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Gestion des compétences « eau » et « assainissement »
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », présentée par M. Jean-Michel Arnaud et plusieurs de ses collègues (proposition n° 556 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 666 [2023-2024], rapport n° 665 [2023-2024]).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour certains, nous vivons aujourd’hui la fin de la guerre de Cent Ans ; pour d’autres, c’est plutôt le début de la guerre de Troie, mais avec une issue heureuse…
Pour ma part, il me semble que l’inscription à l’ordre du jour de ce texte marque la conclusion d’un long chemin. Nous arrivons au terme d’un combat mené par le Sénat depuis plus de dix ans, largement alimenté par les élus locaux de l’ensemble du territoire national. J’ai moi-même porté ce combat dans mon département, en tant que président de l’Association des maires et présidents de communautés des Hautes-Alpes, mais aussi, depuis 2020, en tant que sénateur.
C’est également la fin d’un long cheminement parlementaire. Plusieurs textes ont été déposés ces dix dernières années en vue d’obtenir la suppression de l’obligation de transfert des compétences. Je pense à la proposition de loi de Jean-Yves Roux, sénateur des Alpes-de-Haute-Provence, à la première proposition de loi que j’ai déposée sur le sujet en 2022, et, enfin, au texte que nous examinons aujourd’hui, lequel a permis de conduire un travail législatif qui, je l’espère, aboutira.
Ce texte est également l’aboutissement d’un long engagement transpartisan. Je salue en particulier le travail de Mathieu Darnaud, de Cécile Cukierman, de Jean-Yves Roux, de Marie-Pierre Monier, de Bernard Delcros, de Stéphane Sautarel, d’Alain Marc et de Franck Menonville.
Avec le rapporteur Alain Marc, nous avons mené un important effort de négociation avec les gouvernements successifs. La proposition de loi qui vous est soumise, mes chers collègues, est le fruit d’un compromis amorcé avec Christophe Béchu sous le gouvernement de Gabriel Attal. Grâce à l’écoute et à la détermination de Michel Barnier, qui, outre sa volonté de réduire le déficit, veut renforcer le dialogue entre l’État et les collectivités locales, nous sommes aujourd’hui sur le point de franchir une nouvelle étape en matière de libertés locales.
Je salue également, au-delà de la proposition faite par le Premier ministre de rouvrir la discussion sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, l’engagement de la ministre Françoise Gatel qui, ces dernières heures encore, a fait preuve d’une écoute attentive à l’égard de chacune et de chacun d’entre nous.
Les mesures de ce texte de compromis qui vous est ainsi proposé, et que le rapporteur Alain Marc vous exposera en détail, se déclinent de la manière suivante.
Elles reprennent la ligne constamment défendue par le Sénat, à savoir la suppression de l’obligation de transfert au 1er janvier 2026 pour les communes encore titulaires des compétences « eau » et « assainissement ». Elles pourront ainsi, si elles le souhaitent, les exercer seules.
Nous avons également tranché un autre débat important. Pour trouver une forme d’équilibre, nous avons décidé de nous opposer à tout retour en arrière dans le cas où les compétences auraient déjà été transférées à la communauté de communes lorsque le texte dont nous discutons aura été promulgué.
J’en viens à un autre point, qui était l’un des acquis de la phase de négociation engagée avec Christophe Béchu. Nous avons maintenu la possibilité pour des communes ayant conservé les deux compétences de les déléguer à un syndicat. Après l’entrée en vigueur de la future loi, si des communes transfèrent volontairement ces compétences à des communautés de communes, celles-ci pourront alors les subdéléguer à une commune ou à un syndicat supracommunal – terme qui me paraît préférable à celui d’infracommunautaire. Pour les communes qui sont aujourd’hui en subdélégation, il n’y aura pas de changement.
Enfin – et je crois que c’était là encore un point important dans le dispositif –, il n’est pas question, au travers de ce texte, de revenir en arrière sur l’esprit de coopération intercommunale, de mutualisation, en ce qui concerne des compétences stratégiques comme l’eau et l’assainissement. Il s’agit plutôt de laisser les compromis émerger et les coopérations s’organiser en fonction de la réalité du terrain.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Michel Arnaud. Un cours d’eau ne se limite pas à un périmètre administratif : il est soumis à des facteurs d’une autre nature, qui relèvent de l’hydrographie et de l’organisation de son bassin versant.
Pour reprendre les mots de la ministre Françoise Gatel, « l’égalité n’est pas l’uniformité ». On ne gère pas les ressources en eau de la même manière en Île-de-France, en Ille-et-Vilaine, dans les Landes ou dans les Hautes-Alpes, dans un territoire de plaine ou de montagne. L’intercommunalisation forcée de ces compétences a clairement montré ses limites dans un grand nombre de territoires. Nous devons faire preuve d’une souplesse accrue pour améliorer l’efficacité de la gestion de l’eau et de l’assainissement.
En outre, il nous paraît d’autant plus important de mettre en place une gouvernance différenciée de l’eau qu’à l’avenir le réchauffement climatique pourrait conduire à la raréfaction de la ressource. Nous devons nous assurer de la pérennisation de l’exercice de cette compétence.
Au-delà du texte que nous examinons, je veux répondre à un argument que j’ai souvent entendu. Les points noirs cartographiés dans le plan Eau du Gouvernement révèlent des situations d’urgence dans des territoires dans lesquels la ressource semble mal gérée. Mais je le dis avec force : l’expérience du terrain montre que ces situations sont liées non pas au mode de gouvernance, mais à la situation hydrographique du territoire.
Des solutions opérationnelles peuvent être déployées au travers d’une gouvernance communale, tandis que la mutualisation peut être source, dans d’autres situations, d’une gestion bien plus efficace et efficiente. Nous devons donc laisser la main aux collectivités pour qu’elles s’organisent comme elles le souhaitent. L’objectif est de parvenir à une gestion de qualité, sécurisée, qui optimise la ressource.
Pour cela, les différents acteurs doivent engager une phase de réflexion commune. Celle-ci peut se dérouler de manière apaisée, sans anathème, en accordant toute confiance aux élus locaux – ce qui signifie aussi leur reconnaître des responsabilités, qui sont le pendant de la liberté.
Cette responsabilisation doit être partagée. Au travers de ce texte, nous proposons ainsi de donner une mission quelque peu originale aux commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), afin que se noue un débat entre élus pour discuter des situations locales.
Il existe des cas dans lesquels une commune, pour des raisons historiques – un sous-investissement durant des décennies –, apparaît comme le mouton noir d’un territoire : il faut la conduire vers la coopération et la mutualisation. Ce type de commune ne peut en effet rester isolée. Elle doit être accompagnée et encouragée à travailler avec ses voisins, en fonction des moyens et de la disponibilité de la ressource.
Ce débat doit se dérouler dans le cadre de la CDCI. Oui, il est aussi possible de créer de nouveaux syndicats intercommunaux à vocation unique (Sivu). Là aussi, les périmètres doivent être discutés d’abord par les élus, avec les élus, et non pas contre eux – pourquoi pas sous impulsion préfectorale, à condition que celle-ci ne tienne pas lieu d’oukase. Il s’agit de tendre vers un débat apaisé et constructif.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Michel Arnaud. C’est la proposition qui est formulée dans ce texte, au travers d’un amendement que le rapporteur présentera de manière plus détaillée.
Enfin, la question des moyens peut être dissociée de celles de la gestion et de l’organisation des compétences.
Oui, nous avons devant nous un mur d’investissements.
Oui, dans certaines communes, le taux de fuite apparaît insupportable alors que la ressource se raréfie.
Oui, nous devons envoyer un signal aux agences de l’eau. Nous devons discuter d’ingénierie territoriale avec elles, et avec les agences départementales, quand elles existent. Il faut aussi mobiliser les supports techniques des intercommunalités, voire en créer. Tout cela doit se faire dans un esprit de coconstruction.
Enfin, nous proposons de rendre possible l’intervention des départements au sein de syndicats mixtes. Avec le conseil départemental, acteur historique de la coopération intercommunale, il sera envisageable de parvenir à des solutions territoriales, en particulier en zone rurale, en encourageant la dynamique partenariale.
En conclusion, la proposition de loi que nous vous soumettons marque d’abord une avancée pour les libertés locales. Elle est également un signe d’apaisement envers les territoires qui ont mal compris qu’on leur impose, dès 2017, certaines dispositions de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), sans évaluation préalable, sans effort de projection ni discussion sur les conséquences d’un transfert dur.
Cette proposition parlementaire vise ainsi à l’apaisement. Nous souhaitons garantir durablement aux communes l’exercice de leurs compétences, dans un rapport de coopération ou de mutualisation avec l’intercommunalité qui soit voulu et non subi. C’est ainsi qu’un dialogue fructueux et constructif pourra se renouer entre les communes et le Gouvernement.
D’autres rendez-vous suivront cette proposition de loi : je pense, notamment, au sujet du « zéro artificialisation nette » (ZAN) et à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
En mettant aujourd’hui le pied à l’étrier, par ce travail de collaboration et de restauration de la confiance, nous contribuons à traiter de nombreuses difficultés à venir pour nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Daniel Chasseing applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà bientôt dix ans que notre assemblée s’oppose au transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes imposé par la loi NOTRe de 2015 et qu’elle cherche à en atténuer les conséquences.
L’examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Michel Arnaud nous offre l’occasion historique de clore ce chapitre et de rendre enfin leur liberté aux communes dans la gestion de l’eau et de l’assainissement, conformément à la position constamment défendue par le Sénat.
L’évolution du contexte politique, dont attestent les récentes déclarations du Premier ministre dans cet hémicycle, nous permet d’envisager la reconstruction d’une relation de confiance que l’intercommunalisation forcée des compétences « eau » et « assainissement » avait fragilisée.
En tant que conseiller municipal d’une petite commune de 215 habitants et conseiller d’une communauté de communes de 5 200 habitants, dont j’ai également été le président, je mesure combien, dans nos territoires ruraux et de montagne, ce sujet suscite inquiétude et incompréhension.
En effet, les attentes des élus locaux sur le terrain nous obligent : l’échéance du 1er janvier 2026, date à compter de laquelle doit intervenir le transfert obligatoire des compétences, approche à grands pas. Plus que jamais, nous avons le devoir d’apporter une réponse sans équivoque à leurs inquiétudes légitimes.
C’est dans cette perspective que s’est placée la commission des lois pour conduire ses travaux sur ce texte, travaux qui ont débuté il y a plus de quatre mois.
Vous l’aurez compris, je partage pleinement l’objectif exprimé par le texte de Jean-Michel Arnaud : il nous faut redonner de la souplesse aux communes, qui sont les mieux placées pour juger de l’échelle la plus pertinente pour l’exercice des compétences « eau » et « assainissement ».
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler quelques éléments de contexte de ce dossier.
En matière d’eau et d’assainissement, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes par le biais de simples amendements déposés à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi NOTRe en 2015. L’objectif était de rendre obligatoire le transfert de ces compétences aux communautés de communes et d’agglomération, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les communautés urbaines et les métropoles.
Consciente des difficultés que cette obligation de transfert allait causer aux communes rurales et de montagne, notre assemblée s’y était alors opposée, et elle avait obtenu, en commission mixte paritaire, un report au 1er janvier 2020. Il s’agissait du premier aménagement obtenu par le Sénat, et il a été suivi d’une longue série.
En 2018, la loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, dite loi Ferrand, a permis le report de l’échéance au 1er janvier 2026, sous réserve que les communes parviennent à réunir une minorité de blocage.
En 2019, la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et Proximité, a créé un mécanisme très encadré de subdélégation, permettant aux communautés de communes de déléguer les compétences « eau » et « assainissement » à une commune membre ou à un syndicat infracommunautaire, à condition que ce syndicat soit existant au 1er janvier 2019.
En 2022, la loi 3DS, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, a apporté un assouplissement supplémentaire en permettant le maintien par principe des syndicats infracommunautaires existant lors de la prise de compétence de l’intercommunalité au 1er janvier 2026.
Or les assouplissements successifs consentis pour atténuer les effets d’un transfert obligatoire imposé aux communes, en méconnaissance des réalités du terrain, ont conduit à une situation d’une grande complexité. Les associations d’élus m’ont notamment fait part de l’incompréhension et de la confusion suscitées par les conventions de délégation.
Le risque d’une augmentation de la facture pour les usagers, l’affaiblissement du lien entre le maire et ses administrés, la nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux existants ou encore l’absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et les bassins hydrographiques, évoquée par l’auteur de la proposition de loi, sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».
La coexistence de communautés de communes ne souhaitant pas exercer ces compétences et de communes désireuses de préserver une gestion au plus proche des réalités de leur territoire démontre, s’il le fallait encore, le non-sens que constitue ce transfert obligatoire dont l’échéance est désormais très proche.
Si le cadre législatif n’évolue pas, le transfert des compétences aura lieu le 1er janvier 2026, avec d’importantes conséquences pour les 3 600 communes qui exercent seules les compétences et les syndicats de communes, qui seront obligés de recourir à une subdélégation défaillante.
La proposition de loi que nous examinons repose sur deux principaux axes.
L’article 1er vise à créer une dérogation au bénéfice des communes membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération située en zone de montagne. Pour ces intercommunalités, les compétences « eau » et « assainissement » redeviendraient facultatives et les communes ayant déjà transféré les compétences pourraient en obtenir la restitution.
Pour les communes membres d’une communauté de communes dont le territoire n’est pas situé en zone de montagne, le transfert des compétences « eau » et « assainissement » demeurerait obligatoire, mais serait assorti de nouveaux assouplissements, prévus aux articles 2 et 3.
En substance, le texte rendrait possible la création de nouveaux syndicats et remplacerait l’obligation de transfert à l’intercommunalité par une obligation de mutualisation des compétences dans des structures syndicales.
Par ailleurs, l’article 4 vise à étendre les possibilités d’intervention des départements en matière de gestion et d’approvisionnement en eau potable, afin de faciliter une gestion à une échelle dépassant les frontières de l’intercommunalité.
Comme je vous l’indiquais en préambule, nous avons mené un intense travail collectif afin de trouver la voie la plus satisfaisante pour nos communes, compte tenu de l’imminence de l’échéance de 2026 et des intentions nouvellement exprimées par le Gouvernement.
Je tiens particulièrement à remercier mes collègues Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, Cécile Cukierman, Jean-Yves Roux, Franck Menonville et Paul Toussaint Parigi pour leur précieuse contribution aux discussions qui ont conduit à la solution d’équilibre que je m’apprête à vous présenter.
Ainsi, mes chers collègues, je vous proposerai d’adopter un amendement de réécriture globale de l’article 1er qui repose sur deux piliers.
D’une part, les communes qui n’ont pas encore transféré les compétences « eau » et « assainissement » à leur communauté de communes ne seront plus obligées de procéder à ce transfert au 1er janvier 2026. Elles retrouveront leur entière liberté.
D’autre part, le dispositif ne permettra pas aux communes qui ont déjà transféré les compétences de revenir en arrière. Les transferts déjà effectués ne seront pas remis en cause.
Parallèlement, je vous proposerai un autre amendement visant à organiser un dialogue territorial régulier sur l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » au sein de la CDCI. Redonner leur liberté aux communes n’empêche pas de les accompagner, et de rechercher les meilleures solutions de mutualisation au regard des enjeux de qualité et de quantité d’eau.
En somme, mes chers collègues, les orientations que vous propose la commission des lois reposent sur trois principes : la liberté, la stabilité et la responsabilité.
La liberté, car le cœur de notre engagement a toujours consisté à faire confiance à l’intelligence locale. Les maires sont les mieux placés pour déterminer l’échelle de mutualisation la plus pertinente.
La stabilité, car nous souhaitons clore ce chapitre et prévenir l’émergence des nouveaux contentieux qui risqueraient de naître si nous permettions la remise en cause des transferts déjà effectués.
La responsabilité, enfin, car nous sommes résolus à faire aboutir ce texte de bon sens et d’équilibre. J’en appelle donc à la volonté du Gouvernement, à qui il appartiendra de le faire prospérer en l’inscrivant rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, lors d’une semaine gouvernementale. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà peut-être aujourd’hui la fin d’un feuilleton qui a débuté en 2015 et qui connut de nombreux épisodes, au Sénat et dans nos territoires. Cette longue histoire trouve son origine dans la loi NOTRe, qui a parfois corseté et uniformisé notre pays sans tenir compte de la diversité de ses territoires et de la nature des sujets.
L’injonction très vertueuse de la préservation de la ressource en eau a, pour partie, oublié que celle-ci ne s’enferme pas dans un périmètre administratif, mais qu’elle coule au fil des bassins versants.
Alors que la loi doit protéger la nature comme les hommes, elle a tenté d’uniformiser la première, voulant à tout prix faire d’un jardin à l’anglaise un jardin à la française.
Tirons des leçons de cette erreur, et mettons fin aux lois qui contraignent, obligent et interdisent. Préférons les lois qui assouplissent et facilitent, en ayant comme boussole la confiance en nos élus locaux et en leur sens des responsabilités.
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. C’est dans cet esprit que le Premier ministre a affirmé devant vous, ici, sa volonté de travailler en partenariat avec les parlementaires et les élus locaux, en mettant l’écoute et le dialogue au cœur de celui-ci. Ce texte est la preuve que nous joignons les actes aux paroles.
Cela fait dix ans, mesdames, messieurs les sénateurs, que les compétences « eau » et « assainissement » ne cessent de faire l’objet de débats nourris, de propositions alternatives et d’échanges entre le Parlement et les gouvernements successifs.
Si la tension grandissante sur la ressource en eau nous appelle collectivement à une exigence accrue de sécurisation des approvisionnements, au bénéfice de nos agriculteurs, de nos entreprises et de nos concitoyens, elle invite également à un effort inédit d’investissement dans nos infrastructures, afin d’assurer une qualité et une plus grande efficience du service public de l’eau. Face aux enjeux qualitatifs autant que quantitatifs de la ressource en eau, il nous faut conjuguer au mieux liberté et responsabilité de choix pour les communes, et facilitation des mutualisations, car celles-ci restent souhaitables.
L’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion d’avancer sur ce sujet. Il est un signal clair de la volonté du Gouvernement qui, dès le 9 octobre dernier, a enclenché la procédure accélérée sur ce texte.
Je veux remercier le Sénat et son président, Gérard Larcher, ainsi que le président Darnaud, la présidente Cukierman, Jean-Michel Arnaud, Jean-Yves Roux et Alain Marc pour leur engagement sans faille. Ils nous ont permis de converger pas à pas vers une position d’équilibre. Je salue également l’excellent travail du rapporteur, avec lequel nous avons pu cheminer dans un esprit de dialogue et d’écoute mutuelle.
Rappelons brièvement l’état du droit en la matière. L’eau et l’assainissement sont une compétence obligatoire pour les métropoles et les communautés urbaines. Le transfert de leur exercice des communes vers les communautés d’agglomération est obligatoire depuis le 1er janvier 2020. Concernant les communautés de communes, ce transfert devenait obligatoire à compter du 1er janvier 2026.
Attentif aux retours d’expérience, aux difficultés rencontrées et aux propositions formulées, le Gouvernement entend répondre en conciliant pérennisation des transferts d’ores et déjà effectifs et reconnaissance d’une nécessaire liberté locale et d’une responsabilité.
Compte tenu de l’important travail préparatoire effectué en vue du transfert des compétences et des considérables moyens techniques et financiers mobilisés, il serait déraisonnable de remettre en cause les transferts déjà réalisés.
Concernant les communautés de communes où le transfert a déjà été effectué, elles pourront, grâce aux amendements portés par le rapporteur, déléguer leurs compétences « eau » et « assainissement » à des syndicats, quelle que soit la date de leur création. Cela paraît constituer une solution de bon sens.
Aussi, le Gouvernement soutient la réécriture de l’article 1er telle qu’elle a été proposée par le rapporteur Alain Marc, qui reprend ces principes et rend facultatif l’exercice de la compétence de gestion de l’eau et de l’assainissement pour les communautés de communes qui n’ont pas encore reçu cette compétence.
Concrètement, une commune n’ayant pas transféré cette compétence à sa communauté de communes à la date de la promulgation de cette loi disposera de trois possibilités : conserver la compétence à l’échelon municipale ; déléguer ou transférer à un syndicat intercommunal ou supracommunal auquel elle aura librement choisi de participer ; transférer la compétence à la communauté de communes. Ainsi, deux communes d’un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pourront donc choisir une option différente.
En matière d’eau et d’assainissement, comme ailleurs, nous ne sommes pas favorables au mariage forcé : nous prônons plutôt l’union choisie.
M. Michel Masset. Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Toutefois – je l’ai évoqué, tout comme le rapporteur et l’auteur de la proposition de loi –, je sais qu’est partagée sur vos travées cette conviction : les enjeux de préservation, de sécurisation et de qualité de la ressource sont primordiaux, et la liberté donnée s’accompagne d’une responsabilité majeure vis-à-vis des usagers.
Le Gouvernement soutiendra donc l’amendement du rapporteur relatif au dialogue territorial, qui vise à instituer une réunion annuelle de la CDCI spécifiquement dédiée à l’eau. Cet espace de discussion, qui ne constitue en aucun cas une instance normative à l’égard des communes, permettra de favoriser les échanges autour de ces enjeux.
La CDCI pourra formuler, si cela lui paraît pertinent, des propositions tendant à renforcer la mutualisation de la compétence « eau » et « assainissement » à l’échelle départementale. Cette solution permettra de répondre aux objectifs visés au travers de ses amendements par le sénateur Pierre Jean Rochette, que je remercie pour sa contribution au débat.
Je suis intimement persuadée que l’échange de bonnes pratiques est toujours vertueux et que le partage d’expérience dans un cadre de discussion départemental, notamment sur ces enjeux, est bienvenu.
Enfin, la proposition de loi nous invite à nous pencher, à l’article 4, sur la question du mandat de maîtrise d’ouvrage confié au département pour des projets de production, de transport ou de stockage d’eau destinée à la consommation.
Le Gouvernement est favorable à ce dispositif, qui illustre la pertinence du rôle du département en appui aux communes, dans un objectif de mutualisation et d’efficacité. Il soutiendra donc cette proposition, dans la rédaction amendée par le sénateur Franck Menonville, que je remercie également, afin d’assurer sa mise en cohérence avec le projet de loi d’orientation agricole.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois vous avoir exposé avec franchise et conviction le choix du Gouvernement d’une position responsable, souple, respectueuse des spécificités de nos territoires et à la hauteur des enjeux de ce sujet si essentiel. Elle est le fruit d’échanges constructifs entre un gouvernement à l’écoute des élus et un Sénat exigeant mais sage. Je souhaite que cette discussion se déroule dans le même esprit et que nous puissions aboutir ensemble.
Selon un dicton que l’on entend dans certains territoires, « face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non par la force mais par la persévérance ». Je crois que, sur ce sujet de l’eau, vous avez su être un ruisseau au service de l’océan des possibles, en fonction des nécessités.
Comme l’a dit un grand acteur qui nous a quittés récemment, puissions-nous conclure ce soir ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)