M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’attractivité de la France est au cœur des réflexions et propositions de la délégation sénatoriale aux entreprises, depuis sa création. En 2015, dans l’un de ses tout premiers rapports, notre délégation établissait ainsi une comparaison entre la France et le Royaume-Uni en termes d’attractivité pour les entrepreneurs et les investisseurs.
En 2017, Albéric de Montgolfier, alors rapporteur général de la commission des finances, s’interrogeait quant à lui sur la stratégie française face au Brexit : les recommandations qu’il formulait à l’époque sont toujours d’actualité.
Si le temps des réformes est souvent très long, il faut savoir se réjouir quand ces dernières voient le jour. C’est le cas aujourd’hui, avec la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner et dont nous ne pouvons qu’approuver les dispositions : elles améliorent la compétitivité financière de la France et facilitent le financement des entreprises par le marché.
Je salue le travail accompli par la commission des finances et par la commission des lois, en particulier par leurs rapporteurs respectifs, Albéric de Montgolfier et Louis Vogel.
L’adoption de divers amendements en commission a apporté une souplesse nécessaire, que la délégation aux entreprises appelle de ses vœux depuis dix ans maintenant. Je pense, par exemple, à l’élargissement du champ d’investissement des fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) aux marchés de croissance, comme Euronext Growth, dédiés aux PME et aux ETI innovantes ou encore à la simplification des règles d’éligibilité des titres des entreprises au plan d’épargne en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises, le PEA-PME.
Toutefois, je me dois aussi de tirer une sonnette d’alarme : l’amélioration de l’attractivité de la place financière de Paris, que ce texte entend assurer, ne résoudra pas à elle seule les difficultés de financement des entreprises, notamment celles des TPE, PME et ETI. La délégation aux entreprises a d’ailleurs confié à trois de nos collègues – Pierre-Antoine Levi, Pauline Martin et Fabien Gay – une mission sur le financement de l’entreprise de demain, lequel rencontre encore de nombreux obstacles.
Seulement 12 % des PME comptent aujourd’hui un fonds d’investissement au capital de leur société. Notre modèle entrepreneurial reste fondé, en grande partie, sur l’actionnariat familial et se caractérise par le rôle prépondérant du secteur bancaire. Quand il s’agit d’ouvrir leur capital ou d’entrer en bourse, bien des chefs d’entreprise restent très réticents. Malgré la force et la qualité de l’écosystème bancaire français, près d’un dirigeant de TPE-PME sur cinq fait part de difficultés d’accès au crédit pour financer son exploitation courante.
Nous devons avoir pour priorité de diversifier les sources de financement par les marchés financiers et le capital investissement tout en encourageant l’orientation de l’épargne vers les investissements dans les entreprises.
Enfin, monsieur le ministre, je tiens à aborder un sujet de la plus haute importance, surtout en période de chasse aux dépenses fiscales : le financement de la transmission d’entreprise et donc le pacte Dutreil.
Ce dispositif fiscal est essentiel au maintien et au développement de nos PME et ETI. Il doit donc être préservé. Qu’il s’agisse d’emploi, d’export ou d’innovation, les ETI jouent un rôle moteur ; plus de la moitié d’entre elles sont des entreprises familiales attachées à un territoire, à des salariés et à un projet de long terme.
Mes chers collègues, le sommet Choose France est une bonne initiative, mais n’oublions pas les autres composantes de notre attractivité. Notre ambition doit aller au-delà de ce texte : c’est une obligation morale envers tous les entrepreneurs, qui maintiennent la vitalité de nos territoires. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Luc Brault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le ministre, nombreux sont ceux qui, dans notre assemblée, attendaient un projet de loi de grande ampleur pour dynamiser l’économie de notre pays, accroître son attractivité et notamment le financement de ses entreprises ; or nous sommes saisis d’une modeste proposition de loi. À vous entendre, elle renforce le financement des entreprises et l’attractivité de la France ; en réalité, elle porte mal son nom.
Mes chers collègues, ce texte plutôt technique vise essentiellement à renforcer l’attractivité de la place financière de Paris.
Je n’entends évidemment pas nier l’intérêt d’une mobilisation des pouvoirs publics pour contrecarrer l’érosion, constatée ces derniers mois, du nombre d’entreprises cotées et d’introductions en bourse sur cette place. À cet égard, le présent texte, qui porte essentiellement sur le droit monétaire et financier, ainsi que sur le droit des sociétés, va certainement dans le bon sens ; je le voterai, d’autant qu’il a été enrichi par nos commissions des finances et des lois – j’en remercie tout particulièrement leurs rapporteurs. Mais, pour moi, cette proposition de loi n’est qu’un élément parmi d’autres pour – je répète son titre – « accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France ».
Ce texte entend faciliter l’accroissement du financement des entreprises. Dans sa version initiale, il se bornait aux entreprises ayant accès aux marchés pour se financer. Dans l’esprit de ses auteurs, il s’agissait de mettre à niveau la place financière de Paris au regard des possibilités offertes par les places concurrentes : soit.
Néanmoins, le tissu économique de notre pays ne s’étend pas seulement de la Défense à la Bourse ! Il irrigue nos territoires de milliers de TPE, de PME et d’ETI ; or ces entreprises, qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se financer, ont besoin de bien d’autres mesures pour trouver des fonds.
Monsieur le ministre, on pourrait commencer par envisager un simple allongement de la durée de remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) en cours : un certain nombre d’entreprises le demandent.
De même, on pourrait assurer une meilleure mobilisation de l’épargne pour financer les fonds propres. À ce titre – je le relève à mon tour –, ce texte aurait pu comporter différentes mesures rendant plus attractif le PEA-PME.
Monsieur le président de la commission, je vous remercie d’avoir veillé à élargir les critères d’accès à ce PEA : c’était important. Mais, dans le contexte actuel, notamment face à la dégradation historique de notre balance commerciale – son déficit a atteint près de 100 milliards en 2023 –, nos entreprises, toutes nos entreprises, ont besoin de beaucoup plus d’encouragements.
Compenser le déficit commercial de notre pays par le seul investissement financier est bien entendu une vue de l’esprit. De même, il est illusoire de croire que la seule dématérialisation de titres transférables contribuerait réellement à booster la croissance de nos entreprises à l’international – c’est pourtant ce que laisse entendre le titre II de cette proposition de loi.
Nos entreprises ont soif de cotisations allégées, de formalités simplifiées, de formations et de ressources humaines adaptées. Sur tous ces points, notre pays a encore beaucoup de progrès à accomplir. Sait-on qu’aujourd’hui 30 % des Français déclarent être tentés par l’expatriation, compte tenu du climat politique et économique national ? Le taux atteint même 54 % pour les 18-24 ans : c’est dramatique.
La tendance est particulièrement forte dans le secteur du numérique : comment retenir les talents et en faire venir de nouveaux ? Il s’agit là d’un véritable enjeu. À cet égard, les articles visant à moderniser, simplifier et renforcer l’attractivité du droit en faveur de l’économie française sont certes à saluer, mais ils gagneraient largement à être complétés par d’autres.
Même si, lors de la dernière édition de Choose France, le Président de la République s’est félicité d’investissements records qui devraient être réalisés chez nous prochainement, il reste beaucoup à faire pour développer l’attractivité de notre pays : c’est précisément le deuxième objet de cette proposition de loi.
On nous dit que d’autres dispositifs vont suivre : soit. On nous renvoie au projet de loi de simplification de la vie économique,…
M. le président. Il faudrait conclure, cher collègue.
M. André Reichardt. … dont une commission spéciale du Sénat a commencé l’examen : soit.
Mes chers collègues, accompagnons ce projet de loi de simplification : acceptons-en l’augure ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la france
TITRE Ier
RENFORCER LES CAPACITÉS DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES DEPUIS LA FRANCE
Article 1er
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° À la première phrase du I de l’article L. 225-122, après la référence : « L. 22-10-46, », est insérée la référence : « L. 22-10-46-1, » ;
1° bis À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 228-36, les mots : « ou de la société à responsabilité limitée » sont remplacés par les mots : « , de société à responsabilité limitée ou de société par actions simplifiée » ;
2° L’article L. 22-10-46 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le premier alinéa n’est pas applicable aux actions de préférence émises dans les conditions prévues à l’article L. 22-10-46-1 pendant la durée prévue au II du même article L. 22-10-46-1. » ;
3° À la première phrase du second alinéa de l’article L. 228-10, après les deux occurrences du mot : « réglementé », sont insérés les mots : « ou sur un système multilatéral de négociation » ;
4° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 228-11 est complété par les mots : « ou dans les conditions fixées à l’article L. 22-10-46-1 » ;
5° Après l’article L. 22-10-46, il est inséré un article L. 22-10-46-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 22-10-46-1. – I. – Sans préjudice de l’article L. 225-122, dans le cadre de la première admission aux négociations des actions de la société sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation, il peut être créé des actions de préférence dont le droit de vote est aménagé.
« Ces actions de préférence ne peuvent être créées qu’au bénéfice d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées. Elles ne peuvent se voir conférer de droits de vote double en application des articles L. 225-123 et L. 22-10-46.
« Le ratio entre les droits de vote attachés à une action de préférence et ceux attachés à une action ordinaire ne peut excéder vingt-cinq pour un et doit être un nombre entier.
« II. – Les actions de préférence sont créées pour une durée déterminée ou déterminable qui ne peut excéder dix ans. Cette durée peut être renouvelée par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires statuant au vu d’un rapport spécial des commissaires aux comptes de la société, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. À peine de nullité de la délibération, les titulaires des actions de préférence ne peuvent prendre part directement ou indirectement au vote sur le renouvellement de cette durée et les actions de préférence qu’ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum ni de la majorité, à moins que l’ensemble des actionnaires soient titulaires d’actions de préférence. Un tel renouvellement ne peut intervenir qu’une fois et pour une durée ne pouvant excéder cinq ans.
« III. – Chaque action de préférence mentionnée au I du présent article est convertie en action ordinaire :
« 1° Au terme de la durée mentionnée au II ou en cas d’ouverture de l’une des procédures judiciaires régies par les titres III et IV du livre VI du présent code ;
« 2° En cas de transfert en propriété, de transfert par voie de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs ainsi que de changement de contrôle ou de dissolution de l’actionnaire personne morale.
« Les actions ordinaires ainsi substituées aux actions de préférence confèrent un droit de vote double identique à celui conféré aux autres actions dès lors qu’elles respectent les conditions prévues aux articles L. 225-123 et L. 22-10-46. Pour l’application de ces mêmes articles, il est tenu compte de la durée de l’inscription au nom du titulaire des actions de préférence converties en actions ordinaires.
« IV. – Une action de préférence ne donne droit qu’à une voix lorsque l’assemblée générale des actionnaires statue sur :
« a) Les résolutions relatives à la désignation des commissaires aux comptes ;
« b) Les résolutions relatives à l’approbation des comptes annuels ;
« c) Les résolutions relatives à la modification des statuts de la société, hors cas d’augmentation de capital.
« d) (nouveau) Les résolutions soumises en application des deuxième et troisième alinéas de l’article L. 225-40 ;
« e) (nouveau) Les résolutions relatives à la politique de rémunération des mandataires sociaux mentionnées au II de l’article L. 22-10-8 ainsi que les résolutions mentionnées aux I et II de l’article L. 22-10-34.
« Par dérogation, les statuts de la société peuvent prévoir qu’en cas d’offre publique, une action de préférence ne donne droit qu’à une voix :
« 1° Lors de l’assemblée générale des actionnaires qui arrête toute mesure prévue par les statuts de la société dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer l’offre publique ;
« 2° Lors de la première assemblée générale des actionnaires suivant la clôture de l’offre publique lorsque, à l’issue de celle-ci, son auteur détient au moins les trois quarts du capital social assorti de droits de vote.
« V. – Par dérogation au deuxième alinéa du I du présent article, pour les situations prévues au IV, les actions de préférence confèrent un droit de vote double à celui conféré aux autres actions dès lors qu’elles respectent les conditions prévues aux articles L. 225-123 et L. 22-10-46.
« VI (nouveau). – Les informations relatives au nombre, à la durée, à l’identité des bénéficiaires et aux droits de vote attachés, en fonction des résolutions d’assemblées générales, aux actions de préférence émises dans les conditions prévues au présent article sont publiées selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État pris après consultation de l’Autorité des marchés financiers. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, dont nous avons longuement débattu au cours de la discussion générale.
Selon nous, les dispositions de cet article ne présentent pas le moindre intérêt. Elles reviennent sur le principe d’égalité entre les actionnaires – je rappelle que, dans une société cotée, la démocratie actionnariale se traduit par le principe « une action, une voix ». Certaines exceptions semblent légitimes : nous en proposerons d’ailleurs dans la suite du débat. Mais ces dérogations doivent être limitées et suivre des objectifs précis, ce qui, en l’occurrence, n’est pas le cas.
Ainsi, l’article renferme en lui un risque de concentration du pouvoir entre les mains de quelques actionnaires qui, à l’aide de ce nouveau dispositif, pourront plus facilement s’assurer le contrôle de l’entreprise, avec le risque non négligeable que les détenteurs d’actions de préférence aient des motivations différentes de celles des actionnaires ordinaires. Cela pourrait conduire à des conflits de stratégie, ce qui n’est pas une garantie d’attractivité.
Enfin, l’introduction des actions de préférence dans les sociétés par actions non cotées par la loi Pacte est une mesure récente dont les effets n’ont pas encore été évalués. Il serait donc opportun de mener une étude approfondie de cette mesure avant de l’étendre aux sociétés cotées en bourse – voilà encore une analyse dont l’absence d’étude d’impact nous prive.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de supprimer l’article 1er, dont les conséquences éventuelles sont manifestement mal évaluées et ne semblent répondre qu’à la fuite en avant de la concurrence entre les différentes places financières.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, soit le principe même de la création d’actions à droits de vote multiples. Il est donc totalement orthogonal avec cette proposition de loi et contraire à la position de la commission. De plus, son adoption pénaliserait l’attractivité de la place de Paris, dont la promotion est l’objectif même de nos travaux.
Sachez que nous ne sommes pas en train de faire n’importe quoi : de nombreuses places financières ont introduit ce dispositif ; si nous voulons être compétitifs, il faut que nous en fassions autant.
De surcroît, cette mesure a été assortie d’un certain nombre de garanties pour les actionnaires, que la commission a encore renforcées : ces droits sont limités dans le temps, un ratio maximal est prévu et ils sont neutralisés pour certaines résolutions. Nous avons tout fait pour trouver une position équilibrée : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. L’article 1er est l’essence même de la proposition de loi : il vise à maintenir en France des entrepreneurs de qualité et innovants, qui font bien trop souvent coter leur entreprise à l’extérieur de nos frontières, parfois outre-Atlantique. C’est malheureux : après tout, on est bien chez nous !
Ces dispositions permettent d’attribuer des actions à droits de vote multiples, notamment aux fondateurs de l’entreprise. Certains amendements, dont ceux de M. Bocquet, tendent même à leur réserver ce droit ; or il est difficile de définir ce qu’est un fondateur, d’autant que des repreneurs peuvent aussi développer l’entreprise.
Il me semble important de conserver le principe posé par l’article 1er : avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. L’article 1er permet non seulement d’accorder des actions de préférence, mais également de négocier des promesses d’actions sur les marchés de croissance des petites et moyennes entreprises. Cette mesure, loin de favoriser le développement de nos PME, risque d’avoir des conséquences néfastes sur leur pérennité.
En effet, la financiarisation de ces dernières, c’est-à-dire la transformation d’entreprises ancrées dans l’économie réelle en véhicules financiers destinés à engendrer des profits pour les actionnaires, est une tendance dangereuse. En permettant la négociation de promesses d’actions sur les marchés, nous ne faisons qu’encourager cette dynamique.
Par ailleurs, en assurant le coût du capital, notamment le paiement de dividendes aux actionnaires, les PME risquent de se retrouver sous une pression financière intenable.
L’économie financiarisée et sa vision à court terme ont des conséquences sur l’emploi et le tissu économique local, puisque les PME ne sont plus considérées que comme des actifs échangeables. Aussi, nous proposons de sortir de cette logique en supprimant l’alinéa 6.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à supprimer la possibilité de négocier des promesses d’actions sur les marchés de croissance, qui sont précisément ceux des PME. Ces échanges, qui étaient jusqu’à présent réservés aux marchés réglementés, sont une excellente chose pour le développement des PME françaises. Pendant quarante-huit heures, les échanges sont impossibles : cela contrarie complètement le principe de liquidité, qui doit prévaloir sur les marchés de croissance.
Enfin, nous profitons de ce texte pour harmoniser les règles entre les marchés réglementés et les marchés de croissance, ce qui est aussi une bonne chose.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Votre amendement vise à supprimer une disposition qui permet de favoriser la cotation des PME. La plupart des intervenants s’y sont pourtant montrés sensibles lors de la discussion générale : avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 26, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées
par les mots :
d’un ou plusieurs fondateurs ou salariés de l’entité émettrice ou de la holding de la société cotée nommément désignés
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Il s’agit d’un amendement de repli.
Il semble que les dérives potentielles sur la structure actionnariale des groupes cotés vous importent peu. Aussi, nous vous proposons de réserver ces actions d’« hyper-préférence » aux fondateurs et surtout aux salariés de l’entreprise. Utilisons ce dispositif pour le flécher vers une extension des pouvoirs des salariés dans les entreprises concernées.
Le Gouvernement ne cesse de plaider pour faire des salariés les actionnaires de leur propre entreprise. Selon vous, cela stimulerait leur capacité de travail et leur productivité : les salariés seraient justement rétribués et plus fidèles à leur entreprise. Ces arguments, particulièrement libéraux, méconnaissent l’engagement des salariés pour leur outil de travail et leur entreprise.
Si vous voulez développer l’actionnariat salarié, pourquoi ne pas accepter de partager un peu le pouvoir au sein de l’entreprise ?
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et étant salariées ou mandataire social de la société
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je vous prends au mot, monsieur le ministre, vous qui prétendez protéger nos PME : en réservant des actions à droits de vote multiples aux salariés et aux dirigeants, nous pourrions non seulement mieux protéger le contrôle de l’entreprise, mais aussi accorder une voix plus forte à ceux qui la font réellement vivre au quotidien en les impliquant davantage dans les décisions stratégiques qui les affectent directement. Les intérêts des salariés seraient alors mieux représentés au sein des conseils d’administration.
En réservant cet outil financier à des acteurs présents dans la structure de l’entreprise, nous limiterions également le risque de prise de contrôle hostile par des investisseurs extérieurs, dont les intérêts pourraient diverger de ceux des employés ou des objectifs de long terme de l’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. Ces amendements tendent à restreindre le bénéfice des actions de préférence aux dirigeants, aux salariés ou aux fondateurs de l’entreprise. Je comprends l’idée, mais il est très difficile de paramétrer a priori les personnes auxquelles on destine ces droits.
Pourquoi ne pas aussi réserver ces actions à des personnes morales ? Pourquoi ne pas laisser faire les entreprises ? Ces dernières devraient être libres de désigner elles-mêmes ceux auxquels elles souhaitent réserver ces droits.
Il ne s’agit pas d’un blanc-seing : les personnes bénéficiaires des actions à droits de vote multiples doivent être nommément désignées.
La commission est défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je comprends la logique qui sous-tend ces amendements. En réalité – on le voit dans d’autres pays –, les détenteurs d’actions à droits de vote multiples sont souvent des fondateurs ou des salariés présents depuis le début de l’aventure entrepreneuriale.
Il peut aussi s’agir de mandataires sociaux, qui ne sont ni salariés ni fondateurs – ce cas ne correspond pas à l’amendement de M. Bocquet –, ou bien de présidents du conseil d’administration, qui sont aussi fondateurs – ce qui ne correspond pas davantage à l’amendement de M. Dossus.
Veillons à conserver une rédaction large. La pratique sera évidemment en ligne avec celle qui existe ailleurs. J’y insiste, les détenteurs d’actions à droits multiples sont souvent des actionnaires importants qui ont rejoint l’entreprise à ses débuts ou des salariés essentiels à son développement.
Laissons les entreprises décider : avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous ne voterons pas ces amendements.
Au fond, les actions de préférence sont des outils de souveraineté économique, de souveraineté nationale : nombre de places financières, dont celle de Paris, l’ont bien compris.
À partir du moment où l’on restreint le périmètre des actions à droits de vote multiples, on affaiblit le principe de souveraineté économique : en cela, ces amendements ne servent pas l’intérêt national.