiques de la Caraïbe. Cela passe par une meilleure coopération avec les îles voisines, qui pourraient devenir des plateformes logistiques stratégiques pour diversifier nos sources d’approvisionnement. Cela passe aussi par la levée des freins réglementaires qui compliquent les échanges avec nos voisins caribéens, alors que ces circuits pourraient être une solution efficace pour réduire les coûts et améliorer la fluidité des livraisons.

Nous devons également renforcer notre partenariat avec les acteurs régionaux du commerce et du transport pour ne pas être uniquement tributaires des grandes compagnies maritimes, qui réorganisent leurs routes sans trop se soucier des réalités locales.

Saint-Martin, située au cœur de la Caraïbe, doit pouvoir tirer parti de sa position géographique en renforçant ses liens commerciaux avec les autres îles de la région. Nous ne pouvons plus nous permettre d’être des marchés captifs, entièrement dépendants de décisions prises à des milliers de kilomètres.

Nous nous devons de rester lucides : les mécanismes de régulation économique ne pourront pas produire leurs effets si les coûts de transport continuent de croître sans contrôle. C’est pourquoi il m’apparaît nécessaire d’avoir un cadre de régulation du transport maritime adapté aux réalités ultramarines.

Les grands armateurs réorganisent leurs lignes en fonction de leur rentabilité. C’est leur logique et elle est compréhensible. Mais qui veille à ce que ces réorganisations ne laissent pas nos territoires dans une situation encore plus précaire ?

L’État doit également prendre ses responsabilités, en surveillant de près l’évolution des coûts du fret maritime afin d’éviter des hausses injustifiées qui viendraient aggraver le phénomène de vie chère.

Enfin, il est vital que des solutions soient envisagées pour sécuriser l’acheminement des biens essentiels vers nos territoires, notamment en facilitant les connexions avec les ports voisins de la région.

Il ne suffit pas d’adopter des textes sur la concurrence si, dans le même temps, nos territoires restent à la merci de décisions logistiques prises sans considération pour les réalités locales.

Cette proposition de loi est une avancée et je la soutiens, mais elle ne suffira pas si nous ne prenons pas la mesure du problème logistique. Sans une logistique fiable, il n’y a ni concurrence ni baisse des prix.

Nous devons donc faire en sorte que ce texte soit suivi de mesures concrètes pour garantir un accès stable et équitable aux biens de consommation en outre-mer. Nous ne pouvons pas rester spectateurs des bouleversements en cours dans le transport maritime.

Nos concitoyens ultramarins attendent des réponses. Il est de notre responsabilité d’anticiper ces défis et d’agir pour que la régulation économique en outre-mer soit non pas un vœu pieux, mais une réalité tangible dans le quotidien des Ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes INDEP, SER et du RDSE. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous voici une fois de plus réunis pour débattre de la question de la vie chère dans nos territoires ultramarins, comme un écho qui revient incessamment, cette continuité historique et structurelle traversant les décennies, comme les océans.

À La Réunion ou en Guadeloupe, les premières contestations, il y a plus de quarante ans, avaient pour cibles les prix surévalués par rapport à l’Hexagone, de 20 % à 50 % selon les produits – 51 % en Polynésie française aujourd’hui ! À cette époque déjà, des rapports mettaient en lumière une concentration des acteurs économiques et des marges exorbitantes pratiquées par certains distributeurs.

Le constat n’est donc pas nouveau sur l’étroitesse et la structure des marchés, les multiples contraintes insulaires, l’éclatement des chaînes d’approvisionnement menant à des situations oligopolistiques, voire à des monopoles économiques, pouvant conduire à des positions dominantes et à des abus.

Si le constat n’est pas nouveau, les tentatives de remédier à ces difficultés ne sont pas nouvelles elles non plus. Cela a été dit, des jalons ont été posés lors de la crise économique de 2009, dans la loi contre la vie chère en 2012, dans la loi Lurel de 2017 que les auteurs du présent texte entendent actualiser. Voilà quelques exemples d’outils législatifs mis en place face à une fissure sociale grandissante, pour ne pas dire béante.

Nous tentons en somme de réguler les prix et les marges depuis de nombreuses années, de résoudre le problème dit de la vie chère, mais force est de constater que, malgré la juxtaposition et la multiplication de textes et de mesures aux effets parfois éphémères, vivre dignement reste un combat du quotidien en outre-mer. Nous devons en tirer les leçons.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer tend à proposer des outils supplémentaires : transmission de données financières, instauration d’astreintes en cas de non-respect de cette obligation, encadrement des pratiques commerciales et de l’évolution des marges pour les entreprises à position dominante.

Mais restons lucides : ce texte, aussi utile puisse-t-il paraître, contient des mesures encore trop isolées qui, malheureusement, n’infléchiront pas seules le cours des choses.

Agissons ensemble, mes chers collègues, monsieur le ministre ! Un sursaut est impératif, mais il doit être collectif. Le problème de la vie chère appelle une réponse globale et ne saurait être résolu par des initiatives isolées ou partielles. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un engagement ferme et d’une vision renouvelée pour prendre à bras-le-corps ce sujet et en traiter tous les symptômes – vous en parliez à l’instant, monsieur le ministre.

Cette thématique de la vie chère touche intimement la question du pouvoir d’achat et des modèles économiques. Ce sursaut doit passer par des mesures touchant à la régulation économique, aux moyens de l’Autorité de la concurrence, aux circuits d’approvisionnement, aux conditions de transport, aux frais d’approche, mais aussi à l’emploi, à la jeunesse, au foncier, au logement, à l’aménagement du territoire, à la fiscalité, à la transition énergétique ou encore aux infrastructures.

Ce sursaut doit aussi passer par le dépassement d’une vision somme toute étriquée sur l’existence d’un outre-mer uniforme et global ou au mieux binaire – départements-collectivités (Drom-COM) –, qui ne correspond ni aux réalités juridiques ni à celles que connaissent les populations qui y vivent. Je sais que je prêche des convaincus.

Je suis corapporteur d’une mission d’information sur la vie chère que la délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé, sous la conduite de sa présidente, Micheline Jacques, de constituer et nous formulerons le mois prochain des propositions pour agir contre ce fléau qui ne doit plus être une fatalité pour nos territoires.

Ce combat – c’en est un ! – appellera des moyens à la hauteur, si nous partageons tous la même ambition. Nos territoires français des trois océans s’épuisent, las d’être chéris dans les discours, mais trop peu considérés dans les faits. Nous aurons besoin de vous, monsieur le ministre, et je sais que vous avez identifié ce sujet comme une priorité.

La Polynésie française n’échappe pas à ces maux, elle les combat avec difficulté et avec les moyens dont elle dispose. J’appelle d’ailleurs l’État, au-delà des questions statutaires, à accompagner notre collectivité sur ces questions qui pèsent sur les citoyens français que sont aussi les Polynésiens.

Soyons vigilants, car cette précarité économique qui s’enracine alimente dans tous nos territoires un sentiment de désaffection à l’égard de l’État, qui apparaît tantôt impuissant tantôt insensible aux appels à l’aide des populations écrasées par le diktat des prix outre-mer. Elle nourrit localement des discours politiques de plus en plus entendus, qui divisent au lieu de rassembler.

Monsieur le ministre, vous le rappeliez fin janvier à l’Assemblée nationale : la vie chère est une véritable bombe à retardement. Nous devons tous contribuer à la désamorcer.

C’est pourquoi, sans tomber dans le catastrophisme, nous ne pouvons plus nous satisfaire, face à ce malaise profond, de mesures isolées. Je nous appelle donc à une prise de conscience collective et à un engagement sincère pour considérer, enfin, dans toute sa mesure cette frustration qui croît. Il nous faut mobiliser l’État, nos collectivités et toutes les forces vives, avec l’engagement et l’intensité qu’appelle une cause de portée nationale dépassant les postures et les joutes politiciennes.

Notre force réside dans notre capacité à agir ensemble. Ne laissons ni la vie chère ni les inégalités qui se creusent éroder ce lien précieux qui nous unit au sein de la République.

Dans ce contexte, la grande majorité des membres du groupe RDPI apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Marc Ruel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser, au nom des Saint-Pierrais et Miquelonnais et de la part des sénateurs du groupe du RDSE, notre soutien aux familles des victimes du cyclone Garance à La Réunion, ainsi qu’à tous les Réunionnaises et Réunionnais. Nous sommes de tout cœur avec eux.

Nous sommes réunis aujourd’hui, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour travailler sur deux propositions de loi relatives aux outre-mer.

Il s’agit d’une bonne nouvelle sur le papier, mais sur le papier seulement, car le timing est tout de même malheureux. Consacrer une niche exclusivement à des sujets ultramarins durant les jours gras, en plein carnaval, quand on connaît l’engouement pour ces festivités dans nos territoires ! Il fallait y penser… (Sourires.)

Certains de nos collègues évoquent le roi Vaval et le brûlent au soleil – je peux les comprendre. À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous l’appelons Bulot et il brûlera sur le quai sous la neige jonchant actuellement le sol de mon archipel. C’est aussi cela la richesse de nos outre-mer ! (Nouveaux sourires.)

J’ai néanmoins l’honneur d’être présent devant vous pour évoquer cette proposition de loi visant à renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, texte intéressant pour lutter contre la vie chère dans nos territoires. Vous souhaitez mener ce combat, monsieur le ministre ; vous nous l’avez récemment fait savoir et nous nous en réjouissons.

Cependant, force est de constater que la portée de la présente proposition de loi a été particulièrement réduite. Elle partait d’un postulat logique de la part de notre collègue Victorin Lurel et visait à réajuster la loi relative à la régulation économique outre-mer qu’il avait portée en 2012, lorsqu’il était rue Oudinot. Nous héritons aujourd’hui, en séance, d’une proposition largement édulcorée.

Je relèverai malgré tout les amendements allant dans le même sens du groupe RDPI et de l’auteur de la proposition de loi sur l’application des conditions générales de vente : ils ont pour objectif de ne plus assimiler nos collectivités à des territoires d’exportation et donc de leur donner accès aux prix et aux conditions de l’Hexagone, notamment en termes de promotions. Alors que mon archipel a malheureusement été oublié dans ce dispositif, je souhaite qu’il puisse en bénéficier.

Mes chers collègues, j’ai néanmoins un regret majeur : la disparition en commission des dispositions visant à renforcer le dispositif de transmission de données aux observatoires des prix, des marges et des revenus.

Les OPMR ont un rôle important à jouer sur le coût de la vie dans les territoires ultramarins. Ils sont capables d’apporter la concertation et la cohésion nécessaires. Si l’amendement que j’ai déposé était adopté, l’OPMR serait capable d’évaluer les décisions prises, via une étude d’impact, concernant la desserte maritime internationale en fret.

Sur un territoire aussi maritime que le mien, tout changement dans ce domaine ne serait pas sans conséquence. Mesurer un changement de méthode d’approvisionnement d’un territoire, c’est comprendre son influence sur le coût de la vie et permettre la compréhension des difficultés de sa population.

Mes chers collègues, je ne veux pas gâcher la fête, mais cette méthode essentielle de concertation ne peut pas partir en confettis et cet amendement ne doit pas finir sur le quai, réduit en cendres aux côtés du roi Bulot.

Le groupe du RDSE sera vigilant quant au sort de cet amendement, dont il tiendra compte au moment de prendre position sur ce texte à l’issue de nos débats. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, imaginez un instant devoir payer 40 % plus cher votre panier de courses quotidien. C’est non pas une fiction, mais bien la réalité pour nos compatriotes ultramarins. Ce chiffre n’est pas nouveau. Il traverse les décennies, cristallise les colères, alimente les mobilisations.

Je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Victorin Lurel de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteure Évelyne Renaud-Garabedian, dont le travail a permis d’améliorer le texte et d’atteindre un équilibre entre régulation et compétitivité.

Le constat est implacable : la vie chère en outre-mer est une réalité. Les causes en sont multiples et bien identifiées. L’éloignement géographique impose des coûts logistiques importants, qu’il s’agisse du fret maritime ou aérien. La taille restreinte des marchés locaux limite les économies d’échelle et rend les importations plus onéreuses.

À cela s’ajoute une taxe spécifique, l’octroi de mer, qui, bien que source essentielle de financement pour les collectivités, renchérit encore davantage les prix des produits de première nécessité.

Ces facteurs cumulés font de la vie chère une réalité quotidienne de plus en plus insupportable pour nombre d’Ultramarins, dont les revenus, eux, ne suivent pas la même courbe ascendante.

Cette situation économique a des conséquences sociales alarmantes. Les mobilisations contre la vie chère sont récurrentes, des Antilles à La Réunion, en passant par Mayotte. Depuis septembre dernier, la Martinique connaît une vague de contestation qui témoigne d’une exaspération profonde face à la cherté de la vie.

Pour répondre à cette urgence, certains avancent une explication supplémentaire : le manque de concurrence.

Il est vrai que, dans plusieurs secteurs clés, comme la grande distribution, les carburants ou les télécommunications, quelques acteurs dominent le marché et bénéficient d’une position privilégiée. En 2016, soixante-treize groupes d’entreprises contrôlaient plus de 50 % des marchés aux Antilles et en Guyane et réalisaient près de 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Ces structures, souvent familiales, sont accusées de verrouiller l’accès à de nouveaux entrants et peuvent conserver des marges importantes. C’est une réalité que nous ne pouvons pas ignorer, même si elle ne fait pas consensus : l’Autorité de la concurrence et l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (Iedom) ne confirment pas toujours l’existence de marges abusives systématiques. Il faut aussi bien distinguer marge brute et marge nette, les deux notions étant parfois confondues. Il serait donc hasardeux d’en faire le seul ou principal facteur de la vie chère.

L’un des axes majeurs du présent texte est le renforcement du contrôle des concentrations et des fusions. Il s’agit d’empêcher la constitution de monopoles ou d’oligopoles qui faussent le marché. Nous soutiendrons toujours ce qui peut favoriser les conditions d’une concurrence pure et parfaite.

La commission a ainsi introduit des ajustements notables, comme l’abaissement du seuil de notification des fusions de 5 millions à 3 millions d’euros pour le commerce de détail ou encore l’élargissement des possibilités de saisine des différentes autorités. Ces avancées permettront une surveillance plus fine des pratiques commerciales et une meilleure régulation du marché.

Cependant, réguler ne signifie pas entraver. Si la concentration des acteurs économiques pose problème en cas d’abus de position dominante, il ne faut pas pour autant faire des entreprises des boucs émissaires. Une approche punitive pourrait avoir des effets pervers : fuite des capitaux, exil des talents ultramarins, affaiblissement du tissu économique local. Or nos entreprises sont non pas des adversaires, mais des partenaires d’une économie plus juste et compétitive.

À cet égard, je salue les modifications introduites par la commission afin d’affiner un texte dont la version initiale pouvait constituer le prélude à une stigmatisation. La concurrence ne peut pas être efficace sans confiance.

Un autre enjeu majeur du texte est la transparence des prix et des marges. Aujourd’hui, 24 % des entreprises martiniquaises seulement déposent leurs comptes, contre 85 % dans l’Hexagone. Cette opacité empêche une régulation efficace et limite la capacité des autorités à identifier d’éventuels abus. La commission a ici apporté des modifications bienvenues : la transmission automatique a été remplacée par une procédure d’injonction, ce qui permet un contrôle plus ciblé et proportionné, assorti d’une sanction en cas de non-transmission.

En effet, veillons collectivement à ne pas faire preuve d’un excès bureaucratique. Chaque nouvelle obligation administrative représente des charges supplémentaires pour les entreprises, dont les coûts sont répercutés in fine sur les consommateurs.

La première version du texte imposait aux entreprises de transmettre trimestriellement diverses informations – leurs taux de marge, leurs prix d’achat et de vente et les évolutions de ces taux et prix, ainsi que les prix de cession interne – à la fois au préfet, à l’Insee et aux OPMR. Bienvenue dans la République de la bureaucratie ! Cette accumulation de contraintes aurait asphyxié les acteurs économiques sans garantir une réelle efficacité.

Rappelons-nous, mes chers collègues, qu’en octobre dernier nous avons adopté, en première lecture, le projet de loi de simplification de la vie économique prévoyant notamment le déploiement du principe « Dites-le-nous une fois » afin de faciliter la transmission d’informations entre administrations. Il serait temps que ce principe s’applique aussi à nos entreprises ultramarines.

Évitons une inflation réglementaire qui, sous couvert de transparence, risquerait de freiner l’investissement et la croissance. Chaque mot supplémentaire dans notre arsenal juridique est un euro en moins dans le portefeuille des Ultramarins.

Enfin, la lutte contre la vie chère en outre-mer ne peut être efficace sans une politique d’ensemble que notre délégation sénatoriale entend proposer dans son prochain rapport d’information sur la lutte contre la vie chère. La dépendance excessive aux importations est un frein au développement économique des territoires ultramarins.

Encourager l’agriculture locale, développer les industries de transformation, investir dans des infrastructures logistiques modernes : tous ces leviers permettraient de réduire les coûts et d’assurer une plus grande autonomie économique.

Lutter contre la vie chère en outre-mer, c’est défendre un principe fondamental d’égalité économique et sociale. Le groupe Union Centriste votera ce texte. La lutte contre la vie chère en outre-mer exige une politique cohérente, structurelle et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, je voudrais avant tout adresser mes sincères condoléances au peuple réunionnais et aux familles victimes du cyclone Garance, qui a dévasté leur île.

Aux crises récurrentes provoquées dans nos pays par les catastrophes naturelles s’en ajoute une autre, celle de la vie chère.

« Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous », disait Thomas Sankara, une illustre figure de la souveraineté et de l’humanisme. Entre survivre et vivre, le choix est vite fait. Nos peuples aspirent à une vie digne, ce qui implique la lutte contre la vie chère dans nos pays dits d’outre-mer.

Les peuples d’outre-mer ont le droit de manger et boire au même prix que les Français de l’Hexagone, c’est une évidence. Mais vivre de nos terres, voilà notre vraie richesse.

D’ordinaire, ces territoires sont traités dans les assemblées parlementaires au simple détour d’un article de loi autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Cette proposition de loi s’inscrit, elle, dans une logique de lutte contre un système colonial qui perdure. J’en profite pour remercier Victorin Lurel et le président Patrick Kanner de l’avoir inscrite dans leur niche parlementaire.

Nous dénonçons ici une économie de comptoir contrôlée par quelques familles issues de cet héritage colonial. Ces territoires sont un terrain de jeu pour le développement d’un capital sans gêne ni scrupule qui outrepasse les règles, loin des contrôles qui se pratiquent dans l’Hexagone.

Que ce soit en Kanaky, en Martinique, à La Réunion, en Guyane ou encore à Mayotte, les évènements récents ont mis en lumière ce que vivent nos peuples.

Dire « non » à la vision coloniale de l’économie et « oui » à la dignité : voilà ce que les mobilisations, de la Martinique jusqu’aux rues de Paris, ont fait résonner. Cela souligne notre volonté indéfectible de défendre l’émancipation sociale et économique des nôtres.

En favorisant les monopoles et en amoindrissant les potentiels humains de nos peuples, l’État n’a fait que diminuer la capacité de nos pays à revendiquer leur souveraineté. La racine du problème est la violence économique que nous subissons : elle nourrit les profits de quelques-uns, qui s’enrichissent sur le dos des populations locales.

C’est non pas l’éloignement de ces territoires qui est la source de la vie chère outre-mer, mais un système et ses acteurs économiques hérités directement du colonialisme. Leurs marges abusives et leur manque de transparence n’en sont qu’un symptôme, enfin exposé dans le débat public hexagonal.

L’écart des prix des produits alimentaires entre l’Hexagone et les outre-mer est considérable, la différence pouvant aller jusqu’à 40 %. En Nouvelle-Calédonie, en un an, les prix de l’alimentation ont grimpé de 5,7 %.

Cette proposition de loi nous permet de recentrer le débat. Il s’agit d’un signal envoyé aux grandes entreprises qui veulent faire la loi à défaut de l’appliquer : on ne peut pas importer massivement et faire des marges considérables sans transmettre ses comptes, tout en faisant payer la note aux consommateurs ultramarins, et cela, comme le rappelait mon collègue Fabien Gay en commission, avec la caution de l’État depuis des années.

Nous regrettons que les modifications du texte initial amoindrissent la portée de ce texte. Nous avons la responsabilité, par de plus fortes mesures, de redonner espoir à nos peuples, qui traversent des crises cycliques systémiques. Avec mes collègues du groupe CRCE-K, je voterai en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le cœur de mon propos, je tiens à exprimer toute ma solidarité avec nos compatriotes réunionnais durement frappés par le cyclone Garance.

Mes pensées vont aux familles touchées, aux habitants confrontés aux dégâts considérables et à tous ceux qui, sur le terrain, œuvrent sans relâche pour protéger, secourir et reconstruire. Plus que jamais, la République doit se trouver au côté de La Réunion dans cette épreuve et apporter un soutien à la hauteur de ses besoins.

L’outre-mer est une composante essentielle de notre nation, une partie intégrante de notre identité républicaine. Ces territoires portent en eux la richesse de l’Histoire, la diversité des cultures, mais aussi une réalité sociale et économique qui exige de notre part une attention constante et des actions à la hauteur des enjeux.

« La République est une et indivisible, mais elle ne doit pas être uniforme. » Ces mots d’un ancien président du Sénat originaire de nos outre-mer – Gaston Monnerville, pour ne pas le citer –, nous rappellent la nécessité de prendre en compte les spécificités et les défis des territoires ultramarins dans la lutte contre les inégalités.

Nous avons une responsabilité impérieuse : faire en sorte que nos compatriotes ultramarins ne soient pas condamnés à une vie marquée par l’injustice économique et les difficultés quotidiennes.

Loin d’être une question conjoncturelle, la cherté de la vie en outre-mer est un problème structurel qui pèse lourdement sur le quotidien des habitants de ces territoires, révélant une fracture économique et sociale avec la métropole que nous ne pouvons ignorer plus longtemps.

Les coûts excessifs des produits de première nécessité, des services essentiels et des biens de consommation courante exacerbent un sentiment d’abandon et d’inégalité, alimentant ainsi un profond malaise social.

Ce malaise n’est pas nouveau. Il s’est exprimé avec force lors de grandes mobilisations sociales qui ont marqué ces dernières décennies. Qui pourrait oublier la grève générale de 2009 aux Antilles, lorsque des milliers de citoyens se sont levés contre la cherté de la vie et les inégalités criantes ? Qui pourrait ignorer les révoltes sociales récurrentes en Guyane ou à La Réunion, où les mêmes revendications refont surface avec une intensité grandissante ?

Derrière ces colères, il y a des familles qui peinent à joindre les deux bouts, des travailleurs qui voient leur pouvoir d’achat s’effondrer, des jeunes qui n’entrevoient pas d’avenir digne dans leur propre territoire.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont accablants. Les écarts de prix entre la métropole et les départements et régions d’outre-mer (Drom) atteignent 10 % à 15 % en moyenne, avec des pics de 30 % à 40 % pour certains produits en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Les produits alimentaires, qui représentent une part importante des dépenses des ménages, coûtent environ 30 % plus cher qu’en métropole.

Cette réalité a des conséquences dramatiques : 900 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans ces territoires. Plus d’un Ultramarin sur deux doit renoncer régulièrement à certaines dépenses du quotidien pour pouvoir se nourrir ou payer ses factures. Cette situation n’est pas tolérable.

Face à cette injustice, les mesures ponctuelles ne suffisent plus. Nous devons agir en profondeur, avec une stratégie claire et une volonté politique affirmée.

Des leviers existent : une meilleure régulation des circuits d’importation et de distribution, la lutte contre les monopoles, le renforcement des dispositifs de soutien au pouvoir d’achat, ainsi qu’un véritable plan de développement économique adapté aux spécificités ultramarines. Il est également essentiel d’encourager la production locale, de soutenir l’entrepreneuriat et de réduire la dépendance aux importations pour offrir des solutions de rechange durables et viables.

Monsieur le ministre d’État, nous devons entendre le désespoir et la lassitude de nos compatriotes d’outre-mer. Il est urgent de leur apporter des réponses concrètes et immédiates. La justice sociale et l’égalité territoriale doivent non pas rester de simples principes inscrits dans nos discours, mais devenir une réalité tangible pour celles et ceux qui souffrent au quotidien de ces inégalités. Nous avons le devoir de faire vivre la promesse républicaine sur l’ensemble du territoire national, sans distinction ni oubli.

Les débats que nous avons aujourd’hui ne doivent pas déboucher sur un énième constat d’échec. Ils doivent être le point de départ d’un engagement renouvelé et d’une action ambitieuse en faveur des territoires ultramarins. Nos concitoyens attendent des actes forts.

Cette proposition de loi de notre collègue Victorin Lurel ouvre des perspectives et apporte des réponses, mais il faudra aller plus loin, monsieur le ministre d’État, pour ne pas décevoir une nouvelle fois nos compatriotes des outre-mer.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. J’espère que nous pourrons avancer encore avec la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit des outre-mer de Mme Micheline Jacques – un texte qui est inspiré par les travaux de notre délégation aux outre-mer – et enfin répondre aux aspirations de nos concitoyens ultramarins, qui attendent non pas la charité, mais une vie digne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Lucien Stanzione. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la vie chère en outre-mer est non pas une fatalité, mais la conséquence de déséquilibres structurels qu’il nous revient de corriger.

Aujourd’hui, nous consacrons le temps de la niche parlementaire du groupe socialiste à un enjeu essentiel : une économie plus juste pour nos concitoyens ultramarins. Depuis 2012, notre collègue Victorin Lurel porte avec constance cette cause. Ses lois de 2012 et 2017 ont marqué des avancées, mais certains dispositifs doivent être consolidés, pour mieux protéger les distributeurs locaux et garantir une concurrence équitable.

Si le texte soumis à notre examen est resserré en trois articles, il constitue une avancée significative et un levier indispensable pour la suite. Il envoie un signal clair : les Ultramarins ne doivent plus être prisonniers d’un système économique inéquitable.

Son objectif prioritaire est de renforcer la pression sur les entreprises qui ne respectent pas leur obligation légale de dépôt des comptes sociaux. Or la transparence est essentielle pour analyser les mécanismes de formation des prix et d’accumulation des marges, donc pour lutter contre toute forme de concurrence déloyale.