M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un cuisinier sans recette, cela débouche souvent sur un plat raté ; un budget sans recette n’est pas plus savoureux…
C’est là tout l’intérêt de la présente proposition de loi des sénatrices et sénateurs socialistes, qui s’attellent à la hausse des sources de financement de l’État. Pour ce faire, nos collègues portent une attention particulière à rendre la fiscalité « incitative », afin qu’elle oriente les comportements des acteurs économiques, en proposant en particulier des modifications de l’imposition des bénéfices ou du crédit d’impôt recherche.
En somme, nous examinons le budget rectificatif qui n’est pas venu. L’ancien ministre Bruno Le Maire n’avait pas obtenu gain de cause auprès d’Emmanuel Macron, ce dernier le recadrant à l’occasion et préférant laisser plonger les finances publiques dans un déficit abyssal de 6,1 % du PIB – pour l’instant…
Michel Barnier n’a pas obtenu de feu vert non plus : il refuse désormais de corriger la trajectoire et mise sur la seule année 2025, où se trouve concentré l’effort, quitte à exposer le pays à un risque de récession, s’agissant d’une économie dopée à l’argent public. Nous nous rendrons rapidement compte en effet que les investissements de la sphère publique limitent la casse sociale en même temps qu’ils préservent un semblant de souveraineté.
La « politique de l’offre » coûte un « pognon de dingue ». Aux quelque 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises s’ajoutent des baisses d’impôts non financées, qui pèsent sur le déficit public à hauteur de 62 milliards d’euros chaque année. Et ce n’est pas fini, car la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) arrivera à extinction en 2027, ce qui amputera les finances publiques de 5 milliards d’euros supplémentaires.
De cette décision votée en son temps par les macronistes comme par Les Républicains – vous êtes désormais associés dans une coalition dont vous faisiez mine de ne pas vouloir il y a moins de deux mois ! –, vous partagerez le bilan, chers collègues.
Toutefois, en un mouvement d’équilibriste, le Premier ministre Michel Barnier propose dans son projet de budget une surtaxe d’impôt sur les sociétés. Je constate, non sans un peu de malice, que cette proposition paraît aux antipodes de la position du rapporteur LR du présent texte, notre collègue Bruno Belin, qui, dans son rapport déposé le 5 juin dernier, estimait que « l’augmentation d’impôt proposée s’inscrit à rebours de la baisse de l’impôt sur les sociétés, qui a pourtant fait l’objet d’un consensus politique très large depuis 2016, afin de soutenir la compétitivité des entreprises et l’emploi ».
La majorité sénatoriale rejettera-t-elle ainsi le budget du Premier ministre issu de son camp ? (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
En définitive, le retour aux responsabilités peut entraîner un retour au réel. Sortir des postures devrait vous conduire à voter l’article 1er.
M. Bernard Jomier. Bien vu !
M. Éric Bocquet. En effet, qui expliquera à nos concitoyennes et à nos concitoyens que, pour ce qui est au moins des entreprises qui ne respectent pas les impératifs de la parité entre femmes et hommes et de l’inclusion des travailleurs en situation de handicap, qui présentent des écarts de rémunération supérieurs à 1 pour 30 et dont les activités sont excessivement polluantes, nous ne saurions majorer le taux d’impôt sur les sociétés de 5 points pour revenir à un niveau restant inférieur à ce qu’il était en 2020 ?
Personne ! Car le problème de nos finances publiques incombe non pas nécessairement aux dépenses, même si la qualité de la dépense publique est un sujet d’importance, mais à nos recettes, qui ont baissé de 2,4 points de PIB entre 2018 et 2023.
Compte tenu de l’augmentation des dépenses publiques, sur la même période, de 0,6 point de PIB, cela fait 3 points de PIB, soit un gouffre de 85 milliards d’euros ! Et si les recettes publiques exprimées en pourcentage du PIB s’établissent quasiment à leur niveau de 1985, il en est encore, dans cet hémicycle et ailleurs, pour dire que c’est toujours trop.
Quant aux superprofits que nous souhaitons taxer, je me bornerai à dire qu’il faut, pour y être assujetti, avoir réalisé des « superbénéfices », si bien que, nous semble-t-il, il conviendrait de renforcer encore un peu la vigueur de cet article 2.
Nous partageons avec nos collègues socialistes la conviction selon laquelle il est nécessaire de placer les recettes au centre du débat budgétaire. Car, au fond – je file la métaphore culinaire –, « la bonne cuisine, c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont ». En l’espèce, il s’agit bien de recettes, elles en ont le goût ; mais demeure un soupçon : certes léger, fin, gastronomique, le menu proposé ne pourra rassasier les parlementaires communistes que nous sommes.
Évidemment, nous voterons ce texte, mais nous présenterons des amendements dont les dispositions s’inscrivent dans la lignée de nos positions antérieures, car, chers collègues socialistes, il y a entre nous des nuances qui sont loin d’être indépassables. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre d’une proposition de loi, présentée par notre collègue Rémi Féraud et le groupe socialiste du Sénat, visant à instaurer une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.
Cette proposition va indéniablement dans le sens des combats écologiques que nous défendons. À l’heure où le Gouvernement cherche à rétablir les comptes publics par des économies et, hélas ! par bien peu de recettes, il nous apparaît essentiel de conditionner toute baisse du niveau d’imposition à des engagements sociaux et environnementaux réels et concrets.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considère qu’il existe en ce domaine un important vivier d’économies réalisables, dont la mobilisation permettrait d’orienter nos finances publiques vers une gestion plus vertueuse. En effet, se diriger fortement et durablement vers une fiscalité plus juste et plus écologique se révèle une nécessité urgente. Cette proposition de loi offre ainsi une réponse qui consiste à réformer notre système fiscal pour l’aligner sur des objectifs environnementaux et de justice sociale.
La modulation de l’abaissement du taux d’impôt sur les sociétés en fonction des activités des entreprises revient à introduire dans notre fiscalité une logique de bonus-malus écologique. C’est là une orientation que nous, écologistes, avons promue à plusieurs reprises, notamment lors de l’élection présidentielle de 2022.
En proposant d’inciter les entreprises à adopter des pratiques plus vertueuses pour l’environnement, nous cherchons bien à internaliser les coûts environnementaux et à orienter l’économie vers un modèle plus durable prenant en compte ce qu’on appelle les « coûts cachés ».
C’est aussi un signal fort qui serait lancé en faveur de la justice fiscale et de la responsabilité environnementale. La proposition de loi crée une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Cette disposition répond à un impératif de justice fiscale.
Depuis près de deux ans, notre groupe plaide, avec les autres groupes de gauche, pour l’instauration de cette contribution additionnelle dans les projets de loi de finances. On l’a cruellement vu ces dernières années, les grandes multinationales échappent à une juste imposition, alors même qu’elles réalisent des bénéfices records, souvent au détriment des ressources naturelles. Cette mesure contribue donc à la fois à la justice sociale et à l’effort collectif pour répondre aux défis climatiques.
Voilà qui rejoint les orientations exprimées l’an dernier dans le rapport sur Les Incidences économiques de l’action pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz quant aux nécessités d’investissement dans le domaine de la transition écologique au regard des « objectifs 2030 », orientations encore précisées lundi dernier dans la note d’analyse qu’a livrée France Stratégie sur la rentabilité des investissements bas-carbone.
Nous sommes donc favorables à ce texte, à une réserve près concernant l’inclusion des activités nucléaires et gazières dans la liste des activités éligibles à des conditions fiscales favorables.
Notre groupe s’est toujours opposé à l’inclusion de ces activités dans la taxonomie des activités durables sur le plan environnemental de l’Union européenne, car elles ne répondent pas aux exigences de responsabilité environnementale que nous devons viser.
Le nucléaire, je le rappelle, soulève des questions majeures qui ont trait aux risques, à la gestion des déchets, à la dépendance ou à la souveraineté nationale, sachant par exemple que nous continuons à financer l’effort de guerre russe par l’achat d’uranium enrichi en Russie pour faire fonctionner la moitié de notre parc nucléaire.
Cela dit, nous soutiendrons cette proposition de loi, qui constitue globalement une avancée vers une fiscalité des entreprises plus juste et plus équitable. Elle va en effet dans le sens d’une orientation plus responsable de notre économie.
J’y insiste, l’économie n’est pas à égalité avec l’environnement : elle en dépend, comme l’avenir de l’humanité. Il n’est pas question ici de punir, comme je l’ai entendu tout à l’heure : il est question de promouvoir des politiques publiques qui sont tout simplement mues par des objectifs de transition écologique.
Il s’agit non pas de punir, mais d’orienter ; c’est bien là le propre et la fonction des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter mon collègue Rémi Féraud, auteur de cette proposition de loi visant à instaurer une imposition des sociétés plus juste et plus écologique.
Ce texte devait être examiné en séance le 13 juin dernier, mais la dissolution décidée par le Président de la République a empêché une telle discussion. Par rapport au moment où il est passé en commission, j’observe néanmoins un changement de ton du côté de la majorité sénatoriale, devenue entretemps majorité gouvernementale, sur la question des nouvelles ressources fiscales…
Mes chers collègues, alors que vous affirmez que toute hausse de la fiscalité des entreprises serait contre-productive, le Premier ministre, que vous soutenez, admet désormais que l’effort devra aussi concerner les grandes entreprises réalisant d’importants profits.
Tel est précisément l’un des objets de cette proposition de loi. Il est donc inutile d’attendre le prochain projet de loi de finances : cette proposition de loi offre la possibilité de traduire en actes ces bonnes intentions dès maintenant.
L’urgence est en effet double.
D’une part, il nous faut répondre aux crises climatiques et sociales qui s’aggravent chaque jour.
D’autre part, il est impératif de redresser nos finances publiques, largement détériorées par les choix politiques faits depuis 2017, qui ont contribué à diminuer les ressources de l’État et à augmenter les aides aux entreprises par une « politique de l’offre » qui a échoué.
Or, nous le savons tous, la transition écologique nécessitera des investissements colossaux, estimés à 34 milliards d’euros par an dans le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz.
Nous sommes donc face à une équation complexe : comment financer ces investissements indispensables sans aggraver la situation de nos comptes publics ? Ces deux objectifs ne sont pas incompatibles, comme le montre la présente proposition de loi.
Pour y parvenir, il nous faut mobiliser de nouvelles ressources, revoir les dépenses coûteuses et antiécologiques et réorienter notre appareil productif vers des pratiques durables.
Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette exigence. Elle ambitionne de faire des entreprises des acteurs engagés de la transition écologique, en réformant l’imposition sur les sociétés pour l’adapter aux réalités du dérèglement climatique, et elle participe au redressement de nos finances publiques en supprimant certaines « niches brunes ».
Passons maintenant à l’analyse des articles.
L’article 1er prévoit d’instaurer un taux dérogatoire de l’impôt sur les sociétés, qui serait porté de 25 % à 30 % pour les entreprises qui manquent à leurs obligations sociales, sociétales et environnementales. Cette disposition ne fait que rappeler aux entreprises qu’elles doivent respecter la loi et adopter des pratiques plus responsables.
L’article 2, quant à lui, prévoit l’instauration d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises affichant des superprofits. Dans un contexte où nombre de nos concitoyens et des PME traversent des difficultés économiques, il est juste que ces entreprises, qui réalisent des bénéfices importants, participent à l’effort collectif.
Les articles suivants ont pour objet la rationalisation des dépenses publiques : ils ciblent spécifiquement trois niches fiscales. Avant d’examiner ces dispositions en détail, il est important de prendre un peu de recul.
En 2019, avant que la pandémie ne frappe, France Stratégie estimait déjà le montant des aides publiques aux entreprises à 223 milliards d’euros par an. Schématiquement, nous pourrions comparer ces aides à un iceberg : la partie émergée, visible et quantifiable, correspond aux subventions directes accordées aux entreprises ; la partie immergée, plus difficile à visualiser et à quantifier, regroupe les niches fiscales et sociales.
Les travaux d’Anne-Laure Delatte montrent que la part des niches fiscales et sociales est passée d’à peine 1 % du PIB en 1979 à près de 4 % actuellement – une progression assez considérable –, alors que les subventions aux entreprises, elles, ont stagné autour de montants représentant 2 % du PIB.
Cela signifie que, progressivement, notre mode d’action publique a privilégié les exonérations plutôt que le soutien direct aux entreprises via des subventions. Cette évolution n’est pas sans conséquence : elle réduit la capacité de l’État à définir des priorités, alors même que notre action devrait être totalement réorientée en faveur de la transition écologique.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article 3, qui traite du crédit d’impôt recherche. Ce dispositif coûte 7 milliards d’euros par an, mais son efficacité est contestée.
L’État finance par le biais du crédit d’impôt recherche plus de 20 % des dépenses privées de R&D, soit plus du triple de ce que financent en moyenne les États dans les pays de l’OCDE. Pourtant, la part de la R&D privée dans le PIB en France reste faible – elle est d’environ 1,4 % –, bien inférieure à la moyenne observée dans l’OCDE, qui est de 1,8 %, et bien en deçà des niveaux atteints en Allemagne et aux États-Unis, qui sont supérieurs à 2 %.
Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que ce sont surtout les grandes entreprises qui bénéficient du CIR. Comme l’a indiqué notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans son rapport d’information sur le sujet, il existe en la matière un important effet d’aubaine : pour chaque euro reçu via le CIR, les grandes entreprises n’augmentent leurs dépenses de R&D que de 0,40 euro, contre 1,40 euro pour les PME. C’est pourquoi cette niche fiscale doit être réformée.
L’imposition sur les sociétés, conclurai-je, doit évoluer pour répondre aux enjeux contemporains. Si je crains que ce texte ne soit rejeté, j’espère néanmoins, mes chers collègues, qu’il suscitera le débat. Nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation des finances publiques, cela a été dit, est particulièrement préoccupante.
La dette n’a jamais été aussi élevée sous la Ve République, en valeur relative comme en valeur absolue. Son coût annuel est en passe de devenir le premier budget de l’État. C’est le comble pour les deniers publics : nous devrons continuer de nous endetter pour rembourser notre dette. Pour un particulier, cette situation a un nom : le surendettement.
Par chance, la signature de la France inspire encore confiance. Mais notre légèreté et notre incapacité à tenir nos engagements européens menacent notre souveraineté, et c’est ce qui devrait polariser l’essentiel de nos débats, mes chers collègues.
La campagne des législatives a prouvé que cette préoccupation était assez peu partagée. Les deux extrêmes font mine de s’en alarmer, mais leurs programmes respectifs démontrent qu’ils s’en fichent éperdument. Tel est le principe actif de tout populisme : ce qui compte, ce n’est pas de dire la vérité ; c’est de le faire croire, afin d’accéder au pouvoir.
La proposition de loi que nous allons examiner vise à « mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique ». Derrière ce titre tout de vertu, c’est, déguisé, le programme de la Nupes 2.0 qui est à l’œuvre.
À mon sens, il repose sur trois idées-forces qui structurent la pensée économique par trop lunaire et univoque d’une certaine gauche, à front renversé des enjeux mondiaux : primo, seuls les petits sont gentils ; secundo, c’est vert, donc c’est juste ; tertio, le privé, c’est mal, le public, c’est bien.
M. Patrick Kanner. Caricature !
Mme Vanina Paoli-Gagin. En premier lieu, l’antienne du small is beautiful consiste à augmenter les impôts des entreprises, sauf de celles qui ont moins de vingt salariés ; les PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) de nos territoires apprécieront… Il en va, dans ce programme « 2.0 », de l’impôt sur les sociétés comme de l’impôt sur le revenu : il s’agit d’introduire partout et toujours plus de progressivité. Or, on le sait, cela ne fonctionne pas.
Cette approche révèle un cadre de pensée politique et implique des conséquences pratiques pour la société. Le cadre de pensée, c’est que le profit est un mal dont on s’absout par l’impôt. (M. Thierry Cozic s’exclame.) Les conséquences pratiques, c’est que l’on préfère que les individus s’appauvrissent, pourvu que l’État s’enrichisse. Mais, en définitive, ce sont toujours les libertés individuelles qui reculent. Et c’est la société dans son ensemble qui s’appauvrit, et l’État avec, dès lors qu’il ne crée pas de valeur économique, vous le savez bien.
En deuxième lieu, « c’est vert, donc c’est juste ». Il s’agit là de mettre aux couleurs du jour la sempiternelle obsession de la gauche pour l’augmentation des impôts. Si j’osais, je dirais que c’est un prémix Canada Dry : c’est vert, ça a la couleur et la saveur du soutien à la transition écologique, mais ça n’est tout simplement pas du soutien.
L’impôt sur la fortune ? Bien sûr, mais « vert », s’il vous plaît ! Le crédit d’impôt recherche ? Non merci, sauf s’il est vert ! L’impôt sur les sociétés à 33 % ? Évidemment, mais vous avez droit à un discount à 25 % si « c’est vert ».
M. Patrick Kanner. Tant que ce n’est pas rouge… (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Et si l’innovation fait passer du brun au brun clair, cela ne fonctionne pas : ce n’est pas vert !
M. Patrick Kanner. Autrement dit, tout va bien aujourd’hui !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Mes chers collègues, interrogez tous ceux qui innovent dans notre pays ! Vous verrez que ce type d’approche ne fait que tuer dans l’œuf la recherche et l’innovation – Mme la ministre l’a rappelé tout à l’heure.
Notre groupe considère qu’il faut réduire à la fois la dette publique et la dette climatique, et non augmenter l’une pour réduire l’autre. Nous prônons une approche libérale…
M. Patrick Kanner. Réactionnaire !
Mme Vanina Paoli-Gagin. … de la lutte contre le changement climatique : il faut créer un cadre concurrentiel favorable à nos entreprises, ainsi qu’aux investisseurs et aux financeurs,…
M. Thierry Cozic. Ah !
Mme Vanina Paoli-Gagin. … un cadre qui les incite à investir dans les technologies vertes.
C’est exactement ce que nous faisons à l’échelle européenne, de façon transpartisane et consensuelle. C’est l’inverse de ce que proposent les auteurs de ce texte, qui pénalise les initiatives privées.
Nous croyons sincèrement que le rôle des pouvoirs publics est d’orienter les initiatives privées vers des objectifs stratégiques définis de façon démocratique, mais aussi de soutenir ces initiatives par l’aide à la recherche et à l’innovation et par la commande publique. Ainsi le secteur privé contribue-t-il à l’intérêt général.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte gadget, qui n’apporte aucune réponse sérieuse et structurelle aux enjeux du siècle en matière de transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – Mme Christine Lavarde applaudit également.)
M. Thierry Cozic. Quelle caricature !
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Je ne saurais mieux dire que ma collègue ; malheureusement, nous sommes un peu forcés de nous répéter les uns les autres… (Ah ! sur les travées du groupe SER.)
Monsieur Féraud, je suis obligée de vous le dire, mais – c’est un comble pour un socialiste – vous ne suivez pas la leçon de votre illustre prédécesseur Edgar Faure : « La réforme fiscale, c’est quand vous promettez de réduire les impôts sur les choses qui étaient taxés depuis longtemps et que vous en créez de nouveaux sur celles qui ne l’étaient pas encore. »
Avec cette proposition de loi, vous nous promettez d’augmenter les impôts qui existent déjà, sans pour autant renoncer à en créer de nouveaux !
M. Patrick Kanner. C’est ce qui va arriver avec Barnier ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Et Barnier, vous allez le soutenir !
Mme Christine Lavarde. Avec cette proposition de loi, vous nous invitez aussi à faire un peu de philosophie : qu’est-ce que la justice fiscale ? La réflexion doit-elle être morale, juridique ou économique ? Faut-il envisager la justice fiscale comme un idéal à atteindre ou comme une réalité comptable et budgétaire ?
Je vous rassure, je ne me lancerai pas ce matin dans un cours de philosophie, d’autant que je suis à peu près certaine, mes chers collègues, que nous n’apporterions pas les mêmes réponses à ces questions. Je vais donc me limiter à quelques constats très factuels.
J’en viens pour commencer à l’article 1er et à la hausse du taux d’impôt sur les sociétés (IS).
Cela a déjà été dit par notre rapporteur remplaçant : comme l’analyse de notre rapporteur en titre, dont je veux souligner la qualité du travail, a permis de le montrer, le critère de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) est extrêmement large, si bien qu’en faire l’élément déclencheur d’une majoration de taux reviendrait à toucher un nombre très considérable d’entreprises : en application de votre article 1er, mes chers collègues, plus de 30 % de nos entreprises seraient concernées par une hausse de l’impôt sur les sociétés – et je ne reviens pas sur tous les effets délétères associés, car Vanina Paoli-Gagin les a rappelés.
Pour ce qui concerne l’article 2 et la création d’une contribution additionnelle à l’IS sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, cette mesure est inattaquable : vous entendez taxer les « superprofits ». En réalité, le seuil de taxation retenu est très bas : il suffit, pour qu’elle soit taxée, que l’entreprise ait réalisé des bénéfices 1,25 fois supérieurs à la moyenne des trois derniers exercices ! Là encore, un très grand nombre d’entreprises vont se trouver soumises à l’impôt.
De surcroît, les auteurs de cette proposition de loi nous disent qu’il s’agit d’une taxe exceptionnelle. Or tel n’est pas le cas : il s’agit d’une taxe pérenne, contrairement à ce que laisse entendre l’exposé des motifs, qui fait référence aux bénéfices exceptionnels que certaines entreprises auraient réalisés du fait de l’« épidémie de covid-19, [de] la guerre en Ukraine et [d]es pratiques spéculatives de certains acteurs économiques et financiers ». En réalité, cette surtaxe toucherait toutes les entreprises françaises les plus profitables.
C’est là certainement la grande différence entre nous, mes chers collègues. Vous nous avez en quelque sorte attaqués sur ce que demain nous pourrions faire lorsque nous aurons à voter sur le projet de loi de finances pour 2025.
M. Bernard Jomier. C’est un simple constat que nous dressons !
Mme Christine Lavarde. Oui, nous pourrions être amenés à soutenir une taxation temporaire,… (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.)
M. Laurent Somon, rapporteur. Ciblée !
M. Bernard Jomier. On verra !
Mme Christine Lavarde. … sur une année, pour redresser les comptes publics, dans le cadre d’un effort collectif, partagé par les entreprises, les citoyens, la sphère sociale, l’État et les collectivités. Mais, j’y insiste, il s’agirait bien d’une imposition exceptionnelle et très clairement bornée dans le temps,…
M. Thierry Cozic. On peut rêver !
M. Rémi Féraud. Affaire à suivre…
Mme Christine Lavarde. … là où, pour votre part, vous nous invitez à instaurer une taxation pérenne à l’assiette très large.
Par ailleurs, dans votre esprit, cet article 2 se cumule avec l’article 1er, si bien que l’on atteindrait un taux d’imposition de 63 % !
Je fais miens, de nouveau, les propos de Vanina Paoli-Gagin : imposer un résultat à ce point, c’est condamner les entreprises, c’est leur interdire le succès, la réussite, c’est faire baisser l’investissement, c’est faire diminuer la redistribution, c’est aussi faire diminuer l’emploi – il me semble pourtant, mes chers collègues, que vous êtes sensibles à cette dernière question…
En tout état de cause, monsieur Féraud, un impôt assorti d’un taux aussi élevé n’est plus un impôt juste : c’est un impôt confiscatoire. Comme le disait le général de Gaulle – vous savez combien j’aime citer nos illustres prédécesseurs –, au-delà de 50 %, ce n’est plus de l’impôt : c’est de la spoliation.
Comme l’a dit Mme la ministre, le taux moyen d’imposition sur les sociétés dans les pays de l’OCDE était de 20 % en 2022, et la France a doucement commencé à se rapprocher de la moyenne grâce aux décisions prises ces dernières années. Nous n’avons pas les mêmes références, mes chers collègues : les économistes auxquels je me réfère sont plutôt Arthur Laffer ou Jean-Baptiste Say. Je cite ce dernier : « Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte. » Vous risquez donc, par votre mesure, de diminuer sur le long terme les recettes fiscales.
Pour ce qui est de l’article 3, cela a déjà été dit, vu l’état de nos finances publiques, on ne saurait creuser davantage le déficit. Or c’est précisément ce que reviendrait à faire cet article s’il était adopté.
L’article 4 vise, quant à lui, à supprimer une niche fiscale considérée comme « brune ». Comme vous le savez, j’ai certaines idées en matière de fiscalité environnementale, cette dernière pouvant, selon moi, contribuer à infléchir les comportements. Mais, en l’état, je ne suis pas certaine que les dispositifs que vous visiez soient les plus pertinents…
Il ne vous aura pas échappé que j’ai travaillé sur cette question en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances lors de l’examen de la loi relative à l’industrie verte, qui a fait suite aux débats de la Convention citoyenne pour le climat. À l’époque, j’avais émis l’idée que les documents transmis aux membres de cette convention n’étaient pas complets – il y manquait notamment certains éléments relatifs au verdissement total de notre mobilité lourde et de nos camions.
Trois ans plus tard, le constat reste le même. La disponibilité des poids lourds électriques ou à hydrogène est quasi nulle. Cette technologie est toujours en phase de développement. Le basculement vers une utilisation véritable ne devrait pas avoir lieu avant la fin de la décennie.
De fait, leur coût est toujours exorbitant, on en produit peu et leur utilisation n’est pas rentable. La taille de la batterie nécessaire pour mouvoir un camion, notamment, est telle que la capacité d’emport devient ridicule.
Par ailleurs, les infrastructures aujourd’hui présentes sur le territoire français sont insuffisantes pour développer cette mobilité lourde à l’électricité ou à l’hydrogène. En effet, les seules 30 stations de recharge à hydrogène présentes sur le territoire ne peuvent suffire à alimenter toute une flotte de poids lourds, surtout dans les endroits les plus reculés.
Or je ne crois pas que votre intention soit d’interdire l’apport de marchandises et de denrées dans les localités qui ne sont pas directement situées près d’une sortie d’autoroute…
En termes opérationnels, nous n’y sommes donc pas, puisque notre territoire ne compte que 30 bornes à hydrogène, comme je l’ai souligné, et 100 stations électriques à haute puissance pour les camions.
Au moment de la mise en place du bonus et de la prime à la conversion, j’avais trouvé – en cohérence avec ma position actuelle – que l’on allait trop loin en excluant complètement de la prime à la conversion les ménages les plus modestes qui acceptaient d’abandonner leur véhicule Crit’Air 5 pour un véhicule Crit’Air 2. En matière de décarbonation, chaque petit geste est utile et les efforts doivent être prônés en fonction des capacités financières de chacun. La position que vous défendez me paraît donc trop radicale : soit on est tout vert, soit on n’est rien du tout !
Or, j’en suis désolée, le gaz naturel est aujourd’hui moins émissif en matière de dioxyde de carbone et d’émissions de gaz à effet de serre qu’un véhicule au fioul ou à essence. Acceptons donc d’engager cette transition de façon harmonieuse et en tenant compte de l’évolution des technologies. En matière de mobilité lourde, nous ne sommes pas prêts, même si des groupes de travail discutent de ces questions et essaient d’avancer sur le problème.
J’ai eu l’occasion de le dire mardi dernier, lors du débat sur l’évolution de la dette, la transition écologique est onéreuse. Je vous reconnais le mérite de vouloir trouver des recettes à court terme, mais j’ai beaucoup plus de doutes en ce qui concerne le long terme, comme je l’avais d’ailleurs souligné.
Vos mesures vont faire perdre de la compétitivité à nos entreprises, ce qui les conduira à délocaliser. Le groupe Les Républicains ne soutiendra jamais l’écologie de la décroissance à laquelle vous aspirez au travers de ce texte !
Nos entreprises sont sous surveillance, qu’il s’agisse de la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) ou de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Tout le monde peut aujourd’hui savoir ce que chaque acteur économique fait en consultant les publications extrafinancières des grandes entreprises. Je vous invite à y jeter un œil.
Un certain nombre de mesures ont déjà été prises. Voyez ce qu’a produit l’ONG Les Ateliers du Futur, voyez aussi la charte signée par sept de nos grands groupes pour accompagner les PME vers la décarbonation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)