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Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 205, ma collègue Véronique Guillotin souhaitait s’abstenir. En outre, lors du scrutin public n° 206, mon collègue Philippe Grosvalet souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elles figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.
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Lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine Levi, Bernard Fialaire et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 26, texte de la commission n° 336, rapport n° 335).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de gravité que je m’adresse à vous cette après-midi.
Nous ne sommes pas réunis pour débattre d’un texte ordinaire : ce qui nous rassemble aujourd’hui dépasse le cadre législatif.
Cette proposition de loi vise à lutter contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. En la soumettant à votre vote, nous nous en remettons à votre conscience : nous lançons un appel à défendre l’essence même de notre pacte républicain face à un mal insidieux, qui refait surface là où il aurait dû disparaître à jamais.
L’antisémitisme, ce poison ancien que nous pensions relégué aux heures les plus sombres de notre histoire, s’instille de nouveau, de manière tout à fait inquiétante, au cœur de nos universités.
Ces lieux devraient incarner la raison, le savoir et l’ouverture. Mais, pour certains de nos concitoyens, ils deviennent des espaces de peur, d’exclusion et de haine. C’est ce constat, douloureux et inacceptable, qui nous a conduits à déposer le présent texte.
En prononçant ces mots, je ne puis m’empêcher de penser au Monde d’hier de Stefan Zweig, témoignage bouleversant d’une civilisation qui s’effondre sous le poids de la haine.
Zweig raconte comment l’antisémitisme s’est insinué dans la société viennoise du début du XXe siècle. Avant de gagner progressivement du terrain, ce fléau a d’abord touché les universités : « À l’université, les jeunes gens commencèrent à éviter les étudiants juifs et prirent l’habitude de les regarder avec mépris. » Cette description résonne douloureusement avec notre actualité.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Pierre-Antoine Levi. Stefan Zweig ajoute : « Nous avions cru, dans notre orgueil, que l’époque des persécutions religieuses et des haines raciales était dépassée pour toujours. »
Cette illusion, nous ne pouvons plus nous la permettre aujourd’hui. Ce que nous observons dans nos universités n’est pas seulement la résurgence de propos haineux, mais l’étouffement progressif de nos valeurs humanistes.
La mission d’information que j’ai menée il y a quelques mois avec Bernard Fialaire a mis en lumière une situation alarmante.
Un certain nombre d’étudiants nous ont raconté leur quotidien marqué par la peur. Insultes dans les couloirs, affiches infamantes sur les murs des campus ou encore harcèlement en ligne : nous ne sommes pas face à une simple accumulation d’incidents isolés. C’est une atmosphère empoisonnée qui s’installe. (M. le président de la commission le confirme.) Nous voyons progresser un mal qui gangrène l’espace universitaire.
Des faits que nous pensions être des exceptions deviennent des habitudes, des comportements tolérés et banalisés.
Le présent texte est né de cette urgence, de la nécessité de protéger non seulement les étudiants victimes d’antisémitisme, mais aussi l’idéal même de l’université comme lieu de savoir, de débat et de tolérance.
Depuis les attaques terroristes survenues le 7 octobre 2023 en Israël, notre pays a vu se raviver des tensions que nous espérions contenues. Ce drame a suscité des vagues de réactions légitimes sur les plans politique et humanitaire, mais il a aussi servi de prétexte à une libération de la parole antisémite, notamment dans nos universités.
Selon le rapport de la mission d’information que nous avons conduite, le nombre d’actes antisémites recensés dans les établissements d’enseignement supérieur a doublé depuis cette date. Et le chiffre officiel, bien qu’alarmant en soi, ne représente probablement qu’une fraction de la réalité, tant le phénomène est sous-déclaré par peur de représailles ou par manque de confiance dans les dispositifs existants.
Face à cette situation, nous ne pouvions rester les bras croisés.
Au cours de nos travaux, nous avons rencontré plusieurs présidents d’université. Certains nous ont confié leur désarroi et nombre d’entre eux se sont déclarés démunis pour distinguer entre ce qui relève de la critique politique légitime et ce qui constitue un acte antisémite.
La confusion est d’autant plus grande que l’antisémitisme prend aujourd’hui des formes nouvelles, souvent masquées derrière des revendications idéologiques.
Le cadre législatif actuel ne leur permet pas de répondre à cette complexité. Les dispositifs de signalement sont en effet hétérogènes et souvent inefficaces. Quant aux sanctions, elles sont trop rares : entre octobre 2023 et avril 2024, seules six commissions disciplinaires ont été saisies pour des actes antisémites, alors que soixante-sept incidents avaient été recensés durant la même période.
Le fossé entre les faits commis et les poursuites réellement engagées témoigne d’un grave dysfonctionnement. Une telle situation n’est pas acceptable.
D’autres facteurs encore – nous l’avons constaté – rendent la mesure du phénomène particulièrement difficile : le silence des victimes et des témoins, dont résulte une sous-déclaration commune à l’ensemble des atteintes à caractère raciste, haineux et discriminatoire ; les pratiques hétérogènes des équipes dirigeantes, certaines choisissant d’agir a minima pour se prémunir de toute polémique ; ou encore l’existence d’une zone grise juridique pour le recensement des actes survenant dans des contextes péri-universitaires – je pense, par exemple, aux soirées étudiantes et aux réseaux sociaux.
L’université doit rester un sanctuaire du savoir. Elle ne saurait en aucun cas devenir un terrain de haine. Laisser ces comportements se banaliser, c’est accepter que les valeurs de notre République soient foulées aux pieds.
Les efforts actuels, bien que louables, restent insuffisants faute d’un cadre cohérent et contraignant.
Sans une action législative forte, cette situation intolérable risque de se prolonger, voire de s’aggraver. C’est pourquoi cette proposition de loi est nécessaire.
Il s’agit non seulement d’une réponse à l’urgence, mais aussi d’un signal fort envoyé à tous : la République ne tolérera jamais que ses principes d’égalité, de liberté et de fraternité se trouvent remis en cause, que ce soit dans la rue, dans les institutions ou à l’université.
Elle donnera aux établissements les moyens juridiques et pratiques d’agir efficacement tout en préservant les libertés académiques essentielles à l’accomplissement de leurs missions.
Avec ce texte, nous posons donc les fondations d’une politique pérenne et équilibrée de lutte contre toutes les formes de haine dans l’enseignement supérieur. Nous créons un cadre grâce auquel chaque étudiant, quelles que soient sa foi, ses origines ou ses convictions, pourra étudier librement, sans subir la peur, sans faire l’objet de discrimination.
En pratique, le présent texte donnera aux établissements les moyens d’agir, grâce à un dispositif complet et cohérent.
Nous avons veillé à ce que chaque disposition de cette proposition de loi soit applicable concrètement, en tenant compte des moyens dont disposent les établissements et de leurs contraintes organisationnelles. Nous avons également pris soin de préserver l’autonomie des universités, tout en leur donnant les outils nécessaires pour agir plus efficacement.
Cette approche équilibrée reconnaît la place singulière de la lutte contre l’antisémitisme tout en l’inscrivant dans le combat, plus large, contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine. Elle permet de mutualiser les moyens et les avancées obtenus dans d’autres champs tout en garantissant la visibilité nécessaire à chacun de ces combats.
Je laisserai à Bernard Fialaire, coauteur et corapporteur du présent texte, le soin de vous détailler ces dispositions.
Mes chers collègues, le combat contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur est un combat pour l’âme même de notre République.
Jamais plus un étudiant ne doit être discriminé, menacé ou agressé en raison de sa foi ou de ses origines. Nous devons le garantir : il y va de notre honneur collectif.
« Ce fut notre faute, à nous autres intellectuels, de ne pas avoir pris assez tôt conscience du danger et de l’avoir sous-estimé », écrivait en son temps Stefan Zweig. Formons le vœu de ne pas commettre la même erreur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas un texte ordinaire : mon corapporteur, Pierre-Antoine Levi, vient de le souligner avec force, et ce rappel était nécessaire.
D’ailleurs – je vous l’avoue –, je n’aurais pas cru devoir, en 2025, présenter un texte visant à renforcer les outils de la lutte contre l’antisémitisme dans notre pays, qui plus est dans ces lieux de transmission de savoir que sont les universités.
Les travaux que nous conduisons depuis maintenant presque un an nous l’ont toutefois prouvé sans contredit : une intervention du législateur est non seulement nécessaire, mais aussi, et malheureusement, urgente.
Sur ce sujet grave, notre commission a travaillé de manière exemplaire.
Les conclusions alarmantes que nous avons tirées de la mission d’information menée l’an dernier nous ont conduits à formuler onze recommandations, puis à déposer le présent texte, reprenant celles d’entre elles qui relèvent du domaine législatif.
Nous avons ensuite procédé à des auditions de suivi des interlocuteurs rencontrés au printemps dernier. Nous avons ainsi pu mettre à jour notre diagnostic et enrichir cette proposition de loi.
Mon corapporteur a été parfaitement clair et je ne répéterai pas ses propos. Je souligne simplement que notre texte apporte une réponse au phénomène dont notre mission d’information a fait son constat majeur : le développement d’un climat d’antisémitisme dans les établissements considérés.
Cette forme nouvelle de l’expression antisémite passe notamment par des actes du quotidien comme les tags, les mises à l’écart ou la répétition de plaisanteries douteuses. Elle prend également une forme politique, via le thème ambigu de l’antisionisme.
Ce climat d’antisémitisme est très difficile à combattre. Non seulement l’on peine à le repérer, mais, s’il est possible de sanctionner des actes, il est bien plus ardu de combattre une atmosphère.
Face à une telle situation, le cadre législatif et réglementaire laisse les établissements relativement désarmés. Faute de dispositifs unifiés de sensibilisation, de signalement et de prévention, faute également d’un cadre disciplinaire adapté et d’une coopération avec les services judiciaires, la réponse apportée au phénomène se révèle très hétérogène.
Or, malgré le retour au calme que l’on peut observer dans la plupart des établissements, cette atmosphère tend à s’enraciner par le biais d’une certaine banalisation des discours antisémites, qui n’est d’ailleurs pas propre à l’université. (Mme la ministre acquiesce.)
La réponse que nous proposons d’apporter à ces formes nouvelles et diverses de l’expression antisémite est, elle aussi, multiple. Elle repose sur trois piliers : l’éducation, la prévention et la sanction.
Avant d’en venir au détail de ces mesures, j’apporterai quelques précisions quant au champ retenu.
Le présent texte portait initialement sur la lutte contre l’antisémitisme, associé au racisme. Nous l’avons étendu en commission à la lutte contre les discriminations, les violences et la haine. Nous avons retenu cette rédaction au terme d’une réflexion approfondie sur la manière dont le combat contre l’antisémitisme doit s’articuler aux luttes déjà menées contre d’autres formes de violence et de haine.
Nous ne prétendons pas, en effet, remettre en cause ou concurrencer les actions déployées par les établissements, qui concernent souvent le racisme ou les violences sexistes et sexuelles (VSS). Au reste, les dispositions de notre proposition de loi s’inscrivent dans un cadre législatif traitant de la lutte contre les discriminations dans leur ensemble, cadre que nous n’entendons évidemment pas supprimer.
C’est pourquoi, pour tous les articles du présent texte, nous avons retenu une rédaction d’équilibre reconnaissant, dans le combat contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine, une place particulière à la lutte contre l’antisémitisme.
L’article 1er crée ainsi une formation obligatoire à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans les établissements du service public d’enseignement, et ce de l’école au supérieur. Ce faisant, l’on disposera d’une chaîne de formation tout au long du parcours éducatif.
Bien entendu, nous n’ignorons pas que les maquettes de formation consacrent déjà divers enseignements à ces thématiques. En inscrivant une telle obligation dans la loi, nous souhaitons assurer leur pérennité.
Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur deux éléments, à nos yeux particulièrement importants, du contenu de ces enseignements : premièrement, la nécessité de s’appuyer sur la définition opérationnelle de l’antisémitisme fixée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) ; et, deuxièmement, l’utilité de faire intervenir des acteurs associatifs spécialisés. Le Sénat s’est d’ailleurs déjà prononcé en ce sens.
Parce que l’éducation et la sensibilisation constituent le premier vecteur du combat contre la haine, la commission a étendu cette obligation de formation aux établissements privés du supérieur. Elle a également institué une obligation de formation pour les acteurs universitaires se trouvant en première ligne de cette lutte, parmi lesquels les élus étudiants, les référents « antisémitisme et racisme » et les membres des sections disciplinaires.
L’article 2 porte sur les dispositifs de lutte et de signalement des établissements. En l’état actuel, la loi n’impose que la création d’une mission « égalité entre les hommes et les femmes ». En pratique, de nombreux établissements se sont dotés de missions « égalité et diversité », dont le périmètre d’action est plus large. En parallèle, ils ont désigné des référents compétents pour la prévention et le traitement des actes antisémites et racistes, ainsi que des VSS.
De l’absence d’obligations unifiées résultent toutefois de grandes disparités entre établissements. Rien ne permet aujourd’hui de garantir que les étudiants juifs en difficulté trouvent un interlocuteur auquel s’adresser. (Mme la ministre le confirme.)
Nous souhaitons donc généraliser les missions « égalité et diversité », en étendant leur champ d’intervention à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les violences, les discriminations et la haine. En outre, nous proposons la désignation systématique, en leur sein, d’un référent dédié à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Les missions « égalité et diversité » auront également l’obligation de déployer un dispositif de signalement garantissant l’anonymat des victimes et des témoins.
Enfin, l’article 3 adapte la procédure disciplinaire à la poursuite des actes de haine, de discrimination et de violence.
Telle qu’elle est définie par le code de l’éducation, ladite procédure est aujourd’hui centrée sur la fraude académique, à laquelle s’ajoute « tout fait de nature à porter atteinte à l’ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l’université ». Cette formulation est appréciée de manière diverse par les établissements : dès lors, on ne peut garantir que tous les faits d’antisémitisme fassent l’objet de poursuites.
Nous souhaitons donc ajouter les actes d’antisémitisme et de racisme, ainsi que les faits de violence, de discrimination et d’incitation à la haine aux motifs permettant d’engager une procédure disciplinaire.
La commission a également adopté le principe de l’information des victimes de tels actes.
De plus, nous examinerons dans quelques instants deux amendements dont l’adoption enrichirait considérablement cet article, notamment par la création d’une nouvelle voie disciplinaire.
Bien évidemment, ces différents dispositifs ne produiront leurs effets que si les responsables d’établissement s’en emparent, en s’attachant à les rendre visibles et en leur donnant les moyens de fonctionner. À ce titre, les recommandations que nous avons formulées en juin dernier restent toutes d’actualité. Monsieur le ministre, nous comptons sur votre appui pour favoriser leur application.
Mes chers collègues, cette proposition de loi résulte du travail considérable et de l’engagement sans faille de notre commission, sur un sujet qui ne devrait plus faire débat en 2025.
Avec le présent texte, fruit de ce travail, je souhaite que nous replacions les principes républicains au cœur du fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur. Ces derniers doivent redevenir le lieu du débat, de l’ouverture humaniste et du dépassement des préjugés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le XXe siècle qui va s’ouvrir ! » Ainsi s’exprimait Émile Zola dans sa Lettre à la jeunesse, écrite en 1897.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’auteur de l’immortel « J’accuse… ! » constatait alors avec amertume que le XXe siècle ne serait pas affranchi de l’antisémitisme, y compris dans les universités.
Malheureusement, l’antisémitisme n’a pas disparu depuis. En 2025, certains étudiants français peuvent craindre de se rendre en cours. Ils peuvent hésiter à aller à l’université, parce qu’ils sont juifs.
Tout acte antisémite est insupportable et doit être condamné. Il est d’autant plus odieux quand il survient à l’université, dont il fracasse toutes les promesses, toutes les valeurs et toutes les assises : le respect de chacun, l’éthique du débat, le refus de l’exclusion et les libertés académiques.
L’université doit rester le lieu du débat, y compris sur les sujets difficiles, par exemple – je ne cite évidemment pas ce sujet au hasard – la situation à Gaza. Mais l’université ne peut tolérer ni l’invective, ni l’essentialisation, ni l’assignation identitaire.
Depuis ma nomination comme ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la jeunesse, j’ai été alerté à ce sujet à de très nombreuses reprises.
Bien sûr, l’université est le lieu d’une lutte informationnelle. Au milieu du tapage ambiant, je souhaite redire mon opposition à toute instrumentalisation de l’université à des fins purement politiques.
Pour ce qui est des actes antisémites, la situation de l’université est malheureusement claire. Au moins cinquante actes proprement antisémites ont été relevés. Il s’agit principalement de tags, mais il s’agit aussi d’insultes et parfois de violences physiques. C’est évidemment trop – beaucoup trop.
Les données dont nous disposons viennent confirmer celles du ministère de l’intérieur, mais je n’ignore pas le problème du sous-signalement. La prévention et l’accompagnement doivent faire l’objet d’un travail dédié, afin que tout acte antisémite soit identifié, signalé et sanctionné.
Dès mon arrivée au ministère, j’ai donc reçu les présidents d’université pour leur faire part de ma détermination à agir contre ce fléau. Je leur ai rappelé ma ligne. Elle est claire : c’est la tolérance zéro face à l’antisémitisme, en dehors de toute polémique.
Dans le même temps, j’ai pris soin d’écouter ces responsables, et leurs retours sont unanimes. Tous constatent l’atmosphère pesante que subissent les étudiants juifs. Ils souhaitent être mieux accompagnés dans le traitement des situations auxquelles ils font face ; ils souhaitent savoir ce qui se passe lorsqu’ils font un signalement et lorsqu’ils portent plainte ; ils souhaitent, enfin, que l’on réfléchisse aux dispositifs disciplinaires en vigueur dans les universités.
En parallèle, j’ai longuement reçu les représentants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Ils ont évoqué devant moi un « antisémitisme d’atmosphère » pour décrire l’ambiance de certains établissements. J’ai pu mesurer leur attente de réponses claires.
Face à cette situation, j’ai voulu agir vite.
J’ai saisi M. le garde des sceaux, afin que les signalements transmis par les universités au titre de l’article 40 du code de procédure pénale soient mieux pris en compte : une circulaire de politique pénale transmise aux parquets à la fin du mois de janvier dernier traduit cette préoccupation.
Nous travaillons à l’amélioration de la coordination entre universités et services de l’État à l’échelle locale : j’ai saisi le ministre de l’intérieur en ce sens.
En outre, je sais que les présidents d’université, recteurs et directeurs de composantes sont engagés pour agir plus efficacement, car ils sont en première ligne. Pour ma part, je leur ai demandé instamment de jouer tout leur rôle.
Naturellement, la solution passera aussi par la recherche et la formation, cœur d’activité des universités. Dans cet esprit, nous lancerons un programme de recherche spécifique sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur.
J’ai aussi l’ambition d’instituer, avec la contribution de toutes les communautés académiques, une formation systématique sur ce sujet.
Enfin, j’ai confirmé la mission confiée par mon prédécesseur au recteur Khaled Bouabdallah et à Pierre-Arnaud Cresson, spécialiste des questions de contrôle interne et de gouvernance, afin d’explorer le sujet disciplinaire.
Tous ces efforts sont nécessaires, mais ils ne seront pas suffisants.
Monsieur le sénateur Bernard Fialaire, monsieur le sénateur Pierre-Antoine Levi, merci du travail que vous avez mené.
Vous avez tout d’abord pris soin d’objectiver la situation, au travers du rapport présenté en juin dernier. C’est un document important, et j’ai pris toute la mesure de ses conclusions. Vous appelez en particulier à améliorer la détection des actes antisémites, à prévenir les dérives, à poursuivre et sanctionner les auteurs des actes incriminés : sur chacun de ces points, vous pouvez compter sur mon ministère pour agir.
Vous avez ensuite rédigé le présent texte, dont je soutiens résolument l’ambition. Il reflète les préoccupations des nombreuses parties prenantes que vous avez pris le temps d’auditionner.
Cette proposition de loi porte ainsi la voix des présidents d’université. Les dispositions de plusieurs amendements vont également dans ce sens : je pense notamment à l’amendement n° 1 rectifié du sénateur Stéphane Piednoir, qui vise à donner aux sections disciplinaires les moyens de remplir sereinement et efficacement leur mission.
Je serai particulièrement attentif à ce que les dispositions proposées entraînent un véritable changement sur le terrain, et j’espère que le Sénat soutiendra l’ensemble de ces mesures. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. « Dire que je suis juif est devenu un risque. Ma judaïté est prétexte à des moqueries permanentes. Je suis devenu une cible. »
« En l’espace de deux jours, j’ai reçu une centaine de messages d’insultes, de menaces. »
« C’est très fort de se faire traiter de génocidaire quand on vient de fêter ses vingt ans. »
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ces mots insupportables, nous les avons entendus lors des Assises de lutte contre l’antisémitisme, que j’ai relancées la semaine dernière en présence d’Élisabeth Borne – vous y avez d’ailleurs pris part, monsieur le rapporteur.
Des lycéens et des étudiants ont décrit le climat pesant qui, malgré l’engagement des professionnels de l’éducation nationale, malgré les efforts de la communauté universitaire, s’installe dans nos établissements scolaires comme dans l’enseignement supérieur. Une minorité d’agitateurs de haine parvient à y rendre l’atmosphère irrespirable.
Ils nous ont raconté comment, dans leurs lycées, sur leurs campus, des insultes deviennent des habitudes, des blagues deviennent des agressions, des remarques du harcèlement et des silences des complicités.
Depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023 en Israël, au cours desquelles quarante-deux de nos compatriotes ont perdu la vie, assassinés parce qu’ils étaient juifs, nous avons eu à affronter un regain massif d’actes antisémites.
Bien plus qu’une convulsion, nous sommes menacés par un « réenracinement ». Car l’histoire de l’antisémitisme est d’abord celle d’une obsession qui traverse le temps, les régimes et les frontières. L’antisémitisme épouse les angoisses propres à chaque époque, les fractures spécifiques à chaque société, et c’est ainsi qu’il se perpétue. Il mue, mute et se renouvelle.
Aujourd’hui, on nous dit qu’il serait possible de haïr Israël sans haïr les juifs. Mais que voit-on en réalité ? On constate une obsession maladive contre l’existence même d’un État, à mille lieues de la critique légitime de la politique d’un gouvernement. Y a-t-il un autre pays dans le monde, un seul, qui fasse l’objet d’une pareille obsession ? Non, il s’agit seulement et toujours d’Israël.
L’antisionisme et la haine décomplexée d’Israël sont devenus les masques modernes de la haine anti-juive. S’ils s’expriment aujourd’hui encore, alors même que nous assistons à l’écœurante propagande du Hamas sur le rapatriement des corps des deux plus jeunes otages au monde, avec la dépouille de leur mère. Jamais nous ne pardonnerons à ceux qui ont justifié, qui ont excusé, qui ont osé parler de résistance ou qui ont préféré arracher les affiches sur lesquelles se trouvaient ces visages innocents.
Dans ce contexte, nos universités n’ont pas été épargnées par cette vague de haine. Nous faisons face à une difficulté majeure : il n’existe pas encore de système efficace de remontée des signalements, rendant impossible un recensement précis et fiable des actes antisémites.
Je sais que vous avez fait, messieurs les rapporteurs, de l’identification des actes antisémites une priorité : vous avez raison. Nous le savons, les chiffres existants ne sont qu’une fraction de la réalité de ce que vivent les étudiants.
Au-delà des chiffres, au-delà des actes, il y a aussi un antisémitisme plus insidieux, impossible à quantifier, alimenté par l’extrême gauche et l’islam radical, un antisémitisme d’atmosphère.
Celui qui pousse des étudiants juifs à cacher leur identité et leur culture, à retirer leur étoile de David, à éviter certains sujets de conversation de peur d’être immédiatement suspectés.
Celui qui crée un climat où l’on comprend, sans qu’on ait besoin de le dire, qu’il vaut mieux se taire, qu’il vaut mieux disparaître.
Face à l’antisémitisme, il n’y a pas de « oui, mais ». Il n’y a ni compromis acceptable ni ambiguïté possible. Antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme : face à toutes les formes de haine anti-juive, il n’y a pas d’indifférence possible. La réponse de la République est un refus en bloc, total et absolu.
C’est tout le sens de l’engagement du Président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble du Gouvernement. C’est tout le sens des Assises de lutte contre l’antisémitisme que nous avons relancées. C’est tout le sens du mandat que j’ai confié aux deux groupes de travail.
Le premier, composé de magistrats, d’avocats et d’universitaires, se penchera sur la question de la définition de l’antisémitisme dans ses formes contemporaines et sera chargé de proposer des évolutions de notre arsenal juridique et législatif pour garantir une sanction plus efficace : à chaque acte, l’État doit répondre ; à chaque insulte, à chaque attaque, l’État doit sanctionner.
Le second, consacré à l’éducation et composé d’enseignants, de recteurs et présidents d’universités et de la direction générale de l’enseignement scolaire, aura pour mission d’identifier les leviers pédagogiques et les actions de responsabilisation indispensables pour éduquer nos enfants, adolescents et jeunes adultes, sensibiliser leurs parents et enseignants, à l’école comme dans l’enseignement supérieur.
Ils auront deux mois pour formuler des propositions opérationnelles. La présente proposition de loi pourrait nous offrir le support adéquat pour les y insérer au cours de la navette. C’est pourquoi le Gouvernement y est évidemment très favorable.
Je connais l’engagement sincère et de longue date contre toutes les formes de haine anti-juive des deux corapporteurs, qui ont aussi été à l’origine d’un rapport remarquable sur la diffusion de l’antisémitisme à l’université depuis les attaques du 7 octobre 2023. Je les en remercie.
Cette proposition de loi et les amendements adoptés en commission visent à apporter des réponses claires et concrètes en matière de formation et de sensibilisation, de prévention et de signalement, de procédure disciplinaire et de sanction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à un moment de vérité pour nos universités, mais surtout pour notre démocratie. Nous ne pouvons pas fermer les yeux, laisser prospérer la haine et trahir nos principes fondamentaux. Au contraire, nous devons dire avec force que la République ne cédera pas. Cette proposition de loi marque une nouvelle étape dans notre combat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)