compte rendu intégral
Présidence de M. Loïc Hervé
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Di Folco,
Mme Véronique Guillotin.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Imposition des sociétés
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (proposition n° 862 [2022-2023], résultat des travaux n° 674 [2023-2024], rapport n° 673 [2023-2024]).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter a été déposée voilà un an, à l’issue d’un travail commun des commissaires socialistes des finances. Je veux donc commencer par les remercier, ainsi que le président du groupe Patrick Kanner, qui a accepté son inscription à l’ordre du jour du Sénat.
Avant de détailler les propositions que contient notre texte, je souhaite dans un premier temps rappeler le contexte des finances publiques dans lequel nous nous trouvons et qui n’a fait que se détériorer depuis des mois.
Ce contexte renforce notre conviction selon laquelle le dispositif que nous proposons aujourd’hui est nécessaire. En effet, au-delà même de cette proposition de loi, c’est un changement de paradigme en matière de fiscalité qui s’impose aujourd’hui. Notre attractivité économique ne finance désormais plus notre modèle social, comme le montre le creusement du déficit public, malgré les coupes budgétaires réalisées dans les dépenses.
C’est donc tout notre système fiscal qu’il faut changer pour redonner à notre pays les moyens nécessaires au bon fonctionnement de ses services publics, ce que les gouvernements précédents ont toujours refusé de faire.
En effet, quelle a été l’approche économique depuis 2017, que Bruno Le Maire a d’ailleurs assumée et revendiquée ? La baisse du taux de prélèvements obligatoires. Or, si les recettes ont bien baissé – plus de 50 milliards d’euros d’après nos estimations –, il n’en va pas de même pour les dépenses, et le ruissellement annoncé n’est jamais venu. D’où le creusement du déficit et l’accroissement du niveau d’endettement du pays, qui dépassent respectivement 6 % et 110 % du PIB.
Reconnaissons-le, cette politique, même si nous ne la partagions pas, avait sa cohérence. Mais elle n’a pas fonctionné et il est temps d’en changer. Au reste – le Premier ministre l’a d’ailleurs reconnu –, le Gouvernement fait face à un mur de financement, tant pour financer les investissements nécessaires, notamment en matière écologique, que pour assurer le fonctionnement quotidien de l’État, la solidarité et les services publics.
Renverser une approche profondément injuste fondée sur la politique de l’offre, rééquilibrer la fiscalité en faisant en sorte que celle-ci soit plus équitable et finance des actions concourant à l’intérêt général, tel est le cœur du dispositif que nous vous présentons aujourd’hui. Les travaux récents des économistes, notamment ceux d’Anne-Laure Delatte, démontrent que les prélèvements assumés par les ménages représentent les deux tiers des recettes du budget de l’État et du budget social, un tiers étant assumé par les entreprises.
Nous avons un objectif simple : rééquilibrer la fiscalité des entreprises, afin qu’elles participent davantage aux efforts, en passant de la seule logique d’octroi d’avantages fiscaux en faveur de celles qui ont un comportement dit « vertueux » à la mise en place de malus pour celles qui suscitent, par leur activité, des externalités négatives, c’est-à-dire qui sont contraires à l’intérêt général et aux objectifs des politiques publiques et qui ne répondent donc ni à l’urgence écologique ni à l’urgence sociale, voire qui aggravent la situation.
Inversons la logique des niches fiscales, qui coûtent si cher et qui, pour nombre d’entre elles, se justifient de moins en moins.
Prenons un exemple. S’il n’est pas interdit aux entreprises de mener des activités polluantes, avec notre proposition, celles qui en ont devront compenser à juste hauteur les désagréments entraînés, via l’assujettissement à un taux supérieur d’imposition sur les sociétés. C’est ce changement de modèle qui permettra à l’État d’engranger des recettes durables, contrairement aux hausses d’impôts annoncées par Michel Barnier, qui ne servent qu’à combler les trous et qui reposent sur tous les Français, même les plus modestes – je crains que la présentation du PLF pour 2025 en conférence de presse cet après-midi ne le confirme…
En revanche, si les entreprises ne subissent pas de hausse d’impôts, c’est qu’elles auront participé à l’atteinte des objectifs sociaux et écologiques auxquels nous adhérons tous. Il ne s’agit donc pas d’une augmentation unilatérale des taux de l’impôt sur les sociétés : c’est un dispositif incitatif.
J’en viens au contenu de cette proposition de loi, qui est divisée en deux chapitres.
Le premier comporte une réforme d’ensemble de la fiscalité des entreprises, à l’aune de l’ambition que je viens d’évoquer. L’article 1er constitue le cœur de ce dispositif ; je souhaite m’y arrêter quelques instants. Il s’agit de maintenir à 25 % le taux standard d’imposition des sociétés et d’instaurer un nouveau taux de 30 % pour les entreprises qui ne respectent pas certaines conditions relevant de l’intérêt général, social ou écologique.
Ce taux s’appliquerait aux sociétés qui ont des activités polluantes, au sens du code général des impôts – cette disposition s’applique à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés ; aux sociétés qui ne publient pas leur rapport annuel sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, au sens de la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, dite Rixain, qui concerne les entreprises de plus de mille salariés ; aux sociétés de plus de vingt salariés qui n’emploient pas au moins 6 % de personnes en situation de handicap, conformément au code du travail ; aux sociétés qui ne sont pas gérées dans leur intérêt social, en intégrant les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité – cette disposition s’applique à toutes les entreprises ; enfin, aux sociétés où les écarts de salaires sont supérieurs à 1 à 30, cette disposition s’appliquant à l’ensemble des entreprises en vertu de la loi et selon un calcul précis.
Le mécanisme proposé ne remettrait donc en cause ni la liberté d’activité ni la liberté de gestion des entreprises, mais il ferait supporter à ces dernières, via la fiscalité, le coût social et environnemental suscité par le non-respect de ces règles.
L’article 2 reprend les termes de la proposition de loi référendaire que mon groupe et les membres du groupe socialiste de l’Assemblée nationale avaient présentée et qui visait à créer une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises : la taxation des superprofits.
Contrairement à l’initiative d’alors, conçue comme temporaire, nous proposons de rendre permanente cette progressivité de l’impôt sur les sociétés. Concrètement, nous ne sommes pas contre les entreprises qui connaissent des pics de bénéfice ; nous souhaitons simplement que, dans une telle situation, elles contribuent à l’effort fiscal de manière plus juste et équitable.
Après le premier chapitre consacré à l’impôt sur les sociétés, le second est dédié à la rationalisation de certaines niches fiscales concernant les entreprises.
L’article 3 vise à réformer le crédit d’impôt recherche (CIR) pour le recentrer sur les PME, en supprimant le crédit d’impôt de 5 % pour les dépenses supérieures à 100 millions d’euros, en faisant passer de 30 % à 40 % le taux applicable aux PME et en concentrant le CIR sur les dépenses de recherche relatives à l’environnement, pour constituer un « CIR vert ».
L’article 4 porte sur la déduction exceptionnelle applicable aux poids lourds et aux véhicules utilitaires légers utilisant des énergies propres ; il s’agit d’en sortir le gaz naturel, qui est une énergie fossile.
Enfin, l’article 5 conditionne les exonérations d’impôt sur les sociétés dans les zones franches urbaines, en les réservant aux activités économiques durables du point de vue environnemental.
Ces différents dispositifs s’inscrivent dans la vision du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à gauche et, je l’espère, au-delà : celle du nécessaire changement de modèle, dans lequel l’impôt des sociétés, plutôt que d’être unilatéralement augmenté – nous verrons si cela correspond à la vision du Gouvernement –, serait réformé, afin de constituer une réponse à l’urgence écologique et de contribuer à une plus grande justice sociale.
Voilà ce que nous vous proposons aujourd’hui, mes chers collègues, et je crois que nous participons ainsi utilement au débat démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Somon, en remplacement de M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi de Rémi Féraud, dont la commission a été saisie dès le printemps dernier et dont l’adoption aurait, sinon pour objet, du moins pour effet d’alourdir la fiscalité des entreprises dans notre pays.
Lors de son examen, le 3 juin dernier, la commission a rejeté cette proposition de loi, pour des motifs que je vais brièvement vous exposer.
Avant de détailler les mesures concrètes prévues dans la proposition de loi, je souhaite vous présenter en quelques mots la logique d’ensemble de ce texte et les raisons pour lesquelles nous n’adhérons pas à la réforme fiscale proposée, qui risquerait d’affaiblir nos entreprises, dans un contexte déjà marqué par le ralentissement de la croissance.
Premièrement, du point de vue du principe, nous estimons qu’un alourdissement de la fiscalité des entreprises en France serait contre-productif, dès lors qu’il nuirait à la compétitivité des entreprises, donc à leur capacité d’investissement dans la transition.
Je souligne à cet égard que le texte qui nous est proposé a pour caractéristique d’avoir un périmètre d’application extensif, qui conduirait à taxer la quasi-totalité des entreprises, sans tenir compte de leurs capacités à contribuer à l’effort national de redressement des comptes publics.
Je précise à cet égard que nous comprenons naturellement l’objectif des auteurs de cette proposition de loi, à savoir l’accélération de l’engagement des acteurs privés en faveur de la transition écologique.
Toutefois, dans un contexte international dans lequel la France se démarque par le poids de ses prélèvements obligatoires, qui représentent 46 % du PIB, je le rappelle, des hausses générales de fiscalité ne sauraient constituer une réponse satisfaisante : elles risquent d’affaiblir notre économie et de restreindre l’adhésion des entreprises à nos objectifs climatiques.
Deuxièmement, du point de vue de la méthode, nous estimons que, malgré la volonté de l’auteur de la proposition de loi, la hausse de la fiscalité concernerait un très grand nombre d’acteurs économiques.
Par conséquent, sans rejeter le principe d’une adaptation de la fiscalité à nos objectifs fiscaux et sociaux, je relève que l’adoption de ce texte aboutirait à une complexification de notre droit fiscal, à rebours de la volonté de simplification partagée par tous les groupes du Sénat, et à un alourdissement de la fiscalité qui serait préjudiciable aux acteurs économiques de nos territoires.
La proposition de loi est divisée en deux chapitres, qui présentent tous les deux des défauts dirimants justifiant son rejet par la commission des finances.
Le chapitre Ier prévoit l’alourdissement de la fiscalité pour un très grand nombre d’entreprises et présente le risque de créer une surtaxe frappant spécifiquement les entreprises en forte croissance, celles qui créent de l’emploi dans nos territoires.
Le périmètre particulièrement étendu des entreprises concernées est notamment illustré par l’article 1er, qui prévoit une augmentation de l’impôt sur les sociétés, lequel passerait de 25 % à 30 %, en fonction de nombreux critères. Cela conduirait en réalité à faire basculer un très grand nombre d’entreprises sur un taux de 30 %.
En effet, l’article vise les entreprises dont l’activité directe ou indirecte constitue une activité polluante ou y contribue ; celles qui ne respectent pas l’obligation de publication annuelle des écarts de représentation des hommes et des femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ; celles qui ne respectent pas l’obligation d’emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de leur effectif total, dès lors qu’elles emploient plus de 20 salariés ; celles dans lesquelles ont lieu des cas d’actes de gestion contraires à l’intérêt de la société ; enfin, celles dans lesquelles sont constatés des écarts salariaux de plus de trente fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible.
Le périmètre me semble très large et surtout mal défini, notamment au regard de la notion de « contribution indirecte à une activité polluante ».
En outre, l’article repose sur une logique d’écologie punitive, alors que nous plaidons pour une écologie positive, comme l’a rappelé le Premier ministre ; cette logique punitive sanctionne les entreprises sans apporter la moindre solution favorisant la transition écologique du tissu productif.
Je ne m’attarderai pas sur l’article 2. Alors que les auteurs prétendent mettre en place une contribution sur les revenus exceptionnels, cette disposition prévoit en réalité uniquement une contribution sur la croissance des entreprises.
Par ailleurs, le taux marginal d’imposition des bénéfices atteindrait des niveaux stratosphériques : le cumul des deux premiers articles conduirait à une imposition marginale des bénéfices de 63 %. Nous sommes très proches du seuil que le Conseil constitutionnel qualifie de « confiscatoire ».
L’objectif affiché du chapitre II consiste à « verdir » certaines niches fiscales ; en réalité, son adoption conduirait à une dégradation de notre solde public et à une complexification de notre droit, sans effet tangible sur la transition écologique.
En ce qui concerne l’article 3, il a pour objectif de réformer le crédit d’impôt recherche, qui constitue la première dépense fiscale du budget général, pour un montant estimé à 7,7 milliards d’euros en 2024.
J’insiste ici sur le fait que les dépenses de recherche qui sont éligibles à ce crédit d’impôt le sont indépendamment du domaine de recherche concerné. Ainsi, les dépenses de recherche en matière environnementale sont bien couvertes par le CIR dans sa version actuelle.
La proposition de loi comporte deux réformes du CIR.
La première porte sur le barème et consiste à plafonner les dépenses éligibles à 100 millions d’euros et à porter le taux à 40 % pour les PME. Si nous comprenons les intentions de l’auteur du texte, nous ne pouvons que nous opposer à une telle mesure, qui conduirait à renchérir le coût de cette dépense de 630 millions d’euros par an. En l’état de dégradation de nos finances publiques, cette dépense fiscale supplémentaire ne nous semble pas justifiée.
La seconde réforme proposée consiste à créer un « CIR vert » pour les dépenses de recherche relatives à l’environnement. Or, je l’ai indiqué, les dépenses de recherche environnementale sont déjà, en l’état du droit, couvertes par le CIR. Il n’est dès lors pas nécessaire de prévoir la création d’un CIR vert, puisque celui-ci est déjà inclus dans le CIR actuel.
L’article 4 prévoit de réduire le périmètre d’un dispositif de suramortissement en faveur de l’acquisition de poids lourds utilisant des carburants alternatifs.
En l’espèce, la proposition de loi vise à exclure de ce dispositif les poids lourds roulant au gaz naturel pour véhicule (GNV). Cela pose des problèmes pratiques et de principe : en principe, rien ne justifie d’exclure le GNV de ce suramortissement, alors que ce carburant constitue une énergie de transition, dont les émissions sont réduites par rapport au pétrole et au charbon ; en pratique, le dispositif ne semble pas opératoire, dès lors que les moteurs fonctionnant au gaz naturel peuvent également fonctionner au biométhane carburant.
La volonté de l’auteur d’exclure les poids lourds roulant au gaz naturel risquerait par conséquent de fragiliser l’inclusion dans ce dispositif fiscal du biométhane carburant.
Par conséquent, il ne nous semble pas opportun de réduire le périmètre de ce suramortissement en faveur de l’acquisition de poids lourds peu polluants, qui est un levier de décarbonation du secteur des transports.
Enfin, l’article 5 a pour objet de créer une écoconditionalité relative à l’avantage fiscal associé à la création d’une activité économique dans les zones franches urbaines - territoires entrepreneurs (ZFU-TE).
Ce régime de soutien aux quartiers défavorisés a été créé dans les années 1990 pour y stimuler la création d’entreprises. Il permet notamment de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés pendant les cinq années suivant la création de l’activité.
Je relève que, en l’état du droit, ce dispositif représente un coût d’environ 120 millions d’euros sur l’ensemble du territoire et se caractérise par un nombre très important de critères à respecter relatifs à l’activité de l’entreprise créée et au lieu de résidence des salariés de l’entreprise.
La proposition de notre collègue consistant à ajouter un critère environnemental relatif à l’activité ne nous semble pas adaptée, dès lors qu’elle pourrait avoir pour effet non seulement de complexifier ce dispositif, mais également d’en limiter la portée sociale, en restreignant sensiblement l’incitation à créer une activité dans un quartier défavorisé.
À l’issue de cette présentation succincte des mesures contenues dans chacun des articles de la proposition de loi, je souhaite résumer l’opposition de la commission.
Sur la méthode, le choix consistant à recourir à l’instrument fiscal pour punir certains comportements des entreprises ne nous semble pas adapté et risque d’avoir des conséquences imprévues sur la compétitivité de nos entreprises. Sur le fond, la commission des finances est opposée à des mesures d’augmentation générale de la fiscalité des entreprises qui ne tiennent pas compte de la faculté contributive réelle des acteurs économiques.
Sans anticiper sur les débats fiscaux que nous ne manquerons pas d’avoir lors de l’examen prochain du projet de loi de finances, je souligne que l’approche consistant à augmenter la fiscalité pesant sur un périmètre très large n’est pas pertinente au regard de l’importance de préserver l’activité dans notre pays.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de l’économie sociale et solidaire, de l’intéressement et de la participation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons ce matin la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.
La maîtrise de la dette budgétaire, la justice fiscale et la réduction de notre dette écologique constituent des enjeux prioritaires du Premier ministre et du Gouvernement ; je le sais, nous visons quasiment tous, dans cet hémicycle, ces objectifs. Sur ces piliers, nous devons agir en cohérence.
Il importe de préserver la politique de l’offre pour garantir l’activité et la production sur notre territoire, renforcer la compétitivité de nos entreprises, stimuler la croissance économique, ainsi que l’investissement, et favoriser l’emploi.
Nous devons aussi garantir la construction d’une écologie des solutions et orienter l’investissement privé vers la transition écologique. Cela passera également par le concours de l’État : au travers notamment des plans France Relance et France 2030, l’État investit aux côtés des entreprises pour construire l’économie verte de demain.
Les contrats de transition signés avec les cinquante sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre constituent des exemples d’une action efficace permettant à la transition écologique d’être un moteur de notre politique industrielle.
Par ailleurs, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a permis des avancées majeures en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La France a d’ailleurs promu à l’échelle européenne la nécessité de prendre en compte les critères extrafinanciers au sein des entreprises. Nous devons poursuivre nos efforts pour que soient davantage pris en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Enfin, je souhaite parler de simplification, parce que le temps et l’énergie de nos entreprises ne devraient pas être grevés par le fardeau administratif. C’est pourquoi la clarté et la simplicité des dispositifs mis en place font également partie de nos priorités.
La présente proposition de loi prévoit d’augmenter de 25 % à 30 % le taux de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui ne respecteraient pas plusieurs critères en matière environnementale, en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, en matière d’emploi de personnes en situation de handicap ou encore en matière d’écart de salaires.
Or les gouvernements successifs se sont efforcés d’améliorer l’attractivité de la France, laquelle passe entre autres par la stabilité fiscale et la compétitivité des entreprises. Pour ce faire, la continuité et la lisibilité des politiques et des dispositifs mis en place sont primordiales.
Depuis 2017, la France a fait le choix d’abaisser le taux de son impôt sur les sociétés, le rapprochant de celui de nos voisins européens, car nous étions initialement – faut-il le rappeler ? – le deuxième pays de l’OCDE en matière d’imposition effective des sociétés. La compétitivité des entreprises françaises en est sortie renforcée, ce qui stimule la capacité de celles-ci à investir.
Revenir sur les politiques passées et augmenter durablement le taux d’imposition sur les sociétés, comme le propose l’auteur de cette proposition de loi, même en conditionnant cette hausse à des critères socio-environnementaux, nous paraît nuire à l’activité économique et à l’investissement des entreprises, alors même que ces dernières ont besoin d’investir pour atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés, notamment en matière de transition écologique, précisément. Cela pourrait in fine nuire également au pouvoir d’achat des ménages.
De plus, le taux d’imposition sur les sociétés ne nous semble pas le bon outil pour atteindre l’objectif visé, à savoir le bon alignement des entreprises sur les valeurs d’inclusion, d’égalité et de préservation de notre environnement.
Des mécanismes existants ont été conçus pour décourager les mauvais comportements, comme le système européen d’échange d’émissions de gaz à effet de serre, qui associe un coût à l’externalité négative des activités couvertes, notamment dans le domaine de l’énergie, de l’industrie et du transport aérien. De même, l’indice de l’égalité professionnelle vise à calculer et à publier les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes dans les entreprises, afin de renforcer précisément la transparence salariale.
Avec le mécanisme présenté au travers de cette proposition de loi, une entreprise serait sanctionnée à hauteur non pas de la faute commise, mais de sa profitabilité. Le cas extrême serait celui d’une entreprise déficitaire qui échapperait à la sanction, quels que soient ses manquements éthiques.
La proposition de loi prévoit en outre d’instaurer une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, calculée sur la croissance des bénéfices. Le mécanisme proposé pour cibler les superprofits tirés d’une situation conjoncturelle particulière ne nous semble pas approprié.
La proposition de loi ne permet pas, me semble-t-il, de définir les bénéfices exceptionnels et aurait plutôt tendance à limiter le dynamisme économique. Même en modifiant la période de référence, comme le proposent les auteurs de l’amendement n° 4 – nous y reviendrons –, les entreprises en forte croissance tendancielle seraient assujetties à ce surcroît d’impôt, sans que leurs bénéfices relèvent de l’exploitation d’une situation conjoncturelle spécifique.
En outre, comme la commission, dont je salue le travail, l’a bien souligné dans son rapport, le taux marginal maximal d’imposition induit par les dispositions de cette proposition de loi frôle le seuil confiscatoire défini par le Conseil constitutionnel, et même le dépasserait avec les amendements proposés.
Nous pensons que d’autres solutions sont possibles pour atteindre cet objectif de redressement des comptes publics sans pour autant nuire à notre économie ni à la compétitivité de nos entreprises. Les débats que nous aurons dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances seront, je l’espère, l’occasion d’approfondir ces questions.
Le redressement de nos comptes publics devra ainsi nécessiter un effort limité dans le temps et partagé, avec une exigence de justice fiscale. Nous y concourrons, je le disais, dans le PLF pour 2025.
Cela passera notamment par la participation des grandes entreprises réalisant des profits importants au redressement des finances publiques, tout en veillant à ne pas remettre en cause notre compétitivité.
Cela passera également par une contribution exceptionnelle des Français les plus fortunés, afin d’éviter les stratégies de défiscalisation des plus gros contribuables.
Nous lutterons en outre contre la fraude fiscale et sociale. Ces dispositions, j’y insiste, devront faire l’objet d’échanges, au moment de l’examen du budget, lors duquel nous souhaitons évidemment que le Parlement prenne toute sa place et joue pleinement son rôle.
Il est également proposé, au travers de ce texte, de modifier en profondeur le crédit d’impôt recherche, un mécanisme aujourd’hui bien connu, maîtrisé par les entreprises et puissant. Les gouvernements successifs ont soutenu ce dispositif. Nous prenons nos responsabilités et nous sommes attachés au fait qu’il reste stable et ne soit pas dénaturé.
Plus de 16 000 entreprises y ont aujourd’hui recours, et les effets incitatifs du crédit d’impôt recherche sur les dépenses de recherche et développement (R&D) sont bien documentés. La mise en place, proposée à l’article 3, d’un plafond de 100 millions d’euros menace la stabilité, donc l’attractivité, du dispositif et induit des risques de contournement ou de délocalisation d’activités de recherche et de développement.
Par ailleurs, la proposition de loi tend à porter le taux du crédit d’impôt recherche de 30 % à 40 % pour les TPE-PME.
Or, la lisibilité de ce dispositif étant primordiale pour nos très petites, petites et moyennes entreprises, nous sommes attachés à le maintenir tel qu’il est. Nous comptons ainsi assurer à ces entreprises une stabilité fiscale. D’ailleurs, nos TPE-PME seront exemptées de l’effort exceptionnel et temporaire demandé aux grandes entreprises dans le cadre du projet de loi de finances.
En outre, les dépenses de recherche favorables à l’environnement bénéficient déjà du dispositif, puisqu’elles font partie de l’assiette du crédit d’impôt recherche. Là encore, sa stabilité contribue à son succès.
Un taux majoré pour les activités de recherche et développement à impact environnemental positif, bien qu’il soit pertinent des points de vue économique et écologique, se heurte à un problème d’identification de l’impact environnemental des activités de recherche et développement. Comment savoir, en effet, si une recherche fondamentale aura un impact environnemental positif ?
J’ajoute qu’un tel « crédit d’impôt recherche vert » serait redondant avec d’autres dispositifs incitatifs au verdissement de l’économie, comme le plan France 2030 et le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte.
D’une part, le plan France 2030 déploie plusieurs actions pour faire émerger des solutions de décarbonation créant de la valeur sur nos territoires, comme les sites de production de batteries électriques.
D’autre part, le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte, créé par la loi relative à l’industrie verte et entré en vigueur en 2024, permet déjà de déduire une partie des dépenses engagées dans des filières de transition énergétique.
Enfin, la proposition de loi discutée aujourd’hui prévoit de recentrer deux dispositifs existants de réduction de l’impôt sur les sociétés, afin de renforcer leur impact environnemental.
En premier lieu, il est proposé que les poids lourds roulant au gaz naturel soient dorénavant exclus du suramortissement destiné à soutenir l’acquisition de véhicules peu polluants.
Les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation du gaz naturel sont bel et bien élevées, mais l’intervention publique en la matière repose sur de nombreux dispositifs ; je pense notamment au suramortissement, à la prime à la conversion et à la taxe intérieure de consommation. Aussi les réflexions sur d’éventuelles évolutions du suramortissement devraient-elles s’inscrire dans un cadre plus large.
En second lieu, il est proposé de limiter le régime d’exonération applicable aux entreprises implantées en zone franche urbaine à des activités durables sur le plan environnemental.
De nouveau, une telle mesure se heurte à des difficultés d’identification de telles activités. Le critère de sélection proposé est complexe et difficile à mettre en œuvre, dans la mesure où, par exemple, une entreprise aura du mal à déterminer si ses sites font partie des 20 % les moins émissifs dans son secteur d’activité. Voilà qui contreviendrait donc à nos objectifs de simplification, mais également d’équité.
Pour conclure, je veux le dire, nous partageons la conviction qu’il est nécessaire d’accélérer dans l’application des critères écologiques à l’activité des entreprises, et le Gouvernement est pleinement mobilisé en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la prise en compte des personnes en situation de handicap.
Les mécanismes ici proposés ne répondent cependant pas aux exigences de clarté pour les entreprises, de cohérence avec les autres dispositifs en vigueur et de bon choix de levier comme de périmètre.
Nous continuerons de débattre sur les sujets fiscaux à l’occasion de l’examen du PLF.