Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école de la République se doit d’offrir à nos enfants, quels que soient les établissements dans lesquels ils sont scolarisés, les mêmes conditions d’apprentissage et de réussite ; or il est de plus en plus difficile à la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité de s’incarner au sein de l’éducation nationale, fragilisée et fracturée à l’image de la France d’aujourd’hui.
Les indices de position sociale attestent la persistance de très importants écarts dans la composition des écoles, collèges et lycées.
L’école devrait logiquement refléter la diversité de la population française et réunir des jeunes d’origines sociales, géographiques et culturelles différentes. En leur permettant d’apprendre et de grandir ensemble, elle a vocation à être le creuset de la cohésion nationale.
C’est pourquoi la mixité sociale est essentielle dans le domaine scolaire, tant elle permet de lutter contre les inégalités dès l’enfance. C’est tout l’enjeu du texte que nous examinons.
La proposition de loi de Mme Colombe Brossel pose les bons diagnostics.
Notre collègue dresse le constat de la persistance de la ségrégation scolaire, malgré l’inscription de l’objectif de mixité dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Elle met également en lumière l’écart d’attractivité entre les établissements publics et ceux de l’enseignement privé sous contrat, qui accueillent une plus grande proportion d’élèves issus de milieux favorisés.
Les outils dont disposent l’éducation nationale et les collectivités territoriales pour corriger ces tendances de fond ne manquent pas, puisque les collectivités territoriales peuvent, comme vous le savez, agir sur la sectorisation des élèves et la localisation des nouveaux établissements scolaires.
La proposition de loi tend à actionner de nouveaux leviers en agissant par la contrainte. Elle vise, par exemple, à rendre obligatoire le partage d’un secteur de recrutement entre plusieurs collèges coexistant dans un périmètre rapproché.
Elle étend par ailleurs la procédure Affelnet aux lycées privés sous contrat et conditionne leur financement public au respect d’une obligation de mixité sociale.
Si nous sommes d’accord sur les constats, nous sommes en revanche en désaccord sur les solutions envisagées.
Opposer établissements privés et établissements publics nous paraît d’autant moins pertinent que le secteur privé sous contrat participe déjà de manière importante à l’accueil des élèves boursiers.
Ne faisons pas de l’enseignement privé, aux spécificités propres, un clone de l’enseignement public, au risque de gommer toute différence de nature entre eux. En outre, cela pourrait à terme légitimer le discours selon lequel plus rien ne justifie que cohabitent au sein de l’éducation nationale des établissements qui se ressemblent en tout point.
Appliquons déjà les méthodes d’excellence propres à certains établissements publics et aux établissements privés sous contrat à l’ensemble de la sphère éducative.
L’excellence passe notamment par la liberté de recrutement des enseignants, dont disposent les directeurs d’établissements privés, laquelle pourrait judicieusement s’appliquer dans le secteur public.
Vous ne tarderez pas à constater les effets notables de cette politique vertueuse en termes de progression des résultats, d’estime de soi, de cohésion scolaire et de respect mutuel auprès des enfants et adolescents.
J’aimerais profiter de l’examen de cette proposition de loi pour rappeler l’existence d’un autre défi en matière d’égalité des chances, celui de la réussite des jeunes issus de la ruralité.
En mars 2023, notre groupe soulignait, lors d’un débat, que la mixité sociale à l’école revêt une importance toute particulière en milieu rural. Mon collègue Pierre-Jean Verzelen indiquait qu’en milieu urbain, rural, dans les villes moyennes ou dans les métropoles, à chaque territoire correspond une boîte à outils en matière de politique de mixité sociale et scolaire.
L’école républicaine doit en effet honorer ses promesses dans tous les territoires.
Pour ces différentes raisons, la présente proposition de loi ne nous semble pas répondre de manière adaptée aux enjeux auxquels fait face l’éducation nationale ni aux fractures multiples qui divisent notre société.
L’objectif de mixité sociale et scolaire doit être notre boussole durant les années à venir, au même titre que l’excellence et la laïcité. La méritocratie doit redevenir l’unique moteur pour tous les élèves de France.
Je salue particulièrement les parcours d’excellence, qui font la fierté des élèves qui l’obtiennent et de leurs familles. Madame la ministre, il faudrait en ouvrir bien davantage dans les établissements de l’enseignement public.
Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, que j’ai le plaisir de représenter aujourd’hui, se prononcera contre cette proposition de loi, en appelant à poursuivre la réflexion sur cet enjeu majeur dans les prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne partage qu’un seul des constats de Colombe Brossel dans cette proposition de loi : oui, notre escalier social est en panne ; oui, il est indispensable de le reconstruire au plus vite.
Pour le reste, nous retrouvons dans ce texte tous les marqueurs d’une gauche toujours plus encline à l’uniformisation et à l’étatisation. (Mme Laurence Rossignol s’exclame.)
Pour quels résultats, mes chers collègues, sinon une crise inédite touchant tous les pans de l’éducation, dans laquelle s’enlise inexorablement notre système éducatif ? Cette proposition de loi s’inscrit bien dans cette ligne politique qui ne jure que par l’intervention de l’État.
Bien sûr, nous pourrions d’abord nous interroger sur la faisabilité des mesures prévues par ce texte : Pauline Martin s’en chargera.
Nous pourrions aussi contester la volonté d’inscrire dans la loi des indicateurs qui demeurent des outils imparfaits. Comment justifier de les placer ainsi sur un piédestal, alors qu’ont été éjectés tous les éléments de réussite scolaire – notes, appréciations, livrets, examens, bref, tous les outils de la méritocratie ?
Si nous devons rejeter ce texte, c’est en raison de ce qu’il est : une proposition de loi idéologique et planificatrice. (Marques de protestation sur les travées des groupes SER et GEST.) Ainsi, l’indice de position sociale, outil pourtant qualifié de « rustique » par la rapporteure, aurait désormais une base légale et servirait de véritable boussole du pilotage de la répartition des élèves dans les établissements.
En d’autres mots, les élèves ne seront plus perçus selon leur mérite, mais selon la seule détermination sociale. Voilà comment achever définitivement toute forme de méritocratie. (Mêmes mouvements.)
Par ailleurs, alors que la Cour des comptes, rapport après rapport, invite à développer l’autonomie des établissements, vous proposez au contraire une méthode verticale, contraignante en fixant de rigides barrières, qui seront de toute façon contournées en ce qu’elles tournent le dos aux réalités de la vie quotidienne.
Si la mixité sociale et scolaire est en panne, c’est d’abord parce que, depuis de nombreuses décennies, l’école est victime de politiques de ségrégation. S’il y avait dans le passé davantage de mixité à l’école, c’est avant tout parce qu’il y avait davantage de mixité dans nos villes. De même, si la mixité existe toujours dans les écoles rurales, c’est parce que la mixité sociale existe toujours dans nos villages.
J’ai l’intime conviction que ce n’est pas la répartition autoritaire des élèves qui permettra de renouer avec la réussite des parcours.
Je crois davantage à une école qui pratique la différenciation dans les territoires aux besoins éducatifs particuliers, qui envoie ses meilleurs professeurs là où ils sont indispensables, qui repense son rapport aux territoires en partenariat avec les collectivités, qui revoit sa carte de l’éducation prioritaire et dessine une nouvelle politique de la grande ruralité.
Une autre lubie chère à la gauche innerve également ce texte : celle qui vise, au nom de la mixité scolaire et sociale, à remettre méthodiquement en cause les fondements de la liberté de l’enseignement.
Purgeons en premier lieu une caricature : beaucoup d’établissements privés sous contrat participent à l’effort de mixité sociale et scolaire.
Toutefois, il est vrai que l’enseignement privé sous contrat doit accueillir tous les élèves. Comment expliquer alors qu’il ait inexorablement gagné des élèves des milieux les plus favorisés au cours de ces dernières années ? Ne serait-ce pas parce qu’il n’a pas renoncé, lui, à la méritocratie républicaine ? Il ne cesse de démontrer, dans sa grande diversité, qu’insuffler de la souplesse et de la liberté dans l’organisation pédagogique est source de performance.
Pour ne pas perdre la face, vous préférez pointer du doigt un réseau qui fonctionne mieux plutôt que d’essayer de remédier aux difficultés de l’école publique !
Pour finir, je dois avouer que je suis toujours surpris d’observer ceux qui ont fait, voire défait notre système éducatif ces trente dernières années refuser obstinément toute introspection ou toute remise en question et nous proposer toujours les mêmes recettes, qui ont pourtant échoué. Chers collègues, votre obstination est tout à fait extraordinaire. (Marques d’agacement sur les travées des groupes SER et GEST.)
Voilà en définitive plus de vingt ans que la rue de Grenelle suit le cahier des charges défendu dans ce texte, sans qu’aucune des réformes préconisées ait jamais porté ses fruits !
Je le réaffirme : aucune planification, aucune uniformisation, aucune idéologie centralisatrice ne permettront de reconstruire l’escalier social. Seul le pourra un grand vent de liberté et d’autonomie, que j’appelle de mes vœux.
Pour cette raison, le groupe Les Républicains votera résolument contre cette proposition de loi, qui, loin de présenter des solutions pour la mixité sociale, n’a d’autre objet que de conforter un dogmatisme qui mine depuis trop longtemps l’école de la République.
Mme Laurence Rossignol. Quelle intervention ! Cinq minutes de souffrance !
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans leur ouvrage Les Héritiers, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron estimaient que « la cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons ».
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Solanges Nadille. Si, depuis, les politiques publiques ont heureusement pris en considération cette problématique, la France reste malgré tout l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves.
De fait, il est souvent démontré qu’un manque de mixité scolaire nuit à la réussite de tous les élèves et à la promesse d’égalité des chances de l’école républicaine.
De fortes disparités existent dans notre pays au sein de l’enseignement public, qui accueille 80 % des élèves.
Ainsi, l’indice de position social moyen des collèges du réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+) est de 74, contre 106 pour les collèges publics hors éducation prioritaire.
Dans ce contexte, sous l’égide des gouvernements successifs depuis 2017, l’ensemble des acteurs ont été mobilisés afin de réduire la ségrégation sociale des établissements scolaires publics de 20 % d’ici à 2027.
La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale a identifié des binômes d’établissements proches géographiquement, qui disposent d’IPS différents. Des réflexions ont commencé à être menées afin de renforcer la mixité sociale au sein de ces mêmes binômes.
L’éducation nationale peut aussi améliorer l’attractivité des établissements défavorisés en ouvrant, par exemple, des sections internationales. Cinquante-quatre de ces sections ont ainsi été créées dans les collèges du réseau d’éducation prioritaire ces deux dernières années.
De plus, afin d’accompagner et d’inciter les familles les plus modestes à inscrire leurs enfants dans les internats d’excellence, la prime d’internat a été revalorisée.
Les efforts entrepris sont donc réels. Ils portent déjà leurs fruits, comme en témoigne la note du conseil scientifique de l’éducation nationale d’avril 2023.
Il est établi que le renforcement de la mixité sociale n’a pas entraîné d’évolution significative, positive ou négative, des résultats scolaires à l’échelle des établissements concernés.
En revanche, ceux des élèves les plus défavorisés qui sont scolarisés dans un établissement socialement plus favorisé ont vu leurs résultats scolaires progresser.
De plus, contrairement à ce que certains pouvaient craindre, l’amélioration de la mixité scolaire et sociale n’a pas entraîné une mobilité massive vers l’enseignement privé sous contrat.
Les auteurs de la proposition de loi souhaitent aller plus loin, à l’aide de plusieurs mesures coercitives. Notre groupe considère que leur adoption casserait le contrat tacite qui existe à la fois avec les établissements privés, mais également avec les parents d’élèves, qui disposent de la liberté de choisir le type d’école dans lequel ils souhaitent scolariser leurs enfants.
Au lieu de contraindre les parents en ravivant la guerre scolaire au nom de la mixité sociale, nous préférons faire preuve de pédagogie et accompagner l’ensemble des acteurs vers une plus grande mixité sociale dans nos écoles.
Mes chers collègues, vos propositions pourraient peut-être, à très court terme, avoir un effet quantitatif sur les indices, mais il n’est pas certain que les bénéfices qualitatifs soient du même acabit.
De plus, la proposition de loi vise à conditionner les subventions publiques dont bénéficient les établissements privés sous contrat au respect d’une mixité sociale équivalente à celle des établissements publics d’un niveau comparable situés dans le même territoire. Nous nous opposons à cet égalitarisme élaboré sur la base de critères flous, qui risque in fine de pénaliser les élèves.
Enfin, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent purement et simplement interdire toute ouverture de classe dans le privé si une classe publique d’un niveau équivalent ferme dans la même zone géographique.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi. Les efforts déjà entrepris en matière de mixité scolaire sont très encourageants, continuons dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la principale injustice de notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l’école, dans l’orientation ». Ces mots sont ceux prononcés par Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Français pour l’année 2023. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Dix ans plus tôt, en 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République assignait au service public de l’éducation la mission de veiller à « la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. »
Dix années plus tard, l’objectif est loin d’être atteint. Rappelons les chiffres : l’enseignement privé compte 40 % d’élèves d’origine sociale très aisée, contre 20 % dans le public. À l’inverse, 42 % des élèves du public sont issus de milieux sociaux défavorisés, contre 18 % dans le privé.
En ce qui concerne les collèges, si la ségrégation sociale au sein des établissements tant publics que privés tend à diminuer, les disparités entre les deux secteurs continuent d’augmenter, de plus en plus d’élèves issus de milieux favorisés étant scolarisés dans le privé. Tel est le constat d’une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance sur l’évolution de la mixité sociale des collèges datant de mai 2024.
Des obstacles à la mixité sociale et scolaire dans les établissements demeurent.
En mai 2023, sous l’impulsion du ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, l’éducation nationale a signé avec l’enseignement catholique un protocole d’accord afin de renforcer les mixités sociale et scolaire. Par ce texte, l’enseignement privé sous contrat s’engage, de manière non contraignante, à augmenter la part de ses élèves boursiers.
Si cette démarche est positive pour la mixité sociale, elle n’a pas vocation à favoriser la mixité scolaire.
En effet, elle peut conduire à sélectionner les élèves boursiers ayant les meilleurs résultats et à priver ainsi le public de ses meilleurs élèves, alors que ce dernier doit déjà plus souvent faire face à des handicaps sociaux.
Il faut aussi citer les filières d’excellence, qui peuvent mener à une ségrégation scolaire au sein d’un même établissement : je pense, par exemple, à la section européenne, à la section orientale ou encore à l’apprentissage des langues anciennes.
En ce qui concerne les lycées, l’intégration des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV dans le système d’affectation Affelnet a eu des résultats prometteurs. Elle a permis de diversifier les profils des élèves admis, d’un point de vue tant social que scolaire.
Étendre le champ d’Affelnet en y faisant entrer les lycées privés sous contrat comme le proposent les auteurs de ce texte est une bonne chose.
Autre bonne mesure, l’inscription dans la loi de l’obligation faite à l’État de transmettre l’indice de position sociale des établissements aux autorités compétentes. À quoi bon calculer un IPS pour ne pas le diffuser ? L’IPS permet de repérer les inégalités : utilisons-le comme outil d’harmonisation.
À ce sujet, le groupe RDSE présentera un amendement visant à faire de l’IPS un critère dans le calcul des contributions communales aux dépenses de fonctionnement des classes : plus l’IPS est faible, plus les dépenses seront élevées, et inversement.
La mixité sociale et scolaire n’entraîne pas de baisse des résultats scolaires ; au contraire, elle permet aux élèves issus de milieux défavorisés qui sont scolarisés dans des établissements socialement plus favorisés de progresser.
Au-delà des notes, la mixité est bénéfique à bien des égards : elle favorise le bien-être social, la coopération et la fraternité.
Je remercie notre collègue Colombe Brossel d’avoir déposé cette proposition de loi essentielle, que le groupe RDSE soutiendra. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter, madame la ministre, pour votre nomination.
En faisant le choix du collège unique en 1975, la France a affirmé sa volonté de proposer une école démocratique ouverte à toutes et à tous.
La notion de mixité sociale est très récente : elle apparaît pour la première fois dans la loi en 2013. Un objectif de mixité sociale visant aussi bien les établissements publics que privés a ensuite été inscrit dans le code de l’éducation, en 2021. Des commissions de concertation académiques compétentes en la matière ont également été créées la même année.
En matière de mixité sociale et scolaire, il existe donc un cadre ; nous ne partons pas de rien.
Toutefois, force est de constater la persistance d’inégalités dans la composition sociale des établissements scolaires.
En 2023, l’ancien ministre de l’éducation nationale, M. Pap Ndiaye, a annoncé un objectif de « réduction de la ségrégation sociale » des établissements scolaires publics de l’ordre de 20 % d’ici à 2027.
Des mesures ont été prises en ce sens : directives, ouverture de sections internationales et de classes à horaires aménagés, valorisation de l’internat d’excellence…
À l’échelle locale, les collectivités territoriales disposent de plusieurs outils pour favoriser la mixité sociale. Les résultats des premières expérimentations sont d’ailleurs encourageants.
Pour aller plus loin, l’auteure de cette proposition de loi entend actionner des leviers coercitifs, sur lesquels j’émets des réserves.
Tout d’abord, l’instauration d’un impératif de mixité sociale et scolaire n’est pas en phase avec le besoin de simplification et d’autonomie des collectivités locales. Alors que ces dernières étouffent sous le contingent de normes et de contraintes à respecter, il ne semble pas judicieux d’ajouter des obligations supplémentaires.
Par ailleurs, la généralisation d’outils peut être intéressante, mais veillons à ne pas tomber dans une centralisation contre-productive.
Si je partage la nécessité de communiquer annuellement et assidûment les résultats des IPS, je m’interroge sur la logique territoriale qui sous-tend l’instauration d’un IPS national.
Enfin, il semblerait que l’enseignement privé sous contrat soit devenu le bouc émissaire des maux de l’éducation nationale. Il constitue pourtant un atout. Lui aussi aspire à plus de mixité sociale, mais il doit faire face à bien des obstacles. Je veux parler, par exemple, des coûts de scolarité par élève, dont j’ai pu faire mention dans de précédentes interventions : un élève du privé sous contrat coûte en moyenne à l’État 60 % du coût d’un élève dans le public…
En conditionnant le financement de l’enseignement privé, cette proposition de loi remet en cause les principes de la loi Debré.
Interrogeons-nous plutôt sur le fond du problème. Le chef d’un établissement privé sous contrat vendéen me faisait récemment part de son désarroi : en un an, près d’une dizaine de familles ont dû retirer leurs enfants de son établissement, faute de pouvoir subvenir à l’ensemble des frais afférents à leur scolarité. Il est ici question de besoins vitaux, qui sont pris en charge de manière différenciée dans le public et dans le privé sous contrat.
Prenons le cas de la restauration scolaire : à Luçon, petite ville de 9 000 habitants, la facture TTC envoyée aux familles pour la restauration est deux fois plus élevée dans le privé sous contrat que dans le public, alors même que le coût de revient du repas dans le public est souvent supérieur de 25 %. Concrètement, une famille doit débourser 800 euros pour la restauration dans le privé sous contrat contre 400 euros dans le public.
En d’autres termes, il s’agit non pas tant d’imposer plus de mixité sociale aux établissements privés sous contrat que de se demander comment permettre aux familles de tous horizons de financer la scolarisation de leurs enfants dans le privé.
J’ai pris l’exemple de la restauration scolaire, mais le constat est le même pour la médecine scolaire.
Pour les raisons que je viens d’exposer, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte. Je tiens toutefois à saluer la démarche de l’auteure et le travail de la rapporteure, qui nous permettent de débattre d’une thématique importante.
Les nombreux travaux de la commission illustrent la nécessité d’avancer sur les questions d’éducation. Je pense à la loi du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, dite loi Vial, mais aussi aux conclusions de la mission d’information sur les modalités de formation des enseignants, que j’ai menée avec Max Brisson.
Brique après brique, nous devons consolider les fondations de l’école de demain. Cette construction ne peut se faire que sur le temps long. Pourtant, en une année, l’éducation nationale a accueilli pas moins de quatre ministres. Une telle valse au sommet du premier budget de l’État rend impossible le développement de politiques publiques volontaires et pérennes.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie vivement Mme Colombe Brossel et ses collègues du groupe socialiste de nous permettre de confronter nos conceptions politiques sur le rôle et les obligations de l’enseignement catholique dans notre République laïque du XXIe siècle.
Il serait vain de débattre de son financement sans s’interroger préalablement sur le cadre juridique dans lequel il évolue.
Lors de son audition par notre commission, M. Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, nous a dit que les établissements qu’il représente assurent une mission de service public.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont considéré avec lui que l’enseignement catholique était l’une des composantes du service public de l’éducation nationale.
Pourtant, l’enseignement catholique ne le revendique pas. Son statut, adopté par la Conférence des évêques de France le 18 avril 2013, précise qu’il se place « dans une logique de contribution au service éducatif de la Nation », mais que « le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire ».
Cette volonté de dispenser à tous les élèves et dans toutes les matières un enseignement fondé sur l’Évangile distingue radicalement l’école confessionnelle de l’école publique laïque, dont la mission est de délivrer des connaissances fondées sur la liberté de pensée, la libre recherche, les progrès de la raison et de la science, et donc libérées de tout dogme et de toute croyance, pour reprendre la définition qu’en donnait Condorcet en 1792.
Le code de l’éducation, en son article L. 442-5, conditionne la conclusion d’un contrat d’association avec l’État à « la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ».
M. Jean-François Canteneur, directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris, souligne cette aporie et déclare : « Il va falloir dialoguer sur la notion de laïcité dans l’enseignement catholique. Aujourd’hui, l’État n’a pas la compétence pour juger de la qualité d’un enseignement religieux. »
Cette revendication pose le problème de la nature de ce « caractère propre » que la loi reconnaît aux établissements sous contrat. Se rapporte-t-il à la totalité des enseignements qu’ils dispensent ou seulement à la catéchèse ?
En d’autres termes, le financement de l’État et des collectivités doit-il se limiter aux seules matières du programme national ? La question est financière, mais aussi juridique, car une majorité des parents qui confient leurs enfants à ces écoles ne le font plus pour des raisons religieuses.
Dès lors, comment est-il possible de donner un enseignement catholique à des élèves qui ne le sont pas et avec des professeurs qui ne le sont plus, tout en respectant la liberté de conscience des uns et des autres ?
Les établissements privés reçoivent chaque année de l’État et des collectivités plus de 15 milliards d’euros, soit plus de 80 % de leur budget. Pourtant, ils revendiquent le droit absolu de choisir leurs élèves, leurs professeurs et leur pédagogie, sans aucune contrainte.
Pis, certains de leurs dirigeants assument totalement de recruter en priorité les enfants des familles les plus riches. Ainsi le directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris déclare-t-il : « Plus on dira que l’école privée est une école de l’entre-soi, de gens privilégiés, plus elle attirera. On ne peut se réjouir de cela, mais c’est ainsi. »
Madame la ministre, comment pouvez-vous accepter que l’argent de l’État, dont les établissements publics ont tant besoin, puisse continuer de financer un séparatisme scolaire qui menace le contrat social de notre République ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)