M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, il sévit depuis plus de deux mille ans.

Pour le combattre, il faut tenter d’expliquer cette pérennité funeste qui lie dans le temps des événements comme la destruction du temple juif d’Éléphantine en Égypte en 410 avant notre ère, l’anathème lancé par l’apologiste chrétien Justin de Naplouse au IIe siècle contre le « peuple déicide », l’antisémitisme racial d’Édouard Drumont et de Maurice Barrès, et le crime absolu de la Shoah.

Dans son ouvrage, David Nirenberg montre qu’il est un « pilier de la pensée occidentale », parce qu’il a donné de tout temps « un cadre théorique puissant permettant de donner un sens au monde ».

Combattre l’antisémitisme exige de considérer avec lucidité et honnêteté l’histoire de notre pays et de ses supposées racines judéo-chrétiennes. Louis IX, canonisé sous le nom de Saint Louis de France, et dont la statue orne notre hémicycle, organisa en 1240 une controverse publique au sujet du Talmud. Deux ans plus tard, le Talmud fut déclaré « livre infâme » et un autodafé de vingt-quatre charrois de Talmuds fut organisé place de Grève. En 1269, le même roi imposa à tous les hommes juifs de son royaume de porter une rouelle jaune sur leurs vêtements.

Napoléon Bonaparte, dont le buste décore notre hémicycle, prit trois décrets pour soumettre le culte juif à sa loi. Il précisait ainsi son intention : « je souhaite arracher plusieurs départements à l’opprobre de se trouver vassaux des Juifs », ma volonté est « d’atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple juif à un si grand nombre de pratiques contraire à la civilisation et au bon ordre de la société dans tous les pays du monde ».

L’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, parce que, comme le démontre François Rachline, « le racisme est un rejet de l’autre, l’antisémitisme le refus d’une éthique ». Ses résurgences sont les symptômes d’une crise profonde qui ébranle nos conceptions humanistes et universalistes et affaiblit le projet républicain.

L’idéal d’une République formée de citoyennes et de citoyens égaux par leurs droits est déconsidéré par des revendications qui réduisent l’individu à ses origines supposées, revendiquées ou subies.

La lutte contre les discriminations est conduite non plus au nom de l’égalité, mais par l’affirmation victimaire des identités particulières. Ainsi que le souligne François Rachline, « sous prétexte de révolutionner les relations au sein d’un pays, cette posture idéologique aboutit à une sorte de vitrification de la société ».

Comme par le passé, l’université est traversée par ces conflits idéologiques. Ils sont aujourd’hui exacerbés par les drames internationaux, en l’occurrence par le pogrom du 7 octobre et la guerre de Gaza.

L’université aurait dû être le lieu de la confrontation rationnelle et apaisée des opinions ; elle a été le théâtre d’anathèmes violents, d’exclusions politiques et d’ostracismes idéologiques dont les étudiants juifs ont été les premières victimes.

L’augmentation avérée et sans précédent des expressions antisémites sur les campus est accablante, douloureuse et irrémissible. J’ai honte d’avoir appris que neuf étudiants juifs sur dix se sentent menacés par un antisémitisme manifeste ou latent, qui tend à les exclure de l’université.

Certes, cette proposition de loi ne changera pas les mentalités. Au-delà de ses ajouts législatifs utiles, elle vise à réaffirmer notre soutien à tous les étudiants juifs qui se sentent menacés. Chers frères et sœurs en humanité, la République ne vous oublie pas ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis quelques années, notre pays fait face à une montée des paroles et des actes racistes et antisémites. C’est un climat de haine et de rejet qui affecte directement notre vivre ensemble.

Entre octobre 2023 et mars 2024, France Universités a recensé soixante-sept actes antisémites, soit deux fois plus que durant l’année universitaire 2022-2023.

Par ailleurs, les échanges avec les étudiants juifs montrent que la libération de la parole est difficile sur le sujet.

Manifestations d’hostilité matérielles, tags, messages insultants sur des conversations en ligne, exclusions de groupes de sociabilité : le climat d’antisémitisme se présente sous diverses formes, qui s’avèrent particulièrement complexes à quantifier.

Face à ces actes et au sentiment d’impuissance, face à des recours disciplinaires longs et laborieux, de nombreux étudiants juifs renoncent à dénoncer ces comportements ou à étudier dans certaines universités.

L’enseignement supérieur n’est pas extérieur à la société. De fait, les universités ne sont pas épargnées par cette résurgence des violences racistes et antisémites, qui doit nous alerter toutes et tous. L’université, lieu d’apprentissage et d’ouverture, ne saurait devenir un espace de peur et d’exclusion.

Dans le contexte tendu des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, des otages israéliens encore retenus par ce groupe terroriste, des crimes contre l’humanité commis à Gaza, prenons garde à ne pas tomber dans les amalgames.

Les mots ont un sens et, comme le disait Camus, « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. Ne pas les nommer, c’est nier notre humanité. »

Les juifs de France ne doivent pas être assimilés à la guerre et aux crimes du gouvernement israélien. Relativiser les crimes commis envers des juifs et des Israéliens, c’est ne pas reconnaître aux juifs le statut de victimes.

Se battre pour un État palestinien, en reconnaissant le droit à la sécurité et à la souveraineté d’Israël dans le cadre des résolutions adoptées par l’ONU, ce n’est pas être antisémite. Lutter contre ces amalgames, c’est lutter contre la montée de l’antisémitisme et du racisme.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient l’ensemble des dispositions de cette proposition de loi qui visent à renforcer les outils de prévention, de détection et de sanction des actes antisémites et racistes dans l’enseignement supérieur.

Nous nous satisfaisons de la suppression, en commission, de la mesure visant à conférer aux présidentes et présidents d’université un droit d’accès aux messageries privées, lequel doit demeurer une prérogative de l’enquête judiciaire.

Toutefois, nous restons attentifs à ce que le texte combatte bien l’ensemble des formes d’antisémitisme, de racisme et de discrimination, qui doivent être abordées non pas de manière séparée, mais de façon conjointe pour pouvoir les affronter efficacement. Dans un objectif de clarté, de transparence et de cohérence avec le contenu du dispositif, nous souhaitons modifier l’intitulé de la proposition en y ajoutant la référence au racisme, qui est bien présente dans le reste du texte.

Nous pensons également que la présente proposition de loi ne couvre pas suffisamment la problématique de l’accès aux droits des étudiantes et des étudiants. En ce sens, nous défendrons un amendement tendant à prévoir que les établissements assurent aux étudiants, aux enseignants et aux membres du personnel une information sur l’existence des dispositifs de lutte contre l’antisémitisme, consolidés par la présente proposition de loi.

Enfin, je remercie les rapporteurs de leur travail et de leur écoute sur ce texte. Les auditions ont été nombreuses et les débats sereins. Continuons sur cette lancée dans l’hémicycle en n’obstruant pas ce débat par des sous-entendus ou des discours hostiles envers le monde universitaire, ses directions et son personnel, voire directement à l’encontre des étudiants engagés sur les campus. Je ne reviendrai pas ici sur le triste spectacle que notre commission a offert au cours de l’audition des responsables d’universités dans le cadre des travaux de la mission d’information.

Le Sénat doit rappeler son attachement à la liberté académique des universités et à l’article L. 811-1 du code de l’éducation, aux termes duquel les étudiantes et étudiants « disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels ».

Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons jusqu’à seize heures cinq pour terminer l’examen de ce texte.

Si nous voulons tenir nos objectifs et adopter cette proposition de loi, je vous invite dès à présent à faire preuve de concision.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. David Ros. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, il y a une semaine, jour pour jour, le 13 février dernier, j’assistais à Sainte-Geneviève-des-Bois, aux côtés de son maire, Frédéric Petitta, de Mme la préfète, de députés et d’élus locaux de l’Essonne, au triste dix-neuvième anniversaire de la mort d’Ilan Halimi. Voilà dix-neuf ans, le « gang des barbares », comme il se dénommait lui-même, torturait et tuait Ilan, uniquement parce qu’il était juif.

Dix-neuf ans, cela peut paraître loin de nous ; pourtant, dix-neuf ans après ces événements tragiques, on constate, hélas ! que l’antisémitisme ne reste jamais très loin de nous.

Les attentats terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 ont ainsi démontré à quel point l’antisémitisme reste tapi dans l’ombre. Il resurgit mécaniquement, nourri des ressorts de la haine, de la jalousie, de la bêtise humaine et de l’ignorance.

Plus grave encore, il est alimenté par certains, qui occupent pourtant des fonctions publiques de premier plan, uniquement à des fins partisanes et électoralistes. C’est une plaie insupportable et un risque majeur pour notre République. Comme le notait à juste titre Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. »

Au cours de la cérémonie de commémoration de Sainte-Geneviève-des-Bois, les lauréats du jury Halimi, présents aux côtés de la présidente Émilie Frèche, démontrèrent tout l’intérêt et la force du travail collectif mené sur la question de l’antisémitisme au travers du prisme de l’histoire de ce drame mortel ou encore de la Shoah.

Que ces élèves soient en classe de troisième, de terminale en lycée technologique ou encore issus du milieu universitaire, leur travail, leur réflexion, quelle que soit leur histoire, leur statut social, leur religion, leur ont permis collectivement, au cours de leurs échanges, de dépasser leurs préjugés et les vérités imposées, notamment sur les réseaux sociaux.

Une élève de la classe de troisième, lauréate, concluait par la phrase suivante : « Si nos idées, nos religions peuvent nous éloigner les uns des autres, le savoir doit nous réunir ! »

S’il y a un endroit, monsieur le ministre, vous le savez bien, qui incarne la transmission des connaissances, la réflexion et le savoir, c’est bien le monde de l’enseignement supérieur, en particulier les universités. Il a donc été particulièrement choquant de constater l’explosion des actes d’antisémitisme au sein de l’enseignement supérieur ces derniers mois.

Le hasard du calendrier permet aujourd’hui l’examen de cette proposition de loi, une semaine après la tenue des Assises de lutte contre l’antisémitisme, que vous avez relancées, madame la ministre, en présence d’Élisabeth Borne. L’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour arrive donc fort à propos.

Je tiens d’ailleurs, au nom de mon groupe et à titre personnel, à remercier les deux rapporteurs qui ont, dans la foulée de leur mission flash, travaillé sur cette proposition de loi. Ils l’ont fait en auditionnant toutes celles et tous ceux qui avaient été entendus au cours de ladite mission. Ils ont pris le temps nécessaire pour que les débats et les échanges puissent être libres et non faussés, en annonçant au préalable que le texte discuté serait amendable, si nécessaire.

Conformément à leurs engagements, ce texte fut bien amendé, en tenant compte des différentes contributions ou remarques qui ont été formulées. Merci, une fois encore, pour cette démarche exemplaire, menée en toute transparence et sans tabous.

Cette atmosphère constructive et objective a permis notamment de retisser un lien de confiance avec des chefs d’établissement universitaire qui, malgré leur engagement quotidien, avaient le sentiment d’avoir été injustement accusés, a minima de passivité.

Le texte, réduit volontairement à trois articles, s’appuie en toile de fond sur les onze recommandations adoptées à l’unanimité en conclusion de la mission flash. Il vise à mettre à disposition des chefs d’établissement un arsenal législatif comprenant la formation à la lutte contre l’antisémitisme – article 1er –, la prévention, la détection et le signalement des actes antisémites – article 2 – et les procédures disciplinaires – article 3.

Lors des auditions, les chefs d’établissement d’enseignement supérieur ont confirmé l’intérêt d’un tel texte, même s’il ne saurait constituer en soi une solution exclusive.

Cette proposition de loi conforte les actions menées dans de nombreux établissements depuis le début de l’année 2024 et accompagne les actions impulsées par les ministres successifs, de Sylvie Retailleau à vous-même, monsieur le ministre, avec comme seul mot d’ordre : tolérance zéro pour les faits d’antisémitisme, comme vous l’avez rappelé ce matin, sur l’antenne de Radio J.

Je pense notamment à l’application Dialogue, mise en place par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour laquelle l’université Paris-Saclay était pilote en 2024. Nous aimerions, monsieur le ministre, avoir des informations quant à sa pérennité et à son déploiement.

Je formulerai un seul bémol : nous regrettons que les amendements visant à étendre la sensibilisation et la formation à l’ensemble du personnel aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, sous le seul angle des considérations financières.

Là où il y a une volonté, il y a un chemin. On ne peut partager la conviction que la formation est la pierre angulaire de la lutte contre l’antisémitisme et ne pas se donner les moyens de la mettre en œuvre. Nous souhaitions vous alerter, madame la ministre, monsieur le ministre, car nous espérons que ces propositions pourront être reprises par le Gouvernement dans la suite de la navette.

Malgré cette réserve majeure, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que je représente, votera cette proposition de loi et espère que le Sénat s’honorera de l’adopter à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est avec les yeux grands ouverts sur la triste réalité de l’antisémitisme qui gangrène nombre de nos universités, et avec l’esprit de responsabilité qui nous anime tous, que nous entamons ce débat.

Celui-ci est tout d’abord attendu par les étudiants de confession juive. Selon une enquête Ifop de septembre 2023, 91 % d’entre eux ont déjà eu à subir un acte d’antisémitisme dans leur faculté.

Le rapport élaboré par nos collègues illustre bien cette triste vérité en montrant que les actes et propos antisémites recensés par France Universités ont doublé depuis le 7 octobre 2023.

Bousculades répétées dans les couloirs, changements de place dans les amphithéâtres et salles de cours, blagues antisémites, intimidations et même parfois violences physiques : nous ne sommes clairement plus dans le sentiment, l’anecdotique ou le résiduel, mais bien dans une nécessité urgente d’agir.

Le travail préparatoire à ce texte a mis en lumière de nombreux points inquiétants, voire alarmants : les présidents d’université disent qu’il est « difficile de distinguer pour eux entre la critique politique légitime du gouvernement israélien et des déclarations antisémites » ; la mission flash conclut que « nombre d’étudiants n’ont pas intégré les principes de l’enseignement moral et civique du primaire et du secondaire à leur entrée dans le supérieur » ; l’extrême gauche, pour des raisons bassement électoralistes, organise des mobilisations et des blocages et essentialise le débat, ce qui contribue à renforcer l’amalgame entre la politique de l’État d’Israël et nos compatriotes juifs.

Plus ignominieux encore : les affiches réclamant la libération des otages, notamment des femmes et des enfants, ont été éhontément arrachées de la plupart des facultés. J’espère que les auteurs de ces actes ont ressenti un peu de honte et de dégoût pour eux-mêmes en apprenant cette semaine que Kfir Bibas, 9 mois, son frère Ariel, 4 ans, et leur mère sont morts, assassinés par le Hamas.

Face à tout cela, il est de notre responsabilité d’imposer les lois de la République à l’ensemble de notre enseignement supérieur pour protéger nos étudiants et leur permettre d’étudier sereinement.

L’autonomie des universités, ce n’est pas le séparatisme. La liberté d’expression et d’opinion ne rime pas avec le racisme et l’antisémitisme.

La mission de nos universités est de sévir quand cela est nécessaire. Notre mission est de délivrer les outils législatifs pour nous permettre d’atteindre ces objectifs.

C’est ce à quoi cette proposition de loi vise à répondre en déployant un certain nombre de mesures, sur lesquelles je ne reviendrai pas, par souci de concision.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, s’il est bien regrettable d’avoir encore besoin de légiférer sur l’antisémitisme dans notre pays en 2025, force est de reconnaître que c’est absolument nécessaire face aux relents les plus ignobles. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du Rassemblement national voteront ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est important.

Depuis plus d’un an, c’est-à-dire depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, notre pays connaît une nouvelle vague d’actes antisémites, particulièrement visibles dans l’enseignement supérieur.

La proposition de loi de nos collègues Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire découle, comme vous le savez, du travail sénatorial réalisé l’année dernière sous leur égide.

La mission d’information a permis de mettre des mots, à défaut de chiffres, sur la montée de l’antisémitisme dans les universités. Elle nous a conduits à réaffirmer l’urgence de les doter de moyens nouveaux pour leur permettre de lutter plus efficacement contre ce fléau.

Il nous faut prendre collectivement conscience de la gravité de la situation : en 2024, le ministère de l’intérieur comptabilisait 1 570 plaintes pour des actes antisémites, contre 436 en 2022.

Nous le savons, ces chiffres sont très probablement sous-estimés : les actes antisémites sont peu déclarés et les dispositifs de signalement ne sont pas assez performants. J’en veux pour preuve le fait que neuf étudiants juifs sur dix se déclarent victimes d’actes antisémites. Nous devons écouter ce qu’ils nous disent.

Il était nécessaire d’avancer sur cette question. Nos étudiants doivent pouvoir se sentir en sécurité à l’université. Cette proposition de loi vise à donner aux établissements d’enseignement supérieur de nouveaux outils pour les protéger, sans toutefois porter atteinte à l’indépendance des établissements. Ce texte constitue en ce sens une avancée salutaire.

En tant qu’éducatrice, je me félicite de la mise en place, à l’article 1er, d’une formation à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme dans les établissements scolaires et d’enseignement supérieur. À ce titre, la formation des enseignants et des personnels d’éducation apparaît indispensable. Ils ont longtemps été trop peu accompagnés, alors même qu’ils sont en première ligne.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants soutient également le choix fait à l’article 2 de confier aux présidents d’université, sur la proposition du conseil d’administration et du conseil académique, l’installation d’une mission « égalité et diversité », chargée de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre l’antisémitisme et le racisme, les discriminations, les violences et la haine. Voilà qui permettra de clarifier les obligations et de renforcer l’action des établissements en la matière, sans écraser les mesures déjà mises en place. Je pense, en particulier, aux violences sexuelles et sexistes.

La systématisation du signalement des actes antisémites par les présidents des établissements et leurs personnels devrait, en outre, pallier la difficile identification des actes antisémites ainsi que des victimes, qui, trop souvent, n’ont d’autre option que de se taire.

Le dernier article vise à étendre les compétences des instances disciplinaires. La rédaction initiale, qui prévoyait de renforcer les pouvoirs d’investigation des présidents d’université avait, à juste titre, soulevé des interrogations sur sa conformité au principe de protection des données personnelles. Nous nous réjouissons que la commission ait souhaité écarter ce risque avant l’examen du texte en séance.

Pour conclure, je tiens de nouveau à remercier les auteurs de ce texte important. Le groupe RDPI votera bien évidemment cette proposition de loi, afin de protéger davantage nos étudiants, de garantir que l’enseignement supérieur soit bien un lieu d’ouverture, de débats et de lumières et de s’assurer que chaque étudiant puisse apprendre et grandir intellectuellement dans un espace sûr. Ne baissons pas les bras face à l’obscurantisme ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, au XIXe siècle, la France fut érigée en modèle pour les juifs d’Europe centrale et orientale, comme en témoignait l’expression yiddish : « heureux comme un juif en France ».

Il est vrai que la France fut pionnière en Europe en matière d’émancipation des juifs vivant sur son territoire, lesquels avaient, depuis le Moyen-Âge, déjà tant apporté à l’édifice du génie français.

C’est dans cette longue histoire que s’inscrit, depuis le XVIIIe siècle, le lien particulier qui s’est noué entre France, République et judaïsme français, qui se sont nourris et enrichis l’un et l’autre.

Aujourd’hui, cette exception française est malmenée au nom d’un relativisme venu d’outre-Atlantique, qui ne cesse de remettre en cause notre universalisme républicain.

Elle est malmenée au nom de motivations et de ressorts nouveaux, qui ont, sinon supplanté, du moins dépassé un antisémitisme ancien, structurel et plongeant ses racines dans la longue histoire de notre pays.

Sur ce point, ce n’est pas l’audition, en avril dernier, de Guillaume Gellé, président de France Universités, et d’Isabelle de Mecquenem, membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, qui risquait de nous rassurer, tant elle a donné l’impression d’un déni absolu de ces nouvelles natures de l’antisémitisme. Je sais que le dialogue avec France Universités a été renoué depuis, et je m’en réjouis.

Oui, mes chers collègues, il y a une spécificité intrinsèque à l’antisémitisme. Et si rencontrer l’antisémitisme n’est pas nouveau dans notre vieux pays, nous devons mettre des mots sur les actes. Aujourd’hui, il existe un lien entre wokisme, islamisme et antisémitisme, qui ne trouve pas ses racines dans les profondeurs des temps. C’est une nouveauté à laquelle notre République doit faire face.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes ; ils font froid dans le dos : 91 % des étudiants juifs se disent victimes d’actes antisémites, craignent d’aller à l’université, sont constamment sur le qui-vive et vont parfois jusqu’à s’interroger sur leur place dans la Nation.

Il est temps de réagir fermement pour enrayer cet insupportable engrenage auquel concourent malheureusement des forces politiques qui se sont affranchies de toute décence, qui foulent aux pieds chaque jour les principes républicains et qui font régner la terreur sur certains campus. C’est cet engrenage-là qu’il nous faut arrêter !

Voilà ce qui doit nous animer à l’occasion de l’examen de cette utile proposition de loi, dont je tiens à saluer les auteurs. Cher Pierre-Antoine Levi, cher Bernard Fialaire, comme vous, je suis convaincu qu’il est indispensable de détecter systématiquement les actes antisémites. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Comme vous, j’ai été interpellé par l’impuissance des autorités universitaires : c’est insupportable.

Comme vous, j’ai ressenti la paralysie de la discipline universitaire, renvoyant trop souvent vers les instances judiciaires sans aucune sanction disciplinaire interne : c’est inacceptable.

Comme vous, j’ai trop souvent entendu ce discours dominant, qui ne cesse de prôner la culture de l’excuse permanente. S’il est déjà difficile de le supporter sur les sujets quotidiens, cela devient indécent dès lors qu’il est question d’antisémitisme.

Nous avons une Constitution et des lois. Elles sont faites pour être appliquées et non pour être sans cesse remises en cause au nom d’un relativisme ambiant et d’une repentance forcée.

Je rejoins donc la proposition incitant à poursuivre et à sanctionner systématiquement les auteurs d’actes antisémites.

J’approuve le renforcement des relations entre établissements et parquets. Cependant, je souhaite que ces mesures aillent de pair avec l’adaptation de la procédure disciplinaire pour rendre aux établissements le pouvoir de la sanction et leur redonner une autorité effective.

Je salue à ce titre l’amendement du Gouvernement, qui tend à proposer une nouvelle définition des motifs pouvant justifier des poursuites disciplinaires devant les sections compétentes.

Je salue aussi l’amendement de notre collègue Stéphane Piednoir, qui vise à créer une section disciplinaire commune aux établissements d’une région académique. J’y vois la garantie d’un examen serein des dossiers les plus sensibles.

Cette proposition de loi ne peut être que la première pierre d’une action plus globale et forte, pour la mise en œuvre de laquelle nous avons besoin de vous, monsieur le ministre. Sachez que, pour la construire, vous nous trouverez toujours à vos côtés. Nous serons vos premiers soutiens et les premiers fers de lance pour mener à bien la lutte implacable contre l’antisémitisme, qui n’est autre que le pire des cancers pour notre République. Et pour elle, nous le vaincrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, quatre-vingts ans après la libération du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, où près de 1 million de juifs ont été exterminés, nous allons débattre, dans cet hémicycle, d’un texte inscrivant la lutte contre l’antisémitisme parmi les priorités de notre nation.

Comment en sommes-nous arrivés à devoir lutter, en 2025, contre les résurgences d’un passé qui fait honte à l’humanité ?

Je garde en mémoire cette phrase prononcée par Winston Churchill à la BBC, en août 1941, lorsqu’il apprit les premiers crimes perpétrés contre les juifs par les unités mobiles d’extermination allemandes en territoire soviétique : « Nous sommes en présence d’un crime sans nom. »

Cette tragédie s’est malheureusement reproduite le 7 octobre 2023, quand un mouvement islamiste, le Hamas, a perpétré en Israël un pogrom épouvantable, considéré comme la pire agression à l’encontre du peuple juif depuis la Seconde Guerre mondiale. J’ai une pensée émue pour les otages juifs encore retenus à Gaza et pour ceux qui n’en sont pas revenus vivants. C’est avec beaucoup d’émotion que je rends hommage à la famille Bibas.

La décision de l’État hébreu de traquer cette organisation terroriste sur le territoire des Gazaouis, qui ont été, bien malgré eux, transformés en boucliers humains, n’a pas tardé à déchaîner les plus vils instincts chez nous. Des cités communautarisées aux amphithéâtres de nos universités chauffés à blanc par des étudiants fanatisés d’extrême gauche, le diable a resurgi.

Nous avons tous ici en mémoire les images de l’occupation de Sciences Po, au printemps dernier, par des militants se prétendant antisionistes. La présence régulière sur place de députés de La France insoumise (LFI) démontrait bien l’instrumentalisation des événements par ce parti qui en a fait son fonds de commerce.

Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que l’antisionisme de la gauche radicale n’était qu’une façade masquant une réalité qui lui est consubstantielle.

Depuis le massacre perpétré le 7 octobre 2023, notre pays fait face à une véritable explosion de l’antisémitisme, en particulier dans l’enseignement supérieur.

Agressions physiques, harcèlement, messages insultants sur les réseaux sociaux, refus d’accueillir des étudiants juifs dans des groupes de travail ou de les côtoyer dans les amphithéâtres, bousculades dans les couloirs… La réalité est glaçante. Neuf étudiants de confession juive sur dix ont déjà été confrontés à un acte antisémite.

Quand l’idéologie l’emporte sur le débat d’idées et que l’extrême gauche étudiante impose une forme de terreur physique et psychologique dans l’enceinte des universités, sous couvert de combat en faveur de la Palestine – territoire qu’une députée LFI a été incapable de situer sur une carte ! –, il est plus que nécessaire d’agir.

Dans ce contexte délétère, notre commission a décidé de créer une mission d’information chargée d’identifier les moyens d’endiguer la diffusion de l’antisémitisme à l’université. J’ai un souvenir ému des témoignages que nous ont rapportés les représentants de la communauté juive à l’occasion d’une table ronde sur cette haine quotidienne dans nos prétendus hauts lieux de la connaissance.

Nos collègues Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire, rapporteurs de la mission d’information, sont à l’origine de la présente proposition de loi. Je tiens à saluer leur remarquable travail d’analyse et la qualité des mesures législatives qu’ils préconisent. Celles-ci visent à mieux détecter et signaler les actes antisémites, aujourd’hui largement sous-évalués. Elles doivent également avoir pour effet de mobiliser les équipes dirigeantes, de mieux définir les obligations incombant aux établissements et de sécuriser juridiquement les procédures disciplinaires.

À mes yeux, il est très important d’agir dès l’école primaire, qui a la responsabilité particulière de former les jeunes, de déconstruire les préjugés et les stéréotypes et de rappeler la nécessité de respecter les valeurs républicaines.

Les enseignements sur la laïcité et les faits religieux sont des enjeux primordiaux. Or nous savons que, depuis quelques années, ces savoirs ne sont plus transmis dans des conditions sereines.

Les assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard sont malheureusement la preuve qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir en matière de vivre ensemble et de respect de la diversité des opinions et des racines religieuses. Méconnaître l’autre engendre la violence.

L’ambition de cette proposition de loi est de sensibiliser les jeunes à la lutte contre l’antisémitisme tout au long de leur parcours éducatif.

Notre commission a très légitimement étendu cette obligation de formation à tous les publics adultes œuvrant dans la sphère universitaire, notamment les élus étudiants, les référents « racisme et antisémitisme », les personnes assurant le recueil des signalements et les membres des sections disciplinaires des usagers et des enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, la généralisation à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de missions « égalité et diversité », dotées d’un référent dédié, donnera une assise solide aux actions de prévention et de signalement.

L’anonymat des victimes et des témoins sera assuré, ce qui permettra de rendre le dispositif pleinement opérationnel.

Enfin, la procédure disciplinaire sera rénovée afin d’inclure les actes antisémites parmi les motifs susceptibles de déclencher une réponse circonstanciée des instances universitaires.

Face au déferlement de haine dans nos universités, le temps est à l’action. Dès lors, l’ensemble du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra ce texte avec conviction.

Pour autant, nous veillerons à ce que les mesures de cette proposition de loi soient pleinement et efficacement appliquées, car, ne nous méprenons pas, de nombreux dispositifs existent déjà dans la loi française et le principal enjeu reste, encore et toujours, leur mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)