Sommaire

Présidence de M. Loïc Hervé

Secrétaires :

Mme Catherine Di Folco, Mme Véronique Guillotin.

1. Procès-verbal

2. Imposition des sociétés. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale

M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi

M. Laurent Somon, en remplacement de M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée chargée de l’économie sociale et solidaire, de l’intéressement et de la participation

M. Éric Bocquet

M. Daniel Salmon

Mme Florence Blatrix Contat

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Christine Lavarde

Mme Samantha Cazebonne

M. Raphaël Daubet

M. Michel Canévet

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 3 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet par scrutin public n° 1.

Rejet par scrutin public n° 2, de l’article.

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner

Article 2

Amendement n° 2 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.

Amendement n° 4 de M. Rémi Féraud. – Adoption.

Rejet, par scrutin public n° 3, de l’article.

Article 3 – Rejet par scrutin public n° 4.

Article 4 – Rejet.

Article 5

M. Rémi Féraud

M. Daniel Salmon

Rejet, par scrutin public n° 5, de l’article.

Tous ses articles ayant été supprimés, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Suspension et reprise de la séance

3. Mixité sociale dans les établissements d’enseignement publics et privés. – Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner

Discussion générale

Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi

Mme Karine Daniel, rapporteure de la commission de la culture

Mme Anne Genetet, ministre de l’éducation nationale

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

Mme Monique de Marco

M. Adel Ziane

Mme Laure Darcos

M. Max Brisson

Mme Solanges Nadille

M. Bernard Fialaire

Mme Annick Billon

M. Pierre Ouzoulias

Mme Pauline Martin

Clôture de la discussion générale.

Article 1er A (nouveau)

M. Pierre Ouzoulias

Mme Colombe Brossel

M. Bernard Fialaire

Amendement n° 3 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Rejet, par scrutin public n° 5, de l’article.

Article 1er

Amendement n° 4 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Adoption.

Amendement n° 5 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Amendement n° 7 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Amendement n° 8 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Amendement n° 9 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Rejet, par scrutin public n° 6, de l’article.

Article 2

M. Yan Chantrel

Mme Colombe Brossel

M. Pierre Ouzoulias

M. Adel Ziane

Mme Annick Billon

Mme Monique de Marco

Rejet, par scrutin public n° 7, de l’article

Tous ses articles ayant été supprimés, la proposition de loi, dans le texte de la commission, n’est pas adoptée.

Mme Karine Daniel, rapporteure

M. Max Brisson, vice-président de la commission de la culture

Mme Anne Genetet, ministre

4. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

Secrétaires :

Mme Catherine Di Folco,

Mme Véronique Guillotin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
Discussion générale (suite)

Imposition des sociétés

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (proposition n° 862 [2022-2023], résultat des travaux n° 674 [2023-2024], rapport n° 673 [2023-2024]).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
Article 1er

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter a été déposée voilà un an, à l’issue d’un travail commun des commissaires socialistes des finances. Je veux donc commencer par les remercier, ainsi que le président du groupe Patrick Kanner, qui a accepté son inscription à l’ordre du jour du Sénat.

Avant de détailler les propositions que contient notre texte, je souhaite dans un premier temps rappeler le contexte des finances publiques dans lequel nous nous trouvons et qui n’a fait que se détériorer depuis des mois.

Ce contexte renforce notre conviction selon laquelle le dispositif que nous proposons aujourd’hui est nécessaire. En effet, au-delà même de cette proposition de loi, c’est un changement de paradigme en matière de fiscalité qui s’impose aujourd’hui. Notre attractivité économique ne finance désormais plus notre modèle social, comme le montre le creusement du déficit public, malgré les coupes budgétaires réalisées dans les dépenses.

C’est donc tout notre système fiscal qu’il faut changer pour redonner à notre pays les moyens nécessaires au bon fonctionnement de ses services publics, ce que les gouvernements précédents ont toujours refusé de faire.

En effet, quelle a été l’approche économique depuis 2017, que Bruno Le Maire a d’ailleurs assumée et revendiquée ? La baisse du taux de prélèvements obligatoires. Or, si les recettes ont bien baissé – plus de 50 milliards d’euros d’après nos estimations –, il n’en va pas de même pour les dépenses, et le ruissellement annoncé n’est jamais venu. D’où le creusement du déficit et l’accroissement du niveau d’endettement du pays, qui dépassent respectivement 6 % et 110 % du PIB.

Reconnaissons-le, cette politique, même si nous ne la partagions pas, avait sa cohérence. Mais elle n’a pas fonctionné et il est temps d’en changer. Au reste – le Premier ministre l’a d’ailleurs reconnu –, le Gouvernement fait face à un mur de financement, tant pour financer les investissements nécessaires, notamment en matière écologique, que pour assurer le fonctionnement quotidien de l’État, la solidarité et les services publics.

Renverser une approche profondément injuste fondée sur la politique de l’offre, rééquilibrer la fiscalité en faisant en sorte que celle-ci soit plus équitable et finance des actions concourant à l’intérêt général, tel est le cœur du dispositif que nous vous présentons aujourd’hui. Les travaux récents des économistes, notamment ceux d’Anne-Laure Delatte, démontrent que les prélèvements assumés par les ménages représentent les deux tiers des recettes du budget de l’État et du budget social, un tiers étant assumé par les entreprises.

Nous avons un objectif simple : rééquilibrer la fiscalité des entreprises, afin qu’elles participent davantage aux efforts, en passant de la seule logique d’octroi d’avantages fiscaux en faveur de celles qui ont un comportement dit « vertueux » à la mise en place de malus pour celles qui suscitent, par leur activité, des externalités négatives, c’est-à-dire qui sont contraires à l’intérêt général et aux objectifs des politiques publiques et qui ne répondent donc ni à l’urgence écologique ni à l’urgence sociale, voire qui aggravent la situation.

Inversons la logique des niches fiscales, qui coûtent si cher et qui, pour nombre d’entre elles, se justifient de moins en moins.

Prenons un exemple. S’il n’est pas interdit aux entreprises de mener des activités polluantes, avec notre proposition, celles qui en ont devront compenser à juste hauteur les désagréments entraînés, via l’assujettissement à un taux supérieur d’imposition sur les sociétés. C’est ce changement de modèle qui permettra à l’État d’engranger des recettes durables, contrairement aux hausses d’impôts annoncées par Michel Barnier, qui ne servent qu’à combler les trous et qui reposent sur tous les Français, même les plus modestes – je crains que la présentation du PLF pour 2025 en conférence de presse cet après-midi ne le confirme…

En revanche, si les entreprises ne subissent pas de hausse d’impôts, c’est qu’elles auront participé à l’atteinte des objectifs sociaux et écologiques auxquels nous adhérons tous. Il ne s’agit donc pas d’une augmentation unilatérale des taux de l’impôt sur les sociétés : c’est un dispositif incitatif.

J’en viens au contenu de cette proposition de loi, qui est divisée en deux chapitres.

Le premier comporte une réforme d’ensemble de la fiscalité des entreprises, à l’aune de l’ambition que je viens d’évoquer. L’article 1er constitue le cœur de ce dispositif ; je souhaite m’y arrêter quelques instants. Il s’agit de maintenir à 25 % le taux standard d’imposition des sociétés et d’instaurer un nouveau taux de 30 % pour les entreprises qui ne respectent pas certaines conditions relevant de l’intérêt général, social ou écologique.

Ce taux s’appliquerait aux sociétés qui ont des activités polluantes, au sens du code général des impôts – cette disposition s’applique à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés ; aux sociétés qui ne publient pas leur rapport annuel sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, au sens de la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, dite Rixain, qui concerne les entreprises de plus de mille salariés ; aux sociétés de plus de vingt salariés qui n’emploient pas au moins 6 % de personnes en situation de handicap, conformément au code du travail ; aux sociétés qui ne sont pas gérées dans leur intérêt social, en intégrant les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité – cette disposition s’applique à toutes les entreprises ; enfin, aux sociétés où les écarts de salaires sont supérieurs à 1 à 30, cette disposition s’appliquant à l’ensemble des entreprises en vertu de la loi et selon un calcul précis.

Le mécanisme proposé ne remettrait donc en cause ni la liberté d’activité ni la liberté de gestion des entreprises, mais il ferait supporter à ces dernières, via la fiscalité, le coût social et environnemental suscité par le non-respect de ces règles.

L’article 2 reprend les termes de la proposition de loi référendaire que mon groupe et les membres du groupe socialiste de l’Assemblée nationale avaient présentée et qui visait à créer une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises : la taxation des superprofits.

Contrairement à l’initiative d’alors, conçue comme temporaire, nous proposons de rendre permanente cette progressivité de l’impôt sur les sociétés. Concrètement, nous ne sommes pas contre les entreprises qui connaissent des pics de bénéfice ; nous souhaitons simplement que, dans une telle situation, elles contribuent à l’effort fiscal de manière plus juste et équitable.

Après le premier chapitre consacré à l’impôt sur les sociétés, le second est dédié à la rationalisation de certaines niches fiscales concernant les entreprises.

L’article 3 vise à réformer le crédit d’impôt recherche (CIR) pour le recentrer sur les PME, en supprimant le crédit d’impôt de 5 % pour les dépenses supérieures à 100 millions d’euros, en faisant passer de 30 % à 40 % le taux applicable aux PME et en concentrant le CIR sur les dépenses de recherche relatives à l’environnement, pour constituer un « CIR vert ».

L’article 4 porte sur la déduction exceptionnelle applicable aux poids lourds et aux véhicules utilitaires légers utilisant des énergies propres ; il s’agit d’en sortir le gaz naturel, qui est une énergie fossile.

Enfin, l’article 5 conditionne les exonérations d’impôt sur les sociétés dans les zones franches urbaines, en les réservant aux activités économiques durables du point de vue environnemental.

Ces différents dispositifs s’inscrivent dans la vision du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à gauche et, je l’espère, au-delà : celle du nécessaire changement de modèle, dans lequel l’impôt des sociétés, plutôt que d’être unilatéralement augmenté – nous verrons si cela correspond à la vision du Gouvernement –, serait réformé, afin de constituer une réponse à l’urgence écologique et de contribuer à une plus grande justice sociale.

Voilà ce que nous vous proposons aujourd’hui, mes chers collègues, et je crois que nous participons ainsi utilement au débat démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Somon, en remplacement de M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi de Rémi Féraud, dont la commission a été saisie dès le printemps dernier et dont l’adoption aurait, sinon pour objet, du moins pour effet d’alourdir la fiscalité des entreprises dans notre pays.

Lors de son examen, le 3 juin dernier, la commission a rejeté cette proposition de loi, pour des motifs que je vais brièvement vous exposer.

Avant de détailler les mesures concrètes prévues dans la proposition de loi, je souhaite vous présenter en quelques mots la logique d’ensemble de ce texte et les raisons pour lesquelles nous n’adhérons pas à la réforme fiscale proposée, qui risquerait d’affaiblir nos entreprises, dans un contexte déjà marqué par le ralentissement de la croissance.

Premièrement, du point de vue du principe, nous estimons qu’un alourdissement de la fiscalité des entreprises en France serait contre-productif, dès lors qu’il nuirait à la compétitivité des entreprises, donc à leur capacité d’investissement dans la transition.

Je souligne à cet égard que le texte qui nous est proposé a pour caractéristique d’avoir un périmètre d’application extensif, qui conduirait à taxer la quasi-totalité des entreprises, sans tenir compte de leurs capacités à contribuer à l’effort national de redressement des comptes publics.

Je précise à cet égard que nous comprenons naturellement l’objectif des auteurs de cette proposition de loi, à savoir l’accélération de l’engagement des acteurs privés en faveur de la transition écologique.

Toutefois, dans un contexte international dans lequel la France se démarque par le poids de ses prélèvements obligatoires, qui représentent 46 % du PIB, je le rappelle, des hausses générales de fiscalité ne sauraient constituer une réponse satisfaisante : elles risquent d’affaiblir notre économie et de restreindre l’adhésion des entreprises à nos objectifs climatiques.

Deuxièmement, du point de vue de la méthode, nous estimons que, malgré la volonté de l’auteur de la proposition de loi, la hausse de la fiscalité concernerait un très grand nombre d’acteurs économiques.

Par conséquent, sans rejeter le principe d’une adaptation de la fiscalité à nos objectifs fiscaux et sociaux, je relève que l’adoption de ce texte aboutirait à une complexification de notre droit fiscal, à rebours de la volonté de simplification partagée par tous les groupes du Sénat, et à un alourdissement de la fiscalité qui serait préjudiciable aux acteurs économiques de nos territoires.

La proposition de loi est divisée en deux chapitres, qui présentent tous les deux des défauts dirimants justifiant son rejet par la commission des finances.

Le chapitre Ier prévoit l’alourdissement de la fiscalité pour un très grand nombre d’entreprises et présente le risque de créer une surtaxe frappant spécifiquement les entreprises en forte croissance, celles qui créent de l’emploi dans nos territoires.

Le périmètre particulièrement étendu des entreprises concernées est notamment illustré par l’article 1er, qui prévoit une augmentation de l’impôt sur les sociétés, lequel passerait de 25 % à 30 %, en fonction de nombreux critères. Cela conduirait en réalité à faire basculer un très grand nombre d’entreprises sur un taux de 30 %.

En effet, l’article vise les entreprises dont l’activité directe ou indirecte constitue une activité polluante ou y contribue ; celles qui ne respectent pas l’obligation de publication annuelle des écarts de représentation des hommes et des femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ; celles qui ne respectent pas l’obligation d’emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de leur effectif total, dès lors qu’elles emploient plus de 20 salariés ; celles dans lesquelles ont lieu des cas d’actes de gestion contraires à l’intérêt de la société ; enfin, celles dans lesquelles sont constatés des écarts salariaux de plus de trente fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible.

Le périmètre me semble très large et surtout mal défini, notamment au regard de la notion de « contribution indirecte à une activité polluante ».

En outre, l’article repose sur une logique d’écologie punitive, alors que nous plaidons pour une écologie positive, comme l’a rappelé le Premier ministre ; cette logique punitive sanctionne les entreprises sans apporter la moindre solution favorisant la transition écologique du tissu productif.

Je ne m’attarderai pas sur l’article 2. Alors que les auteurs prétendent mettre en place une contribution sur les revenus exceptionnels, cette disposition prévoit en réalité uniquement une contribution sur la croissance des entreprises.

Par ailleurs, le taux marginal d’imposition des bénéfices atteindrait des niveaux stratosphériques : le cumul des deux premiers articles conduirait à une imposition marginale des bénéfices de 63 %. Nous sommes très proches du seuil que le Conseil constitutionnel qualifie de « confiscatoire ».

L’objectif affiché du chapitre II consiste à « verdir » certaines niches fiscales ; en réalité, son adoption conduirait à une dégradation de notre solde public et à une complexification de notre droit, sans effet tangible sur la transition écologique.

En ce qui concerne l’article 3, il a pour objectif de réformer le crédit d’impôt recherche, qui constitue la première dépense fiscale du budget général, pour un montant estimé à 7,7 milliards d’euros en 2024.

J’insiste ici sur le fait que les dépenses de recherche qui sont éligibles à ce crédit d’impôt le sont indépendamment du domaine de recherche concerné. Ainsi, les dépenses de recherche en matière environnementale sont bien couvertes par le CIR dans sa version actuelle.

La proposition de loi comporte deux réformes du CIR.

La première porte sur le barème et consiste à plafonner les dépenses éligibles à 100 millions d’euros et à porter le taux à 40 % pour les PME. Si nous comprenons les intentions de l’auteur du texte, nous ne pouvons que nous opposer à une telle mesure, qui conduirait à renchérir le coût de cette dépense de 630 millions d’euros par an. En l’état de dégradation de nos finances publiques, cette dépense fiscale supplémentaire ne nous semble pas justifiée.

La seconde réforme proposée consiste à créer un « CIR vert » pour les dépenses de recherche relatives à l’environnement. Or, je l’ai indiqué, les dépenses de recherche environnementale sont déjà, en l’état du droit, couvertes par le CIR. Il n’est dès lors pas nécessaire de prévoir la création d’un CIR vert, puisque celui-ci est déjà inclus dans le CIR actuel.

L’article 4 prévoit de réduire le périmètre d’un dispositif de suramortissement en faveur de l’acquisition de poids lourds utilisant des carburants alternatifs.

En l’espèce, la proposition de loi vise à exclure de ce dispositif les poids lourds roulant au gaz naturel pour véhicule (GNV). Cela pose des problèmes pratiques et de principe : en principe, rien ne justifie d’exclure le GNV de ce suramortissement, alors que ce carburant constitue une énergie de transition, dont les émissions sont réduites par rapport au pétrole et au charbon ; en pratique, le dispositif ne semble pas opératoire, dès lors que les moteurs fonctionnant au gaz naturel peuvent également fonctionner au biométhane carburant.

La volonté de l’auteur d’exclure les poids lourds roulant au gaz naturel risquerait par conséquent de fragiliser l’inclusion dans ce dispositif fiscal du biométhane carburant.

Par conséquent, il ne nous semble pas opportun de réduire le périmètre de ce suramortissement en faveur de l’acquisition de poids lourds peu polluants, qui est un levier de décarbonation du secteur des transports.

Enfin, l’article 5 a pour objet de créer une écoconditionalité relative à l’avantage fiscal associé à la création d’une activité économique dans les zones franches urbaines - territoires entrepreneurs (ZFU-TE).

Ce régime de soutien aux quartiers défavorisés a été créé dans les années 1990 pour y stimuler la création d’entreprises. Il permet notamment de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés pendant les cinq années suivant la création de l’activité.

Je relève que, en l’état du droit, ce dispositif représente un coût d’environ 120 millions d’euros sur l’ensemble du territoire et se caractérise par un nombre très important de critères à respecter relatifs à l’activité de l’entreprise créée et au lieu de résidence des salariés de l’entreprise.

La proposition de notre collègue consistant à ajouter un critère environnemental relatif à l’activité ne nous semble pas adaptée, dès lors qu’elle pourrait avoir pour effet non seulement de complexifier ce dispositif, mais également d’en limiter la portée sociale, en restreignant sensiblement l’incitation à créer une activité dans un quartier défavorisé.

À l’issue de cette présentation succincte des mesures contenues dans chacun des articles de la proposition de loi, je souhaite résumer l’opposition de la commission.

Sur la méthode, le choix consistant à recourir à l’instrument fiscal pour punir certains comportements des entreprises ne nous semble pas adapté et risque d’avoir des conséquences imprévues sur la compétitivité de nos entreprises. Sur le fond, la commission des finances est opposée à des mesures d’augmentation générale de la fiscalité des entreprises qui ne tiennent pas compte de la faculté contributive réelle des acteurs économiques.

Sans anticiper sur les débats fiscaux que nous ne manquerons pas d’avoir lors de l’examen prochain du projet de loi de finances, je souligne que l’approche consistant à augmenter la fiscalité pesant sur un périmètre très large n’est pas pertinente au regard de l’importance de préserver l’activité dans notre pays.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, chargée de léconomie sociale et solidaire, de lintéressement et de la participation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons ce matin la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.

La maîtrise de la dette budgétaire, la justice fiscale et la réduction de notre dette écologique constituent des enjeux prioritaires du Premier ministre et du Gouvernement ; je le sais, nous visons quasiment tous, dans cet hémicycle, ces objectifs. Sur ces piliers, nous devons agir en cohérence.

Il importe de préserver la politique de l’offre pour garantir l’activité et la production sur notre territoire, renforcer la compétitivité de nos entreprises, stimuler la croissance économique, ainsi que l’investissement, et favoriser l’emploi.

Nous devons aussi garantir la construction d’une écologie des solutions et orienter l’investissement privé vers la transition écologique. Cela passera également par le concours de l’État : au travers notamment des plans France Relance et France 2030, l’État investit aux côtés des entreprises pour construire l’économie verte de demain.

Les contrats de transition signés avec les cinquante sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre constituent des exemples d’une action efficace permettant à la transition écologique d’être un moteur de notre politique industrielle.

Par ailleurs, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a permis des avancées majeures en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La France a d’ailleurs promu à l’échelle européenne la nécessité de prendre en compte les critères extrafinanciers au sein des entreprises. Nous devons poursuivre nos efforts pour que soient davantage pris en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Enfin, je souhaite parler de simplification, parce que le temps et l’énergie de nos entreprises ne devraient pas être grevés par le fardeau administratif. C’est pourquoi la clarté et la simplicité des dispositifs mis en place font également partie de nos priorités.

La présente proposition de loi prévoit d’augmenter de 25 % à 30 % le taux de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui ne respecteraient pas plusieurs critères en matière environnementale, en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, en matière d’emploi de personnes en situation de handicap ou encore en matière d’écart de salaires.

Or les gouvernements successifs se sont efforcés d’améliorer l’attractivité de la France, laquelle passe entre autres par la stabilité fiscale et la compétitivité des entreprises. Pour ce faire, la continuité et la lisibilité des politiques et des dispositifs mis en place sont primordiales.

Depuis 2017, la France a fait le choix d’abaisser le taux de son impôt sur les sociétés, le rapprochant de celui de nos voisins européens, car nous étions initialement – faut-il le rappeler ? – le deuxième pays de l’OCDE en matière d’imposition effective des sociétés. La compétitivité des entreprises françaises en est sortie renforcée, ce qui stimule la capacité de celles-ci à investir.

Revenir sur les politiques passées et augmenter durablement le taux d’imposition sur les sociétés, comme le propose l’auteur de cette proposition de loi, même en conditionnant cette hausse à des critères socio-environnementaux, nous paraît nuire à l’activité économique et à l’investissement des entreprises, alors même que ces dernières ont besoin d’investir pour atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés, notamment en matière de transition écologique, précisément. Cela pourrait in fine nuire également au pouvoir d’achat des ménages.

De plus, le taux d’imposition sur les sociétés ne nous semble pas le bon outil pour atteindre l’objectif visé, à savoir le bon alignement des entreprises sur les valeurs d’inclusion, d’égalité et de préservation de notre environnement.

Des mécanismes existants ont été conçus pour décourager les mauvais comportements, comme le système européen d’échange d’émissions de gaz à effet de serre, qui associe un coût à l’externalité négative des activités couvertes, notamment dans le domaine de l’énergie, de l’industrie et du transport aérien. De même, l’indice de l’égalité professionnelle vise à calculer et à publier les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes dans les entreprises, afin de renforcer précisément la transparence salariale.

Avec le mécanisme présenté au travers de cette proposition de loi, une entreprise serait sanctionnée à hauteur non pas de la faute commise, mais de sa profitabilité. Le cas extrême serait celui d’une entreprise déficitaire qui échapperait à la sanction, quels que soient ses manquements éthiques.

La proposition de loi prévoit en outre d’instaurer une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, calculée sur la croissance des bénéfices. Le mécanisme proposé pour cibler les superprofits tirés d’une situation conjoncturelle particulière ne nous semble pas approprié.

La proposition de loi ne permet pas, me semble-t-il, de définir les bénéfices exceptionnels et aurait plutôt tendance à limiter le dynamisme économique. Même en modifiant la période de référence, comme le proposent les auteurs de l’amendement n° 4 – nous y reviendrons –, les entreprises en forte croissance tendancielle seraient assujetties à ce surcroît d’impôt, sans que leurs bénéfices relèvent de l’exploitation d’une situation conjoncturelle spécifique.

En outre, comme la commission, dont je salue le travail, l’a bien souligné dans son rapport, le taux marginal maximal d’imposition induit par les dispositions de cette proposition de loi frôle le seuil confiscatoire défini par le Conseil constitutionnel, et même le dépasserait avec les amendements proposés.

Nous pensons que d’autres solutions sont possibles pour atteindre cet objectif de redressement des comptes publics sans pour autant nuire à notre économie ni à la compétitivité de nos entreprises. Les débats que nous aurons dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances seront, je l’espère, l’occasion d’approfondir ces questions.

Le redressement de nos comptes publics devra ainsi nécessiter un effort limité dans le temps et partagé, avec une exigence de justice fiscale. Nous y concourrons, je le disais, dans le PLF pour 2025.

Cela passera notamment par la participation des grandes entreprises réalisant des profits importants au redressement des finances publiques, tout en veillant à ne pas remettre en cause notre compétitivité.

Cela passera également par une contribution exceptionnelle des Français les plus fortunés, afin d’éviter les stratégies de défiscalisation des plus gros contribuables.

Nous lutterons en outre contre la fraude fiscale et sociale. Ces dispositions, j’y insiste, devront faire l’objet d’échanges, au moment de l’examen du budget, lors duquel nous souhaitons évidemment que le Parlement prenne toute sa place et joue pleinement son rôle.

Il est également proposé, au travers de ce texte, de modifier en profondeur le crédit d’impôt recherche, un mécanisme aujourd’hui bien connu, maîtrisé par les entreprises et puissant. Les gouvernements successifs ont soutenu ce dispositif. Nous prenons nos responsabilités et nous sommes attachés au fait qu’il reste stable et ne soit pas dénaturé.

Plus de 16 000 entreprises y ont aujourd’hui recours, et les effets incitatifs du crédit d’impôt recherche sur les dépenses de recherche et développement (R&D) sont bien documentés. La mise en place, proposée à l’article 3, d’un plafond de 100 millions d’euros menace la stabilité, donc l’attractivité, du dispositif et induit des risques de contournement ou de délocalisation d’activités de recherche et de développement.

Par ailleurs, la proposition de loi tend à porter le taux du crédit d’impôt recherche de 30 % à 40 % pour les TPE-PME.

Or, la lisibilité de ce dispositif étant primordiale pour nos très petites, petites et moyennes entreprises, nous sommes attachés à le maintenir tel qu’il est. Nous comptons ainsi assurer à ces entreprises une stabilité fiscale. D’ailleurs, nos TPE-PME seront exemptées de l’effort exceptionnel et temporaire demandé aux grandes entreprises dans le cadre du projet de loi de finances.

En outre, les dépenses de recherche favorables à l’environnement bénéficient déjà du dispositif, puisqu’elles font partie de l’assiette du crédit d’impôt recherche. Là encore, sa stabilité contribue à son succès.

Un taux majoré pour les activités de recherche et développement à impact environnemental positif, bien qu’il soit pertinent des points de vue économique et écologique, se heurte à un problème d’identification de l’impact environnemental des activités de recherche et développement. Comment savoir, en effet, si une recherche fondamentale aura un impact environnemental positif ?

J’ajoute qu’un tel « crédit d’impôt recherche vert » serait redondant avec d’autres dispositifs incitatifs au verdissement de l’économie, comme le plan France 2030 et le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte.

D’une part, le plan France 2030 déploie plusieurs actions pour faire émerger des solutions de décarbonation créant de la valeur sur nos territoires, comme les sites de production de batteries électriques.

D’autre part, le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte, créé par la loi relative à l’industrie verte et entré en vigueur en 2024, permet déjà de déduire une partie des dépenses engagées dans des filières de transition énergétique.

Enfin, la proposition de loi discutée aujourd’hui prévoit de recentrer deux dispositifs existants de réduction de l’impôt sur les sociétés, afin de renforcer leur impact environnemental.

En premier lieu, il est proposé que les poids lourds roulant au gaz naturel soient dorénavant exclus du suramortissement destiné à soutenir l’acquisition de véhicules peu polluants.

Les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation du gaz naturel sont bel et bien élevées, mais l’intervention publique en la matière repose sur de nombreux dispositifs ; je pense notamment au suramortissement, à la prime à la conversion et à la taxe intérieure de consommation. Aussi les réflexions sur d’éventuelles évolutions du suramortissement devraient-elles s’inscrire dans un cadre plus large.

En second lieu, il est proposé de limiter le régime d’exonération applicable aux entreprises implantées en zone franche urbaine à des activités durables sur le plan environnemental.

De nouveau, une telle mesure se heurte à des difficultés d’identification de telles activités. Le critère de sélection proposé est complexe et difficile à mettre en œuvre, dans la mesure où, par exemple, une entreprise aura du mal à déterminer si ses sites font partie des 20 % les moins émissifs dans son secteur d’activité. Voilà qui contreviendrait donc à nos objectifs de simplification, mais également d’équité.

Pour conclure, je veux le dire, nous partageons la conviction qu’il est nécessaire d’accélérer dans l’application des critères écologiques à l’activité des entreprises, et le Gouvernement est pleinement mobilisé en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la prise en compte des personnes en situation de handicap.

Les mécanismes ici proposés ne répondent cependant pas aux exigences de clarté pour les entreprises, de cohérence avec les autres dispositifs en vigueur et de bon choix de levier comme de périmètre.

Nous continuerons de débattre sur les sujets fiscaux à l’occasion de l’examen du PLF.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un cuisinier sans recette, cela débouche souvent sur un plat raté ; un budget sans recette n’est pas plus savoureux…

C’est là tout l’intérêt de la présente proposition de loi des sénatrices et sénateurs socialistes, qui s’attellent à la hausse des sources de financement de l’État. Pour ce faire, nos collègues portent une attention particulière à rendre la fiscalité « incitative », afin qu’elle oriente les comportements des acteurs économiques, en proposant en particulier des modifications de l’imposition des bénéfices ou du crédit d’impôt recherche.

En somme, nous examinons le budget rectificatif qui n’est pas venu. L’ancien ministre Bruno Le Maire n’avait pas obtenu gain de cause auprès d’Emmanuel Macron, ce dernier le recadrant à l’occasion et préférant laisser plonger les finances publiques dans un déficit abyssal de 6,1 % du PIB – pour l’instant…

Michel Barnier n’a pas obtenu de feu vert non plus : il refuse désormais de corriger la trajectoire et mise sur la seule année 2025, où se trouve concentré l’effort, quitte à exposer le pays à un risque de récession, s’agissant d’une économie dopée à l’argent public. Nous nous rendrons rapidement compte en effet que les investissements de la sphère publique limitent la casse sociale en même temps qu’ils préservent un semblant de souveraineté.

La « politique de l’offre » coûte un « pognon de dingue ». Aux quelque 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises s’ajoutent des baisses d’impôts non financées, qui pèsent sur le déficit public à hauteur de 62 milliards d’euros chaque année. Et ce n’est pas fini, car la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) arrivera à extinction en 2027, ce qui amputera les finances publiques de 5 milliards d’euros supplémentaires.

De cette décision votée en son temps par les macronistes comme par Les Républicains – vous êtes désormais associés dans une coalition dont vous faisiez mine de ne pas vouloir il y a moins de deux mois ! –, vous partagerez le bilan, chers collègues.

Toutefois, en un mouvement d’équilibriste, le Premier ministre Michel Barnier propose dans son projet de budget une surtaxe d’impôt sur les sociétés. Je constate, non sans un peu de malice, que cette proposition paraît aux antipodes de la position du rapporteur LR du présent texte, notre collègue Bruno Belin, qui, dans son rapport déposé le 5 juin dernier, estimait que « l’augmentation d’impôt proposée s’inscrit à rebours de la baisse de l’impôt sur les sociétés, qui a pourtant fait l’objet d’un consensus politique très large depuis 2016, afin de soutenir la compétitivité des entreprises et l’emploi ».

La majorité sénatoriale rejettera-t-elle ainsi le budget du Premier ministre issu de son camp ? (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

En définitive, le retour aux responsabilités peut entraîner un retour au réel. Sortir des postures devrait vous conduire à voter l’article 1er.

M. Éric Bocquet. En effet, qui expliquera à nos concitoyennes et à nos concitoyens que, pour ce qui est au moins des entreprises qui ne respectent pas les impératifs de la parité entre femmes et hommes et de l’inclusion des travailleurs en situation de handicap, qui présentent des écarts de rémunération supérieurs à 1 pour 30 et dont les activités sont excessivement polluantes, nous ne saurions majorer le taux d’impôt sur les sociétés de 5 points pour revenir à un niveau restant inférieur à ce qu’il était en 2020 ?

Personne ! Car le problème de nos finances publiques incombe non pas nécessairement aux dépenses, même si la qualité de la dépense publique est un sujet d’importance, mais à nos recettes, qui ont baissé de 2,4 points de PIB entre 2018 et 2023.

Compte tenu de l’augmentation des dépenses publiques, sur la même période, de 0,6 point de PIB, cela fait 3 points de PIB, soit un gouffre de 85 milliards d’euros ! Et si les recettes publiques exprimées en pourcentage du PIB s’établissent quasiment à leur niveau de 1985, il en est encore, dans cet hémicycle et ailleurs, pour dire que c’est toujours trop.

Quant aux superprofits que nous souhaitons taxer, je me bornerai à dire qu’il faut, pour y être assujetti, avoir réalisé des « superbénéfices », si bien que, nous semble-t-il, il conviendrait de renforcer encore un peu la vigueur de cet article 2.

Nous partageons avec nos collègues socialistes la conviction selon laquelle il est nécessaire de placer les recettes au centre du débat budgétaire. Car, au fond – je file la métaphore culinaire –, « la bonne cuisine, c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont ». En l’espèce, il s’agit bien de recettes, elles en ont le goût ; mais demeure un soupçon : certes léger, fin, gastronomique, le menu proposé ne pourra rassasier les parlementaires communistes que nous sommes.

Évidemment, nous voterons ce texte, mais nous présenterons des amendements dont les dispositions s’inscrivent dans la lignée de nos positions antérieures, car, chers collègues socialistes, il y a entre nous des nuances qui sont loin d’être indépassables. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre d’une proposition de loi, présentée par notre collègue Rémi Féraud et le groupe socialiste du Sénat, visant à instaurer une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.

Cette proposition va indéniablement dans le sens des combats écologiques que nous défendons. À l’heure où le Gouvernement cherche à rétablir les comptes publics par des économies et, hélas ! par bien peu de recettes, il nous apparaît essentiel de conditionner toute baisse du niveau d’imposition à des engagements sociaux et environnementaux réels et concrets.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considère qu’il existe en ce domaine un important vivier d’économies réalisables, dont la mobilisation permettrait d’orienter nos finances publiques vers une gestion plus vertueuse. En effet, se diriger fortement et durablement vers une fiscalité plus juste et plus écologique se révèle une nécessité urgente. Cette proposition de loi offre ainsi une réponse qui consiste à réformer notre système fiscal pour l’aligner sur des objectifs environnementaux et de justice sociale.

La modulation de l’abaissement du taux d’impôt sur les sociétés en fonction des activités des entreprises revient à introduire dans notre fiscalité une logique de bonus-malus écologique. C’est là une orientation que nous, écologistes, avons promue à plusieurs reprises, notamment lors de l’élection présidentielle de 2022.

En proposant d’inciter les entreprises à adopter des pratiques plus vertueuses pour l’environnement, nous cherchons bien à internaliser les coûts environnementaux et à orienter l’économie vers un modèle plus durable prenant en compte ce qu’on appelle les « coûts cachés ».

C’est aussi un signal fort qui serait lancé en faveur de la justice fiscale et de la responsabilité environnementale. La proposition de loi crée une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Cette disposition répond à un impératif de justice fiscale.

Depuis près de deux ans, notre groupe plaide, avec les autres groupes de gauche, pour l’instauration de cette contribution additionnelle dans les projets de loi de finances. On l’a cruellement vu ces dernières années, les grandes multinationales échappent à une juste imposition, alors même qu’elles réalisent des bénéfices records, souvent au détriment des ressources naturelles. Cette mesure contribue donc à la fois à la justice sociale et à l’effort collectif pour répondre aux défis climatiques.

Voilà qui rejoint les orientations exprimées l’an dernier dans le rapport sur Les Incidences économiques de laction pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz quant aux nécessités d’investissement dans le domaine de la transition écologique au regard des « objectifs 2030 », orientations encore précisées lundi dernier dans la note d’analyse qu’a livrée France Stratégie sur la rentabilité des investissements bas-carbone.

Nous sommes donc favorables à ce texte, à une réserve près concernant l’inclusion des activités nucléaires et gazières dans la liste des activités éligibles à des conditions fiscales favorables.

Notre groupe s’est toujours opposé à l’inclusion de ces activités dans la taxonomie des activités durables sur le plan environnemental de l’Union européenne, car elles ne répondent pas aux exigences de responsabilité environnementale que nous devons viser.

Le nucléaire, je le rappelle, soulève des questions majeures qui ont trait aux risques, à la gestion des déchets, à la dépendance ou à la souveraineté nationale, sachant par exemple que nous continuons à financer l’effort de guerre russe par l’achat d’uranium enrichi en Russie pour faire fonctionner la moitié de notre parc nucléaire.

Cela dit, nous soutiendrons cette proposition de loi, qui constitue globalement une avancée vers une fiscalité des entreprises plus juste et plus équitable. Elle va en effet dans le sens d’une orientation plus responsable de notre économie.

J’y insiste, l’économie n’est pas à égalité avec l’environnement : elle en dépend, comme l’avenir de l’humanité. Il n’est pas question ici de punir, comme je l’ai entendu tout à l’heure : il est question de promouvoir des politiques publiques qui sont tout simplement mues par des objectifs de transition écologique.

Il s’agit non pas de punir, mais d’orienter ; c’est bien là le propre et la fonction des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter mon collègue Rémi Féraud, auteur de cette proposition de loi visant à instaurer une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.

Ce texte devait être examiné en séance le 13 juin dernier, mais la dissolution décidée par le Président de la République a empêché une telle discussion. Par rapport au moment où il est passé en commission, j’observe néanmoins un changement de ton du côté de la majorité sénatoriale, devenue entretemps majorité gouvernementale, sur la question des nouvelles ressources fiscales…

Mes chers collègues, alors que vous affirmez que toute hausse de la fiscalité des entreprises serait contre-productive, le Premier ministre, que vous soutenez, admet désormais que l’effort devra aussi concerner les grandes entreprises réalisant d’importants profits.

Tel est précisément l’un des objets de cette proposition de loi. Il est donc inutile d’attendre le prochain projet de loi de finances : cette proposition de loi offre la possibilité de traduire en actes ces bonnes intentions dès maintenant.

L’urgence est en effet double.

D’une part, il nous faut répondre aux crises climatiques et sociales qui s’aggravent chaque jour.

D’autre part, il est impératif de redresser nos finances publiques, largement détériorées par les choix politiques faits depuis 2017, qui ont contribué à diminuer les ressources de l’État et à augmenter les aides aux entreprises par une « politique de l’offre » qui a échoué.

Or, nous le savons tous, la transition écologique nécessitera des investissements colossaux, estimés à 34 milliards d’euros par an dans le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz.

Nous sommes donc face à une équation complexe : comment financer ces investissements indispensables sans aggraver la situation de nos comptes publics ? Ces deux objectifs ne sont pas incompatibles, comme le montre la présente proposition de loi.

Pour y parvenir, il nous faut mobiliser de nouvelles ressources, revoir les dépenses coûteuses et antiécologiques et réorienter notre appareil productif vers des pratiques durables.

Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette exigence. Elle ambitionne de faire des entreprises des acteurs engagés de la transition écologique, en réformant l’imposition sur les sociétés pour l’adapter aux réalités du dérèglement climatique, et elle participe au redressement de nos finances publiques en supprimant certaines « niches brunes ».

Passons maintenant à l’analyse des articles.

L’article 1er prévoit d’instaurer un taux dérogatoire de l’impôt sur les sociétés, qui serait porté de 25 % à 30 % pour les entreprises qui manquent à leurs obligations sociales, sociétales et environnementales. Cette disposition ne fait que rappeler aux entreprises qu’elles doivent respecter la loi et adopter des pratiques plus responsables.

L’article 2, quant à lui, prévoit l’instauration d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises affichant des superprofits. Dans un contexte où nombre de nos concitoyens et des PME traversent des difficultés économiques, il est juste que ces entreprises, qui réalisent des bénéfices importants, participent à l’effort collectif.

Les articles suivants ont pour objet la rationalisation des dépenses publiques : ils ciblent spécifiquement trois niches fiscales. Avant d’examiner ces dispositions en détail, il est important de prendre un peu de recul.

En 2019, avant que la pandémie ne frappe, France Stratégie estimait déjà le montant des aides publiques aux entreprises à 223 milliards d’euros par an. Schématiquement, nous pourrions comparer ces aides à un iceberg : la partie émergée, visible et quantifiable, correspond aux subventions directes accordées aux entreprises ; la partie immergée, plus difficile à visualiser et à quantifier, regroupe les niches fiscales et sociales.

Les travaux d’Anne-Laure Delatte montrent que la part des niches fiscales et sociales est passée d’à peine 1 % du PIB en 1979 à près de 4 % actuellement – une progression assez considérable –, alors que les subventions aux entreprises, elles, ont stagné autour de montants représentant 2 % du PIB.

Cela signifie que, progressivement, notre mode d’action publique a privilégié les exonérations plutôt que le soutien direct aux entreprises via des subventions. Cette évolution n’est pas sans conséquence : elle réduit la capacité de l’État à définir des priorités, alors même que notre action devrait être totalement réorientée en faveur de la transition écologique.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article 3, qui traite du crédit d’impôt recherche. Ce dispositif coûte 7 milliards d’euros par an, mais son efficacité est contestée.

L’État finance par le biais du crédit d’impôt recherche plus de 20 % des dépenses privées de R&D, soit plus du triple de ce que financent en moyenne les États dans les pays de l’OCDE. Pourtant, la part de la R&D privée dans le PIB en France reste faible – elle est d’environ 1,4 % –, bien inférieure à la moyenne observée dans l’OCDE, qui est de 1,8 %, et bien en deçà des niveaux atteints en Allemagne et aux États-Unis, qui sont supérieurs à 2 %.

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que ce sont surtout les grandes entreprises qui bénéficient du CIR. Comme l’a indiqué notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans son rapport d’information sur le sujet, il existe en la matière un important effet d’aubaine : pour chaque euro reçu via le CIR, les grandes entreprises n’augmentent leurs dépenses de R&D que de 0,40 euro, contre 1,40 euro pour les PME. C’est pourquoi cette niche fiscale doit être réformée.

L’imposition sur les sociétés, conclurai-je, doit évoluer pour répondre aux enjeux contemporains. Si je crains que ce texte ne soit rejeté, j’espère néanmoins, mes chers collègues, qu’il suscitera le débat. Nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation des finances publiques, cela a été dit, est particulièrement préoccupante.

La dette n’a jamais été aussi élevée sous la Ve République, en valeur relative comme en valeur absolue. Son coût annuel est en passe de devenir le premier budget de l’État. C’est le comble pour les deniers publics : nous devrons continuer de nous endetter pour rembourser notre dette. Pour un particulier, cette situation a un nom : le surendettement.

Par chance, la signature de la France inspire encore confiance. Mais notre légèreté et notre incapacité à tenir nos engagements européens menacent notre souveraineté, et c’est ce qui devrait polariser l’essentiel de nos débats, mes chers collègues.

La campagne des législatives a prouvé que cette préoccupation était assez peu partagée. Les deux extrêmes font mine de s’en alarmer, mais leurs programmes respectifs démontrent qu’ils s’en fichent éperdument. Tel est le principe actif de tout populisme : ce qui compte, ce n’est pas de dire la vérité ; c’est de le faire croire, afin d’accéder au pouvoir.

La proposition de loi que nous allons examiner vise à « mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique ». Derrière ce titre tout de vertu, c’est, déguisé, le programme de la Nupes 2.0 qui est à l’œuvre.

À mon sens, il repose sur trois idées-forces qui structurent la pensée économique par trop lunaire et univoque d’une certaine gauche, à front renversé des enjeux mondiaux : primo, seuls les petits sont gentils ; secundo, c’est vert, donc c’est juste ; tertio, le privé, c’est mal, le public, c’est bien.

M. Patrick Kanner. Caricature !

Mme Vanina Paoli-Gagin. En premier lieu, l’antienne du small is beautiful consiste à augmenter les impôts des entreprises, sauf de celles qui ont moins de vingt salariés ; les PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) de nos territoires apprécieront… Il en va, dans ce programme « 2.0 », de l’impôt sur les sociétés comme de l’impôt sur le revenu : il s’agit d’introduire partout et toujours plus de progressivité. Or, on le sait, cela ne fonctionne pas.

Cette approche révèle un cadre de pensée politique et implique des conséquences pratiques pour la société. Le cadre de pensée, c’est que le profit est un mal dont on s’absout par l’impôt. (M. Thierry Cozic sexclame.) Les conséquences pratiques, c’est que l’on préfère que les individus s’appauvrissent, pourvu que l’État s’enrichisse. Mais, en définitive, ce sont toujours les libertés individuelles qui reculent. Et c’est la société dans son ensemble qui s’appauvrit, et l’État avec, dès lors qu’il ne crée pas de valeur économique, vous le savez bien.

En deuxième lieu, « c’est vert, donc c’est juste ». Il s’agit là de mettre aux couleurs du jour la sempiternelle obsession de la gauche pour l’augmentation des impôts. Si j’osais, je dirais que c’est un prémix Canada Dry : c’est vert, ça a la couleur et la saveur du soutien à la transition écologique, mais ça n’est tout simplement pas du soutien.

L’impôt sur la fortune ? Bien sûr, mais « vert », s’il vous plaît ! Le crédit d’impôt recherche ? Non merci, sauf s’il est vert ! L’impôt sur les sociétés à 33 % ? Évidemment, mais vous avez droit à un discount à 25 % si « c’est vert ».

M. Patrick Kanner. Tant que ce n’est pas rouge… (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Et si l’innovation fait passer du brun au brun clair, cela ne fonctionne pas : ce n’est pas vert !

M. Patrick Kanner. Autrement dit, tout va bien aujourd’hui !

Mme Vanina Paoli-Gagin. Mes chers collègues, interrogez tous ceux qui innovent dans notre pays ! Vous verrez que ce type d’approche ne fait que tuer dans l’œuf la recherche et l’innovation – Mme la ministre l’a rappelé tout à l’heure.

Notre groupe considère qu’il faut réduire à la fois la dette publique et la dette climatique, et non augmenter l’une pour réduire l’autre. Nous prônons une approche libérale…

M. Patrick Kanner. Réactionnaire !

Mme Vanina Paoli-Gagin. … de la lutte contre le changement climatique : il faut créer un cadre concurrentiel favorable à nos entreprises, ainsi qu’aux investisseurs et aux financeurs,…

Mme Vanina Paoli-Gagin. … un cadre qui les incite à investir dans les technologies vertes.

C’est exactement ce que nous faisons à l’échelle européenne, de façon transpartisane et consensuelle. C’est l’inverse de ce que proposent les auteurs de ce texte, qui pénalise les initiatives privées.

Nous croyons sincèrement que le rôle des pouvoirs publics est d’orienter les initiatives privées vers des objectifs stratégiques définis de façon démocratique, mais aussi de soutenir ces initiatives par l’aide à la recherche et à l’innovation et par la commande publique. Ainsi le secteur privé contribue-t-il à l’intérêt général.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte gadget, qui n’apporte aucune réponse sérieuse et structurelle aux enjeux du siècle en matière de transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – Mme Christine Lavarde applaudit également.)

M. Thierry Cozic. Quelle caricature !

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Je ne saurais mieux dire que ma collègue ; malheureusement, nous sommes un peu forcés de nous répéter les uns les autres… (Ah ! sur les travées du groupe SER.)

Monsieur Féraud, je suis obligée de vous le dire, mais – c’est un comble pour un socialiste – vous ne suivez pas la leçon de votre illustre prédécesseur Edgar Faure : « La réforme fiscale, c’est quand vous promettez de réduire les impôts sur les choses qui étaient taxés depuis longtemps et que vous en créez de nouveaux sur celles qui ne l’étaient pas encore. »

Avec cette proposition de loi, vous nous promettez d’augmenter les impôts qui existent déjà, sans pour autant renoncer à en créer de nouveaux !

M. Patrick Kanner. C’est ce qui va arriver avec Barnier ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Et Barnier, vous allez le soutenir !

Mme Christine Lavarde. Avec cette proposition de loi, vous nous invitez aussi à faire un peu de philosophie : qu’est-ce que la justice fiscale ? La réflexion doit-elle être morale, juridique ou économique ? Faut-il envisager la justice fiscale comme un idéal à atteindre ou comme une réalité comptable et budgétaire ?

Je vous rassure, je ne me lancerai pas ce matin dans un cours de philosophie, d’autant que je suis à peu près certaine, mes chers collègues, que nous n’apporterions pas les mêmes réponses à ces questions. Je vais donc me limiter à quelques constats très factuels.

J’en viens pour commencer à l’article 1er et à la hausse du taux d’impôt sur les sociétés (IS).

Cela a déjà été dit par notre rapporteur remplaçant : comme l’analyse de notre rapporteur en titre, dont je veux souligner la qualité du travail, a permis de le montrer, le critère de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) est extrêmement large, si bien qu’en faire l’élément déclencheur d’une majoration de taux reviendrait à toucher un nombre très considérable d’entreprises : en application de votre article 1er, mes chers collègues, plus de 30 % de nos entreprises seraient concernées par une hausse de l’impôt sur les sociétés – et je ne reviens pas sur tous les effets délétères associés, car Vanina Paoli-Gagin les a rappelés.

Pour ce qui concerne l’article 2 et la création d’une contribution additionnelle à l’IS sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, cette mesure est inattaquable : vous entendez taxer les « superprofits ». En réalité, le seuil de taxation retenu est très bas : il suffit, pour qu’elle soit taxée, que l’entreprise ait réalisé des bénéfices 1,25 fois supérieurs à la moyenne des trois derniers exercices ! Là encore, un très grand nombre d’entreprises vont se trouver soumises à l’impôt.

De surcroît, les auteurs de cette proposition de loi nous disent qu’il s’agit d’une taxe exceptionnelle. Or tel n’est pas le cas : il s’agit d’une taxe pérenne, contrairement à ce que laisse entendre l’exposé des motifs, qui fait référence aux bénéfices exceptionnels que certaines entreprises auraient réalisés du fait de l’« épidémie de covid-19, [de] la guerre en Ukraine et [d]es pratiques spéculatives de certains acteurs économiques et financiers ». En réalité, cette surtaxe toucherait toutes les entreprises françaises les plus profitables.

C’est là certainement la grande différence entre nous, mes chers collègues. Vous nous avez en quelque sorte attaqués sur ce que demain nous pourrions faire lorsque nous aurons à voter sur le projet de loi de finances pour 2025.

M. Bernard Jomier. C’est un simple constat que nous dressons !

Mme Christine Lavarde. Oui, nous pourrions être amenés à soutenir une taxation temporaire,… (Marques dironie sur les travées du groupe SER.)

M. Laurent Somon, rapporteur. Ciblée !

Mme Christine Lavarde. … sur une année, pour redresser les comptes publics, dans le cadre d’un effort collectif, partagé par les entreprises, les citoyens, la sphère sociale, l’État et les collectivités. Mais, j’y insiste, il s’agirait bien d’une imposition exceptionnelle et très clairement bornée dans le temps,…

M. Thierry Cozic. On peut rêver !

M. Rémi Féraud. Affaire à suivre…

Mme Christine Lavarde. … là où, pour votre part, vous nous invitez à instaurer une taxation pérenne à l’assiette très large.

Par ailleurs, dans votre esprit, cet article 2 se cumule avec l’article 1er, si bien que l’on atteindrait un taux d’imposition de 63 % !

Je fais miens, de nouveau, les propos de Vanina Paoli-Gagin : imposer un résultat à ce point, c’est condamner les entreprises, c’est leur interdire le succès, la réussite, c’est faire baisser l’investissement, c’est faire diminuer la redistribution, c’est aussi faire diminuer l’emploi – il me semble pourtant, mes chers collègues, que vous êtes sensibles à cette dernière question…

En tout état de cause, monsieur Féraud, un impôt assorti d’un taux aussi élevé n’est plus un impôt juste : c’est un impôt confiscatoire. Comme le disait le général de Gaulle – vous savez combien j’aime citer nos illustres prédécesseurs –, au-delà de 50 %, ce n’est plus de l’impôt : c’est de la spoliation.

Comme l’a dit Mme la ministre, le taux moyen d’imposition sur les sociétés dans les pays de l’OCDE était de 20 % en 2022, et la France a doucement commencé à se rapprocher de la moyenne grâce aux décisions prises ces dernières années. Nous n’avons pas les mêmes références, mes chers collègues : les économistes auxquels je me réfère sont plutôt Arthur Laffer ou Jean-Baptiste Say. Je cite ce dernier : « Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte. » Vous risquez donc, par votre mesure, de diminuer sur le long terme les recettes fiscales.

Pour ce qui est de l’article 3, cela a déjà été dit, vu l’état de nos finances publiques, on ne saurait creuser davantage le déficit. Or c’est précisément ce que reviendrait à faire cet article s’il était adopté.

L’article 4 vise, quant à lui, à supprimer une niche fiscale considérée comme « brune ». Comme vous le savez, j’ai certaines idées en matière de fiscalité environnementale, cette dernière pouvant, selon moi, contribuer à infléchir les comportements. Mais, en l’état, je ne suis pas certaine que les dispositifs que vous visiez soient les plus pertinents…

Il ne vous aura pas échappé que j’ai travaillé sur cette question en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances lors de l’examen de la loi relative à l’industrie verte, qui a fait suite aux débats de la Convention citoyenne pour le climat. À l’époque, j’avais émis l’idée que les documents transmis aux membres de cette convention n’étaient pas complets – il y manquait notamment certains éléments relatifs au verdissement total de notre mobilité lourde et de nos camions.

Trois ans plus tard, le constat reste le même. La disponibilité des poids lourds électriques ou à hydrogène est quasi nulle. Cette technologie est toujours en phase de développement. Le basculement vers une utilisation véritable ne devrait pas avoir lieu avant la fin de la décennie.

De fait, leur coût est toujours exorbitant, on en produit peu et leur utilisation n’est pas rentable. La taille de la batterie nécessaire pour mouvoir un camion, notamment, est telle que la capacité d’emport devient ridicule.

Par ailleurs, les infrastructures aujourd’hui présentes sur le territoire français sont insuffisantes pour développer cette mobilité lourde à l’électricité ou à l’hydrogène. En effet, les seules 30 stations de recharge à hydrogène présentes sur le territoire ne peuvent suffire à alimenter toute une flotte de poids lourds, surtout dans les endroits les plus reculés.

Or je ne crois pas que votre intention soit d’interdire l’apport de marchandises et de denrées dans les localités qui ne sont pas directement situées près d’une sortie d’autoroute…

En termes opérationnels, nous n’y sommes donc pas, puisque notre territoire ne compte que 30 bornes à hydrogène, comme je l’ai souligné, et 100 stations électriques à haute puissance pour les camions.

Au moment de la mise en place du bonus et de la prime à la conversion, j’avais trouvé – en cohérence avec ma position actuelle – que l’on allait trop loin en excluant complètement de la prime à la conversion les ménages les plus modestes qui acceptaient d’abandonner leur véhicule Crit’Air 5 pour un véhicule Crit’Air 2. En matière de décarbonation, chaque petit geste est utile et les efforts doivent être prônés en fonction des capacités financières de chacun. La position que vous défendez me paraît donc trop radicale : soit on est tout vert, soit on n’est rien du tout !

Or, j’en suis désolée, le gaz naturel est aujourd’hui moins émissif en matière de dioxyde de carbone et d’émissions de gaz à effet de serre qu’un véhicule au fioul ou à essence. Acceptons donc d’engager cette transition de façon harmonieuse et en tenant compte de l’évolution des technologies. En matière de mobilité lourde, nous ne sommes pas prêts, même si des groupes de travail discutent de ces questions et essaient d’avancer sur le problème.

J’ai eu l’occasion de le dire mardi dernier, lors du débat sur l’évolution de la dette, la transition écologique est onéreuse. Je vous reconnais le mérite de vouloir trouver des recettes à court terme, mais j’ai beaucoup plus de doutes en ce qui concerne le long terme, comme je l’avais d’ailleurs souligné.

Vos mesures vont faire perdre de la compétitivité à nos entreprises, ce qui les conduira à délocaliser. Le groupe Les Républicains ne soutiendra jamais l’écologie de la décroissance à laquelle vous aspirez au travers de ce texte !

Nos entreprises sont sous surveillance, qu’il s’agisse de la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) ou de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Tout le monde peut aujourd’hui savoir ce que chaque acteur économique fait en consultant les publications extrafinancières des grandes entreprises. Je vous invite à y jeter un œil.

Un certain nombre de mesures ont déjà été prises. Voyez ce qu’a produit l’ONG Les Ateliers du Futur, voyez aussi la charte signée par sept de nos grands groupes pour accompagner les PME vers la décarbonation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.

Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.

Si le groupe RDPI soutient pleinement la mise en œuvre de dispositifs en faveur de la transition écologique, nous estimons qu’il est essentiel de concilier cet objectif avec la nécessité de préserver notre tissu économique et notre compétitivité. En effet, la logique de ce texte repose d’abord sur un alourdissement permanent de la pression fiscale, ce qui risque d’affaiblir notre économie.

Si la situation budgétaire justifie éventuellement une contribution temporaire des grandes entreprises – ce sera l’un des sujets de nos débats des mois prochains –, nous n’entendons pas faire peser durablement sur nos entreprises une contribution sur leurs bénéfices, qui pourrait être considérée comme punitive.

De même, nous regrettons que la proposition de majoration du taux d’imposition à 30 % de l’article 1er se fonde sur un périmètre aussi large.

Je pense, notamment, aux entreprises dont « l’activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante ». La notion de « contribution indirecte à une activité polluante » est extrêmement large et pourrait donc viser un nombre important d’entreprises.

On peut, en outre, s’interroger sur la pertinence d’un dispositif qui, en taxant ces entreprises, limitera leurs capacités à investir dans la transition écologique de leur appareil productif.

Ainsi, en cumulant les deux dispositifs, une entreprise pourrait être imposée à hauteur de 63 % de ses bénéfices marginaux ! Adopter le texte pénaliserait donc fortement nos entreprises, dans un contexte d’importante concurrence fiscale internationale.

Je me permets de vous rappeler que si nous occupons aujourd’hui la trente-quatrième place en matière d’imposition effective moyenne parmi les juridictions membres du Cadre inclusif, contre la neuvième place en 2020, c’est grâce aux baisses d’impôts appliquées ces dernières années. Nous devons préserver ces avancées et éviter de retrouver les premières places du classement de la pression fiscale.

En effet, l’attractivité de notre fiscalité est un levier fondamental pour la compétitivité de nos entreprises. Elle favorise l’innovation, encourage la création d’emplois et stimule les investissements, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Une fiscalité trop lourde risquerait d’étouffer cette dynamique, compromettant ainsi la création de richesse et la vitalité économique de notre pays.

Bien que nous partagions l’objectif de la proposition de loi de soutenir et d’accélérer la transition des entreprises vers davantage d’inclusivité et de responsabilité environnementale, il nous semble que ces majorations d’imposition ne sont pas le bon vecteur.

J’ajouterai, pour finir, qu’il nous paraît également regrettable de dévoyer le dispositif des zones franches urbaines, qui soutient la création d’activité économique dans certains quartiers particulièrement défavorisés, en restreignant le périmètre du régime d’exonération aux seules entreprises entrant dans le champ de la taxonomie verte. Cette écoconditionnalité risque de limiter fortement l’incitation à créer de l’activité dans ces territoires.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer la clairvoyance du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, dès juillet 2023, planchait déjà sur des solutions radicales – au second sens du terme ! – pour trouver les 60 milliards d’euros que l’on cherche désespérément aujourd’hui. Cette prescience, mes chers collègues, force le respect.

L’urgence climatique étant non plus une menace lointaine, mais bien notre réalité quotidienne, ce texte vise en même temps à impulser la métamorphose écologique de notre économie.

En 2024, la France a été frappée par une succession alarmante de quarante catastrophes naturelles fauchant des vies. Ces tragédies sont non pas de simples faits divers, mais le reflet d’une crise environnementale qui s’intensifie.

Dans ce contexte, notre responsabilité est immense, et la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’apparente à un dispositif de fiscalité comportementale, écologique et sociale appliquée à l’IS. Il s’agit d’un genre de fiscalité nouvelle, en forme de bâton plutôt que de carotte, qui doit conduire nos entreprises à des pratiques vertueuses.

Cette proposition de loi, à mon sens, a le mérite de soulever deux vraies questions. L’impôt sur les sociétés est-il un levier fiscal à actionner pour que les entreprises contribuent à l’effort budgétaire inédit qui nous attend ? Et cet impôt doit-il être employé à d’autres fins que le seul financement de l’État, en en faisant un outil différenciant, doté d’une dimension morale et politique ?

Chez les radicaux, nous sommes attachés à l’entreprise et à la liberté fondamentale d’entreprendre. Nous sommes attachés à l’entreprise comme partie prenante de la société et de la République, c’est-à-dire que nous la considérons comme un acteur solidaire qui doit être soutenu, mais qui doit aussi contribuer.

Nous défendons donc l’idée que l’impôt sur les sociétés, après des années de baisse pour tendre vers les standards européens et une action décevante sur notre compétitivité, doit aujourd’hui être remobilisé face au mur budgétaire, dans des proportions qui tiendront compte des enjeux de l’emploi et de l’attractivité de notre pays.

Nous sommes nettement plus réservés sur l’idée d’une fiscalité comportementale, qui changerait de nature pour revêtir une dimension morale et politique. Nous sommes attachés aux principes fondateurs de la fiscalité et au principe d’égalité devant l’impôt.

Par ailleurs, la consécration de la responsabilité individuelle face au défi écologique, comme dans le principe pollueur-payeur, a quelque chose au fond de très libéral et d’assez dérangeant.

Nous sommes tous, citoyens et entreprises, pris dans les rouages d’un système qui nous rend complices malgré nous de la dégradation de notre planète. Notre responsabilité est collective. Plutôt que de stigmatiser, ne devrions-nous pas repenser en profondeur notre modèle de société ?

Je ne m’attarderai pas sur les critères proposés par les auteurs de ce texte – nous partageons les critiques à leur encontre. Le contour, très flou, ferait porter la majoration de l’IS sur un grand nombre d’entreprises, sans véritablement de distinction entre les bons et les mauvais élèves. Quelles entreprises du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) n’utilisent pas de granulats, par exemple ? Faut-il toutes les surtaxer ?

Je m’interroge aussi sur la constitutionnalité de certaines dispositions, même si je sais que la notion d’État de droit est moins en vogue aujourd’hui ! (Sourires sur les travées du groupe SER.) Je pense, ainsi, à la surtaxe appliquée aux entreprises victimes d’actes anormaux de gestion.

Vous l’aurez compris, nous croyons fermement que la question environnementale doit être intégrée de manière plus profonde et cohérente au sein de notre République, au-delà de simples ajustements fiscaux.

C’est pourquoi, bien que nous partagions pleinement l’objectif de cette proposition de loi, nous ne pouvons la soutenir en l’état. Néanmoins, le groupe RDSE votera symboliquement l’article 2 sur la taxation des superprofits.

Réformer l’impôt n’est pas un tabou, c’est un devoir républicain. Nous y sommes prêts lorsque les circonstances l’exigent. Mais la raison doit nous guider. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Le groupe Union Centriste se réjouit particulièrement de la création du nouveau portefeuille ministériel qui vous a été attribué, madame la ministre, car nous sommes très attachés au partage de la valeur. Nous pourrons donc travailler ensemble, à condition bien sûr qu’il reste encore de la valeur à répartir !

En effet, si la fiscalité est trop contraignante et trop restrictive, il n’y aura plus rien à partager avec l’ensemble des salariés. Or il est important que l’intéressement et la participation puissent être mis en œuvre.

Le groupe Union Centriste tient également à saluer le travail réalisé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en commission.

La transition écologique doit être au cœur de nos priorités et de l’action publique. Pour autant, cette question aurait mérité une concertation plus large et approfondie. Je regrette donc qu’elle se soit limitée à nos seuls collègues socialistes. Il eût été intéressant d’engager un travail collaboratif, y compris avec les représentants des organisations professionnelles. Cela aurait permis de mieux cerner les attentes et les capacités contributives des entreprises, en évitant l’écueil de mesures par trop punitives, comme elles le sont malheureusement aujourd’hui.

L’impôt sur les sociétés est en diminution depuis 2016. C’est sous François Hollande que la baisse a été engagée dans notre pays. Celui qui fut son collaborateur et qui est aujourd’hui Président de la République a poursuivi cette baisse, pour arriver au taux de 25 %.

Vous l’avez rappelé dans l’exposé des motifs, ce taux d’imposition est encore supérieur à la moyenne européenne, qui est de l’ordre de 21 %, et à la moyenne mondiale, qui est de l’ordre de 24 %.

Or nous sommes dans un contexte de compétition internationale et nous avons besoin de conditions fiscales qui ne soient pas pénalisantes pour nos entreprises. Par ailleurs, en raison des taux d’imposition qui sont plus élevés en France que dans d’autres pays, les grands groupes préfèrent investir à l’étranger. Nous devons donc veiller à ce que notre fiscalité ne dégrade pas la compétitivité de nos entreprises.

Le groupe Union Centriste est particulièrement attaché à la stabilité fiscale. Sans elle, comment se projeter dans l’avenir ? Nous regrettons donc que l’article 1er vise à augmenter la fiscalité des entreprises. La contribution indirecte à l’activité polluante nous semble notamment très imprécise. Sa définition pourrait même être sujette à caution. Nous ne pouvons donc l’approuver.

L’article 2 prévoit de mettre en œuvre une contribution additionnelle. Certes, le groupe Union Centriste défend l’idée d’une contribution exceptionnelle sur les superprofits. Comme Raphaël Daubet l’a rappelé à l’instant, nos comptes publics sont particulièrement dégradés, et il est nécessaire de trouver des recettes pour continuer à conduire nos politiques publiques. Pour autant, cet article, tel qu’il est rédigé, loin de pénaliser les superprofits, pénalise de manière pérenne la croissance et les résultats des entreprises. Nous n’approuvons donc pas cette contribution additionnelle.

L’article 3 concerne le crédit d’impôt recherche (CIR). Oui, cette dépense fiscale est assez coûteuse pour le budget de l’État. Cependant, il paraît légitime au groupe Union Centriste qu’un effort soit réalisé pour encourager la recherche dans notre pays, tout simplement parce que l’avenir des entreprises dépend, notamment, de leur capacité à innover. Il est donc impératif de susciter et d’accompagner l’innovation dans les entreprises. Tel est l’objectif du crédit d’impôt recherche.

La modification que vous proposez réduira l’incitation pour les entreprises à investir dans la recherche, alors qu’il faut au contraire les y encourager. De surcroît, le nouveau barème aurait pour effet de rehausser le coût du CIR pour les finances publiques. Vous comprendrez donc que nous ne puissions y souscrire.

Quant à l’article 4, il vise à mettre en cause le suramortissement pour un certain nombre de véhicules lourds. Il faut que la fiscalité des entreprises soit adaptée aux réalités technologiques. Agir de cette façon ne nous semble pas être la meilleure des solutions.

Enfin, l’article 5 aborde la question des zones franches urbaines. Quand on voit les difficultés que l’on a à mettre en place les zones à faible émission dans nos territoires, pénaliser les entreprises qui investissent dans les zones franches urbaines ne nous paraît pas le meilleur chemin à suivre. Au contraire, il faut encourager les entreprises à investir.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique

Chapitre Ier

Réforme de la fiscalité générale des sociétés

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
Article 2

Article 1er

I. – Le I de l’article 219 du code général des impôts est complété par des g à k ainsi rédigés :

« g. Les sociétés assujetties au taux normal de 25 % sont imposées au taux de 30 % lorsque leur activité directe ou indirecte constitue ou contribue à une activité polluante au sens de l’article 266 sexies du code général des douanes ;

« h. Les sociétés assujetties au taux normal de 25 % sont imposées au taux de 30 % lorsqu’elles ne respectent pas l’obligation de publication annuelle des écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes au titre de l’article 14 de la loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle ;

« i. Les sociétés assujetties au taux normal de 25 % sont imposées au taux de 30 % lorsqu’elles n’emploient pas des personnes en situation de handicap à hauteur de 6 % de leur effectif total conformément aux articles L. 5212-1 à L. 5212-17 du code du travail.

« Cette disposition s’applique uniquement aux sociétés de plus de vingt salariés ;

« j. En cas de méconnaissance des obligations définies à l’article 1833 du code civil, les sociétés assujetties au taux normal de 25 % sont imposées au taux de 30 % ;

« k. Les sociétés assujetties au taux normal de 25 % sont imposées au taux de 30 % quand il est constaté qu’il existe au sein de la société des salaires supérieurs à trente fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible. »

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le I de l’article 219 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, le taux : « 25 % » est remplacé par le taux : « 33,3 % » ;

2° Après le b, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

« …. Le taux normal de l’impôt sur les sociétés mentionné au deuxième alinéa du présent I est fixé à :

« – 20 % pour la fraction de bénéfice imposable par période de douze mois comprise entre 38 120 € et 76 240 € ;

« – 25 % pour la fraction de bénéfice imposable par période de douze mois comprise entre 76 241 € et 152 480 € ;

« – 30 % pour la fraction de bénéfice imposable par période de douze mois comprise entre 152 481 € et 304 960 €. »

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. J’ai écouté attentivement l’intervention liminaire de Mme Lavarde. Mais, si je regarde l’hémicycle, je constate qu’il y a plus de sénateurs et de sénatrices au Gouvernement que ce matin sur les travées de la droite !

M. Michel Canévet. C’est faux !

M. Pascal Savoldelli. Vous n’avez donc pas de leçons à donner à la gauche sur les délais de carence, l’absentéisme et l’esprit de responsabilité, chers collègues de la majorité sénatoriale ! (Sourires et applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Je tenais à le dire.

J’en viens au présent amendement. Et ce ne sont pas les chiffres du loto que je vais vous donner, mes chers collègues, mais l’évolution du taux de l’impôt sur les sociétés en pourcentage : 50, 45, 42, 39, 37, 34, 33.3, 31, 28, 26.5, 25 ! L’IS s’est effondré inexorablement depuis 1986.

L’ambition politique et fiscale conduisait à revendiquer le prélèvement de 1 euro de bénéfice sur 2 euros, mais à condition que les taux réels soient plus faibles. Le passage de 33 % à 25 % décidé lors du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron représente 11 milliards d’euros qui échappent aux finances publiques. Et il ne s’agit pas d’un one shot ; année après année, nous perdons tous les ans 11 milliards d’euros !

Au-delà des débats sophistiques sur l’origine de la dette publique, nous tenons là un élément de réponse… Et in fine, c’est à un démantèlement social que nous assistons.

M. le rapporteur tout à l’heure nous a dit que nous voulions punir les entreprises. Mme Lavarde a invoqué l’esprit de responsabilité. Mais, selon les derniers chiffres de 2021, les 300 plus grandes entreprises s’acquittent du tiers de l’impôt sur les sociétés, pour 23,5 milliards d’euros, desquels il faut déduire 4,1 milliards de crédits d’impôt. Il y a donc fort à parier qu’elles bénéficieront du tiers au moins des 11 milliards du coût de la réforme, soit près de 3,5 milliards d’euros.

Votre projet de réforme ne remet pas en cause les crédits d’impôt. Voilà pourquoi il faut rétablir un niveau d’imposition suffisant des entreprises, pour que la richesse soit partagée avec ceux qui la produisent – c’est-à-dire avec ceux qui travaillent et non ceux qui perçoivent des dividendes ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Somon, rapporteur. Cet amendement a pour objet de relever le taux de l’impôt sur les sociétés à 33,3 %, soit son niveau d’avant la réforme fiscale de réduction des impôts sur les entreprises qui a été engagée en 2017, sous la présidence de François Hollande. Vous souscriviez à cette trajectoire budgétaire à l’époque, cher collègue ! Je rappelle que, en dépit de ces réductions, les recettes d’IS n’ont pas diminué.

Par ailleurs, la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation a démontré que c’était l’ensemble de l’environnement économique qui permettait de stimuler l’attractivité du pays. En l’occurrence, depuis cinq ans, la France est le premier pays européen attractif en matière d’investissement étranger en faveur des entreprises.

Il est donc utile de préciser que l’action menée en matière économique pour les entreprises a été plutôt positive en termes tant de recettes fiscales et d’impôts des sociétés que d’emplois, même si ce n’est pas forcément la production qui est concernée, mais également la recherche et développement (R&D), ainsi que les services.

J’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement : la trajectoire de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés qui a été mise en œuvre doit être préservée, car elle a un effet positif en termes d’attractivité et de compétitivité.

Comme vient de rappeler notre collègue Michel Canévet, nous sommes tout à fait dans les clous de la moyenne européenne et mondiale. Cela nous permet de rester compétitifs.

Par ailleurs, votre amendement tend à remettre complètement en cause la logique de la proposition de loi qui veut utiliser la fiscalité comme un levier de transformation des pratiques des entreprises. En proposant une hausse indiscriminée du taux d’IS, vous ne ciblez pas votre intervention sur les entreprises les plus à même de contribuer au relèvement des comptes publics.

Je répondrai à Éric Bocquet en reprenant son image sur la cuisine : de la même manière qu’une recette complexe ne garantit pas la qualité d’un plat, cette proposition de loi complexe ne produira certainement pas les résultats que vous en espérez…

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée. J’ai exposé dans la discussion générale les grands principes qui étaient ceux du Gouvernement.

Nous proposerons, ce soir ou demain, d’établir une contribution exceptionnelle et temporaire sur l’impôt sur les sociétés, limitée au périmètre des grandes entreprises. J’espère que nous aurons des discussions fructueuses lors de l’examen du projet de loi de finances.

En tout état de cause, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Patrick Kanner. On se demande bien pourquoi ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 267
Pour l’adoption 34
Contre 233

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 2 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 98
Contre 233

Le Sénat n’a pas adopté.

Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, des problèmes techniques se posent dans l’organisation de nos débats. J’ai fait le calcul : quatre minutes sont déjà passées à l’as du fait de difficultés liées aux scrutins publics.

J’aimerais donc, monsieur le président, sous votre autorité bienveillante, que ces minutes ne soient pas décomptées de notre temps de discussion, qui est limité, comme chacun le sait, puisque nous examinons ce texte dans le cadre d’une niche parlementaire.

Je vous remercie de votre compréhension.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Nous tiendrons compte de votre préoccupation.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
Article 3

Article 2

I. – Après la section 0I du chapitre III du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts, est insérée une section 0I bis ainsi rédigée :

« Section 0I bis

« Contribution additionnelle à limpôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises

« Art. 224. – I. – A. – Il est institué une contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros.

« B. – La contribution additionnelle est due lorsque le résultat imposable de la société pour l’exercice considéré au titre de l’impôt sur les sociétés précité est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne de son résultat imposable des exercices des trois années précédant la publication de la lois n° … du … visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.

« C. – La contribution additionnelle est assise sur le résultat imposable supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités. La contribution additionnelle est calculée en appliquant à la fraction de chaque part de résultat imposable supérieur ou égale à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités le taux de :

« a) 20 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,25 fois et inférieure à 1,5 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

« b) 25 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,5 fois et inférieure à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

« c) 33 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités.

« II. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du présent code, la contribution additionnelle est due par la société mère. Elle est assise sur le résultat d’ensemble et sur la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminés avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.

« B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend du chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.

« C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution additionnelle.

« D. – Sont exonérées de la contribution prévue au I du présent article, les sociétés dont la progression du résultat imposable par rapport à la moyenne des exercices des trois années précédant la publication de la lois n° … du … visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique résulte d’opérations de cession ou d’acquisition d’actifs, pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concerné.

« E. – La contribution additionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt. La contribution additionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du présent code pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés. »

II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier suivant la publication de la présente loi. Il s’applique également à l’exercice fiscal de l’année de son entrée en vigueur.

III. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation provisoire de l’application de la présente loi dans les trois ans suivant sa publication et un rapport d’évaluation définitif au plus tard dans les six ans suivant sa publication.

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Il est institué en 2024 une contribution sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les redevables de l’impôt sur les sociétés prévue à l’article 205 du code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.

Cette contribution exceptionnelle est égale à :

1° 10 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est inférieur à 100 millions d’euros ;

2° 20 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est compris entre 100 millions d’euros et 1 milliard d’euros ;

3° 30 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est supérieur à 1 milliard d’euros.

II. – La contribution prévue au I est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre de la moyenne des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024 qui excède la moyenne des résultats nets réalisés au titre des exercices 2017, 2018 et 2019.

III. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, la contribution exceptionnelle est due par la société mère. Cette contribution est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024 qui excède le résultat d’ensemble et la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D du même code correspondant à la moyenne des résultats des exercices 2018, 2019 et 2021. Ce résultat est déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.

B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend comme le chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.

C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle.

D. – La contribution exceptionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt.

E. – La contribution exceptionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du même code pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés.

F. – L’intérêt de retard prévu à l’article 1727 dudit code et la majoration prévue à l’article 1731 du même code est fixé à 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société ou de la société mère tel que constaté lors de l’exercice comptable antérieur.

IV. – La contribution exceptionnelle n’est pas admise dans les charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir de débattre, dans cet hémicycle, de la notion de « superprofits » : il fut un temps, pas si lointain, où le ministre de l’économie disait ne pas savoir ce qu’étaient ces superprofits… Cet ancien ministre est désormais en méditation sur les bords du lac Léman ; cela lui fera sans doute le plus grand bien ! (Sourires.)

Si les superbénéfices n’entraînent pas automatiquement de superinvestissements ni de supersalaires, ils pourraient, en revanche, limiter le superdéficit que nous connaissons et qui risque de s’aggraver si rien n’est fait dans le sens que nous souhaitons.

Plutôt que de miser sur une contribution mal ciblée et trop générale sur les profits, le temps est venu de se focaliser sur les profits indus liés à des conditions de marché sans utilité sociale et n’ayant d’autre objectif que la rémunération du capital, lequel se porte bien. C’est un préalable à toute majoration du niveau de l’impôt sur les sociétés, mais c’est aussi une démarche complémentaire à cette majoration.

Notre amendement ne vise pas à alourdir la fiscalité en élargissant les critères, comme certaines interventions ont pu le laisser croire ; il procède du constat que les profits indus concernent non seulement les grandes multinationales, mais aussi des entreprises de taille intermédiaire (ETI), dont le bénéfice excède 100 millions d’euros. Cette contribution tient compte de la moyenne des bénéfices imposables entre les années 2017 et 2019. C’est ce surplus, ce « gras » qui est visé ici.

Nous souscrivons au dispositif de nos collègues du groupe SER, que nous avons déjà proposé lors d’initiatives communes. Toutefois, nous souhaitons aller plus loin : l’état des finances publiques, fort différent de ce que nous projetions voilà seulement quelque temps, et la gestion budgétaire catastrophique exigent que nous réexaminions le niveau d’effort contributif demandé.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Somon, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’instaurer une contribution sur des bénéfices dits exceptionnels.

Toutefois, cette contribution additionnelle aurait un périmètre trop large et risquerait de pénaliser les jeunes entreprises en forte croissance.

Comme l’a rappelé Mme Paoli-Gagin, les ETI dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros seraient concernées par cette mesure ; or le chiffre d’affaires moyen des ETI en France est de 200 millions d’euros.

En outre, cette contribution constitue non pas une contribution sur les bénéfices exceptionnels, mais une taxation de la croissance des entreprises. En effet, une entreprise dont le bénéfice a largement augmenté entre 2017 et 2024 n’a pas nécessairement profité d’une crise extérieure – énergétique ou sanitaire, par exemple. Dès lors que la contribution n’est pas ciblée sur de véritables superprofits ou surprofits, la taxe s’appliquerait d’office à toutes les entreprises connaissant une forte croissance dans notre pays.

Par conséquent, j’émettrai, au nom de la commission, un avis défavorable.

Je rappelle que le produit de l’impôt sur les sociétés s’est établi à 30 milliards d’euros en 2016 et à 57 milliards d’euros en 2023.

Il est plus facile de critiquer que d’avoir raison : si nous nous sommes engagés dans cette aventure – si j’ose dire – du redressement de notre pays, c’est parce qu’il est au bord du gouffre. Le poids de la dette et l’avis des agences de notation internationales font aussi partie de l’environnement économique. Si les entreprises n’ont pas confiance, faute de visibilité et de stabilité fiscales, si le niveau d’endettement ne leur paraît ni raisonnable ni contrôlé par les services du budget, quel intérêt auraient-elles à venir s’installer sur notre territoire ?

C’est tout le sens de la diminution constante de l’impôt sur les sociétés, qui n’est du reste pas incompatible avec la volonté de s’engager dans une transition écologique, comme l’a souligné Christine Lavarde. Cependant, la transition ne signifie pas que l’on passe de manière brutale du rez-de-chaussée à l’étage ! Elle implique, par exemple, que l’on prenne en compte les GNV, parce que le biométhane peut avoir un effet positif pour nos territoires, sur le plan à la fois écologique et économique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée. Mon avis ne vous étonnera probablement pas, monsieur le sénateur.

La situation de nos comptes impose un effort partagé, avec une exigence de justice fiscale. Ce partage de l’effort nous conduira à demander aux grandes entreprises, qui réalisent des profits importants, une participation temporaire au redressement collectif, sans remettre en cause notre compétitivité.

Sur ces questions budgétaires, nous aurons, en responsabilité, des choix graves et importants à faire. Ce moment sera celui de la discussion sur le projet de loi de finances et devra procéder d’une vision globale.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Féraud, Mme Blatrix Contat, MM. Cozic, Kanner et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

son résultat imposable des exercices des trois années précédant la publication de la loi n° du visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique

par les mots :

ses trois derniers résultats imposables

La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle.

Qu’il n’y ait aucune confusion : le présent dispositif vise à taxer des profits exceptionnels, mais il a bien un caractère pérenne. Ce sont les profits visés qui sont exceptionnels, pas le dispositif lui-même… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Somon, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 113
Contre 218

Le Sénat n’a pas adopté.

Chapitre II

Rationalisation des dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés

Article 2
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Article 4

Article 3

L’article 244 quater B du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la fin de la deuxième phrase du premier alinéa du I, les mots : « 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant » sont remplacés par les mots : « 40 % pour les petites et moyennes entreprises telles que déterminées par l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. » ;

2° Le II est complété par un l ainsi rédigé :

« l) Les dépenses de recherche relatives à l’environnement telles qu’entendues dans le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. Le taux de crédit d’impôt s’élève à 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros et de 40 % pour les petites et moyennes entreprises. Ces taux sont applicables au titre d’un crédit d’impôt recherche “vert”. »

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 98
Contre 233

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 3
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Article 5 (début)

Article 4

Le 1 du I de l’article 39 decies A du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au début du a, les mots : « Le gaz naturel et » sont supprimés ;

2° Le a bis est abrogé.

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 nest pas adopté.)

Article 4
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Article 5 (fin)

Article 5

Après le b du I de l’article 44 octies A du code général des impôts, il est inséré un b bis ainsi rédigé :

« b bis) Les activités de l’entreprise concernées doivent être conformes aux exigences d’une activité économique durable sur le plan environnemental au titre du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. »

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les cinq articles qui la composent auraient été rejetés.

Aucune explication de vote sur l’ensemble du texte ne pourrait donc être admise.

La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Préjugeant que l’article 5 ne sera pas adopté, je vais m’exprimer sur l’ensemble du texte.

Je veux remercier Mme la ministre, l’ensemble de mes collègues, la commission et les groupes de leur participation à ce débat.

Si celui-ci a pu donner lieu à des appréciations parfois un peu caricaturales, il nous a aussi permis de préparer le débat budgétaire.

Ainsi, nous avons pu, pour ce qui nous concerne, faire des propositions sur l’impôt sur les sociétés, sur la taxation des superprofits, sur l’évolution des niches fiscales, notamment sur la plus importante d’entre elles, c’est-à-dire le crédit d’impôt recherche.

Je pense que nous devons vraiment changer de modèle. Continuons d’y réfléchir : une telle démarche est plus porteuse d’avenir, plus intelligente et plus orientée vers des objectifs, notamment en matière écologique – que nous partageons ici, parfois bien au-delà des travées de la gauche –, que le simple bouchage de trous auquel va se livrer le PLF 2025, un peu au détriment des plus riches et des grandes entreprises et beaucoup à celui de l’ensemble des Français.

Chers collègues, nous reviendrons certainement sur vos arguments lors du débat budgétaire. De fait, c’est la majorité sénatoriale qui, au final, dans quelques semaines, augmentera les impôts de manière indiscriminée avec le Gouvernement. Nous ne manquerons alors pas de reprendre les propos que vous avez tenus aujourd’hui.

Nous vous avons proposé un autre dispositif. Nous n’espérions pas qu’il serait adopté, mais nous sommes heureux d’avoir pu faire avancer le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote sur l’article 5.

M. Daniel Salmon. Au cours de cette discussion, j’ai moi aussi entendu beaucoup de choses. J’ai vu que la main invisible d’Adam Smith volait encore et toujours au-dessus des travées dégarnies de la droite, dont les membres continuent de prôner l’avènement du meilleur monde libéral.

On procrastine, mais aujourd’hui procrastination rime avec inondations ! On me parle toujours d’écologie punitive, mais qui est puni aujourd’hui ? Comme d’habitude, ce serait la faute des écologistes, qui préservent les grenouilles, et des fossés, qui ne sont pas curés… Eh bien non, chers collègues : la croissance insoutenable est là ! Nous y sommes !

Si le rôle des politiques publiques n’est pas d’orienter nos entreprises vers une transition écologique, à quoi servent-elles ?

On me dit toujours que les choses vont trop vite. Non, elles ne vont pas du tout à la bonne vitesse. La trajectoire n’est pas la bonne et les aléas climatiques ne font que s’accélérer. Chers collègues, vous savez très bien que tout cela nous coûtera beaucoup plus cher demain.

Le culte du profit semble toujours primer sur la biosphère. En 2023, ce sont 73 milliards d’euros de dividendes qui ont été versés par les entreprises du CAC 40.

Nous devons avoir des exigences. L’examen du PLF approche et les équilibres seront très difficiles à trouver. Il faudra bien prendre l’argent là où il est et, tant qu’à le faire, orienter les entreprises vers cette nécessité absolue qu’est la transition. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 nest pas adopté.)

M. le président. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 5 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
Discussion générale (suite)

Mixité sociale dans les établissements d’enseignement publics et privés

Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 471 rectifiée [2023-2024], texte de la commission n° 678 [2023-2024], rapport n° 677 [2023-2024]).

Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Madame la ministre déléguée, je tiens à vous féliciter de l’élargissement du périmètre de votre ministère ! (Sourires.)

Derrière ce propos facétieux, je regrette que la ministre de l’éducation nationale ou son ministre délégué ne soient pas présents au banc du Gouvernement au moment d’engager cette discussion générale sur un sujet aussi important.

Je le regrette d’autant plus fortement que la ministre était à Tourcoing ce matin… Quand on est ministre, on n’organise pas un déplacement qui nous empêche d’être présent en séance lors d’un débat parlementaire qui nous concerne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mmes Laure Darcos et Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.) J’ai occupé quelques fonctions ministérielles : c’était le b.a.-ba…

J’ai reçu par texto les excuses de la ministre chargée des relations avec le Parlement ; je les accepte.

Toutefois, si cet incident n’est pas dirimant, il est tout de même regrettable ; il peut s’analyser comme un manque de respect à l’égard de l’auteure de la proposition de loi, Colombe Brossel, qui va s’exprimer dans quelques instants.

J’appelle le Gouvernement à respecter le Parlement et je ne doute pas que cette demande recueille l’assentiment de l’ensemble de nos collègues, sur toutes les travées. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
Article 1er A (nouveau)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souhaité inscrire à l’ordre du jour de son espace réservé la proposition de loi que nous avons élaborée avec mes collègues membres de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, afin d’assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat et en faveur de la transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat.

Je remercie mes collègues de m’avoir accordé leur confiance dans la conduite de ce travail, notamment le président Patrick Kanner, Marie-Pierre Monier ainsi et Mme la rapporteure Karine Daniel.

L’examen de cette proposition de loi, déjà très cohérent au mois de juin, avant la dissolution, l’est encore davantage aujourd’hui.

Fruit de plusieurs dizaines d’auditions organisées par notre groupe durant plus de trois mois, ce texte nous permet d’interroger pleinement les fondamentaux de l’école publique. Où les enfants peuvent-ils encore grandir, se retrouver et apprendre ensemble, si ce n’est au sein de l’école de la République ?

Alors que la France est l’un des pays où le milieu social de l’élève conditionne le plus sa réussite scolaire, il est urgent d’agir pour assurer à tous les élèves les mêmes chances.

L’OCDE nous le rappelle, le fossé social explose depuis vingt ans. Désormais, la publication des indices de position sociale, les fameux IPS, à la suite d’une décision de justice rendue contre l’avis du précédent gouvernement, nous offre une cartographie précise et étayée de ce qui n’est autre qu’une ségrégation sociale et scolaire. Et les écarts de se creuser.

Face à ce constat, notre responsabilité politique nous invite à agir. De nombreuses collectivités territoriales – communes, conseils départementaux et régionaux – mènent déjà des politiques publiques en faveur d’une plus grande mixité sociale et scolaire. Et la bonne nouvelle, mes chers collègues, c’est que ces politiques publiques sont efficaces non seulement sur le plan de la réussite scolaire, mais aussi sur celui du climat scolaire et de la capacité à s’ouvrir aux autres.

Finalement, l’engagement principal de la présente proposition de loi, partant de ce constat objectif, est de donner à l’ensemble des collectivités territoriales les moyens d’agir et d’inscrire ces politiques publiques dans un cadre national, celui qui garantit l’égalité républicaine. Il ne pouvait y avoir, je crois, de lieu plus adapté que la chambre des territoires pour débattre de cet engagement.

La proposition de loi est articulée autour de trois axes.

Nous souhaitons tout d’abord renforcer les objectifs légaux, pour en faire de véritables obligations.

Voilà plus de dix ans, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de 2013, dite loi Peillon, inscrivait dans le code de l’éducation que l’État devait veiller aux objectifs de mixité sociale et scolaire. Il s’agit aujourd’hui de franchir une nouvelle étape : en demandant à l’État de garantir le respect de ces objectifs, l’idée est de lui permettre d’assumer son rôle de régulateur, au service de la mise en œuvre de ces objectifs.

Nous souhaitons ensuite donner une base légale aux indices de position sociale, ceux-là mêmes qui ont mis en évidence, en toute objectivité, les très fortes disparités territoriales. Ces outils sont essentiels aux élus locaux pour décliner les politiques et les objectifs de mixité sociale et scolaire.

Avec un IPS moyen de 105 pour les collèges à la rentrée 2022, les disparités territoriales sont frappantes. Nous souhaitons que ces indicateurs, qui constituent l’un des éléments centraux des politiques publiques en faveur de la mixité sociale et scolaire, soient transmis régulièrement aux collectivités territoriales et aux établissements scolaires.

Au-delà, nous donnons également une base légale à la plateforme d’affectation Affelnet, dont nous souhaitons l’extension à l’enseignement privé sous contrat.

Enfin, nous proposons de conditionner le financement de l’enseignement privé sous contrat au respect des obligations de mixité, car il est normal que la loi s’applique à tous. Améliorer la mixité sociale et scolaire ne se résume bien évidemment pas à agir sur l’enseignement privé, mais cela reste indispensable pour atteindre cet objectif. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes, dont j’espère que les analyses font autorité dans cet hémicycle.

Dans son rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023, le constat de la Cour est sans appel : le fossé social s’est creusé depuis le début des années 2000. Ainsi, les élèves de milieux favorisés ou très favorisés représentaient, en 2000, 41,5 % des élèves dans le privé sous contrat ; cette part s’élève désormais à 55,4 %. Et tandis que les enfants de milieux défavorisés représentaient 24,8 % des élèves dans le privé sous contrat, toujours en 2000, ils ne sont plus que 16 % aujourd’hui.

Alors que la part de financements publics atteint 76 % pour l’enseignement privé sous contrat, de nombreux élus, de tous bords et de tous territoires, souhaitent mieux savoir comment l’argent public est dépensé.

À cet égard, permettez-moi de remercier mon collègue Pierre Ouzoulias, auteur initial de cette partie de la proposition de loi, avec qui ce fut un plaisir de travailler.

Mme Colombe Brossel. Je sais que ce dernier point nous opposera avec la majorité sénatoriale. Je veux à ce titre vous remercier, mes chers collègues, d’avoir permis à notre texte, dans le respect de la tradition sénatoriale, d’être examiné en séance après son passage en commission.

Nous connaissons nos désaccords, mais je ne désespère pas d’arriver à vous convaincre, même si je sais que le chemin sera long.

Je remercie la rapporteure, Karine Daniel, qui, dans un esprit de compromis, a rédigé un article disjoint permettant de donner une base légale aux IPS – que nous utilisons tous – et d’obliger les services de l’État à les transmettre annuellement aux élus. Je ne puis imaginer une seule seconde, mes chers collègues, que la chambre des territoires s’oppose à la transmission aux collectivités territoriales d’indicateurs destinés à servir d’outils de politiques publiques.

Nous devions débattre de cette proposition de loi le 13 juin dernier. La dissolution a reporté son examen. J’ai relu le texte que j’avais écrit, quelques jours avant cette date, en vue de la discussion générale. Je le concluais ainsi : « À l’heure où les élections européennes marquent une avancée très forte de l’extrême droite dans les consciences – les sondages de début juin me permettaient malheureusement d’anticiper le résultat des élections européennes – la question qui nous est posée n’est pas uniquement celle de l’école que nous voulons bâtir, mais celle du pays que nous souhaitons construire. Car si nous ne sommes pas capables de mettre en œuvre des politiques publiques qui permettent à tous les enfants de ce pays de grandir ensemble, d’apprendre ensemble, de jouer ensemble, de se construire ensemble, alors nous continuerons à regarder les fractures se creuser dans notre pays. »

Après la dissolution, après les scores effrayants de l’extrême droite aux élections législatives, après le puissant front républicain que les Français ont soutenu pour empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir dans notre pays, je n’ai finalement pas un mot à changer à ce paragraphe. Oui, la question qui est nous est posée est bien celle des moyens nécessaires pour retisser du commun, du lien et un avenir partagé pour tous les enfants de ce pays.

Voilà pourquoi il est si important d’œuvrer à une meilleure mixité sociale et scolaire. C’est le sens de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. Avant de suspendre la séance, je donnerai la parole à Mme la rapporteure et au Gouvernement. La discussion générale se poursuivra à quatorze heures trente.

Il n’y a pas d’objection ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Karine Daniel, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà dix ans que l’objectif de mixité sociale et scolaire est inscrit dans la loi. Or cette ambition louable manque d’outils opérationnels pour se concrétiser dans nos écoles.

La publication, depuis trois ans, de l’indice de position sociale constitue l’une des seules actions de portée nationale en la matière. Elle a permis d’objectiver une situation que nous sommes beaucoup à constater dans nos territoires : la persistance de nombreuses inégalités dans la composition sociale des établissements scolaires et leur accentuation entre établissements publics et établissements privés, mais aussi entre établissements publics.

Quand les collectivités locales s’emparent de ce sujet, les expérimentations menées en faveur de la mixité sociale montrent pourtant des résultats encourageants. C’est le cas dans les collèges de Loire-Atlantique ou de Haute-Garonne, ou dans les écoles de Vendôme, dont nous avons reçu les élus au cours de nos auditions.

Les recherches menées dans ce champ montrent que les élèves les plus défavorisés progressent lorsqu’ils sont scolarisés dans un établissement socialement plus favorisé. En outre, une plus grande mixité scolaire a des effets notables, au-delà de l’acquisition des connaissances, sur le vivre ensemble pour tous les élèves. Enfin, le renforcement de la mixité sociale n’a pas d’effet négatif sur les résultats scolaires des meilleurs élèves, à l’échelle des établissements concernés.

Cette proposition de loi pourrait contribuer, comme vous l’appelez de vos vœux, madame la ministre (Mme Anne Genetet, ministre de léducation nationale, prend place au banc du Gouvernement.), – quel à-propos, madame la ministre ! – (Sourires.) aux conditions de réussite des élèves et, je vous cite, à « relancer l’ascenseur scolaire et tirer tous les élèves vers le haut ».

Madame la ministre, l’un de vos prédécesseurs, Pap Ndiaye, avait souhaité faire du renforcement de la mixité sociale l’un des axes de sa politique. En 2023, il annonçait ainsi un objectif de réduction de la « ségrégation scolaire » – je reprends ici son expression – des établissements scolaires publics de 20 % d’ici à 2027.

Quelques semaines plus tard, le ministère signait un protocole sur les mixités avec l’enseignement catholique. Le secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec) vient d’ailleurs de mettre en place son propre outil de mesure de la mixité, dont les premiers résultats seront connus en janvier 2025. Il a également réaffirmé l’objectif de doublement des élèves boursiers, mais à condition que les aides sociales soient renforcées, notamment de la part des collectivités territoriales, pour la cantine.

Madame la ministre, cette proposition de loi est l’occasion de nous présenter vos mesures pour renforcer la mixité sociale et scolaire.

Lors de mes auditions, en mai dernier, il m’a été indiqué que le ministère travaillait à l’identification de binômes d’établissements proches géographiquement, mais disposant d’IPS différents. Des directives devaient être données aux recteurs pour renforcer la mixité sociale au sein de ces binômes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Par ailleurs, pouvez-vous faire le point sur la mise en place du protocole signé avec l’enseignement privé ?

La proposition de loi de notre collègue Colombe Brossel, inscrite à l’ordre du jour par le groupe socialiste, vise à prendre des mesures plus coercitives pour renforcer la mixité sociale et scolaire, au nom de la cohésion nationale.

Le texte prévoit notamment l’obligation pour les collectivités territoriales de prendre en compte un impératif de mixité sociale lors de l’implantation de nouvelles classes ou établissements scolaires.

L’État devient également le garant d’une répartition des élèves entre les établissements scolaires qui respecte les équilibres socio-économiques nationaux.

Par ailleurs, la proposition de loi généralise des outils favorisant la mixité qui ont fait leur preuve à l’échelle locale. Elle rend ainsi obligatoire le recours à la sectorisation multicollèges pour des établissements situés à proximité. Elle étend à l’ensemble du territoire le modèle d’affectation des élèves dans les lycées, mis en place dans l’académie de Paris. Il s’agit d’élargir le nombre de lycées auxquels un élève peut postuler et de prendre en compte des critères sociaux dans l’affectation des élèves.

La proposition de loi fait aussi davantage contribuer l’enseignement privé sous contrat à la mixité sociale. Les lycées privés sous contrat sont ainsi inclus dans les nouvelles modalités d’affectation des lycées.

Le texte prévoit en outre le conditionnement des subventions publiques des établissements privés sous contrat à l’existence d’une mixité sociale comparable à celle des classes publiques du territoire. Afin d’équilibrer les effets de vases communicants entre établissements privés et publics, le texte empêche toute ouverture de classe dans un établissement privé sous contrat dans un délai de trois ans après la fermeture d’une classe d’un établissement public.

Enfin, pour plus de transparence, il impose une publicité des dons et legs effectués au profit de ces établissements.

Le dernier axe concerne l’indice de position sociale. Il s’agit d’un outil important pour mesurer les inégalités scolaires et ainsi permettre aux collectivités territoriales de prendre des mesures correctrices.

Toutefois, les données sont transmises trop tardivement et de manière assez aléatoire, raison pour laquelle le texte prévoit une transmission annuelle de l’IPS aux collectivités territoriales compétentes ainsi qu’aux chefs d’établissement.

Lors de son examen en juin dernier, notre commission a émis un certain nombre de réserves sur ce texte. Toutefois, dans la tradition sénatoriale qui régit l’examen des propositions de loi des groupes d’opposition, elle a souhaité que l’intégralité de ses dispositions puissent être débattues en séance.

Pour ma part, je pense qu’un consensus peut se dégager sur la transmission des IPS. Cet outil doit favoriser le dialogue entre l’éducation nationale et les collectivités territoriales, lequel, selon les élus locaux eux-mêmes, mériterait d’être fluidifié. Les collectivités pourront s’en emparer pour conduire leurs politiques publiques à moyen et long termes.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé d’isoler l’article 1er de cette proposition de loi, afin de renforcer les objectifs légaux de mixité sociale.

Mes chers collègues, depuis Jules Ferry, l’école a deux rôles majeurs : la transmission des savoirs fondamentaux et la construction de la Nation. C’est au nom de la réussite de tous les élèves et du vivre ensemble que la mixité sociale et scolaire doit être renforcée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre de léducation nationale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes excuses pour mon retard.

J’entends parfaitement les critiques formulées à mon endroit par le président Kanner. (M. Patrick Kanner marque son approbation.) J’étais en effet au lycée de Tourcoing, où la communauté éducative attendait mon appui. J’y ai souligné le soutien de la Nation à nos professeurs et rappelé le respect dû à leur autorité.

Cela n’enlève rien à mon profond respect pour la représentation nationale.

M. Patrick Kanner. Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre. En 2013 d’abord, puis en 2021, la loi a fixé l’objectif d’améliorer la mixité sociale à l’école. Comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, cet objectif louable s’applique aussi bien à l’école publique qu’à l’école privée.

En France, dans l’Hexagone comme dans nos outre-mer, nos territoires sont façonnés par des situations sociales contrastées. Mais ni ce constat ni la seule volonté de bien faire ne peuvent justifier le vote d’une loi qui nous semble inadaptée.

D’abord, parce que de nombreux leviers de progrès sont déjà entre nos mains.

Ensuite, parce que le Gouvernement ne souhaite pas raviver la guerre scolaire.

Enfin, parce que le Gouvernement n’a pas la volonté d’opposer nos territoires les uns aux autres, pas plus que celle de se substituer aux collectivités territoriales, ce que certains éléments du texte pourraient laisser entendre.

Vous en conviendrez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la gestion de la carte scolaire ne se heurte pas aux mêmes problèmes à Paris intra-muros que dans le Lot-et-Garonne, le Rhône, l’Essonne ou l’île de La Réunion.

Mais vous en conviendrez également, il est sain d’avoir un débat permettant de faire le point sur notre politique de mixité à l’école en ce que mixité scolaire et mixité sociale participent de l’égalité des chances.

Nous devons commencer par reconnaître que le manque de mixité de certains établissements scolaires n’est pas la faute de l’école. La composition de classes socialement homogènes procède d’abord d’une politique d’aménagement du territoire, d’un développement économique et d’une histoire, dont nous héritons. À cela, il faut ajouter une démographie scolaire qui n’est pas toujours favorable au maintien d’une forme de mixité dans certains départements.

Mais il n’y a jamais de fatalité. La mixité est à ce titre un sujet majeur. Qu’il n’y ait aucun doute à cet égard : j’en fais moi-même une condition essentielle de la réussite de chaque élève.

La mixité est au cœur de la promesse d’émancipation et d’égalité des chances de l’école de la République. Et pour que cette promesse soit tenue, il faut nous attaquer au poids de l’origine sociale des élèves dans leur réussite.

Toutefois, cette proposition de loi aborde ce thème majeur sous un angle technique, en recourant à la contrainte, à l’obligation.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne serai pas la ministre du tri social. Je ne serai pas la ministre qui minera notre pacte républicain. Je ne serai pas non plus la ministre qui fera peser sur nos collectivités et nos établissements scolaires des situations de fait, dont ils ne sont pas responsables.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’objectif de mixité sociale est et doit rester une ambition de portée nationale. Nous pouvons – et devons – nous améliorer, avancer, aller encore plus loin.

Aujourd’hui, l’État et les collectivités territoriales disposent déjà d’outils qu’il nous appartient de mobiliser dans un cadre législatif constant.

Dans le second degré, je veux d’abord mentionner l’existence de secteurs de recrutement multicollèges et multilycées, là où cela est possible.

Concrètement, nous élargissons, dans certaines académies, le périmètre de la carte scolaire des établissements pour endiguer les tentations de contournement et susciter une plus grande diversité parmi les élèves.

Ce levier majeur prend en compte les réalités territoriales, la qualité des réseaux de transport, les réalités de vie des parents ou encore la présence des activités périscolaires, notamment en cité éducative.

Parmi les exemples réussis, je peux évoquer celui de Toulouse, en Haute-Garonne, qui mêle à la fois une politique de rénovation urbaine, de relocalisation de collèges et de modification des règles d’affectation.

Ce travail engagé dans l’agglomération toulousaine est bien la preuve que le cadre national actuel permet d’agir concrètement sur le terrain.

Je tiens ensuite à souligner que nous mettons tout en œuvre pour accroître le nombre d’élèves boursiers dans les établissements favorisés.

Plus de 300 établissements ayant un indice de position sociale élevé ont déjà accueilli de manière significative de nouveaux élèves bénéficiaires de bourses sociales.

Cette politique est complexe à mettre en œuvre, car elle doit tenir compte de la vie quotidienne des élèves. Nous devons nous assurer que ceux-ci pourront se rendre dans l’établissement avec des transports fiables et sûrs – la sécurité sur le chemin de l’école est un facteur important.

Il faut aussi être lucide : les phénomènes d’autocensure existent. Certains parents hésitent à envoyer leurs enfants dans une école où ils estiment qu’ils n’y ont pas leur place. Je ne me résoudrai jamais à ce qu’un enfant se dise « ce n’est pas pour moi » ou « je n’y arriverai pas ». Le combat pour la mixité est d’abord un combat contre les inégalités de destin.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous continuerons d’encourager les familles à oser, à se projeter. En cela, l’information est capitale pour leur faire connaître cette possibilité de formuler des vœux dans des établissements plus favorisés.

Dans le même temps, nous rendons plus attractifs les établissements défavorisés sur le plan social. Je pense notamment à l’implantation de formations attractives, à l’instar des cinquante-quatre sections internationales qui ont été ouvertes dans les collèges de l’éducation prioritaire et qui rencontrent un véritable succès.

Car la mixité ne doit pas être pensée à sens unique. Les classes bilangues, les sections européennes, l’enseignement en langues et cultures de l’Antiquité sont autant d’opportunités que nous faisons en sorte de disséminer sur tout le territoire, pour transformer durablement les établissements jugés difficiles.

J’en viens maintenant à l’implication de l’enseignement privé sous contrat dans cette mobilisation.

La publication récente de l’indice de position sociale de chaque établissement a mis en lumière un écart déjà bien connu entre les établissements publics et ceux du privé, mais aussi au sein des établissements publics.

Je rappelle que tous les réseaux d’enseignement privé sous contrat avec l’État sont soumis aux mêmes objectifs de mixité sociale.

Le principal réseau privé, l’enseignement catholique, développe une politique active en lien avec le ministère. Mon propos ne serait pas complet si je ne mentionnais pas le protocole signé en 2023 avec le secrétaire général de l’enseignement catholique.

Ce protocole établit un plan d’action partagé pour renforcer la donnée publique sur les conditions d’accès aux établissements privés, en augmentant le nombre d’établissements offrant la possibilité d’une contribution modulée des familles ou encore le renforcement de l’accueil des élèves à besoins particuliers.

Ce protocole fait l’objet d’un suivi régulier des services de mon ministère, dans un esprit constructif et parfaitement respectueux du libre choix des établissements par les familles. La liberté est au fondement du pacte conclu entre l’État et l’enseignement privé, auquel nous demeurons profondément attachés.

Enfin, je tiens à souligner que la lutte contre les inégalités de destin n’est pas seulement une affaire de sectorisation ou de classes homogènes. C’est aussi une question de maîtrise des savoirs fondamentaux, déterminants absolus de la réussite des élèves.

Le choc des savoirs, que mes prédécesseurs ont engagé et que j’entends poursuivre, vise à lutter contre le poids de la sociologie dans la réussite scolaire. Un accompagnement en petits groupes, pour que chaque élève progresse à son rythme, est pour moi la véritable condition de la réussite pour un avenir meilleur.

L’année scolaire en cours nous permettra un premier retour sur la mise en place des groupes de besoins. L’élévation du niveau des élèves, dont j’ai fait l’une de mes priorités, particulièrement en français et en mathématiques, est la principale réponse à la question que pose au fond votre proposition de loi.

Je suis résolument convaincue que les solutions sont nombreuses et passent autant par des dispositifs administratifs, sociaux et territoriaux que par des pédagogies innovantes et les initiatives de certains enseignants, auxquelles je serai particulièrement attentive.

L’air du temps n’est pas aux réponses toutes faites, planificatrices et centralisatrices. Je l’ai dit, il existe des modèles favorisant la mixité sociale et scolaire qui fonctionnent. Je m’en tiendrai davantage aux solutions qu’aux obligations.

C’est pourquoi, attentive aux objectifs fondamentaux de ce texte, mais en désaccord avec la méthode prônée, je donnerai, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur l’adoption de cette proposition de loi.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues socialistes d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux.

Que visent ses auteurs ? Simplement à répondre aux attentes de nombreux élus locaux, lesquels souhaitent bénéficier d’outils clairs pour atteindre l’objectif de mixité sociale prévu dans la loi. Celui-ci concerne non seulement le secteur privé, mais aussi le secteur public, où de grands écarts peuvent exister d’un établissement à l’autre.

Lors des auditions que nous avons conduites, beaucoup d’élus ont fait part de leurs difficultés pour appliquer le code de l’éducation, qui leur demande de veiller à la mixité sociale des publics scolarisés.

Ces difficultés sont liées au manque d’outils pour mesurer les inégalités sociales à l’école ; mais elles sont aussi dues à l’attitude de certains établissements privés et au chantage à la fermeture que plusieurs d’entre eux exercent pour obtenir des subventions complémentaires.

Le rapport des députés Paul Vannier et Christophe Weissberg a souligné l’opacité du financement des établissements privés. Pis, dans ce rapport, plusieurs élus évoquent l’existence « d’une “pression” des établissements privés ou de leurs réseaux sur les collectivités territoriales […] pour accroître le montant du forfait d’externat en modifiant les modalités de calcul. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) évoquait, à ce titre, des “discussions de marchands de tapis” ».

Les chantages exercés contre des élus sont inacceptables. L’indice de position sociale que Mme Colombe Brossel propose ici de mettre à disposition des maires leur permettrait de s’en protéger, mais aussi d’obtenir un rééquilibrage des moyens à l’échelon tant académique qu’infra-académique.

Pour cette raison, j’avais proposé par un amendement d’interdire la fermeture de classes dans les établissements publics présentant un indice de position sociale inférieur à la moyenne nationale, mais cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Une fois de plus, je regrette l’opposition systématique de la droite sur ce sujet.

Certes, dans certains territoires dont l’État s’est désengagé, le secteur de l’enseignement privé comble les lacunes et offre aux parents des solutions de proximité essentielles.

Toutefois, l’affaire Stanislas a montré qu’à nombre d’élèves égal et à difficultés sociales moindres, les établissements privés peuvent bénéficier de moyens publics supérieurs à ceux qui sont alloués aux établissements publics.

Je le sais, certains parmi vous pensent qu’il faut sortir des caricatures et que l’enseignement privé prend déjà toute sa part pour répondre à l’impératif de mixité. Pourtant, le rapport de juin 2023 de la Cour des comptes établit sans appel que « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années ». Les rapporteurs de la Cour des comptes invitent l’enseignement privé sous contrat à « être davantage mobilisé au service […] de la mixité sociale ». Je le rappelle, les trois-quarts des ressources financières de ces établissements proviennent de l’État et des collectivités territoriales.

Comme aurait pu le dire Jean-Pierre Raffarin, « la route est droite, mais la pente est forte »… (Sourires.)

Mes chers collègues, il s’agit ici non pas de rejouer la guerre scolaire,…

M. Max Brisson. Un peu quand même ! (Sourires.)

Mme Monique de Marco. … mais d’adapter le code de l’éducation pour généraliser les bonnes pratiques en matière de mixité sociale qui ont été imaginées dans des collectivités comme Marseille, Reims ou Versailles – car oui, quelles que soient leurs couleurs politiques, des collectivités s’emparent d’ores et déjà du sujet.

Les amendements que j’ai déposés vont dans le même sens. Je m’indigne que le désinvestissement de l’État dans l’école publique pousse de plus en plus de parents à inscrire leurs enfants à l’école privée ; et je m’indigne que les collectivités soient laissées seules face à cette situation.

La liberté de l’enseignement n’est pas remise en cause par ce texte. Elle est d’ailleurs protégée par la décision du Conseil constitutionnel de 1977. Ce que nous demandons, c’est qu’elle s’exerce en toute équité et que les écoles privées ne soient pas avantagées au détriment des écoles publiques. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Mes chers collègues, il y a urgence à remettre l’école publique au milieu du village. La mixité sociale est le terreau du vivre ensemble. Elle prépare à la vie citoyenne, elle forme à la tolérance. Son affaiblissement nous concerne tous. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Adel Ziane. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel plus beau sujet pour nous rassembler que celui de l’école, le lieu où nous avons appris à lire, à écrire et à compter, mais aussi celui où l’on nous a enseigné les bases de la citoyenneté, les valeurs et les principes de la République ?

Dans les salles de classe et les cours de récréation, la Nation prend forme. Les élèves ne sont pas réduits au statut de simples agents, producteurs et consommateurs ; ils sont au contraire invités à bien se construire comme citoyennes et citoyens, comme Français, comme acteurs de la vie de la cité, ayant des droits et des devoirs.

Pourtant, mes chers collègues, nous le savons, l’école peine aujourd’hui à remplir ses missions historiques. L’école de la République est en péril.

Nous partageons toutes et tous le même constat : au fil des années, des choix politiques ont participé à l’affaiblissement de notre système éducatif. Chaque rapport du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) relève, année après année, que l’école française échoue à réduire l’influence des inégalités sociales sur les résultats de ses élèves.

Madame la ministre, si nous partageons ce constat, c’est que l’enjeu transcende les lignes partisanes et appelle à une action collective forte et résolue. Cependant, nous doutons parfois que les moyens employés, à l’image du choc des savoirs, apportent des fruits positifs à l’école de la République.

Mes chers collègues, nous ne pouvons ignorer la réalité : certaines écoles, publiques ou privées, tendent à concentrer les élèves de milieux favorisés, ceux qui bénéficient d’un encadrement familial plus fort et qui ont hérité d’un capital culturel plus important, qui peuvent ainsi réussir plus aisément à niveau d’effort égal, tandis que d’autres écoles, publiques ou privées également, suivent le chemin inverse et concentrent les difficultés.

La publication des indices de position sociale met en lumière de manière indiscutable et précise la réalité des inégalités socioscolaires sur l’ensemble du territoire national.

Les IPS sont des outils qui constituent une base de travail solide. Ils méritent de se voir octroyer une base légale, comme le vise la proposition de loi.

Entendez-le bien : les auteurs de cette proposition de loi veulent promouvoir le partage de l’excellence, pour que chaque enfant, quel que soit son milieu, puisse s’épanouir et développer son plein potentiel.

C’est cette société juste et équitable que nous devons défendre, car elle permet de mesurer notre capacité d’offrir à tous les enfants de la République, sans distinction, les moyens de sa réussite, conformément à la promesse républicaine que nous devons tenir.

Lors de l’examen du texte en commission, j’ai salué la qualité des débats et le fait qu’ils soient guidés par un esprit de concorde républicaine, notamment de la part de M. Max Brisson. Cela montre combien les préoccupations que je viens d’évoquer nous sont communes. Je ne parlerai pas de guerre scolaire : il ne s’agit pas d’opposer école publique et école privée, ou de blâmer les choix des parents quant à la scolarisation de leurs enfants.

Madame la ministre, vous l’avez rappelé, les élus locaux, comme souvent, n’ont pas attendu pour expérimenter des solutions innovantes. En témoigne, par exemple, la politique volontariste en matière de mixité sociale appliquée depuis 2017 en Haute-Garonne, sur l’initiative du conseil départemental. La fermeture de plusieurs établissements très défavorisés et la réaffectation des élèves dans des collèges favorisés ont permis de réduire les écarts en nivelant non pas vers le bas, mais bien vers le haut. Les résultats des bons élèves n’ont pas baissé, alors que le taux de réussite au brevet des élèves issus des réseaux d’éducation prioritaire a sensiblement augmenté. De plus, les choix d’orientation de ces derniers s’avèrent plus ambitieux.

Je me permets d’exprimer une forme d’inquiétude en vue de l’examen du projet de loi de finances à venir, à la suite des annonces d’une réduction draconienne des dotations des collectivités territoriales. Devant la réussite de ce type d’initiatives portées par nos collectivités, il est urgent de préserver leurs financements pour les prochaines années.

La présente proposition de loi s’inspire de ces bonnes pratiques. Elle vise à inscrire dans le code de l’éducation des outils permettant de garantir la mixité sociale et scolaire dans les établissements.

Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous ne faisons pas qu’un choix politique, nous réaffirmons toutes et tous notre engagement envers les valeurs et les principes fondamentaux de la République.

Si nous aspirons collectivement à former des citoyens éclairés, capables de contribuer pleinement à la vie démocratique de notre pays, nous avons l’obligation de garantir à chaque élève l’existence d’un cadre éducatif équitable et propice à son épanouissement. C’est ensemble que nous devons remettre sur pied l’école.

Dans un esprit transpartisan et de concorde républicaine, je vous appelle, mes chers collègues, à rejoindre cette cause. Je salue Colombe Brossel et la remercie de son travail, les auditions ayant largement contribué à enrichir notre réflexion collective.

Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi, à l’instar, bien évidemment, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école de la République se doit d’offrir à nos enfants, quels que soient les établissements dans lesquels ils sont scolarisés, les mêmes conditions d’apprentissage et de réussite ; or il est de plus en plus difficile à la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité de s’incarner au sein de l’éducation nationale, fragilisée et fracturée à l’image de la France d’aujourd’hui.

Les indices de position sociale attestent la persistance de très importants écarts dans la composition des écoles, collèges et lycées.

L’école devrait logiquement refléter la diversité de la population française et réunir des jeunes d’origines sociales, géographiques et culturelles différentes. En leur permettant d’apprendre et de grandir ensemble, elle a vocation à être le creuset de la cohésion nationale.

C’est pourquoi la mixité sociale est essentielle dans le domaine scolaire, tant elle permet de lutter contre les inégalités dès l’enfance. C’est tout l’enjeu du texte que nous examinons.

La proposition de loi de Mme Colombe Brossel pose les bons diagnostics.

Notre collègue dresse le constat de la persistance de la ségrégation scolaire, malgré l’inscription de l’objectif de mixité dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Elle met également en lumière l’écart d’attractivité entre les établissements publics et ceux de l’enseignement privé sous contrat, qui accueillent une plus grande proportion d’élèves issus de milieux favorisés.

Les outils dont disposent l’éducation nationale et les collectivités territoriales pour corriger ces tendances de fond ne manquent pas, puisque les collectivités territoriales peuvent, comme vous le savez, agir sur la sectorisation des élèves et la localisation des nouveaux établissements scolaires.

La proposition de loi tend à actionner de nouveaux leviers en agissant par la contrainte. Elle vise, par exemple, à rendre obligatoire le partage d’un secteur de recrutement entre plusieurs collèges coexistant dans un périmètre rapproché.

Elle étend par ailleurs la procédure Affelnet aux lycées privés sous contrat et conditionne leur financement public au respect d’une obligation de mixité sociale.

Si nous sommes d’accord sur les constats, nous sommes en revanche en désaccord sur les solutions envisagées.

Opposer établissements privés et établissements publics nous paraît d’autant moins pertinent que le secteur privé sous contrat participe déjà de manière importante à l’accueil des élèves boursiers.

Ne faisons pas de l’enseignement privé, aux spécificités propres, un clone de l’enseignement public, au risque de gommer toute différence de nature entre eux. En outre, cela pourrait à terme légitimer le discours selon lequel plus rien ne justifie que cohabitent au sein de l’éducation nationale des établissements qui se ressemblent en tout point.

Appliquons déjà les méthodes d’excellence propres à certains établissements publics et aux établissements privés sous contrat à l’ensemble de la sphère éducative.

L’excellence passe notamment par la liberté de recrutement des enseignants, dont disposent les directeurs d’établissements privés, laquelle pourrait judicieusement s’appliquer dans le secteur public.

Vous ne tarderez pas à constater les effets notables de cette politique vertueuse en termes de progression des résultats, d’estime de soi, de cohésion scolaire et de respect mutuel auprès des enfants et adolescents.

J’aimerais profiter de l’examen de cette proposition de loi pour rappeler l’existence d’un autre défi en matière d’égalité des chances, celui de la réussite des jeunes issus de la ruralité.

En mars 2023, notre groupe soulignait, lors d’un débat, que la mixité sociale à l’école revêt une importance toute particulière en milieu rural. Mon collègue Pierre-Jean Verzelen indiquait qu’en milieu urbain, rural, dans les villes moyennes ou dans les métropoles, à chaque territoire correspond une boîte à outils en matière de politique de mixité sociale et scolaire.

L’école républicaine doit en effet honorer ses promesses dans tous les territoires.

Pour ces différentes raisons, la présente proposition de loi ne nous semble pas répondre de manière adaptée aux enjeux auxquels fait face l’éducation nationale ni aux fractures multiples qui divisent notre société.

L’objectif de mixité sociale et scolaire doit être notre boussole durant les années à venir, au même titre que l’excellence et la laïcité. La méritocratie doit redevenir l’unique moteur pour tous les élèves de France.

Je salue particulièrement les parcours d’excellence, qui font la fierté des élèves qui l’obtiennent et de leurs familles. Madame la ministre, il faudrait en ouvrir bien davantage dans les établissements de l’enseignement public.

Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, que j’ai le plaisir de représenter aujourd’hui, se prononcera contre cette proposition de loi, en appelant à poursuivre la réflexion sur cet enjeu majeur dans les prochains mois.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne partage qu’un seul des constats de Colombe Brossel dans cette proposition de loi : oui, notre escalier social est en panne ; oui, il est indispensable de le reconstruire au plus vite.

Pour le reste, nous retrouvons dans ce texte tous les marqueurs d’une gauche toujours plus encline à l’uniformisation et à l’étatisation. (Mme Laurence Rossignol sexclame.)

Pour quels résultats, mes chers collègues, sinon une crise inédite touchant tous les pans de l’éducation, dans laquelle s’enlise inexorablement notre système éducatif ? Cette proposition de loi s’inscrit bien dans cette ligne politique qui ne jure que par l’intervention de l’État.

Bien sûr, nous pourrions d’abord nous interroger sur la faisabilité des mesures prévues par ce texte : Pauline Martin s’en chargera.

Nous pourrions aussi contester la volonté d’inscrire dans la loi des indicateurs qui demeurent des outils imparfaits. Comment justifier de les placer ainsi sur un piédestal, alors qu’ont été éjectés tous les éléments de réussite scolaire – notes, appréciations, livrets, examens, bref, tous les outils de la méritocratie ?

Si nous devons rejeter ce texte, c’est en raison de ce qu’il est : une proposition de loi idéologique et planificatrice. (Marques de protestation sur les travées des groupes SER et GEST.) Ainsi, l’indice de position sociale, outil pourtant qualifié de « rustique » par la rapporteure, aurait désormais une base légale et servirait de véritable boussole du pilotage de la répartition des élèves dans les établissements.

En d’autres mots, les élèves ne seront plus perçus selon leur mérite, mais selon la seule détermination sociale. Voilà comment achever définitivement toute forme de méritocratie. (Mêmes mouvements.)

Par ailleurs, alors que la Cour des comptes, rapport après rapport, invite à développer l’autonomie des établissements, vous proposez au contraire une méthode verticale, contraignante en fixant de rigides barrières, qui seront de toute façon contournées en ce qu’elles tournent le dos aux réalités de la vie quotidienne.

Si la mixité sociale et scolaire est en panne, c’est d’abord parce que, depuis de nombreuses décennies, l’école est victime de politiques de ségrégation. S’il y avait dans le passé davantage de mixité à l’école, c’est avant tout parce qu’il y avait davantage de mixité dans nos villes. De même, si la mixité existe toujours dans les écoles rurales, c’est parce que la mixité sociale existe toujours dans nos villages.

J’ai l’intime conviction que ce n’est pas la répartition autoritaire des élèves qui permettra de renouer avec la réussite des parcours.

Je crois davantage à une école qui pratique la différenciation dans les territoires aux besoins éducatifs particuliers, qui envoie ses meilleurs professeurs là où ils sont indispensables, qui repense son rapport aux territoires en partenariat avec les collectivités, qui revoit sa carte de l’éducation prioritaire et dessine une nouvelle politique de la grande ruralité.

Une autre lubie chère à la gauche innerve également ce texte : celle qui vise, au nom de la mixité scolaire et sociale, à remettre méthodiquement en cause les fondements de la liberté de l’enseignement.

Purgeons en premier lieu une caricature : beaucoup d’établissements privés sous contrat participent à l’effort de mixité sociale et scolaire.

Toutefois, il est vrai que l’enseignement privé sous contrat doit accueillir tous les élèves. Comment expliquer alors qu’il ait inexorablement gagné des élèves des milieux les plus favorisés au cours de ces dernières années ? Ne serait-ce pas parce qu’il n’a pas renoncé, lui, à la méritocratie républicaine ? Il ne cesse de démontrer, dans sa grande diversité, qu’insuffler de la souplesse et de la liberté dans l’organisation pédagogique est source de performance.

Pour ne pas perdre la face, vous préférez pointer du doigt un réseau qui fonctionne mieux plutôt que d’essayer de remédier aux difficultés de l’école publique !

Pour finir, je dois avouer que je suis toujours surpris d’observer ceux qui ont fait, voire défait notre système éducatif ces trente dernières années refuser obstinément toute introspection ou toute remise en question et nous proposer toujours les mêmes recettes, qui ont pourtant échoué. Chers collègues, votre obstination est tout à fait extraordinaire. (Marques dagacement sur les travées des groupes SER et GEST.)

Voilà en définitive plus de vingt ans que la rue de Grenelle suit le cahier des charges défendu dans ce texte, sans qu’aucune des réformes préconisées ait jamais porté ses fruits !

Je le réaffirme : aucune planification, aucune uniformisation, aucune idéologie centralisatrice ne permettront de reconstruire l’escalier social. Seul le pourra un grand vent de liberté et d’autonomie, que j’appelle de mes vœux.

Pour cette raison, le groupe Les Républicains votera résolument contre cette proposition de loi, qui, loin de présenter des solutions pour la mixité sociale, n’a d’autre objet que de conforter un dogmatisme qui mine depuis trop longtemps l’école de la République.

Mme Laurence Rossignol. Quelle intervention ! Cinq minutes de souffrance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans leur ouvrage Les Héritiers, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron estimaient que « la cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons ».

Mme Solanges Nadille. Si, depuis, les politiques publiques ont heureusement pris en considération cette problématique, la France reste malgré tout l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves.

De fait, il est souvent démontré qu’un manque de mixité scolaire nuit à la réussite de tous les élèves et à la promesse d’égalité des chances de l’école républicaine.

De fortes disparités existent dans notre pays au sein de l’enseignement public, qui accueille 80 % des élèves.

Ainsi, l’indice de position social moyen des collèges du réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+) est de 74, contre 106 pour les collèges publics hors éducation prioritaire.

Dans ce contexte, sous l’égide des gouvernements successifs depuis 2017, l’ensemble des acteurs ont été mobilisés afin de réduire la ségrégation sociale des établissements scolaires publics de 20 % d’ici à 2027.

La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale a identifié des binômes d’établissements proches géographiquement, qui disposent d’IPS différents. Des réflexions ont commencé à être menées afin de renforcer la mixité sociale au sein de ces mêmes binômes.

L’éducation nationale peut aussi améliorer l’attractivité des établissements défavorisés en ouvrant, par exemple, des sections internationales. Cinquante-quatre de ces sections ont ainsi été créées dans les collèges du réseau d’éducation prioritaire ces deux dernières années.

De plus, afin d’accompagner et d’inciter les familles les plus modestes à inscrire leurs enfants dans les internats d’excellence, la prime d’internat a été revalorisée.

Les efforts entrepris sont donc réels. Ils portent déjà leurs fruits, comme en témoigne la note du conseil scientifique de l’éducation nationale d’avril 2023.

Il est établi que le renforcement de la mixité sociale n’a pas entraîné d’évolution significative, positive ou négative, des résultats scolaires à l’échelle des établissements concernés.

En revanche, ceux des élèves les plus défavorisés qui sont scolarisés dans un établissement socialement plus favorisé ont vu leurs résultats scolaires progresser.

De plus, contrairement à ce que certains pouvaient craindre, l’amélioration de la mixité scolaire et sociale n’a pas entraîné une mobilité massive vers l’enseignement privé sous contrat.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent aller plus loin, à l’aide de plusieurs mesures coercitives. Notre groupe considère que leur adoption casserait le contrat tacite qui existe à la fois avec les établissements privés, mais également avec les parents d’élèves, qui disposent de la liberté de choisir le type d’école dans lequel ils souhaitent scolariser leurs enfants.

Au lieu de contraindre les parents en ravivant la guerre scolaire au nom de la mixité sociale, nous préférons faire preuve de pédagogie et accompagner l’ensemble des acteurs vers une plus grande mixité sociale dans nos écoles.

Mes chers collègues, vos propositions pourraient peut-être, à très court terme, avoir un effet quantitatif sur les indices, mais il n’est pas certain que les bénéfices qualitatifs soient du même acabit.

De plus, la proposition de loi vise à conditionner les subventions publiques dont bénéficient les établissements privés sous contrat au respect d’une mixité sociale équivalente à celle des établissements publics d’un niveau comparable situés dans le même territoire. Nous nous opposons à cet égalitarisme élaboré sur la base de critères flous, qui risque in fine de pénaliser les élèves.

Enfin, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent purement et simplement interdire toute ouverture de classe dans le privé si une classe publique d’un niveau équivalent ferme dans la même zone géographique.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi. Les efforts déjà entrepris en matière de mixité scolaire sont très encourageants, continuons dans ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la principale injustice de notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l’école, dans l’orientation ». Ces mots sont ceux prononcés par Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Français pour l’année 2023. (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Dix ans plus tôt, en 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République assignait au service public de l’éducation la mission de veiller à « la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. »

Dix années plus tard, l’objectif est loin d’être atteint. Rappelons les chiffres : l’enseignement privé compte 40 % d’élèves d’origine sociale très aisée, contre 20 % dans le public. À l’inverse, 42 % des élèves du public sont issus de milieux sociaux défavorisés, contre 18 % dans le privé.

En ce qui concerne les collèges, si la ségrégation sociale au sein des établissements tant publics que privés tend à diminuer, les disparités entre les deux secteurs continuent d’augmenter, de plus en plus d’élèves issus de milieux favorisés étant scolarisés dans le privé. Tel est le constat d’une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance sur l’évolution de la mixité sociale des collèges datant de mai 2024.

Des obstacles à la mixité sociale et scolaire dans les établissements demeurent.

En mai 2023, sous l’impulsion du ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, l’éducation nationale a signé avec l’enseignement catholique un protocole d’accord afin de renforcer les mixités sociale et scolaire. Par ce texte, l’enseignement privé sous contrat s’engage, de manière non contraignante, à augmenter la part de ses élèves boursiers.

Si cette démarche est positive pour la mixité sociale, elle n’a pas vocation à favoriser la mixité scolaire.

En effet, elle peut conduire à sélectionner les élèves boursiers ayant les meilleurs résultats et à priver ainsi le public de ses meilleurs élèves, alors que ce dernier doit déjà plus souvent faire face à des handicaps sociaux.

Il faut aussi citer les filières d’excellence, qui peuvent mener à une ségrégation scolaire au sein d’un même établissement : je pense, par exemple, à la section européenne, à la section orientale ou encore à l’apprentissage des langues anciennes.

En ce qui concerne les lycées, l’intégration des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV dans le système d’affectation Affelnet a eu des résultats prometteurs. Elle a permis de diversifier les profils des élèves admis, d’un point de vue tant social que scolaire.

Étendre le champ d’Affelnet en y faisant entrer les lycées privés sous contrat comme le proposent les auteurs de ce texte est une bonne chose.

Autre bonne mesure, l’inscription dans la loi de l’obligation faite à l’État de transmettre l’indice de position sociale des établissements aux autorités compétentes. À quoi bon calculer un IPS pour ne pas le diffuser ? L’IPS permet de repérer les inégalités : utilisons-le comme outil d’harmonisation.

À ce sujet, le groupe RDSE présentera un amendement visant à faire de l’IPS un critère dans le calcul des contributions communales aux dépenses de fonctionnement des classes : plus l’IPS est faible, plus les dépenses seront élevées, et inversement.

La mixité sociale et scolaire n’entraîne pas de baisse des résultats scolaires ; au contraire, elle permet aux élèves issus de milieux défavorisés qui sont scolarisés dans des établissements socialement plus favorisés de progresser.

Au-delà des notes, la mixité est bénéfique à bien des égards : elle favorise le bien-être social, la coopération et la fraternité.

Je remercie notre collègue Colombe Brossel d’avoir déposé cette proposition de loi essentielle, que le groupe RDSE soutiendra. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter, madame la ministre, pour votre nomination.

En faisant le choix du collège unique en 1975, la France a affirmé sa volonté de proposer une école démocratique ouverte à toutes et à tous.

La notion de mixité sociale est très récente : elle apparaît pour la première fois dans la loi en 2013. Un objectif de mixité sociale visant aussi bien les établissements publics que privés a ensuite été inscrit dans le code de l’éducation, en 2021. Des commissions de concertation académiques compétentes en la matière ont également été créées la même année.

En matière de mixité sociale et scolaire, il existe donc un cadre ; nous ne partons pas de rien.

Toutefois, force est de constater la persistance d’inégalités dans la composition sociale des établissements scolaires.

En 2023, l’ancien ministre de l’éducation nationale, M. Pap Ndiaye, a annoncé un objectif de « réduction de la ségrégation sociale » des établissements scolaires publics de l’ordre de 20 % d’ici à 2027.

Des mesures ont été prises en ce sens : directives, ouverture de sections internationales et de classes à horaires aménagés, valorisation de l’internat d’excellence…

À l’échelle locale, les collectivités territoriales disposent de plusieurs outils pour favoriser la mixité sociale. Les résultats des premières expérimentations sont d’ailleurs encourageants.

Pour aller plus loin, l’auteure de cette proposition de loi entend actionner des leviers coercitifs, sur lesquels j’émets des réserves.

Tout d’abord, l’instauration d’un impératif de mixité sociale et scolaire n’est pas en phase avec le besoin de simplification et d’autonomie des collectivités locales. Alors que ces dernières étouffent sous le contingent de normes et de contraintes à respecter, il ne semble pas judicieux d’ajouter des obligations supplémentaires.

Par ailleurs, la généralisation d’outils peut être intéressante, mais veillons à ne pas tomber dans une centralisation contre-productive.

Si je partage la nécessité de communiquer annuellement et assidûment les résultats des IPS, je m’interroge sur la logique territoriale qui sous-tend l’instauration d’un IPS national.

Enfin, il semblerait que l’enseignement privé sous contrat soit devenu le bouc émissaire des maux de l’éducation nationale. Il constitue pourtant un atout. Lui aussi aspire à plus de mixité sociale, mais il doit faire face à bien des obstacles. Je veux parler, par exemple, des coûts de scolarité par élève, dont j’ai pu faire mention dans de précédentes interventions : un élève du privé sous contrat coûte en moyenne à l’État 60 % du coût d’un élève dans le public…

En conditionnant le financement de l’enseignement privé, cette proposition de loi remet en cause les principes de la loi Debré.

Interrogeons-nous plutôt sur le fond du problème. Le chef d’un établissement privé sous contrat vendéen me faisait récemment part de son désarroi : en un an, près d’une dizaine de familles ont dû retirer leurs enfants de son établissement, faute de pouvoir subvenir à l’ensemble des frais afférents à leur scolarité. Il est ici question de besoins vitaux, qui sont pris en charge de manière différenciée dans le public et dans le privé sous contrat.

Prenons le cas de la restauration scolaire : à Luçon, petite ville de 9 000 habitants, la facture TTC envoyée aux familles pour la restauration est deux fois plus élevée dans le privé sous contrat que dans le public, alors même que le coût de revient du repas dans le public est souvent supérieur de 25 %. Concrètement, une famille doit débourser 800 euros pour la restauration dans le privé sous contrat contre 400 euros dans le public.

En d’autres termes, il s’agit non pas tant d’imposer plus de mixité sociale aux établissements privés sous contrat que de se demander comment permettre aux familles de tous horizons de financer la scolarisation de leurs enfants dans le privé.

J’ai pris l’exemple de la restauration scolaire, mais le constat est le même pour la médecine scolaire.

Pour les raisons que je viens d’exposer, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte. Je tiens toutefois à saluer la démarche de l’auteure et le travail de la rapporteure, qui nous permettent de débattre d’une thématique importante.

Les nombreux travaux de la commission illustrent la nécessité d’avancer sur les questions d’éducation. Je pense à la loi du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, dite loi Vial, mais aussi aux conclusions de la mission d’information sur les modalités de formation des enseignants, que j’ai menée avec Max Brisson.

Brique après brique, nous devons consolider les fondations de l’école de demain. Cette construction ne peut se faire que sur le temps long. Pourtant, en une année, l’éducation nationale a accueilli pas moins de quatre ministres. Une telle valse au sommet du premier budget de l’État rend impossible le développement de politiques publiques volontaires et pérennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie vivement Mme Colombe Brossel et ses collègues du groupe socialiste de nous permettre de confronter nos conceptions politiques sur le rôle et les obligations de l’enseignement catholique dans notre République laïque du XXIe siècle.

Il serait vain de débattre de son financement sans s’interroger préalablement sur le cadre juridique dans lequel il évolue.

Lors de son audition par notre commission, M. Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, nous a dit que les établissements qu’il représente assurent une mission de service public.

Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont considéré avec lui que l’enseignement catholique était l’une des composantes du service public de l’éducation nationale.

Pourtant, l’enseignement catholique ne le revendique pas. Son statut, adopté par la Conférence des évêques de France le 18 avril 2013, précise qu’il se place « dans une logique de contribution au service éducatif de la Nation », mais que « le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire ».

Cette volonté de dispenser à tous les élèves et dans toutes les matières un enseignement fondé sur l’Évangile distingue radicalement l’école confessionnelle de l’école publique laïque, dont la mission est de délivrer des connaissances fondées sur la liberté de pensée, la libre recherche, les progrès de la raison et de la science, et donc libérées de tout dogme et de toute croyance, pour reprendre la définition qu’en donnait Condorcet en 1792.

Le code de l’éducation, en son article L. 442-5, conditionne la conclusion d’un contrat d’association avec l’État à « la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ».

M. Jean-François Canteneur, directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris, souligne cette aporie et déclare : « Il va falloir dialoguer sur la notion de laïcité dans l’enseignement catholique. Aujourd’hui, l’État n’a pas la compétence pour juger de la qualité d’un enseignement religieux. »

Cette revendication pose le problème de la nature de ce « caractère propre » que la loi reconnaît aux établissements sous contrat. Se rapporte-t-il à la totalité des enseignements qu’ils dispensent ou seulement à la catéchèse ?

En d’autres termes, le financement de l’État et des collectivités doit-il se limiter aux seules matières du programme national ? La question est financière, mais aussi juridique, car une majorité des parents qui confient leurs enfants à ces écoles ne le font plus pour des raisons religieuses.

Dès lors, comment est-il possible de donner un enseignement catholique à des élèves qui ne le sont pas et avec des professeurs qui ne le sont plus, tout en respectant la liberté de conscience des uns et des autres ?

Les établissements privés reçoivent chaque année de l’État et des collectivités plus de 15 milliards d’euros, soit plus de 80 % de leur budget. Pourtant, ils revendiquent le droit absolu de choisir leurs élèves, leurs professeurs et leur pédagogie, sans aucune contrainte.

Pis, certains de leurs dirigeants assument totalement de recruter en priorité les enfants des familles les plus riches. Ainsi le directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris déclare-t-il : « Plus on dira que l’école privée est une école de l’entre-soi, de gens privilégiés, plus elle attirera. On ne peut se réjouir de cela, mais c’est ainsi. »

Madame la ministre, comment pouvez-vous accepter que l’argent de l’État, dont les établissements publics ont tant besoin, puisse continuer de financer un séparatisme scolaire qui menace le contrat social de notre République ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pauline Martin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dernière intervenante de cette discussion générale, je tenterai de ne pas vous endormir, car tout a déjà été dit.

La position de notre groupe sur cette proposition de loi ayant été donnée par Max Brisson (Sourires.), il me reste à vous exprimer la vision de l’élue locale qui, pendant des années, a apporté son humble contribution au fonctionnement, en bonne intelligence, des établissements scolaires, dans une mixité sociale qui s’exerce bien souvent naturellement.

Si j’entends les motivations de l’auteure de cette proposition de loi, il me semble qu’une fois encore l’on envisage de créer des contraintes supplémentaires sans même laisser leur chance aux objectifs de mixité qui ont été fixés à maintes reprises dans les précédentes lois ou précédents protocoles, le dernier datant seulement de 2023.

En cherchant à assurer la mixité sociale et scolaire, ce texte pointe largement l’enseignement privé. Si le sujet est bien plus large, quelques précisions s’imposent.

Tout d’abord, reconnaissons les démarches déjà engagées dans ces établissements. Je pense à la base de données partagées publique Items ou à la scolarité différenciée en fonction des revenus.

Je rappelle également que l’indice de position sociale et la procédure Affelnet concernent tous les établissements. À ce stade, ils ne doivent pas se transformer en instruments de chantage idéologique, ainsi que pourrait le laisser entendre l’article 1er, en y conditionnant les ouvertures de classe ou le versement des financements.

En effet, la carte scolaire, taillée dans la dentelle, bien souvent dans un esprit de consensus, ne doit pas être le résultat d’une planification autoritaire, qui viendrait bouleverser un équilibre subtil.

N’oublions pas que certains établissements privés assurent une mission de service public en perdurant dans des déserts académiques, là où l’État ne parvient plus à maintenir des classes. L’interdiction d’ouverture ne peut que provoquer une chute collective dans des zones sous-dotées.

Enfin, et sauf erreur de ma part, la transparence financière est déjà à l’œuvre. Il suffirait de procéder à davantage de vérifications.

Mettons fin au mythe selon lequel le privé disposerait d’une manne financière : l’écrasante majorité des établissements privés ont plus de difficultés que de liquidités.

Quant à la répercussion de la situation sur la cohésion nationale, je serais tentée de dire que l’école est malheureusement le reflet d’une société qui cherche un cadre. Il faut interroger non pas la mixité au sein de nos établissements, mais bien les fondamentaux de l’école. Ce qui fait la force d’un groupe scolaire, c’est son autonomie et sa capacité à s’adapter aux particularités locales.

Il serait plus judicieux de donner à tous les établissements les moyens – pas seulement financiers – de se doter de ces deux qualités. Cette agilité, qui ne peut être régie par des circulaires nationales, permettrait le retour de l’autorité et une souplesse pédagogique.

Dans ce pays, où la norme devient reine, il nous semble également indispensable de laisser aux familles le libre choix de la scolarisation de leurs enfants ; il faut les inciter à oser, comme vous l’avez souligné, madame la ministre.

L’urgence de la situation éducative du pays, à tous les degrés, nous appelle à faire cause commune contre la baisse du niveau des élèves, pour développer la formation des professeurs ou encore pour renforcer la place des savoirs fondamentaux – et cela ne passe pas uniquement par la mixité.

Restons donc pragmatiques et réalistes ; avançons ensemble, sans dogmatisme et avec bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
Article 1er

Article 1er A (nouveau)

Après l’article L. 111-1-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 111-1-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-1-1-1. – Afin d’assurer la mixité sociale, le ministre chargé de l’éducation nationale transmet chaque année l’indice de position sociale des établissements des premier et second degrés publics et privés sous contrat aux autorités compétentes et au président de l’organe délibérant de la collectivité compétente. L’autorité compétente adresse à chaque chef d’établissement les indices de position sociale des élèves scolarisés dans son établissement. L’État recueille auprès des représentants légaux des élèves les données socioprofessionnelles nécessaires à ce calcul.

« Un décret fixe les conditions d’application du présent article. »

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, comme l’ont très justement souligné mes collègues, les collectivités réclament une communication plus rapide des données sur les IPS. Si vous deviez mettre au point un indicateur plus performant par la suite, nous en serions absolument ravis.

Par ailleurs, certaines collectivités, en Haute-Garonne, par exemple, mettent en œuvre des politiques publiques extrêmement ambitieuses pour résoudre le problème de la mixité ; or les données de la réussite scolaire ne leur ont toujours pas été communiquées. Comment organiser des politiques publiques sans le moindre retour sur ces chiffres ?

Parlementaire, je ne suis pas en mesure de connaître le montant que chaque ville du département dont je suis élu, les Hauts-de-Seine, verse au titre du forfait d’externat. Ni la préfecture ni le rectorat ne disposent de ces chiffres. Je suis en train de les réunir et ils montrent de grandes variations de financements.

Nous ne disposons pas non plus du montant des aides aux investissements apportées par les différentes collectivités.

Enfin, madame la ministre, permettez-moi de vous rappeler l’article 60 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : « Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la mixité sociale dans les établissements d’enseignement privé liés à l’État par contrat, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi. » Nous n’avons jamais eu ce rapport…

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l’article.

Mme Colombe Brossel. Je souhaiterais remercier l’ensemble de nos collègues qui se sont exprimés ; j’aimerais aussi, avant que nous ne procédions à un vote sans grand suspense, avoir un mot pour mes collègues de la majorité sénatoriale.

Nous continuerons de débattre dans cet hémicycle sur l’école publique et de porter les uns et les autres des projets fort différents dans leur ambition ainsi que dans leurs fondements politiques et idéologiques.

L’idéologie n’est pas un gros mot. Elle fait, après tout, la beauté de la démocratie. Je fais partie de ceux qui pensent profondément, depuis bien plus de sept ans, que la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose. Cette assemblée en est une belle illustration et ces différences permettent de faire vivre la démocratie.

Toutefois, sur la question de la mixité sociale et scolaire, et plus précisément sur celle des indices de position sociale, la situation est dramatique : d’abord, du fait des véritables inégalités et des phénomènes de ségrégation – n’ayons pas peur des mots – qui sont à l’œuvre dans notre pays ; ensuite, parce que ces écarts se creusent.

J’y insiste, donner une base légale aux IPS revient tout simplement à mettre ces données à la disposition des élus locaux. Libre à eux, ensuite, d’en faire ce qu’ils souhaitent.

Nous sommes tous des élus locaux, mus par des volontés politiques. Adopter cette proposition de loi, c’était au moins donner à tous ces élus, y compris à ceux qui ne bénéficient pas de la puissance d’une grande ville ou d’un grand département, la capacité d’agir.

De ce point de vue, je ne peux que regretter, mes chers collègues, de ne pas être parvenue à vous convaincre que les politiques publiques locales qui sont mises en œuvre sont efficaces et qu’elles fonctionnent. Mais peut-être n’aviez-vous pas envie aujourd’hui de le reconnaître… (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, sur l’article.

M. Bernard Fialaire. J’ai bien entendu les bonnes volontés qui se sont exprimées. Si nous vivions dans un monde merveilleux où chacun prendrait les bonnes décisions, nous n’aurions pas à légiférer.

J’illustrerai par un exemple les raisons pour lesquelles je suis favorable à un minimum de contraintes.

J’ai été pendant des années le maire d’une commune qui ne comptait qu’un seul collège, situé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Nous avons donc adapté le plan local d’urbanisme (PLU) afin d’installer un deuxième collège, à l’opposé de la ville, dans un nouveau quartier. Nous voulions alors modifier la carte scolaire pour assurer une répartition plus équilibrée des élèves entre les deux établissements.

Que s’est-il passé ? Le département a joué la montre pour laisser un établissement privé s’installer. Ce dernier a d’abord attiré les élèves du quartier, puis vidé le collège historique de ses élèves les plus socialement favorisés…

M. Bernard Fialaire. Et voilà comment l’on ghettoïse complètement un établissement !

C’est dramatique et c’est la raison pour laquelle nous devons fixer un minimum de contraintes. Je ne suis pas favorable à la norme absolue, mais il est bon d’avoir quelques idées claires, de les affirmer et de les mettre en application. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

au président de

par le mot :

à

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Cet amendement se justifie par son texte même, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. Cet amendement, qui tend à partager l’information avec un plus grand nombre d’élus locaux, me semblait aller dans le bon sens, mais la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. Avant de donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement, j’aurais souhaité réagir, si vous m’y autorisez, madame la présidente, à quelques-unes des remarques et questions qui m’ont été adressées.

Mme la présidente. Je vous en prie, madame la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre. Madame la sénatrice Brossel, n’ayez aucun doute sur ma conviction profonde que la mixité sociale favorise la réussite scolaire. (Ah ! sur les travées du groupe SER.)

Nous sommes, de fait, confrontés à des inégalités sociales que l’école n’a pas su résoudre. Je prendrai pour référence une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée en 2018 (Mme Laurence Rossignol sexclame.), qui cherchait à mesurer l’effet qu’aurait eu, notamment dans le département de la Seine-Saint-Denis, une éventuelle ouverture de la carte scolaire.

Selon cette étude, la situation sociale du département était telle que l’ouverture n’aurait eu aucun effet sur la mixité sociale. De toute évidence, l’enjeu dépasse largement le cadre de nos écoles ; il concerne également les collectivités territoriales, comme plusieurs d’entre vous ont pu le souligner.

Madame de Marco, vous avez notamment déploré le manque d’outils de mesure des inégalités. Il en existe tout de même quelques-uns.

Vous avez aussi fait référence au rapport de la Cour des comptes de 2023, qui pointe un fort recul de la mixité sociale dans l’enseignement privé. C’est possible, mais ce rapport appelle justement à ne pas remettre en cause l’autonomie des établissements qui sont sous contrat.

Il souligne aussi que les ouvertures de classe sont déjà décidées par les rectorats et par les directeurs académiques, à l’issue d’un dialogue avec les élus locaux et les réseaux. (Marques de dénégation sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Il n’y a pas de dialogue avec les élus locaux !

Mme Anne Genetet, ministre. Les situations peuvent être différentes selon les territoires. J’ai tout de même en tête des exemples de dialogue… (Mme Colombe Brossel le conteste.)

Vous avez également évoqué la situation des jeunes dans les territoires ruraux. Oui, il faut prendre en compte les réalités géographiques. Il est certain que toutes les décisions ne peuvent pas se prendre de façon centralisée depuis Paris. Ces enjeux locaux demandent une réponse spécifique adaptée aux territoires.

Monsieur le sénateur Brisson, je vous rejoins sur de nombreux points, en particulier sur votre refus de la centralisation.

Il y a une raison historique et toujours valable aujourd’hui au fait que nos écoles, nos collèges ou nos lycées soient les unes dépendantes des communes, les autres des départements ou des régions. Si la gestion de ces établissements est partagée entre l’éducation nationale et les collectivités locales, c’est bien parce qu’ils sont au centre d’enjeux locaux, notamment d’organisation du territoire.

Par ailleurs, la mixité sociale, je le répète, passe par la réussite scolaire, à laquelle nous aspirons tous, en premier lieu nos enseignants. Elle passe par la maîtrise des savoirs fondamentaux. Nous y travaillons, vous le savez, et tentons de l’améliorer. Il s’agit de rehausser le niveau de tous nos élèves, sans en laisser aucun sur le bord du chemin.

Enfin, monsieur Brisson, la carte de l’éducation prioritaire est en effet un véritable enjeu. Une réflexion est en cours et j’ai cette question bien présente à l’esprit. Je comprends les difficultés ; elles ne pourront être résolues que par le dialogue avec les collectivités locales, de manière décentralisée.

Vous avez appelé à ce vent de liberté et d’autonomie qu’incarne notre organisation scolaire. J’y tiens également et il est important de préserver cet aspect.

Madame la sénatrice Nadille, vous avez évoqué les nombreux déterminismes sociaux qui conditionnent la réussite scolaire. Je veux tout de même souligner que, dans un certain nombre d’établissements des réseaux d’éducation prioritaire, nous avons pu ouvrir des sections d’excellence – je n’aime guère ce dernier terme qui sous-entend que l’on ne pourrait aller plus loin, alors même que nous voulons toujours aller plus loin.

Je pense aux sections dotées d’options internationales, aux sections bilangues ou encore aux sections d’ouverture aux langues anciennes que certains d’entre vous ont citées. Ce sont manifestement des réussites. Nous sommes ainsi passés de cinquante-quatre sections de ce type en réseau prioritaire à soixante-dix-huit aujourd’hui.

Monsieur Ouzoulias, je vous confirme que les établissements privés doivent appliquer les programmes de l’éducation nationale. Il n’y a aucun doute là-dessus.

M. Pierre Ouzoulias. Ce n’est pas le cas au lycée Stanislas !

Mme Anne Genetet, ministre. La partie catéchèse que vous avez évoquée est souvent dispensée par des bénévoles, des laïcs en mission ecclésiale. Leur activité n’est pas du tout prise en compte dans les financements qui sont accordés.

Cette dimension relève de la liberté de choix des parents et l’éducation nationale – soyons très clairs – n’intervient absolument pas dans ce domaine. Chaque établissement dispose de la liberté de s’organiser comme il l’entend.

Les chiffres d’IPS que vous évoquez sont établis non pas au niveau des élèves, mais des établissements. Il s’agit d’un agrégat d’indicateurs que nous connaissons au printemps.

Nous préparerons donc la rentrée 2025 à la lumière des chiffres reçus au printemps prochain. Il est possible que ce délai soit un peu court pour préparer la rentrée ; nous tiendrions alors compte des chiffres de 2024.

D’une année sur l’autre, les variations restent néanmoins mineures. Il n’y aura pas d’évolution brutale susceptible de bouleverser les classements d’IPS. Ces chiffres, j’y insiste, sont tout à fait publics.

Nous ne voulons pas rouvrir la guerre scolaire. D’une part, il est important de respecter la liberté de choix de l’établissement – il peut répondre à des conditions particulières ou à des besoins spécifiques – dans lequel les parents veulent mettre leurs enfants. D’autre part, il convient de respecter la liberté de choix de l’établissement lui-même, notamment dans le choix du recrutement de ses élèves.

Certains établissements s’engagent malgré tout dans la démarche d’ouverture à la mixité sociale définie par la convention signée en 2023 avec le secrétariat général de l’enseignement catholique.

J’en viens à l’amendement n° 3 rectifié de Mme de Marco, qui vise à étendre la transmission de l’indice de position sociale à l’ensemble de l’organe délibérant de la collectivité. Je le répète, ces données sont publiques et consultables par tout un chacun. Je ne vois pas l’utilité d’aller plus loin et de prévoir une obligation supplémentaire.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Madame la présidente, je ferai une seule explication de vote sur la totalité des amendements.

Nous souhaitons nous aussi la mixité sociale, mais nous avons une divergence avec Colombe Brossel s’agissant des moyens de l’atteindre.

Nous pensons que l’école est plus la victime que la cause de l’absence de mixité sociale. Ce sont les politiques urbaines et les mouvements de population de ces quarante ou cinquante dernières années qui sont la cause de ce qui est en train de se passer.

Dans ce contexte, nous considérons que les IPS sont un indicateur, un outil, mais qu’ils ne peuvent pas constituer l’alpha et l’oméga de l’éducation nationale. Nous ne voulons donc pas leur donner de base légale. C’est pour cette raison que nous voterons contre les amendements qui visent à renforcer davantage leur place et à aller plus loin que ce que prévoit le texte initial.

De même, nous nous opposerons bien sûr aux amendements tendant à introduire les IPS dans l’enseignement privé comme à ceux qui visent à accroître les contrôles sur celui-ci, alors que de tels contrôles existent déjà.

On peut naturellement demander au Gouvernement que les différents contrôles prévus soient effectivement mis en œuvre, mais nous ne voyons pas la nécessité de fixer des règles supplémentaires, qui nourrirait une suspicion. Or c’est bien cette suspicion – suspicion qui était au cœur du rapport Vannier-Weissberg et qui s’est encore manifestée sur nos travées au cours de nos travaux – qui nous pose problème. (Mme Agnès Evren applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.

M. Laurent Somon. J’insisterai sur un certain nombre de points.

Tout d’abord, nous sommes tous ici convaincus que l’éducation est une priorité.

Ensuite, la liberté de choix, principe qu’a rappelé Mme la ministre, est essentielle. C’est, en tout cas pour nous, une idée forte qui doit être défendue.

Enfin, la mixité sociale est un facteur d’amélioration des résultats scolaires pour tous les enfants de notre pays.

Surtout, je veux répondre à M. Fialaire, qui a sous-entendu que certains départements seraient réticents à mettre en œuvre cette mixité.

J’évoquerai un exemple qui prouve le contraire : dans la Somme, j’ai essayé, en tant que président du département et dans un contexte de baisse des effectifs à l’école, de restructurer la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale dans notre territoire. Que n’ai-je pas entendu ! L’État était réticent, arguant que la carte des zones REP et REP+ devait être revue – on attend toujours ! Finalement, les élus de gauche – je prends à témoin notre collègue Rémi Cardon ici présent – comme des élus de droite se sont opposés à la restructuration de la carte scolaire dans le département de la Somme.

M. Rémi Cardon. Il y avait d’autres raisons !

M. Laurent Somon. Il ne s’agit donc pas d’une question de couleur partisane. C’est une question d’ambition politique !

Je rappelle aussi que, dans certains départements – je pense par exemple à l’ouest de la France –, les collèges et les écoles privés sont les seuls sur certains territoires et qu’ils participent déjà à la mixité sociale. Il faut donc préserver la liberté de fonctionnement de ces établissements.

Oui à la mixité sociale, oui à la priorité pour l’éducation, mais laissons de la liberté ! Les chefs d’établissement et les élus peuvent régler les problèmes, car ils sont convaincus que la mixité sociale est un facteur de réussite scolaire et qu’il faut la développer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera contre tous les amendements qui viseraient à renforcer les obligations des établissements scolaires ou celles des collectivités locales.

Nous sommes bien entendu attachés à la mixité scolaire et à la réussite des élèves et nous partageons un certain nombre de constats, mais nous ne pouvons absolument pas nous accorder sur les solutions proposées.

Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, cette proposition de loi part du postulat que les établissements privés sous contrat seraient responsables de la non-mixité sociale. Or je visite régulièrement les établissements scolaires de mon département, qu’ils soient publics ou privés sous contrat, et je peux vous assurer que les chefs d’établissement font constamment preuve d’ingéniosité, d’inventivité pour assurer la mixité sociale.

Le groupe Union Centriste est particulièrement attaché à la liberté d’administration des collectivités territoriales, mais aussi à liberté des enseignants et des chefs d’établissement pour mettre en œuvre la mixité sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. M. Somon ayant évoqué l’ouest de la France, je me suis dit qu’il s’adressait un peu à moi… (Sourires.)

L’enseignement privé est en effet très présent en Bretagne et, pendant assez longtemps, il existait un certain équilibre en termes de mixité sociale entre le privé et le public.

Mais je me suis récemment renseigné auprès du directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) et du recteur d’académie : les choses sont en train de changer complètement. La mixité sociale se dégrade dans les écoles privées. Il va donc falloir faire très attention, parce qu’un tri scolaire se met en place.

Et je ne parle pas des enfants en situation de handicap, qui sont beaucoup moins présents dans le privé que dans le public. L’école dite inclusive ne se donne pas les moyens de l’être !

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er A, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 5 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 307
Pour l’adoption 109
Contre 198

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er A (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
Article 2 (début)

Article 1er

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° La cinquième phrase du premier alinéa de l’article L. 111-1 est ainsi rédigée : « Il garantit la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement par une répartition des élèves qui comprend, dans chaque établissement, une proportion équilibrée et représentative des différentes catégories socio-économiques constatées sur le plan national. » ;

2° (Supprimé)

3° Après le 5° de l’article L. 211-1, il est inséré un 6° ainsi rédigé :

« 6° Le contrôle du respect, par les établissements publics et privés ayant passé avec l’État un contrat mentionné à l’article L. 442-5, de la mixité sociale, en leur sein. » ;

4° Le deuxième alinéa de l’article L. 212-1 est complété par les mots : « , en assurant la mixité sociale dans chacune des écoles » ;

5° Le deuxième alinéa de l’article L. 213-1 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : « , économique et social » sont remplacés par les mots : « et économique et des impératifs de mixité sociale » ;

b) La seconde phrase est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Afin de garantir la mixité sociale, lorsque plusieurs collèges publics coexistent dans un périmètre rapproché relevant du ressort territorial de la même autorité organisatrice de la mobilité, ils partagent leur secteur de recrutement. Un décret détermine les critères de proximité entre établissements entraînant cette obligation de partage du secteur de recrutement entre plusieurs collèges publics. » ;

6° Au premier alinéa de l’article L. 214-1, après la première occurrence du mot : « et », sont insérés les mots : « des impératifs de mixité sociale, » ;

7° Le chapitre II du titre III du livre III de la deuxième partie est complété par un article L. 332-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 332-7. – L’inscription dans un lycée public ou dans un lycée privé ayant passé avec l’État un contrat mentionné à l’article L. 442-5 est précédée d’une procédure de préinscription effectuée dans le cadre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, défini et mis en œuvre par le ministre chargé de l’éducation nationale et les recteurs d’académie, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Cette procédure permet aux représentants légaux des élèves de classe de troisième de formuler des vœux d’affectation et de consulter les résultats de cette affectation.

« Afin de garantir le secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des demandes d’affectation présentées dans le cadre de la procédure de préinscription, les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration sont réputées satisfaites dès lors que les représentants légaux des élèves sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs demandes d’affectation ainsi que des motifs pédagogiques, économiques et sociaux qui justifient la décision prise.

« Un décret précise les conditions de mise en œuvre du traitement automatisé de données à caractère personnel, de communication des décisions d’affectation aux représentants légaux et de voies de recours contre celles-ci. » ;

8° À la dernière phrase de l’article L. 442-1, après le mot : « origine », sont insérés les mots : « , de catégorie socioprofessionnelle des parents » ;

9° L’article L. 442-5 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et à assurer la mixité sociale » ;

b) Le quatrième alinéa est complété par les mots : « si leur composition sociale est comparable » ;

10° Après l’article L. 442-7, il est inséré un article L. 442-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 442-7-1. – Les dons, donations, legs ou avantages effectués au profit des établissements d’enseignement privé sous contrat d’association sont rendus publics dans des conditions fixées par décret. » ;

11° À la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 442-11, les mots : « à la » sont remplacés par les mots : « au respect de l’obligation de » ;

12° L’article L. 442-13 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’ouverture d’une classe dans un établissement privé sous contrat ne peut intervenir dans un délai de trois ans à compter de la décision de fermeture d’une classe dans l’enseignement public relevant du même ressort géographique et dispensant un enseignement de même degré. » ;

13° À la deuxième phrase de l’article L. 442-14, après les mots : « du fait de », sont insérés les mots : « leur composition sociale, ainsi que de » et le mot : « , sociales » est supprimé.

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, M. Benarroche, Mmes M. Vogel, Souyris et Senée, M. Salmon, Mme Poncet Monge, MM. Mellouli et Jadot, Mme Guhl et MM. Gontard, Fernique, Dossus, Dantec et G. Blanc, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Après le premier alinéa du même article L. 111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’objectif de mixité sociale mentionné au précédent alinéa est atteint lorsque l’indice de position sociale de l’établissement est compris dans un écart-type défini par un décret en Conseil d’État à partir de la moyenne académique de l’indice de position sociale publiée chaque année par l’autorité compétente. Il inclut des dispositions particulières les zones à faible densité de peuplement. » ;

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. S’il était adopté, cet amendement permettrait d’abaisser le degré de « rusticité » de l’IPS. Je précise à notre collègue Max Brisson que, dans ma bouche, le mot « rustique » n’est pas péjoratif…

Par conséquent, j’étais plutôt favorable à cet amendement, mais la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. L’indice de position sociale est un agrégat qui ne prend pas en compte tous les indicateurs, par exemple le taux de pauvreté, le taux de boursiers, les revenus ou encore la situation des familles monoparentales. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Mme Colombe Brossel. Eh bien, prenez-les en compte !

Mme Anne Genetet, ministre. Il serait donc très réducteur de s’en tenir à ce seul indice. La mixité sociale s’évalue avec de nombreux autres critères.

Par conséquent, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Comment peut-on accepter aujourd’hui que l’argent public ne soit pas entièrement consacré à la réussite scolaire ? Or celle-ci est liée pour partie – vous l’avez dit vous-même, madame la ministre – à la mixité.

On a beaucoup évoqué l’argent de l’État, je parlerai de celui des régions. La seule région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée entre 2016 et 2024 par Laurent Wauquiez, a augmenté de plus de 266 % les aides facultatives accordées aux lycées privés. Cela représente 260 millions d’euros ! Pas une seule région n’a fait autant d’efforts en faveur des lycées privés. Dans la seule académie de Clermont-Ferrand, les dotations des lycées privés ont augmenté de 80 % cette année.

Une collègue estimait précédemment que la question était plutôt celle des moyens accordés à l’école, mais il ne faudrait pas que la baisse de la démographie, qui est tangible, serve d’argument pour réduire encore plus le nombre de professeurs devant les élèves, d’autant que les effectifs dans nos classes sont déjà les plus élevés d’Europe.

En ce qui concerne l’IPS, le fait qu’il n’y ait pas de transfert automatique de données fiables provoque une forme de cécité et empêche d’avoir une vision claire des politiques publiques à mettre en œuvre. Dans ces conditions, comment ne pas voter cette proposition de loi ?

Enfin, il me semble nécessaire d’adopter un moratoire de trois ans entre la fermeture d’une classe dans le public et l’ouverture d’une classe dans le privé, comme l’avait promis Élisabeth Borne. Nous faisons tous face, lors des rentrées scolaires, à des tensions avec les élus locaux, qui ne comprennent pas les fermetures de classes ni comment les anticiper. Ce moratoire est impératif et je crois que ce sentiment est partagé sur toutes les travées de notre hémicycle. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, l’IPS est mentionné explicitement dans le protocole qui lie l’État à l’enseignement catholique ; il y est prévu que la mixité sociale serait favorisée « en intégrant dans la méthode de répartition interacadémique des moyens une forte pondération par l’IPS ».

Vous venez donc de nous dire que ce protocole est obsolète. J’espère qu’il va y en avoir un autre, madame la ministre !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mmes M. Carrère et Briante Guillemont, MM. Laouedj, Masset, Cabanel, Gold et Grosvalet, Mme Jouve, MM. Roux et Guiol et Mme Pantel, est ainsi libellé :

Alinéa 18

Après le mot :

sociale

insérer les signes et les mots :

, calculée lors de la transmission de l’indice de position sociale selon les modalités évoquées à l’article L. 111-1,

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Cet amendement vise à prendre en compte l’IPS pour fixer la participation des communes au financement des dépenses de fonctionnement des établissements privés.

Aujourd’hui, compte tenu du mode de calcul en vigueur, le départ d’élèves du public vers le privé a pour effet d’augmenter le coût moyen des dépenses de fonctionnement par élève dans le public, ainsi que le montant de la contribution due par la commune aux établissements privés. Cette situation est particulièrement injuste et constitue une véritable double peine.

M. Pierre Ouzoulias. Très juste !

M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, j’avais interrogé l’un de vos prédécesseurs sur ce problème : il m’avait répondu que cette injustice était compensée, parce qu’il y en avait aussi de l’autre côté. Mais deux injustices ne font pas la justice ! Il me semble que nous devrions plutôt réfléchir de manière positive. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. J’ai le sentiment que cet amendement de précision va dans le sens de la proposition de loi, mais la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. J’entends les arguments avancés, mais il me semble que l’adoption de cet amendement aurait pour effet de réduire la liberté d’administration des collectivités locales. C’est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 18

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Conformément à l’article L. 111-1 du présent code, l’État et les collectivités territoriales pondèrent la répartition des moyens attribués aux établissements privés du premier et du second degrés, au titre du titre IV du livre IV de la deuxième partie du présent code ainsi que les moyens attribués de manière facultative, en fonction de l’indice de position sociale de l’établissement. »

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. Cet amendement me semble également aller dans le sens de la proposition de loi, mais la commission y est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. Défavorable. Rien n’indique qu’un établissement avec un IPS faible aurait besoin de moyens plus importants pour faire face à ses dépenses.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 20

Après les mots :

contrat d’association

insérer les mots :

et les subventions qui leur sont versées par les collectivités territoriales

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. Défavorable également.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 20

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° L’article L. 442-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Aux fins de vérifier que ces conditions de validité sont remplies, un contrôle peut être opéré par le service de l’État compétent à l’initiative du recteur d’académie, d’une collectivité territoriale contribuant au financement de l’établissement, d’un membre de la communauté éducative ou d’un parent d’élève. Le rapport de contrôle est rendu public et transmis aux organes délibérants des collectivités concernées. »

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. Défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 23

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Les demandes d’autorisation d’ouverture de classe sont demandées par chaque établissement à caractère propre concerné auprès du recteur de l’académie du ressort. L’établissement informe l’académie du ressort de la décision de fermeture d’une classe dans les mêmes conditions.

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Anne Genetet, ministre. Défavorable également.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 109
Contre 217

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
Article 2 (fin)

Article 2

Le I de l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « , en assurant la mixité sociale dans chacune des écoles ».

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 2, je vous rappelle que, les articles précédents n’ayant pas été adoptés, si celui-ci ne l’était pas non plus, il n’y aurait plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, tous les articles la constituant ayant été rejetés. Aucune explication de vote sur l’ensemble ne serait admise.

Je vous invite donc à prendre la parole maintenant si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.

La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Ce débat a le mérite de la clarté. Nous sommes en fait dans une franche confrontation entre la droite et la gauche, entre deux visions de société. Et ces deux visions s’opposent.

D’un côté, il y a une forme de laxisme, de laisser-faire, qui mène à la ségrégation scolaire et sociale ; de l’autre – de notre côté –, il y a la volonté de se donner les moyens et les outils pour atteindre une égalité réelle. Or le rôle de l’école est de permettre une égalité réelle. Nous devrions normalement tous travailler dans ce sens.

Quand on est parlementaire, on travaille sur des faits et avec des outils statistiques. Si certains dénoncent les IPS, c’est parce qu’ils montrent des choses qui ne leur font pas plaisir. Je suis désolé de le dire, mais les collègues qui ont pris la parole aujourd’hui pour combattre les IPS sont issus des pires départements en matière de ségrégation scolaire. Je pense aux Pyrénées-Atlantiques ou à la Vendée ; je tiens les chiffres à votre disposition, je peux les partager avec vous, mes chers collègues.

Le match n’est pas fini sur le long terme, parce que nous avons tous à y gagner. Un ministre parle de créer de l’ordre dans la société, mais il faut pour cela commencer par combattre les inégalités à la racine. Sans cela, il ne peut pas y avoir d’ordre. Et pour les combattre à la racine, il faut utiliser l’école, le lieu qui nous permet de faire société.

C’est pour cela que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain continuera à se battre inlassablement pour permettre une mixité réelle à l’école, en faveur de toutes et de tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour explication de vote.

Mme Colombe Brossel. Le suspense étant faible quant au résultat du vote du Sénat, j’interviendrai maintenant sur l’ensemble de la proposition de loi.

Je reprends à mon compte les propos que vient de tenir Yan Chantrel. Le débat existe, mais la réalité s’impose à nous. Nous ne pouvons pas simplement détourner le regard, en nous disant que, si nous ne regardons pas la difficulté, elle disparaîtra…

Les deux aspects de la mixité dont nous débattons, la mixité sociale et la mixité scolaire, sont indissociables ; l’une n’est pas le supplément d’âme de l’autre. Notre pays, nos enfants ont besoin à la fois de mixité sociale et de mixité scolaire.

Nous ne lâcherons rien sur ce sujet. Nous continuerons d’animer le débat ici et ailleurs, y compris en dehors de l’hémicycle, car ce débat s’impose dans la société. Vous ne pourrez pas continuer de détourner le regard, en disant que ce n’est pas assez ceci ou un peu trop cela et que finalement on pourrait, mais pas dans ces conditions… Avec une telle attitude, on ne fait rien, ou si peu !

Madame la ministre, l’examen de ce texte est la première occasion de nous rencontrer et d’échanger dans le cadre de vos nouvelles fonctions. Sachez que vous avez ici des parlementaires amoureux et passionnés d’éducation.

Vous nous avez dit que le manque de mixité sociale et scolaire n’était pas la responsabilité de l’école. C’est factuellement faux, madame la ministre, comme le montrent les études de sciences sociales des quinze dernières années. Vous nous avez dit que vous ne seriez pas la ministre du tri social, mais vous laissez faire le mouvement, voire vous l’encouragez en vantant le si décrié et par ailleurs peu mis en œuvre « choc des savoirs ».

Soyez persuadée d’une chose, c’est que l’école a besoin d’ambition, de volontarisme, d’engagement. Or ce n’est pas exactement ce dont il a été question dans votre discours ce matin. Pour notre part, nous avons de l’ambition pour cette si belle école de la République, ambition que nous continuerons de porter haut et fort ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je veux rassurer nos collègues : nous ne confondons pas l’éducation nationale et l’enseignement privé. La République française est laïque et sociale et je pense que les écoles privées ne sont ni laïques ni sociales.

M. Max Brisson. C’est un peu court !

M. Pierre Ouzoulias. Certaines d’entre elles, toujours plus nombreuses malheureusement, ont décidé de sélectionner leurs élèves, en retenant des enfants issus des classes sociales supérieures. Est-ce un choix qui est conforme à leur pastorale ? C’est à leurs responsables d’en juger en conscience.

Pour nous, il est inadmissible que ces établissements continuent de recevoir la manne publique, alors qu’ils entretiennent le séparatisme scolaire.

Vous nous avez donné une information capitale, madame la ministre, et je pense que c’est un éclaircissement fondamental, sur le « caractère propre » des établissements privés. Vous nous avez dit que le financement de l’État ne portait que sur l’enseignement des programmes nationaux, c’est-à-dire la partie nationale et laïque de l’enseignement catholique. C’est une précision fondamentale et je vous en remercie, parce que vous êtes la première ministre à nous renseigner sur la nature du caractère propre de ces établissements.

Cela dit, vous nous devez un rapport sur la mixité sociale, ainsi que des éléments d’information sur la mise en œuvre du protocole qui lie l’enseignement catholique et l’État. Pour l’instant, nous n’avons rien, alors qu’il a été signé il y a plus d’un an. Là aussi, nous avons besoin d’informations. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.

M. Adel Ziane. Je tiens d’abord à remercier nos collègues qui ont participé à ce débat. Tout l’intérêt de la discussion que nous avons eue en amont, en commission et durant les auditions, est de nous avoir permis d’établir que la mixité sociale est un élément déterminant de la réussite scolaire de nos enfants et une dimension forte du vivre ensemble, comme l’a indiqué notre collègue Somon.

Le sénateur Fialaire a évoqué son expérience de maire et la concurrence entre établissements dans un bassin de population. Le sénateur Brisson a parlé d’une ségrégation qui est d’abord territoriale. Nous avons ainsi posé aujourd’hui les bases d’une réflexion et d’une discussion sur tous ces aspects.

Notre collègue Brossel l’a dit, nous sommes d’accord sur le constat, mais pas sur les outils.

Vous nous avez dit, madame la ministre, que les contrôles existaient. Il ne s’agit pas de contrôler pour contrôler, mais je rappelle que, dans son rapport de mars 2023, la Cour des comptes a mis en évidence le fait que les contrôles administratifs, pédagogiques et financiers des établissements d’enseignement catholiques n’étaient pas réalisés. Le secrétaire général de l’enseignement catholique, que nous avions reçu, nous a lui-même dit qu’il était prêt pour ces contrôles, mais que l’État ne lui demandait pas de comptes sur les aspects pédagogiques, administratifs et financiers. Nous serons vigilants à l’avenir sur ces questions.

Enfin, madame la ministre, vous avez piqué ma curiosité, ainsi que celle de ma collègue Corinne Narassiguin, en tant que sénateurs de la Seine-Saint-Denis, en évoquant une étude de la Fondation Jean-Jaurès sur la mixité scolaire et l’ouverture de la carte scolaire dans notre département. Nous connaissons bien cette fondation, qui est chère aux socialistes. Ne me souvenant pas de cette étude, j’ai fait des recherches et j’ai trouvé deux rapports : l’un de 2018, intitulé Lécole, catalyseur de la fragmentation de la société française ; l’autre, tout récent, La préférence française pour les inégalités scolaires.

J’aimerais que nous ne restions pas sur ce dernier constat – triste ! – fait par la Fondation Jean-Jaurès et j’espère que le débat d’aujourd’hui nous aura permis d’ouvrir de nouvelles perspectives. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je tiens tout d’abord à remercier l’auteure de cette proposition de loi et la rapporteure, qui nous ont permis cet après-midi de débattre et de nous rendre compte que nous avions sur ce sujet des visions un peu différentes à droite et à gauche de l’hémicycle.

Nous sommes tous d’accord, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, sur les constats, mais pas sur les solutions à apporter. Il existe aujourd’hui des outils qui commencent à faire leurs preuves. C’est pour cette raison que le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte, de la même façon qu’il n’a pas voté les amendements visant à proposer des mesures coercitives et à prévoir des contrôles supplémentaires.

Je veux réaffirmer ici que l’école privée sous contrat, c’est aussi la réussite d’élèves et de la mixité sociale. Or, cet après-midi, j’ai entendu dire, çà et là, que la mixité sociale était absente de ces écoles. Ce n’est vraiment pas ce que je vois sur le terrain aujourd’hui.

Les travaux menés au sein de la commission de la culture nous ont permis de constater un besoin de liberté au sein de tous les établissements scolaires pour imaginer des solutions. En d’autres termes, il faut mettre fin à la verticalité. Oui, les territoires sont différents ; oui, les publics sont différents ; oui, les chefs d’établissement ont besoin de liberté pour adapter les outils aux publics auxquels ils sont confrontés.

Je rappellerai enfin que la majorité sénatoriale a été force de proposition en matière d’école inclusive : la loi portée par Cédric Vial visant la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne a été votée au Sénat.

Pour toutes ces raisons, je le répète, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Tout le monde peut le constater, il y a actuellement un recul de la mixité sociale dans les établissements scolaires, malgré les objectifs inscrits dans le code de l’éducation.

Monsieur Brisson, vous affirmez que les établissements privés sont contrôlés. Alors, soutenez la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information pour vérifier la mise en œuvre par l’État des contrôles des établissements privés. Je suis à votre disposition pour en discuter.

Madame la ministre, vous estimez que l’IPS n’est pas adapté et vous suggérez d’autres critères pour l’étoffer, par exemple le nombre d’élèves boursiers, de familles monoparentales, etc. La commission de la culture est à votre disposition pour avancer sur un indicateur nous permettant de vérifier la réalité de la mixité sociale.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l’adoption 109
Contre 218

Le Sénat n’a pas adopté.

Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Karine Daniel, rapporteure. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission de la culture, mes chers collègues, je tiens d’abord à vous remercier, les uns et les autres, pour le travail malgré tout constructif et positif que nous avons effectué sur cette proposition de loi déposée par notre collègue Colombe Brossel.

J’ai fait en sorte que chacun puisse prendre position sur la question de l’IPS et je vous remercie d’avoir accepté ce débat, qui a permis d’y voir clair sur les points de vue des uns et des autres.

Je pensais que même si nous divergions sur les moyens à mettre en œuvre, nous pourrions au moins, dans une commission qui s’occupe aussi d’enseignement supérieur et de recherche, nous accorder sur les indicateurs et sur le thermomètre. Ce n’est pas le cas et je le regrette.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Karine Daniel, rapporteure. Je constate aussi que ce débat va déborder de notre hémicycle, l’IPS étant déjà dans le débat public. Le Sénat va donner l’impression d’être en retard par rapport au reste de la société.

Je ne doute pas que nous aurons d’autres occasions de revenir sur ce sujet, car nous attendons toujours des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. Max Brisson, vice-président de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Je tiens d’abord à remercier Colombe Brossel d’avoir présenté ce texte et de nous avoir permis d’ouvrir ce débat. Il a montré que nous avions des visions différentes, des focales différentes et même des obsessions différentes. Mais le débat a bien eu lieu.

Nous avons fait le choix, sur les travées de la majorité sénatoriale – elles n’étaient pas très fournies, je peux vous l’accorder (Sourires.) –, d’une parole rare, mais cela ne veut pas dire qu’il y avait approbation. Les votes l’ont montré.

Madame la ministre, comme c’est la première fois que vous travaillez avec nous dans cette assemblée, je tiens à vous assurer que, même sur le sujet de l’école, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport peut parvenir à des consensus et réaliser des travaux de manière transpartisane.

M. Pierre Ouzoulias. Ça arrive !

M. Max Brisson, vice-président de la commission. Nous avons ainsi travaillé sur l’attractivité du métier de professeur, sur les territoires de l’école, sur le métier d’enseignant. Nous avons même pu travailler, de façon certes un peu moins consensuelle, sur le bilan du quinquennat précédent. Bref, nous pouvons nous retrouver sur l’école et œuvrer pour l’intérêt général. Et ce n’est pas Marie-Pierre Monier, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur ces sujets, qui me contredira.

Madame la ministre, nous sommes tout à fait disposés à travailler avec vous sur la question de la mixité sociale et scolaire. Nous avons contesté les outils et la méthode que vous utilisez, mais nous ne contestons pas qu’il y a là un réel défi pour l’école et pour notre République.

Nous avons discuté cet après-midi de la place de l’enseignement privé dans notre système scolaire. Je pense qu’il y a là matière à réflexion.

Nous avons également discuté du rapport du ministère de l’éducation nationale aux territoires dans leur diversité. Il y a sur le sujet un excellent rapport du président de la commission de la culture, Laurent Lafon, qui n’a pas pris une ride, même s’il a aujourd’hui quelques années.

Madame la ministre, dans l’intérêt de notre école, nous sommes prêts à travailler avec vous sur tous ces thèmes, et ce dans une ambiance qui sera, je vous l’assure, un peu différente.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Anne Genetet, ministre. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir participé à ce débat aujourd’hui. Je pense que nous avons montré que nous portons tous une même ambition : faire réussir nos enfants, qui construisent le pays de demain.

Madame Brossel, avec ce texte, vous avez abordé un sujet difficile, que nous connaissons tous, à savoir la mixité scolaire, laquelle est extrêmement utile à la réussite scolaire, mais tellement difficile à mettre en œuvre.

Vous avez aujourd’hui proposé un chemin pour y parvenir, mais vous aurez compris que ce n’est pas forcément celui que je souhaite emprunter,…

Mme Colombe Brossel. Cela ne m’a pas échappé !

Mme Anne Genetet, ministre. … même si, je le répète, nous avons des ambitions communes.

Je ne vous apprendrai pas, à vous qui êtes sénatrice de Paris, que, parfois, des initiatives fonctionnent. Ainsi, la plateforme d’affectation Affelnet à Paris, par exemple, a permis de renforcer la mixité sociale.

Mme Colombe Brossel. Absolument !

Mme Anne Genetet, ministre. Cependant, ce qui a été décidé pour Paris n’est pas forcément déclinable partout ailleurs sur le territoire. L’enjeu est plus local que national. La verticalité et les mesures coercitives que vous proposez ne sont donc pas forcément adaptées.

Je souligne enfin que les bases sont largement posées depuis un bon moment maintenant. Je rappelle que 14 milliards d’euros de plus ont été consacrés à l’éducation nationale depuis 2017. Ce n’est pas rien. À titre d’exemple, le dédoublement des classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire a permis une amélioration sensible de la réussite scolaire des premières cohortes d’élèves ayant bénéficié de ce dispositif.

J’y insiste, il y a des initiatives qui marchent.

Nous sommes tous très fiers de nos écoles, même si vous l’avez exprimé de différentes manières.

Mme Anne Genetet, ministre. C’est un sentiment important !

Aussi, permettez-moi de conclure en faisant part de toute ma reconnaissance à nos enseignants. Ils font un travail remarquable, prennent des initiatives locales qui fonctionnent et font preuve d’innovation en matière de pédagogie, tout en prenant en compte ces enjeux de mixité sociale. Ils sont pleinement au service de la réussite de nos élèves.

Enfin, je remercie nos collectivités locales, qui font également de gros efforts, à leurs différents niveaux, pour permettre à nos établissements d’enseignement de fonctionner dans les meilleures conditions. J’ai rencontré ce matin à Tourcoing le vice-président du conseil régional des Hauts-de-France, madame la maire, le préfet…

M. Patrick Kanner. 25 milliards d’euros en moins, madame la ministre !

Mme Anne Genetet, ministre. J’entends bien, monsieur le sénateur, mais je vous laisse voir cela avec Mme Vautrin… (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

En tout cas, s’agissant de l’éducation nationale, soyez assuré, monsieur le sénateur Kanner, que je fais tout mon possible pour donner le plus de moyens possible à nos écoles et à nos enseignants, qui en ont bien besoin pour poursuivre sur le chemin emprunté, au service de la réussite de nos enfants.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat
 

4

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 15 octobre 2024 :

À quatorze heures trente et le soir :

Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves, présentée par MM. Gilbert Bouchet, Philippe Mouiller et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 670, 2023-2024) ;

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet, présentée par Mme Annick Billon, M. Bruno Retailleau, Mme Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 662, 2023-2024) ;

Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 643, 2023-2024).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures dix.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER