M. le président. Avant de suspendre la séance, je donnerai la parole à Mme la rapporteure et au Gouvernement. La discussion générale se poursuivra à quatorze heures trente.

Il n’y a pas d’objection ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Karine Daniel, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà dix ans que l’objectif de mixité sociale et scolaire est inscrit dans la loi. Or cette ambition louable manque d’outils opérationnels pour se concrétiser dans nos écoles.

La publication, depuis trois ans, de l’indice de position sociale constitue l’une des seules actions de portée nationale en la matière. Elle a permis d’objectiver une situation que nous sommes beaucoup à constater dans nos territoires : la persistance de nombreuses inégalités dans la composition sociale des établissements scolaires et leur accentuation entre établissements publics et établissements privés, mais aussi entre établissements publics.

Quand les collectivités locales s’emparent de ce sujet, les expérimentations menées en faveur de la mixité sociale montrent pourtant des résultats encourageants. C’est le cas dans les collèges de Loire-Atlantique ou de Haute-Garonne, ou dans les écoles de Vendôme, dont nous avons reçu les élus au cours de nos auditions.

Les recherches menées dans ce champ montrent que les élèves les plus défavorisés progressent lorsqu’ils sont scolarisés dans un établissement socialement plus favorisé. En outre, une plus grande mixité scolaire a des effets notables, au-delà de l’acquisition des connaissances, sur le vivre ensemble pour tous les élèves. Enfin, le renforcement de la mixité sociale n’a pas d’effet négatif sur les résultats scolaires des meilleurs élèves, à l’échelle des établissements concernés.

Cette proposition de loi pourrait contribuer, comme vous l’appelez de vos vœux, madame la ministre (Mme Anne Genetet, ministre de léducation nationale, prend place au banc du Gouvernement.), – quel à-propos, madame la ministre ! – (Sourires.) aux conditions de réussite des élèves et, je vous cite, à « relancer l’ascenseur scolaire et tirer tous les élèves vers le haut ».

Madame la ministre, l’un de vos prédécesseurs, Pap Ndiaye, avait souhaité faire du renforcement de la mixité sociale l’un des axes de sa politique. En 2023, il annonçait ainsi un objectif de réduction de la « ségrégation scolaire » – je reprends ici son expression – des établissements scolaires publics de 20 % d’ici à 2027.

Quelques semaines plus tard, le ministère signait un protocole sur les mixités avec l’enseignement catholique. Le secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec) vient d’ailleurs de mettre en place son propre outil de mesure de la mixité, dont les premiers résultats seront connus en janvier 2025. Il a également réaffirmé l’objectif de doublement des élèves boursiers, mais à condition que les aides sociales soient renforcées, notamment de la part des collectivités territoriales, pour la cantine.

Madame la ministre, cette proposition de loi est l’occasion de nous présenter vos mesures pour renforcer la mixité sociale et scolaire.

Lors de mes auditions, en mai dernier, il m’a été indiqué que le ministère travaillait à l’identification de binômes d’établissements proches géographiquement, mais disposant d’IPS différents. Des directives devaient être données aux recteurs pour renforcer la mixité sociale au sein de ces binômes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Par ailleurs, pouvez-vous faire le point sur la mise en place du protocole signé avec l’enseignement privé ?

La proposition de loi de notre collègue Colombe Brossel, inscrite à l’ordre du jour par le groupe socialiste, vise à prendre des mesures plus coercitives pour renforcer la mixité sociale et scolaire, au nom de la cohésion nationale.

Le texte prévoit notamment l’obligation pour les collectivités territoriales de prendre en compte un impératif de mixité sociale lors de l’implantation de nouvelles classes ou établissements scolaires.

L’État devient également le garant d’une répartition des élèves entre les établissements scolaires qui respecte les équilibres socio-économiques nationaux.

Par ailleurs, la proposition de loi généralise des outils favorisant la mixité qui ont fait leur preuve à l’échelle locale. Elle rend ainsi obligatoire le recours à la sectorisation multicollèges pour des établissements situés à proximité. Elle étend à l’ensemble du territoire le modèle d’affectation des élèves dans les lycées, mis en place dans l’académie de Paris. Il s’agit d’élargir le nombre de lycées auxquels un élève peut postuler et de prendre en compte des critères sociaux dans l’affectation des élèves.

La proposition de loi fait aussi davantage contribuer l’enseignement privé sous contrat à la mixité sociale. Les lycées privés sous contrat sont ainsi inclus dans les nouvelles modalités d’affectation des lycées.

Le texte prévoit en outre le conditionnement des subventions publiques des établissements privés sous contrat à l’existence d’une mixité sociale comparable à celle des classes publiques du territoire. Afin d’équilibrer les effets de vases communicants entre établissements privés et publics, le texte empêche toute ouverture de classe dans un établissement privé sous contrat dans un délai de trois ans après la fermeture d’une classe d’un établissement public.

Enfin, pour plus de transparence, il impose une publicité des dons et legs effectués au profit de ces établissements.

Le dernier axe concerne l’indice de position sociale. Il s’agit d’un outil important pour mesurer les inégalités scolaires et ainsi permettre aux collectivités territoriales de prendre des mesures correctrices.

Toutefois, les données sont transmises trop tardivement et de manière assez aléatoire, raison pour laquelle le texte prévoit une transmission annuelle de l’IPS aux collectivités territoriales compétentes ainsi qu’aux chefs d’établissement.

Lors de son examen en juin dernier, notre commission a émis un certain nombre de réserves sur ce texte. Toutefois, dans la tradition sénatoriale qui régit l’examen des propositions de loi des groupes d’opposition, elle a souhaité que l’intégralité de ses dispositions puissent être débattues en séance.

Pour ma part, je pense qu’un consensus peut se dégager sur la transmission des IPS. Cet outil doit favoriser le dialogue entre l’éducation nationale et les collectivités territoriales, lequel, selon les élus locaux eux-mêmes, mériterait d’être fluidifié. Les collectivités pourront s’en emparer pour conduire leurs politiques publiques à moyen et long termes.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé d’isoler l’article 1er de cette proposition de loi, afin de renforcer les objectifs légaux de mixité sociale.

Mes chers collègues, depuis Jules Ferry, l’école a deux rôles majeurs : la transmission des savoirs fondamentaux et la construction de la Nation. C’est au nom de la réussite de tous les élèves et du vivre ensemble que la mixité sociale et scolaire doit être renforcée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre de léducation nationale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes excuses pour mon retard.

J’entends parfaitement les critiques formulées à mon endroit par le président Kanner. (M. Patrick Kanner marque son approbation.) J’étais en effet au lycée de Tourcoing, où la communauté éducative attendait mon appui. J’y ai souligné le soutien de la Nation à nos professeurs et rappelé le respect dû à leur autorité.

Cela n’enlève rien à mon profond respect pour la représentation nationale.

M. Patrick Kanner. Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre. En 2013 d’abord, puis en 2021, la loi a fixé l’objectif d’améliorer la mixité sociale à l’école. Comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, cet objectif louable s’applique aussi bien à l’école publique qu’à l’école privée.

En France, dans l’Hexagone comme dans nos outre-mer, nos territoires sont façonnés par des situations sociales contrastées. Mais ni ce constat ni la seule volonté de bien faire ne peuvent justifier le vote d’une loi qui nous semble inadaptée.

D’abord, parce que de nombreux leviers de progrès sont déjà entre nos mains.

Ensuite, parce que le Gouvernement ne souhaite pas raviver la guerre scolaire.

Enfin, parce que le Gouvernement n’a pas la volonté d’opposer nos territoires les uns aux autres, pas plus que celle de se substituer aux collectivités territoriales, ce que certains éléments du texte pourraient laisser entendre.

Vous en conviendrez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la gestion de la carte scolaire ne se heurte pas aux mêmes problèmes à Paris intra-muros que dans le Lot-et-Garonne, le Rhône, l’Essonne ou l’île de La Réunion.

Mais vous en conviendrez également, il est sain d’avoir un débat permettant de faire le point sur notre politique de mixité à l’école en ce que mixité scolaire et mixité sociale participent de l’égalité des chances.

Nous devons commencer par reconnaître que le manque de mixité de certains établissements scolaires n’est pas la faute de l’école. La composition de classes socialement homogènes procède d’abord d’une politique d’aménagement du territoire, d’un développement économique et d’une histoire, dont nous héritons. À cela, il faut ajouter une démographie scolaire qui n’est pas toujours favorable au maintien d’une forme de mixité dans certains départements.

Mais il n’y a jamais de fatalité. La mixité est à ce titre un sujet majeur. Qu’il n’y ait aucun doute à cet égard : j’en fais moi-même une condition essentielle de la réussite de chaque élève.

La mixité est au cœur de la promesse d’émancipation et d’égalité des chances de l’école de la République. Et pour que cette promesse soit tenue, il faut nous attaquer au poids de l’origine sociale des élèves dans leur réussite.

Toutefois, cette proposition de loi aborde ce thème majeur sous un angle technique, en recourant à la contrainte, à l’obligation.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne serai pas la ministre du tri social. Je ne serai pas la ministre qui minera notre pacte républicain. Je ne serai pas non plus la ministre qui fera peser sur nos collectivités et nos établissements scolaires des situations de fait, dont ils ne sont pas responsables.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’objectif de mixité sociale est et doit rester une ambition de portée nationale. Nous pouvons – et devons – nous améliorer, avancer, aller encore plus loin.

Aujourd’hui, l’État et les collectivités territoriales disposent déjà d’outils qu’il nous appartient de mobiliser dans un cadre législatif constant.

Dans le second degré, je veux d’abord mentionner l’existence de secteurs de recrutement multicollèges et multilycées, là où cela est possible.

Concrètement, nous élargissons, dans certaines académies, le périmètre de la carte scolaire des établissements pour endiguer les tentations de contournement et susciter une plus grande diversité parmi les élèves.

Ce levier majeur prend en compte les réalités territoriales, la qualité des réseaux de transport, les réalités de vie des parents ou encore la présence des activités périscolaires, notamment en cité éducative.

Parmi les exemples réussis, je peux évoquer celui de Toulouse, en Haute-Garonne, qui mêle à la fois une politique de rénovation urbaine, de relocalisation de collèges et de modification des règles d’affectation.

Ce travail engagé dans l’agglomération toulousaine est bien la preuve que le cadre national actuel permet d’agir concrètement sur le terrain.

Je tiens ensuite à souligner que nous mettons tout en œuvre pour accroître le nombre d’élèves boursiers dans les établissements favorisés.

Plus de 300 établissements ayant un indice de position sociale élevé ont déjà accueilli de manière significative de nouveaux élèves bénéficiaires de bourses sociales.

Cette politique est complexe à mettre en œuvre, car elle doit tenir compte de la vie quotidienne des élèves. Nous devons nous assurer que ceux-ci pourront se rendre dans l’établissement avec des transports fiables et sûrs – la sécurité sur le chemin de l’école est un facteur important.

Il faut aussi être lucide : les phénomènes d’autocensure existent. Certains parents hésitent à envoyer leurs enfants dans une école où ils estiment qu’ils n’y ont pas leur place. Je ne me résoudrai jamais à ce qu’un enfant se dise « ce n’est pas pour moi » ou « je n’y arriverai pas ». Le combat pour la mixité est d’abord un combat contre les inégalités de destin.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous continuerons d’encourager les familles à oser, à se projeter. En cela, l’information est capitale pour leur faire connaître cette possibilité de formuler des vœux dans des établissements plus favorisés.

Dans le même temps, nous rendons plus attractifs les établissements défavorisés sur le plan social. Je pense notamment à l’implantation de formations attractives, à l’instar des cinquante-quatre sections internationales qui ont été ouvertes dans les collèges de l’éducation prioritaire et qui rencontrent un véritable succès.

Car la mixité ne doit pas être pensée à sens unique. Les classes bilangues, les sections européennes, l’enseignement en langues et cultures de l’Antiquité sont autant d’opportunités que nous faisons en sorte de disséminer sur tout le territoire, pour transformer durablement les établissements jugés difficiles.

J’en viens maintenant à l’implication de l’enseignement privé sous contrat dans cette mobilisation.

La publication récente de l’indice de position sociale de chaque établissement a mis en lumière un écart déjà bien connu entre les établissements publics et ceux du privé, mais aussi au sein des établissements publics.

Je rappelle que tous les réseaux d’enseignement privé sous contrat avec l’État sont soumis aux mêmes objectifs de mixité sociale.

Le principal réseau privé, l’enseignement catholique, développe une politique active en lien avec le ministère. Mon propos ne serait pas complet si je ne mentionnais pas le protocole signé en 2023 avec le secrétaire général de l’enseignement catholique.

Ce protocole établit un plan d’action partagé pour renforcer la donnée publique sur les conditions d’accès aux établissements privés, en augmentant le nombre d’établissements offrant la possibilité d’une contribution modulée des familles ou encore le renforcement de l’accueil des élèves à besoins particuliers.

Ce protocole fait l’objet d’un suivi régulier des services de mon ministère, dans un esprit constructif et parfaitement respectueux du libre choix des établissements par les familles. La liberté est au fondement du pacte conclu entre l’État et l’enseignement privé, auquel nous demeurons profondément attachés.

Enfin, je tiens à souligner que la lutte contre les inégalités de destin n’est pas seulement une affaire de sectorisation ou de classes homogènes. C’est aussi une question de maîtrise des savoirs fondamentaux, déterminants absolus de la réussite des élèves.

Le choc des savoirs, que mes prédécesseurs ont engagé et que j’entends poursuivre, vise à lutter contre le poids de la sociologie dans la réussite scolaire. Un accompagnement en petits groupes, pour que chaque élève progresse à son rythme, est pour moi la véritable condition de la réussite pour un avenir meilleur.

L’année scolaire en cours nous permettra un premier retour sur la mise en place des groupes de besoins. L’élévation du niveau des élèves, dont j’ai fait l’une de mes priorités, particulièrement en français et en mathématiques, est la principale réponse à la question que pose au fond votre proposition de loi.

Je suis résolument convaincue que les solutions sont nombreuses et passent autant par des dispositifs administratifs, sociaux et territoriaux que par des pédagogies innovantes et les initiatives de certains enseignants, auxquelles je serai particulièrement attentive.

L’air du temps n’est pas aux réponses toutes faites, planificatrices et centralisatrices. Je l’ai dit, il existe des modèles favorisant la mixité sociale et scolaire qui fonctionnent. Je m’en tiendrai davantage aux solutions qu’aux obligations.

C’est pourquoi, attentive aux objectifs fondamentaux de ce texte, mais en désaccord avec la méthode prônée, je donnerai, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur l’adoption de cette proposition de loi.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues socialistes d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux.

Que visent ses auteurs ? Simplement à répondre aux attentes de nombreux élus locaux, lesquels souhaitent bénéficier d’outils clairs pour atteindre l’objectif de mixité sociale prévu dans la loi. Celui-ci concerne non seulement le secteur privé, mais aussi le secteur public, où de grands écarts peuvent exister d’un établissement à l’autre.

Lors des auditions que nous avons conduites, beaucoup d’élus ont fait part de leurs difficultés pour appliquer le code de l’éducation, qui leur demande de veiller à la mixité sociale des publics scolarisés.

Ces difficultés sont liées au manque d’outils pour mesurer les inégalités sociales à l’école ; mais elles sont aussi dues à l’attitude de certains établissements privés et au chantage à la fermeture que plusieurs d’entre eux exercent pour obtenir des subventions complémentaires.

Le rapport des députés Paul Vannier et Christophe Weissberg a souligné l’opacité du financement des établissements privés. Pis, dans ce rapport, plusieurs élus évoquent l’existence « d’une “pression” des établissements privés ou de leurs réseaux sur les collectivités territoriales […] pour accroître le montant du forfait d’externat en modifiant les modalités de calcul. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) évoquait, à ce titre, des “discussions de marchands de tapis” ».

Les chantages exercés contre des élus sont inacceptables. L’indice de position sociale que Mme Colombe Brossel propose ici de mettre à disposition des maires leur permettrait de s’en protéger, mais aussi d’obtenir un rééquilibrage des moyens à l’échelon tant académique qu’infra-académique.

Pour cette raison, j’avais proposé par un amendement d’interdire la fermeture de classes dans les établissements publics présentant un indice de position sociale inférieur à la moyenne nationale, mais cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Une fois de plus, je regrette l’opposition systématique de la droite sur ce sujet.

Certes, dans certains territoires dont l’État s’est désengagé, le secteur de l’enseignement privé comble les lacunes et offre aux parents des solutions de proximité essentielles.

Toutefois, l’affaire Stanislas a montré qu’à nombre d’élèves égal et à difficultés sociales moindres, les établissements privés peuvent bénéficier de moyens publics supérieurs à ceux qui sont alloués aux établissements publics.

Je le sais, certains parmi vous pensent qu’il faut sortir des caricatures et que l’enseignement privé prend déjà toute sa part pour répondre à l’impératif de mixité. Pourtant, le rapport de juin 2023 de la Cour des comptes établit sans appel que « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années ». Les rapporteurs de la Cour des comptes invitent l’enseignement privé sous contrat à « être davantage mobilisé au service […] de la mixité sociale ». Je le rappelle, les trois-quarts des ressources financières de ces établissements proviennent de l’État et des collectivités territoriales.

Comme aurait pu le dire Jean-Pierre Raffarin, « la route est droite, mais la pente est forte »… (Sourires.)

Mes chers collègues, il s’agit ici non pas de rejouer la guerre scolaire,…

M. Max Brisson. Un peu quand même ! (Sourires.)

Mme Monique de Marco. … mais d’adapter le code de l’éducation pour généraliser les bonnes pratiques en matière de mixité sociale qui ont été imaginées dans des collectivités comme Marseille, Reims ou Versailles – car oui, quelles que soient leurs couleurs politiques, des collectivités s’emparent d’ores et déjà du sujet.

Les amendements que j’ai déposés vont dans le même sens. Je m’indigne que le désinvestissement de l’État dans l’école publique pousse de plus en plus de parents à inscrire leurs enfants à l’école privée ; et je m’indigne que les collectivités soient laissées seules face à cette situation.

La liberté de l’enseignement n’est pas remise en cause par ce texte. Elle est d’ailleurs protégée par la décision du Conseil constitutionnel de 1977. Ce que nous demandons, c’est qu’elle s’exerce en toute équité et que les écoles privées ne soient pas avantagées au détriment des écoles publiques. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Mes chers collègues, il y a urgence à remettre l’école publique au milieu du village. La mixité sociale est le terreau du vivre ensemble. Elle prépare à la vie citoyenne, elle forme à la tolérance. Son affaiblissement nous concerne tous. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Adel Ziane. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel plus beau sujet pour nous rassembler que celui de l’école, le lieu où nous avons appris à lire, à écrire et à compter, mais aussi celui où l’on nous a enseigné les bases de la citoyenneté, les valeurs et les principes de la République ?

Dans les salles de classe et les cours de récréation, la Nation prend forme. Les élèves ne sont pas réduits au statut de simples agents, producteurs et consommateurs ; ils sont au contraire invités à bien se construire comme citoyennes et citoyens, comme Français, comme acteurs de la vie de la cité, ayant des droits et des devoirs.

Pourtant, mes chers collègues, nous le savons, l’école peine aujourd’hui à remplir ses missions historiques. L’école de la République est en péril.

Nous partageons toutes et tous le même constat : au fil des années, des choix politiques ont participé à l’affaiblissement de notre système éducatif. Chaque rapport du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) relève, année après année, que l’école française échoue à réduire l’influence des inégalités sociales sur les résultats de ses élèves.

Madame la ministre, si nous partageons ce constat, c’est que l’enjeu transcende les lignes partisanes et appelle à une action collective forte et résolue. Cependant, nous doutons parfois que les moyens employés, à l’image du choc des savoirs, apportent des fruits positifs à l’école de la République.

Mes chers collègues, nous ne pouvons ignorer la réalité : certaines écoles, publiques ou privées, tendent à concentrer les élèves de milieux favorisés, ceux qui bénéficient d’un encadrement familial plus fort et qui ont hérité d’un capital culturel plus important, qui peuvent ainsi réussir plus aisément à niveau d’effort égal, tandis que d’autres écoles, publiques ou privées également, suivent le chemin inverse et concentrent les difficultés.

La publication des indices de position sociale met en lumière de manière indiscutable et précise la réalité des inégalités socioscolaires sur l’ensemble du territoire national.

Les IPS sont des outils qui constituent une base de travail solide. Ils méritent de se voir octroyer une base légale, comme le vise la proposition de loi.

Entendez-le bien : les auteurs de cette proposition de loi veulent promouvoir le partage de l’excellence, pour que chaque enfant, quel que soit son milieu, puisse s’épanouir et développer son plein potentiel.

C’est cette société juste et équitable que nous devons défendre, car elle permet de mesurer notre capacité d’offrir à tous les enfants de la République, sans distinction, les moyens de sa réussite, conformément à la promesse républicaine que nous devons tenir.

Lors de l’examen du texte en commission, j’ai salué la qualité des débats et le fait qu’ils soient guidés par un esprit de concorde républicaine, notamment de la part de M. Max Brisson. Cela montre combien les préoccupations que je viens d’évoquer nous sont communes. Je ne parlerai pas de guerre scolaire : il ne s’agit pas d’opposer école publique et école privée, ou de blâmer les choix des parents quant à la scolarisation de leurs enfants.

Madame la ministre, vous l’avez rappelé, les élus locaux, comme souvent, n’ont pas attendu pour expérimenter des solutions innovantes. En témoigne, par exemple, la politique volontariste en matière de mixité sociale appliquée depuis 2017 en Haute-Garonne, sur l’initiative du conseil départemental. La fermeture de plusieurs établissements très défavorisés et la réaffectation des élèves dans des collèges favorisés ont permis de réduire les écarts en nivelant non pas vers le bas, mais bien vers le haut. Les résultats des bons élèves n’ont pas baissé, alors que le taux de réussite au brevet des élèves issus des réseaux d’éducation prioritaire a sensiblement augmenté. De plus, les choix d’orientation de ces derniers s’avèrent plus ambitieux.

Je me permets d’exprimer une forme d’inquiétude en vue de l’examen du projet de loi de finances à venir, à la suite des annonces d’une réduction draconienne des dotations des collectivités territoriales. Devant la réussite de ce type d’initiatives portées par nos collectivités, il est urgent de préserver leurs financements pour les prochaines années.

La présente proposition de loi s’inspire de ces bonnes pratiques. Elle vise à inscrire dans le code de l’éducation des outils permettant de garantir la mixité sociale et scolaire dans les établissements.

Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous ne faisons pas qu’un choix politique, nous réaffirmons toutes et tous notre engagement envers les valeurs et les principes fondamentaux de la République.

Si nous aspirons collectivement à former des citoyens éclairés, capables de contribuer pleinement à la vie démocratique de notre pays, nous avons l’obligation de garantir à chaque élève l’existence d’un cadre éducatif équitable et propice à son épanouissement. C’est ensemble que nous devons remettre sur pied l’école.

Dans un esprit transpartisan et de concorde républicaine, je vous appelle, mes chers collègues, à rejoindre cette cause. Je salue Colombe Brossel et la remercie de son travail, les auditions ayant largement contribué à enrichir notre réflexion collective.

Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi, à l’instar, bien évidemment, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)