M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Il est institué en 2024 une contribution sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les redevables de l’impôt sur les sociétés prévue à l’article 205 du code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Cette contribution exceptionnelle est égale à :
1° 10 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est inférieur à 100 millions d’euros ;
2° 20 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est compris entre 100 millions d’euros et 1 milliard d’euros ;
3° 30 % du résultat imposable lorsque le bénéfice réalisé est supérieur à 1 milliard d’euros.
II. – La contribution prévue au I est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre de la moyenne des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024 qui excède la moyenne des résultats nets réalisés au titre des exercices 2017, 2018 et 2019.
III. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, la contribution exceptionnelle est due par la société mère. Cette contribution est assise sur la fraction du résultat net réalisé au titre des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024 qui excède le résultat d’ensemble et la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D du même code correspondant à la moyenne des résultats des exercices 2018, 2019 et 2021. Ce résultat est déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend comme le chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis du code général des impôts, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.
C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle.
D. – La contribution exceptionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt.
E. – La contribution exceptionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du même code pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés.
F. – L’intérêt de retard prévu à l’article 1727 dudit code et la majoration prévue à l’article 1731 du même code est fixé à 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société ou de la société mère tel que constaté lors de l’exercice comptable antérieur.
IV. – La contribution exceptionnelle n’est pas admise dans les charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir de débattre, dans cet hémicycle, de la notion de « superprofits » : il fut un temps, pas si lointain, où le ministre de l’économie disait ne pas savoir ce qu’étaient ces superprofits… Cet ancien ministre est désormais en méditation sur les bords du lac Léman ; cela lui fera sans doute le plus grand bien ! (Sourires.)
Si les superbénéfices n’entraînent pas automatiquement de superinvestissements ni de supersalaires, ils pourraient, en revanche, limiter le superdéficit que nous connaissons et qui risque de s’aggraver si rien n’est fait dans le sens que nous souhaitons.
Plutôt que de miser sur une contribution mal ciblée et trop générale sur les profits, le temps est venu de se focaliser sur les profits indus liés à des conditions de marché sans utilité sociale et n’ayant d’autre objectif que la rémunération du capital, lequel se porte bien. C’est un préalable à toute majoration du niveau de l’impôt sur les sociétés, mais c’est aussi une démarche complémentaire à cette majoration.
Notre amendement ne vise pas à alourdir la fiscalité en élargissant les critères, comme certaines interventions ont pu le laisser croire ; il procède du constat que les profits indus concernent non seulement les grandes multinationales, mais aussi des entreprises de taille intermédiaire (ETI), dont le bénéfice excède 100 millions d’euros. Cette contribution tient compte de la moyenne des bénéfices imposables entre les années 2017 et 2019. C’est ce surplus, ce « gras » qui est visé ici.
Nous souscrivons au dispositif de nos collègues du groupe SER, que nous avons déjà proposé lors d’initiatives communes. Toutefois, nous souhaitons aller plus loin : l’état des finances publiques, fort différent de ce que nous projetions voilà seulement quelque temps, et la gestion budgétaire catastrophique exigent que nous réexaminions le niveau d’effort contributif demandé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’instaurer une contribution sur des bénéfices dits exceptionnels.
Toutefois, cette contribution additionnelle aurait un périmètre trop large et risquerait de pénaliser les jeunes entreprises en forte croissance.
Comme l’a rappelé Mme Paoli-Gagin, les ETI dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros seraient concernées par cette mesure ; or le chiffre d’affaires moyen des ETI en France est de 200 millions d’euros.
En outre, cette contribution constitue non pas une contribution sur les bénéfices exceptionnels, mais une taxation de la croissance des entreprises. En effet, une entreprise dont le bénéfice a largement augmenté entre 2017 et 2024 n’a pas nécessairement profité d’une crise extérieure – énergétique ou sanitaire, par exemple. Dès lors que la contribution n’est pas ciblée sur de véritables superprofits ou surprofits, la taxe s’appliquerait d’office à toutes les entreprises connaissant une forte croissance dans notre pays.
Par conséquent, j’émettrai, au nom de la commission, un avis défavorable.
Je rappelle que le produit de l’impôt sur les sociétés s’est établi à 30 milliards d’euros en 2016 et à 57 milliards d’euros en 2023.
Il est plus facile de critiquer que d’avoir raison : si nous nous sommes engagés dans cette aventure – si j’ose dire – du redressement de notre pays, c’est parce qu’il est au bord du gouffre. Le poids de la dette et l’avis des agences de notation internationales font aussi partie de l’environnement économique. Si les entreprises n’ont pas confiance, faute de visibilité et de stabilité fiscales, si le niveau d’endettement ne leur paraît ni raisonnable ni contrôlé par les services du budget, quel intérêt auraient-elles à venir s’installer sur notre territoire ?
C’est tout le sens de la diminution constante de l’impôt sur les sociétés, qui n’est du reste pas incompatible avec la volonté de s’engager dans une transition écologique, comme l’a souligné Christine Lavarde. Cependant, la transition ne signifie pas que l’on passe de manière brutale du rez-de-chaussée à l’étage ! Elle implique, par exemple, que l’on prenne en compte les GNV, parce que le biométhane peut avoir un effet positif pour nos territoires, sur le plan à la fois écologique et économique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée. Mon avis ne vous étonnera probablement pas, monsieur le sénateur.
La situation de nos comptes impose un effort partagé, avec une exigence de justice fiscale. Ce partage de l’effort nous conduira à demander aux grandes entreprises, qui réalisent des profits importants, une participation temporaire au redressement collectif, sans remettre en cause notre compétitivité.
Sur ces questions budgétaires, nous aurons, en responsabilité, des choix graves et importants à faire. Ce moment sera celui de la discussion sur le projet de loi de finances et devra procéder d’une vision globale.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Féraud, Mme Blatrix Contat, MM. Cozic, Kanner et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
son résultat imposable des exercices des trois années précédant la publication de la loi n° du visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique
par les mots :
ses trois derniers résultats imposables
La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle.
Qu’il n’y ait aucune confusion : le présent dispositif vise à taxer des profits exceptionnels, mais il a bien un caractère pérenne. Ce sont les profits visés qui sont exceptionnels, pas le dispositif lui-même… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :
Nombre de votants | 331 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 113 |
Contre | 218 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Chapitre II
Rationalisation des dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés
Article 3
L’article 244 quater B du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la fin de la deuxième phrase du premier alinéa du I, les mots : « 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant » sont remplacés par les mots : « 40 % pour les petites et moyennes entreprises telles que déterminées par l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. » ;
2° Le II est complété par un l ainsi rédigé :
« l) Les dépenses de recherche relatives à l’environnement telles qu’entendues dans le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. Le taux de crédit d’impôt s’élève à 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros et de 40 % pour les petites et moyennes entreprises. Ces taux sont applicables au titre d’un crédit d’impôt recherche “vert”. »
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :
Nombre de votants | 331 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 98 |
Contre | 233 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 4
Le 1 du I de l’article 39 decies A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au début du a, les mots : « Le gaz naturel et » sont supprimés ;
2° Le a bis est abrogé.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
Article 5
Après le b du I de l’article 44 octies A du code général des impôts, il est inséré un b bis ainsi rédigé :
« b bis) Les activités de l’entreprise concernées doivent être conformes aux exigences d’une activité économique durable sur le plan environnemental au titre du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. »
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les cinq articles qui la composent auraient été rejetés.
Aucune explication de vote sur l’ensemble du texte ne pourrait donc être admise.
La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. Préjugeant que l’article 5 ne sera pas adopté, je vais m’exprimer sur l’ensemble du texte.
Je veux remercier Mme la ministre, l’ensemble de mes collègues, la commission et les groupes de leur participation à ce débat.
Si celui-ci a pu donner lieu à des appréciations parfois un peu caricaturales, il nous a aussi permis de préparer le débat budgétaire.
Ainsi, nous avons pu, pour ce qui nous concerne, faire des propositions sur l’impôt sur les sociétés, sur la taxation des superprofits, sur l’évolution des niches fiscales, notamment sur la plus importante d’entre elles, c’est-à-dire le crédit d’impôt recherche.
Je pense que nous devons vraiment changer de modèle. Continuons d’y réfléchir : une telle démarche est plus porteuse d’avenir, plus intelligente et plus orientée vers des objectifs, notamment en matière écologique – que nous partageons ici, parfois bien au-delà des travées de la gauche –, que le simple bouchage de trous auquel va se livrer le PLF 2025, un peu au détriment des plus riches et des grandes entreprises et beaucoup à celui de l’ensemble des Français.
Chers collègues, nous reviendrons certainement sur vos arguments lors du débat budgétaire. De fait, c’est la majorité sénatoriale qui, au final, dans quelques semaines, augmentera les impôts de manière indiscriminée avec le Gouvernement. Nous ne manquerons alors pas de reprendre les propos que vous avez tenus aujourd’hui.
Nous vous avons proposé un autre dispositif. Nous n’espérions pas qu’il serait adopté, mais nous sommes heureux d’avoir pu faire avancer le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote sur l’article 5.
M. Daniel Salmon. Au cours de cette discussion, j’ai moi aussi entendu beaucoup de choses. J’ai vu que la main invisible d’Adam Smith volait encore et toujours au-dessus des travées dégarnies de la droite, dont les membres continuent de prôner l’avènement du meilleur monde libéral.
On procrastine, mais aujourd’hui procrastination rime avec inondations ! On me parle toujours d’écologie punitive, mais qui est puni aujourd’hui ? Comme d’habitude, ce serait la faute des écologistes, qui préservent les grenouilles, et des fossés, qui ne sont pas curés… Eh bien non, chers collègues : la croissance insoutenable est là ! Nous y sommes !
Si le rôle des politiques publiques n’est pas d’orienter nos entreprises vers une transition écologique, à quoi servent-elles ?
On me dit toujours que les choses vont trop vite. Non, elles ne vont pas du tout à la bonne vitesse. La trajectoire n’est pas la bonne et les aléas climatiques ne font que s’accélérer. Chers collègues, vous savez très bien que tout cela nous coûtera beaucoup plus cher demain.
Le culte du profit semble toujours primer sur la biosphère. En 2023, ce sont 73 milliards d’euros de dividendes qui ont été versés par les entreprises du CAC 40.
Nous devons avoir des exigences. L’examen du PLF approche et les équilibres seront très difficiles à trouver. Il faudra bien prendre l’argent là où il est et, tant qu’à le faire, orienter les entreprises vers cette nécessité absolue qu’est la transition. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Mixité sociale dans les établissements d’enseignement publics et privés
Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 471 rectifiée [2023-2024], texte de la commission n° 678 [2023-2024], rapport n° 677 [2023-2024]).
Rappel au règlement
M. Patrick Kanner. Madame la ministre déléguée, je tiens à vous féliciter de l’élargissement du périmètre de votre ministère ! (Sourires.)
Derrière ce propos facétieux, je regrette que la ministre de l’éducation nationale ou son ministre délégué ne soient pas présents au banc du Gouvernement au moment d’engager cette discussion générale sur un sujet aussi important.
Je le regrette d’autant plus fortement que la ministre était à Tourcoing ce matin… Quand on est ministre, on n’organise pas un déplacement qui nous empêche d’être présent en séance lors d’un débat parlementaire qui nous concerne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mmes Laure Darcos et Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.) J’ai occupé quelques fonctions ministérielles : c’était le b.a.-ba…
J’ai reçu par texto les excuses de la ministre chargée des relations avec le Parlement ; je les accepte.
Toutefois, si cet incident n’est pas dirimant, il est tout de même regrettable ; il peut s’analyser comme un manque de respect à l’égard de l’auteure de la proposition de loi, Colombe Brossel, qui va s’exprimer dans quelques instants.
J’appelle le Gouvernement à respecter le Parlement et je ne doute pas que cette demande recueille l’assentiment de l’ensemble de nos collègues, sur toutes les travées. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souhaité inscrire à l’ordre du jour de son espace réservé la proposition de loi que nous avons élaborée avec mes collègues membres de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, afin d’assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat et en faveur de la transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat.
Je remercie mes collègues de m’avoir accordé leur confiance dans la conduite de ce travail, notamment le président Patrick Kanner, Marie-Pierre Monier ainsi et Mme la rapporteure Karine Daniel.
L’examen de cette proposition de loi, déjà très cohérent au mois de juin, avant la dissolution, l’est encore davantage aujourd’hui.
Fruit de plusieurs dizaines d’auditions organisées par notre groupe durant plus de trois mois, ce texte nous permet d’interroger pleinement les fondamentaux de l’école publique. Où les enfants peuvent-ils encore grandir, se retrouver et apprendre ensemble, si ce n’est au sein de l’école de la République ?
Alors que la France est l’un des pays où le milieu social de l’élève conditionne le plus sa réussite scolaire, il est urgent d’agir pour assurer à tous les élèves les mêmes chances.
L’OCDE nous le rappelle, le fossé social explose depuis vingt ans. Désormais, la publication des indices de position sociale, les fameux IPS, à la suite d’une décision de justice rendue contre l’avis du précédent gouvernement, nous offre une cartographie précise et étayée de ce qui n’est autre qu’une ségrégation sociale et scolaire. Et les écarts de se creuser.
Face à ce constat, notre responsabilité politique nous invite à agir. De nombreuses collectivités territoriales – communes, conseils départementaux et régionaux – mènent déjà des politiques publiques en faveur d’une plus grande mixité sociale et scolaire. Et la bonne nouvelle, mes chers collègues, c’est que ces politiques publiques sont efficaces non seulement sur le plan de la réussite scolaire, mais aussi sur celui du climat scolaire et de la capacité à s’ouvrir aux autres.
Finalement, l’engagement principal de la présente proposition de loi, partant de ce constat objectif, est de donner à l’ensemble des collectivités territoriales les moyens d’agir et d’inscrire ces politiques publiques dans un cadre national, celui qui garantit l’égalité républicaine. Il ne pouvait y avoir, je crois, de lieu plus adapté que la chambre des territoires pour débattre de cet engagement.
La proposition de loi est articulée autour de trois axes.
Nous souhaitons tout d’abord renforcer les objectifs légaux, pour en faire de véritables obligations.
Voilà plus de dix ans, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de 2013, dite loi Peillon, inscrivait dans le code de l’éducation que l’État devait veiller aux objectifs de mixité sociale et scolaire. Il s’agit aujourd’hui de franchir une nouvelle étape : en demandant à l’État de garantir le respect de ces objectifs, l’idée est de lui permettre d’assumer son rôle de régulateur, au service de la mise en œuvre de ces objectifs.
Nous souhaitons ensuite donner une base légale aux indices de position sociale, ceux-là mêmes qui ont mis en évidence, en toute objectivité, les très fortes disparités territoriales. Ces outils sont essentiels aux élus locaux pour décliner les politiques et les objectifs de mixité sociale et scolaire.
Avec un IPS moyen de 105 pour les collèges à la rentrée 2022, les disparités territoriales sont frappantes. Nous souhaitons que ces indicateurs, qui constituent l’un des éléments centraux des politiques publiques en faveur de la mixité sociale et scolaire, soient transmis régulièrement aux collectivités territoriales et aux établissements scolaires.
Au-delà, nous donnons également une base légale à la plateforme d’affectation Affelnet, dont nous souhaitons l’extension à l’enseignement privé sous contrat.
Enfin, nous proposons de conditionner le financement de l’enseignement privé sous contrat au respect des obligations de mixité, car il est normal que la loi s’applique à tous. Améliorer la mixité sociale et scolaire ne se résume bien évidemment pas à agir sur l’enseignement privé, mais cela reste indispensable pour atteindre cet objectif. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes, dont j’espère que les analyses font autorité dans cet hémicycle.
Dans son rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023, le constat de la Cour est sans appel : le fossé social s’est creusé depuis le début des années 2000. Ainsi, les élèves de milieux favorisés ou très favorisés représentaient, en 2000, 41,5 % des élèves dans le privé sous contrat ; cette part s’élève désormais à 55,4 %. Et tandis que les enfants de milieux défavorisés représentaient 24,8 % des élèves dans le privé sous contrat, toujours en 2000, ils ne sont plus que 16 % aujourd’hui.
Alors que la part de financements publics atteint 76 % pour l’enseignement privé sous contrat, de nombreux élus, de tous bords et de tous territoires, souhaitent mieux savoir comment l’argent public est dépensé.
À cet égard, permettez-moi de remercier mon collègue Pierre Ouzoulias, auteur initial de cette partie de la proposition de loi, avec qui ce fut un plaisir de travailler.
M. Pierre Ouzoulias. Merci !
Mme Colombe Brossel. Je sais que ce dernier point nous opposera avec la majorité sénatoriale. Je veux à ce titre vous remercier, mes chers collègues, d’avoir permis à notre texte, dans le respect de la tradition sénatoriale, d’être examiné en séance après son passage en commission.
Nous connaissons nos désaccords, mais je ne désespère pas d’arriver à vous convaincre, même si je sais que le chemin sera long.
Je remercie la rapporteure, Karine Daniel, qui, dans un esprit de compromis, a rédigé un article disjoint permettant de donner une base légale aux IPS – que nous utilisons tous – et d’obliger les services de l’État à les transmettre annuellement aux élus. Je ne puis imaginer une seule seconde, mes chers collègues, que la chambre des territoires s’oppose à la transmission aux collectivités territoriales d’indicateurs destinés à servir d’outils de politiques publiques.
Nous devions débattre de cette proposition de loi le 13 juin dernier. La dissolution a reporté son examen. J’ai relu le texte que j’avais écrit, quelques jours avant cette date, en vue de la discussion générale. Je le concluais ainsi : « À l’heure où les élections européennes marquent une avancée très forte de l’extrême droite dans les consciences – les sondages de début juin me permettaient malheureusement d’anticiper le résultat des élections européennes – la question qui nous est posée n’est pas uniquement celle de l’école que nous voulons bâtir, mais celle du pays que nous souhaitons construire. Car si nous ne sommes pas capables de mettre en œuvre des politiques publiques qui permettent à tous les enfants de ce pays de grandir ensemble, d’apprendre ensemble, de jouer ensemble, de se construire ensemble, alors nous continuerons à regarder les fractures se creuser dans notre pays. »
Après la dissolution, après les scores effrayants de l’extrême droite aux élections législatives, après le puissant front républicain que les Français ont soutenu pour empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir dans notre pays, je n’ai finalement pas un mot à changer à ce paragraphe. Oui, la question qui est nous est posée est bien celle des moyens nécessaires pour retisser du commun, du lien et un avenir partagé pour tous les enfants de ce pays.
Voilà pourquoi il est si important d’œuvrer à une meilleure mixité sociale et scolaire. C’est le sens de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)