M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, il existe en France un problème de financement des entreprises et une méfiance réelle et traditionnelle des épargnants à l’égard des marchés financiers et des placements en actions, qui représentent un frein pour notre économie.
Un texte sur le sujet avait en effet été promis voilà quelques mois par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, mais c’est finalement une proposition de loi qui est inscrite à l’ordre du jour du Sénat, au cours d’une semaine gouvernementale. Cet exercice pose, une nouvelle fois, la question de la méthode.
Certes, l’objectif de ce texte paraît louable – attirer à Paris des fonds de capital-investissement et des gestionnaires d’actifs, simplifier et moderniser, tout cela coule de source –, mais quel fossé entre, d’une part, cet objectif limité et les mesures techniques composant un texte fourre-tout, et, d’autre part, l’intitulé très ambitieux de la proposition de loi, qui vise à « accroître […] l’attractivité de la France »… Rien de moins !
Du reste, tout cela est-il bien nécessaire, puisque la France serait déjà – le ministre de l’économie, imité par tous les membres du Gouvernement, l’a répété à l’occasion du sommet Choose France – le pays « le plus attractif du monde » ? Cela reste à prouver. De grâce, un peu de modestie, revenons à la réalité !
Pour notre part, nous nous demandons si ce texte, même après avoir été mieux encadré par les rapporteurs, dont je salue le travail, sera non seulement efficace, mais également opportun, si l’on excepte les quelques mesures techniques qui peuvent être utiles.
En outre, pourquoi s’être empressé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour, ne laissant que peu de temps pour organiser les auditions nécessaires à la compréhension des enjeux des changements envisagés ?
C’est d’autant plus regrettable que l’Autorité des marchés financiers n’a pu être consultée que par notre rapporteur et par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui a d’ailleurs affirmé que cette autorité s’était montrée très réservée au sujet des mesures envisagées. Pourquoi avoir par ailleurs privé la représentation nationale d’une étude d’impact, qui aurait pu nous informer des conséquences des dispositions proposées, lesquelles sont tout de même, reconnaissons-le, très techniques ?
Ce texte serait justifié par ses effets attendus en matière de création d’emplois, de rentrées fiscales et d’amélioration de la balance des paiements, mais rien ne le démontre. Prenons un exemple : si le financement des entreprises de taille moyenne, voire petite, est invoqué en faveur de ce texte, c’est surtout le financement des plus grandes qui est susceptible d’être favorisé.
Il est possible que, censé faciliter la croissance des start-up en favorisant les levées de fonds, ce texte produise en réalité l’effet inverse : des entreprises de plus grande taille pourraient bénéficier du dispositif au détriment des start-up.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera donc contre ce texte, dont les conséquences sont beaucoup trop incertaines. Ce texte a certes fait l’objet d’un véritable travail de la part de son auteur, le député Holroyd, mais il porte aussi très largement la marque des services de Bercy et très certainement d’autres acteurs encore, sans étude d’impact, sans avis du Conseil d’État et sans consultation de l’ensemble des acteurs concernés. Est-ce bien raisonnable sur une matière juridique aussi sensible ?
Notre groupe se prononcera contre ce texte, qui illustre également, sans l’ombre d’une remise en cause et de manière caricaturale, la politique menée depuis 2017, consistant à poursuivre la libéralisation de l’économie, en s’alignant encore et toujours sur les standards de la dérégulation internationale comme source de compétitivité face aux autres grandes places financières, notamment Amsterdam. (M. le ministre délégué proteste.) Ma collègue Florence Blatrix Contat y reviendra.
Même en matière de droit du travail et de modalités de licenciement, votre approche est un alignement libéral vers le bas, monsieur le ministre. Vous me direz qu’il s’agit de traders très bien payés, mais pourquoi enfoncer encore un coin dans notre droit du travail ? (M. le ministre délégué manifeste sa lassitude.) Est-ce vraiment le moment ?
Parce qu’il peine à comprendre l’urgence réelle de ce texte, parce qu’il doute de certains de ses effets, voire les redoute, parce que la défense de l’innovation dans notre pays doit être pensée au-delà de la seule financiarisation de l’économie, parce que la fuite en avant libérale ne lui paraît pas correspondre aux nécessités actuelles et ne répond pas à ses convictions, l’ensemble du groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenir en milieu de discussion générale n’a finalement pas que des désavantages : j’ai pu constater que certains d’entre nous vivent, comme les médias, dans le mirage du Choose France. Soyons réalistes : la mesure exacte de l’attractivité de la France réside dans l’écart entre les investissements étrangers en France et les sorties de capitaux français.
Or cette balance est déficitaire de plus de 10 milliards d’euros. En d’autres termes, nos fleurons préfèrent se développer à l’étranger !
Ce soir, nous vivons également dans le mirage de l’intitulé de cette proposition de loi, car, comme M. le rapporteur l’indiquait, nous sommes loin du projet de loi de grande ampleur annoncé par le ministre Bruno Le Maire, qui disait vouloir attirer les fonds de capital-investissement, les fonds spéculatifs, les gestionnaires d’actifs et même les acteurs du marché des cryptoactifs. Il n’y a rien de tout cela dans ce texte ; c’est d’ailleurs peut-être ce qui explique qu’il ait été adopté si facilement à l’Assemblée nationale.
Pourtant, devant la commission des finances, la présidente de l’Autorité des marchés financiers a indiqué que nos besoins de financement, très importants, nécessitaient des mesures dépassant la capitalisation boursière.
L’article 1er de cette proposition de loi, qui constitue la mesure phare de ce texte, autorise les licornes à se doter d’actions à droits de vote multiples, donc à déroger au principe classique « une action, une voix » inscrit dans le code de commerce.
Ce mécanisme, qui existe sous conditions à Londres et à Amsterdam, mais surtout à Wall Street, permet aux fondateurs de ces sociétés d’accéder à de nouveaux financements sans pour autant perdre le contrôle de leur entreprise. En d’autres termes, il s’agit d’une mesure défensive vis-à-vis de Wall Street, mais offensive vis-à-vis de Londres ; nous vous rejoignons sur ce point, monsieur le ministre.
Je me permets néanmoins un bémol : si cette mesure a été poussée par le Haut Comité juridique de la place financière de Paris dans son rapport de septembre 2022, ce document recommandait également d’« éviter une disproportion trop importante entre le poids en capital et le pouvoir de vote ».
Malheureusement, s’agissant d’un projet de loi déguisé en proposition de loi, nous ne disposons pas d’étude d’impact ni d’avis du Conseil d’État, donc nous ne savons pas s’il s’agit d’une disposition équilibrée.
Le reste du texte, très technique, n’appelle pas de commentaires particuliers.
La création des lettres de change de billets à ordre numérique, tout comme les assemblées générales en visioconférence me semblent suivre le sens de l’histoire. Quant à l’inscription dans la loi de la spécialisation en matière d’arbitrage commercial international de la cour d’appel de Paris, qui traite en réalité déjà plus de 80 % des affaires, elle ne constitue pas une révolution en soi.
Par conséquent, que dire ? On peut exprimer un certain nombre de regrets.
Ce texte est limité aux entreprises qui ont accès aux marchés pour se financer. Il exclut donc les très petites entreprises (TPE), les PME et les ETI. Or, nous l’avons vu lors de la discussion de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, le véritable problème réside dans le financement de nos petites entreprises.
Les PME constituent un maillon très important de notre économie et leur accès au marché coté constitue une étape clé dans leur développement dans la perspective de conquérir des marchés hors de nos frontières.
Or on a observé une diminution, de l’ordre de 8 milliards d’euros, de la collecte en faveur de ces entreprises au cours des cinq dernières années, alors que, dans le même temps, l’épargne des Français augmentait. Il y a pourtant là un enjeu de souveraineté : il ne faudrait pas que nos entreprises soient demain financées par capitaux étrangers et non français, d’autant que l’épargne existe.
C’est pourquoi nous soutenons les modifications proposées par le rapporteur, qui a simplifié les règles du plan d’épargne en actions (PEA) pour les PME, ou PEA-PME.
Une autre revendication récurrente de nombreux acteurs de la place parisienne, mais qui est absente de ce texte, est la relance du marché de la titrisation. C’est d’autant plus regrettable que le secteur bancaire finance majoritairement les entreprises et que la titrisation libérerait des capacités de financement pour ces dernières.
Notre pays manque en outre cruellement de grands investisseurs. Une solution pourrait consister à introduire dans notre système de retraite une petite part de capitalisation (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.), ce qui permettrait la constitution de fonds de pension à l’anglo-saxonne.
M. Jean-François Husson. C’est bien ce que fait l’État pour la retraite de ses fonctionnaires !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Même moi, je n’ai pas osé !
M. Pascal Savoldelli. Vous vous répartissez les rôles ! (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, notre pays ne manque pas d’argent : au troisième trimestre de 2023, l’encours des principaux placements financiers des Français représentait quelque 6 000 milliards d’euros ; malheureusement, 61 % de cette somme étaient placés sur des produits de taux, n’intéressant donc pas nos entreprises.
Le difficile accès des entreprises aux marchés financiers n’est pas spécifique à la France, puisque, dans son rapport remis au Gouvernement au mois d’avril dernier, Christian Noyer relève que ce problème est généralisé en Europe : notre continent exporte son épargne vers des produits de taux étrangers et importe des capitaux du reste du monde pour financer en fonds propres le développement à long terme de ses entreprises.
Ce rapport plaide pour le développement d’« une nouvelle classe de produits d’épargne européens ». L’union des marchés de capitaux semble une véritable solution pour accélérer le financement des entreprises européennes.
Ainsi, même s’il en regrette beaucoup la forme et un peu le fond, le groupe Les Républicains soutiendra les modestes avancées que prévoit ce texte en faveur du financement de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Frédérique Puissat. J’ai tout compris ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la volonté de renforcer et de faciliter le financement des entreprises, particulièrement des PME et des trop peu nombreuses ETI de notre pays, pourrait rassembler toutes les bonnes volontés sur les travées des deux chambres.
Le présent texte accumule pourtant les faiblesses, à commencer par les faiblesses formelles. Cette proposition de loi n’en est pas réellement une. Nous savons tous que la plume a été tenue par Bercy et que le texte élaboré résulte de consultations et d’arbitrages ayant échappé au regard du Parlement.
Cette proposition de loi souffre également d’un manque de fondement. Aucune étude d’impact ne vient étayer son potentiel intérêt ou ses éventuels effets délétères : dès lors, comment le législateur pourrait-il travailler en connaissance de cause ?
Monsieur le ministre, sur le fond, vous nous demandez d’approuver un texte de financiarisation de notre économie réelle. Si nous ne nions pas les problématiques de l’investissement productif et de son financement, nous défendons, pour notre part, le financement de proximité des entreprises.
Lors du débat sur la nationalisation d’EDF, nous avons, avec d’autres, soutenu le principe d’une participation d’ampleur des salariés au capital de l’entreprise. Or, une fois de plus, vous écartez cette formule permettant d’associer les salariés au développement de l’entreprise et de leur donner, en ces temps d’inflation et de crise du pouvoir de vivre, un complément de revenu. Vous préférez laisser plonger nos entreprises productives pour les livrer à la prédation financière.
De plus, profitant de l’absence d’étude d’impact, l’article 2 ter étend plus que de raison la possibilité pour les PME de recourir à un plan d’épargne en actions : un tel choix pourrait gravement déstabiliser leurs finances si elles subissaient un coup du sort.
Vous nous répondrez que ce texte vise à aligner notre droit sur les législations les plus attractives dans ce domaine et que l’économie française doit suivre inlassablement le chemin de sa modernisation : dont acte ! Vous ajouterez que cette proposition de loi facilitera le financement des start-up innovantes. Toutefois, et M. le rapporteur l’admet lui-même, cette attractivité dépend de multiples facteurs, dont la simplification juridique et administrative. Or, en matière d’inflation normative, ce gouvernement a été le meilleur, c’est-à-dire le pire… En sept ans de pouvoir, vous avez accumulé toujours plus de normes, qui freinent fortement le développement de nos entreprises, particulièrement celui des plus innovantes.
Si cette proposition de loi part d’intentions louables, la copie rendue n’est réellement ni convaincante ni suffisante. Simplification administrative, facilitation du financement public et privé des investissements, participation salariale, création d’un fonds souverain pour financer les investissements d’avenir et de croissance durable : aucun de ces outils ne figure dans le présent texte. Contraints de constater son incomplétude et les risques auxquels il nous expose, nous ne pourrons, en l’état, y apporter notre soutien.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a dit M. de Montgolfier, ce texte nous place face à un vaste chantier.
Depuis cinq ans, la France est le pays d’Europe qui attire le plus d’investissements étrangers : avec 15 milliards d’euros cette année, un nouveau record est battu en la matière. Nous devons être fiers de ces résultats, mais nous devons aussi continuer d’aider ceux qui investissent.
Je salue le volontarisme dont fait preuve le Président de la République pour y arriver. Chaque année, il réunit à Versailles des dirigeants venus du monde entier à l’occasion du sommet Choose France – en bon français, choisir la France. (Sourires sur les travées du groupe INDEP.) Le dernier en date s’est tenu hier. De tels événements concourent à n’en pas douter à cette réussite : les chiffres ont été rappelés et ils sont sans appel.
Je me réjouis que l’on déploie tant d’énergie pour convaincre les dirigeants du monde de choisir notre beau pays plutôt que nos voisins européens. La compétition internationale n’a jamais été si féroce : il faut se battre pour rester en tête et chercher, encore et toujours, à améliorer ses performances. En effet, à chaque investissement réalisé, ce sont des emplois qui sont créés, des technologies qui se développent et des territoires qui retrouvent des couleurs. Ce sont aussi – ne le perdons pas de vue – des recettes fiscales à venir.
À tous les esprits grincheux, je tiens à rappeler l’évidence : on ne finance pas un modèle social en tapant sur le capital. Faites fuir les entreprises et vous devrez baisser le montant des pensions ou, sur le terrain, fermer telle ou telle mission locale.
M. Pascal Savoldelli. Oh là là…
M. Jean-Luc Brault. C’est pourquoi l’attractivité de la France relève de notre responsabilité commune.
Si le Président de la République peut convaincre des dirigeants étrangers à Versailles, c’est aussi et surtout parce qu’un travail collectif a été mené : réforme du marché du travail, baisse de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production, réforme des retraites et de l’assurance chômage. Mais – j’y insiste – la compétition internationale n’a jamais été si rude. Les tensions géopolitiques sont à leur comble. Il faut poursuivre le travail pour préserver la compétitivité de notre pays et donc son attractivité : il y va de l’avenir de notre modèle social, de l’avenir de notre jeunesse tout entière.
En ce sens, nous devons aussi aider nos jeunes entrepreneurs. Devenir chef d’entreprise est à l’heure actuelle une folie, compte tenu des démarches administratives à accomplir et des difficultés de financement. Les grands entrepreneurs d’aujourd’hui ont pu être, hier, de petits patrons : j’en sais quelque chose.
Face aux difficultés qui, à tous les niveaux, s’accumulent, les élus de notre groupe accueillent très favorablement cette proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France. Pour l’essentiel très technique, le présent texte permettra de moderniser certaines dispositions de notre droit devenues désuètes.
Mes chers collègues, préserver la compétitivité de nos entreprises, c’est aussi garantir un cadre législatif en phase avec les pratiques des entreprises et des investisseurs.
Le travail parlementaire a permis d’enrichir le texte initial. Je tiens notamment à saluer les amendements proposés par M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances, et M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la commission des lois. Tous deux confirment une fois de plus leur grande compétence technique, servie par une solide expérience de l’entreprise. Leur travail leur fait honneur.
Avant de conclure, je me dois d’évoquer nos petites entreprises.
Là est le principal risque de Choose France : faire oublier qu’une grande partie des emplois de notre pays est créée par les PME, les petites et moyennes industries (PMI) et les très petites industries (TPI).
Mme Frédérique Puissat. Absolument !
M. Jean-Luc Brault. Les investissements et la valeur ajoutée ne sont pas toujours le fait des grands groupes étrangers présents sur notre sol. Comme l’a souligné notre collègue Louis Vogel, il est urgent d’aider les PME.
Derrière chacune de ces entreprises, il y a un dirigeant, qui ne ménage ni sa peine ni ses heures de travail. Ces acteurs, qui constituent la classe moyenne du tissu de nos entreprises, sont des héros du quotidien. Ils font tourner le pays. Ils font vivre nos territoires. Ils ne sont pratiquement jamais sous le feu des projecteurs, ne connaissent guère les ors de la République. Et pourtant, sans eux, la France se décomposerait.
C’est la raison pour laquelle le titre Ier de cette proposition de loi, qui vise à renforcer les capacités de financement des entreprises depuis la France, me paraît on ne peut plus important.
Plusieurs amendements tendent à aller dans ce sens : leurs dispositions nous permettront de débattre des meilleurs leviers pour développer l’innovation de rupture en France et, surtout, soutenir nos PME.
Miser sur l’innovation technologique et sur l’initiative individuelle, c’est enclencher le cercle vertueux de la prospérité : plus de science pour créer des entreprises ; plus d’entreprises pour susciter de l’activité ; plus d’activité pour financer notre modèle social. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Olivier Rietmann applaudit également.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus du groupe Union Centriste sont particulièrement soucieux du bon financement des entreprises, tout simplement parce qu’il y va de l’attractivité de la France. C’est là l’objet de cette proposition de loi et nous soutiendrons toutes les mesures qui vont dans ce sens.
Monsieur le ministre, à cet égard, un certain nombre d’annonces faites hier nous ont réjouis : dans le cadre de l’opération Choose France, pas moins que cinquante-six projets ont été retenus pour 15 milliards d’euros d’investissements étrangers. De telles opérations sont bel et bien de nature à renforcer l’attractivité économique de notre pays. Je n’oublie pas non plus la création du nouveau campus de Morgan Stanley : c’est également une bonne nouvelle. (M. le ministre délégué le confirme.)
Toutefois, nous tenons aussi à appeler votre attention sur les difficultés qui se présentent à nous, lesquelles sont notamment liées au travail.
Entre 2019 et 2022, la productivité de la France a reculé de 3,2 %. Or, dans le même temps, elle n’a baissé que de 2,2 % en Espagne et de 0,4 % en Allemagne. Il faut redresser la situation.
En France, le rapport au travail est dégradé. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le temps que les salariés des différents pays consacrent chaque année au travail. Le salarié français atteint 1 550 heures, quand la moyenne européenne s’établit à 1 792 heures.
C’est dire les efforts qu’il reste à mener. La prochaine réforme de l’assurance chômage devrait apporter un certain nombre de réponses – en tout cas, nous le souhaitons.
S’y ajoutent d’autres facteurs négatifs, parmi lesquels l’état de dégradation dans lequel se trouvent nos comptes publics. Nous devons nous attacher à les restaurer. Quant à notre balance commerciale, elle subit un déficit de plus en plus considérable : nos entreprises accumulent les difficultés à l’exportation. Sur ce front aussi, nous devons agir.
La détention du capital d’entreprises françaises par des investisseurs étrangers pose également problème. L’exemple de TotalEnergies illustre à lui seul la gravité de la situation : une part croissante du capital de l’entreprise est détenue par des étrangers, à tel point que cette dernière envisage sa cotation à la bourse de New York. Bien sûr, nous avons besoin d’attirer des entreprises étrangères, mais nous devons aussi préserver les entreprises nationales, sur notre sol.
Au nom du groupe Union Centriste, je tiens à saluer l’excellent travail accompli par le rapporteur de la commission des finances et par le rapporteur pour avis de la commission des lois. Les précédents orateurs ont déjà rappelé un certain nombre de modifications apportées par leurs soins, parmi lesquelles l’institution du droit de vote multiple, la modernisation et la simplification de la tenue des assemblées générales. Ce sont autant de mesures qui vont dans le bon sens : elles sont à même d’accroître l’attractivité et la compétitivité de la France face à ses concurrents.
Nous aurons également à examiner la place des petits actionnaires dans les assemblées générales : dans ce domaine, il me semble que nous pouvons encore progresser. En effet – on le voit bien aujourd’hui –, les assemblées générales donnent lieu à divers débats de fond quant au rôle et à la place des entreprises. Je pense en particulier à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ces prises de conscience méritent notre attention.
Sur l’initiative de M. le rapporteur, l’article 2 étend une niche fiscale en faveur des entreprises solidaires d’utilité sociale (Esus). C’est évidemment une bonne chose, mais nous n’en devrons pas moins procéder à l’évaluation de cette mesure. Avec les fonds d’investissement de proximité (FIP), pour citer un autre outil, on invite les particuliers à investir dans des produits aux rendements souvent négatifs. Nous devons nous pencher sur nos dispositifs fiscaux dans leur ensemble et sur leur pertinence réelle.
Au cours des dernières années, la France a pris soin de renforcer son attractivité, notamment en assurant une certaine stabilité fiscale. En ce sens, il faut se féliciter de l’institution du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %, qui nous permet de converger vers les standards européens. Cette stabilité est essentielle ; en parallèle, nous devons continuer à agir pour favoriser l’actionnariat des particuliers, en mobilisant leur épargne vers les entreprises.
Nous, élus du groupe Union Centriste, sommes régulièrement saisis de cas d’entreprises qui peinent à se financer. À ce titre, il nous semble nécessaire de prendre un certain nombre de mesures complémentaires : par exemple, le plan d’épargne en actions prévu pour les PME pourrait être utilement élargi aux ETI ; la capitalisation boursière pourrait, de même, faire l’objet d’un déplafonnement ; on pourrait également assouplir les critères du chiffre d’affaires ou encore du nombre d’employés pour étendre l’éligibilité à de tels fonds.
Ces produits sont importants pour orienter l’épargne des particuliers vers les entreprises et, dès lors, assurer le financement de ces dernières. On ne peut que déplorer le fort écart de mobilisation financière entre les PEA classiques et les PEA destinés aux PME : de toute évidence, il reste un important effort à accomplir pour orienter les fonds vers les PME, sans oublier les ETI.
Mes chers collègues, lors de l’examen des articles, les membres du groupe Union Centriste auront à cœur de défendre ces diverses propositions. Je le répète, le présent texte va dans le bon sens. Il n’est certes pas révolutionnaire, mais, à petits pas, nous pourrons rendre notre pays de plus en plus attractif.
Nous devons faire tout notre possible pour améliorer la situation de l’emploi en France. Le travail est essentiel à l’émancipation de nos concitoyens : sachons susciter l’envie d’entreprendre dans notre pays en défendant les entrepreneurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI. – MM. Olivier Rietmann et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte vise non seulement à conforter le statut de la place financière de Paris, mais aussi à faciliter le financement des entreprises.
Tout d’abord, je tiens à revenir sur la méthode retenue par le Gouvernement : en préférant une proposition de loi à un projet de loi, celui-ci prive les parlementaires que nous sommes d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État. Un tel choix nuit à la clarté et à la sincérité des débats, ainsi qu’à la qualité de la rédaction établie – j’y reviendrai.
Sur le fond, notre première réserve porte sur l’article 1er, qui autorise les entreprises à émettre des actions à droits de vote multiples lors de leur introduction en bourse. Le but est à l’évidence d’inciter certains entrepreneurs, notamment les dirigeants de PME innovantes, à se financer sur les marchés financiers tout en préservant le contrôle de leur société.
Cette disposition doit être examinée à la lumière d’un exemple précis : celui des Pays-Bas, qui ont clairement fait le choix de la dérégulation et livrent une intense compétition juridique pour attirer les sociétés sur leur territoire. Ils ont connu à ce titre un certain nombre de succès : Airbus a ainsi délocalisé son siège social dans ce pays.
Toutefois, de nombreux acteurs du secteur restent attachés au principe « une action, une voix ». Au-delà, la formule retenue à l’article 1er semble clairement disproportionnée : elle autorise l’octroi de vingt-cinq droits de vote pour une seule action, permettant ainsi un contrôle avec seulement 4 % du capital. Soutenu par l’Autorité des marchés financiers, le Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) préconise dix droits de vote par action, et la plupart de nos voisins oscillent entre cinq et dix droits de vote. Une telle disposition nous semble bel et bien excessive et lourde de risques.
Comme l’a indiqué Christine Lavarde, l’agence américaine de conseil en vote ISS (Institutional Shareholders Services) a prévenu dès janvier dernier : elle recommanderait de voter contre la réélection de certains administrateurs dans les sociétés adoptant une structure de droits de vote par trop inégalitaire. Le risque de défiance est bien réel.
La durée proposée, à savoir dix ans prolongeables de cinq ans, nous semble elle aussi excessive : elle dépasse de loin la recommandation émise par le HCJP, à savoir sept ans.
Nos réserves auraient pu être plus fortes encore si les travaux accomplis en commission au Sénat n’avaient posé quelques garde-fous – je pense notamment au maintien du principe « une action, une voix » pour les résolutions relatives à la rémunération des dirigeants et aux conventions réglementées.
Notre deuxième réserve porte sur la possibilité, pour les fonds communs de placement à risques, d’accompagner les entreprises cotées jusqu’à une capitalisation boursière de 500 millions d’euros, contre 150 millions d’euros actuellement. Nous craignons qu’un tel choix ne favorise les entreprises de grande taille au détriment des start-up.
J’y ajoute une troisième interrogation : quelles seraient les implications d’une compétence exclusive en matière d’arbitrage international confiée à la cour d’appel de Paris ? Si cette mesure est en soi positive, elle inspire un certain nombre de préoccupations : la chambre internationale sera-t-elle en mesure de traiter efficacement le nombre croissant de recours ? Pour éviter tout engorgement, il faudra impérativement lui donner les ressources nécessaires.
Enfin, nous soutenons fermement la suppression de l’article 10 quater, votée en commission des finances : on ne saurait habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance au sujet des organismes de placement collectif.
En résumé, s’il est indispensable de renforcer l’attractivité de la place de Paris, ce texte se contente de dispositions disparates, pour ne pas dire sans cohérence, élaborées sans étude d’impact et présentant de réels risques d’effets de bord. Ce n’est pas un hasard si de nombreux acteurs de la place se montrent dubitatifs quant à l’efficacité d’une telle proposition de loi.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)