M. Philippe Grosvalet. Évidemment !
M. Rachid Temal. Le cadre ainsi constitué nous permettra d’avancer et permettra à la commission de fonctionner.
Je conclus en rappelant que la loi de 2021 était déjà quasiment dépassée à sa naissance, puisque deux exercices sur cinq étaient liquidés. Le Président de la République a changé à la fois le montant et les priorités de l’APD. Pour ma part, j’invite le Gouvernement à se concentrer sur un nouveau projet de loi. Ce soir, adoptons un texte amendé, amélioré ; ensuite, au mois de mai, la commission mixte paritaire adoptera un texte définitif, encore bonifié. Ensuite, travaillons à l’élaboration d’une nouvelle loi, car la loi actuelle est déjà dépassée et l’organisme principal, l’AFD, ne peut pas modifier les dispositifs qui s’appliquent à lui.
Nous souhaitons que notre débat de ce soir soit libre et éclairé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Ruelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Luc Ruelle. Madame le président, madame le ministre, mes chers collègues, au cœur de l’été 2021, le Parlement votait, à une rare unanimité des groupes politiques, la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Mes collègues l’ont rappelé, ce texte a rénové en profondeur le cadre de la politique française d’aide publique au développement, mais également sa philosophie. Il donnait pour objectif à l’État d’y consacrer 0,7 % du revenu national brut en 2025, part recommandée par les Nations unies, définissait les priorités sectorielles et géographiques, renforçait les partenariats avec dix-huit pays africains et Haïti et révisait le pilotage de l’aide au développement.
Pourtant, plus de deux ans après ce satisfecit général, il subsiste plusieurs ombres au tableau.
Première carence, qui était pourtant une mesure emblématique de la loi de 2021 : les conseils locaux de développement, institués au sein des ambassades pour produire des stratégies au plus près des réalités, souffrent de l’imprécision de la loi. Rien n’y est dit sur l’obligation de leurs réunions, la fréquence de celles-ci, ou encore l’invitation systématique de leurs membres ; je pense en particulier aux élus locaux et aux parlementaires concernés par les Français de l’étranger.
Si les conseils locaux se sont réunis régulièrement dans certains pays en présence des élus des Français de l’étranger, comme à Madagascar, aucun conseil ne s’est tenu dans certaines ambassades depuis la promulgation de la loi ; c’est le cas au Sénégal et au Bénin, qui sont pourtant des pays prioritaires de la politique française de développement. Dans d’autres postes diplomatiques, les conseillers des Français de l’étranger, qui doivent pourtant être associés à ces conseils, n’ont simplement pas été invités.
En tant que sénateur représentant les Français de l’étranger, mais surtout en tant que conseiller des Français de l’étranger pour la Côte d’Ivoire et le Liberia, je ne peux que regretter ces oublis fâcheux. Ce sont en effet les conseillers des Français de l’étranger qui connaissent le mieux les écosystèmes, les populations locales, leurs spécificités et leurs besoins ; leur expertise est un atout précieux, dont il faut se servir. On peut regretter qu’aucun texte réglementaire n’ait été publié pour organiser le fonctionnement de ces conseils locaux.
Deuxième carence, et non des moindres : la commission d’évaluation de l’aide publique au développement n’a pas été installée, faute de texte d’application qui concorde avec les objectifs fixés. Cette commission constitue pourtant un apport fondamental de la loi du 4 août 2021, ardemment souhaitée par les parlementaires et inspirée de l’Independent Commission for Aid Impact britannique créée voilà treize ans, qui est déjà mature et pleinement opérationnelle.
Il s’agit de mener de façon indépendante une évaluation concrète et non uniquement financière – ce serait trop réducteur – de l’efficience, de l’efficacité et de l’impact des projets et des programmes d’aide publique au développement auxquels la France participe. Il faut impérativement passer d’une évaluation comptable à une démarche fondée sur la performance, sur le pilotage par les résultats, en se demandant par exemple combien de kilomètres de route ont été construits, combien de malades du paludisme ont été soignés, combien de classes ont-elles été ouvertes, ou combien de filles et de femmes ont pu accéder à des protections hygiéniques. Voilà ce qui importe, voilà ce que nous devons mesurer !
Cette commission n’est donc en rien un énième comité Théodule, symptôme d’une pathologie française, symbole de l’impuissance du politique, mais un outil pertinent de pilotage et de contrôle d’une politique publique dont le budget, qui avoisine déjà 15 milliards d’euros, est appelé à croître au cours des prochaines années.
Sa mise en place est donc urgente et indispensable à la réalisation de nos ambitions. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à résorber les quelques blocages qui ont retardé sa création. L’inscription dans la loi de 2021 de son rattachement à la Cour des comptes, puis le décret du 6 mai 2022 relatif à ses modalités de fonctionnement, ont placé les magistrats financiers au cœur du dispositif. Cette centralité donnait automatiquement la prééminence à l’évaluation budgétaire et financière de l’APD, loin de l’esprit du législateur, qui souhaitait justement s’en départir.
Son placement auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, prévu par le texte, permet d’éviter ce glissement comptable.
Le texte précise également les missions assignées à la commission. Elle évalue les projets et programmes d’aide publique au développement, depuis leur conception jusqu’à leur mise en œuvre. Les résultats sont évalués du point de vue financier, mais aussi au regard des orientations de la France en matière de politique extérieure et de coopération et des intérêts de la France à l’étranger.
Ces clarifications me semblent de bon aloi, car elles placent l’aide publique au développement dans un cadre de réflexion stratégique plus global.
Cela étant, je souhaite porter à l’attention des futurs membres de la commission d’évaluation deux points qui me semblent d’importance.
Le premier point concerne le détournement des flux d’aide au développement. Ce phénomène, que beaucoup préfèrent minimiser, voire ignorer, existe bel et bien, même s’il est difficile à évaluer. La Banque mondiale s’y est essayée en 2020. En ce qui concerne les vingt-deux pays les plus dépendants de son aide, elle estime à au moins 5 % la part des flux détournés vers des paradis fiscaux. Ces fuites dans l’organisation de l’aide viennent renforcer des régimes corrompus ; la captation indue des richesses appauvrit encore davantage les populations et entrave le développement. Saluons au passage le système de contrôle des flux financiers mis en place par l’AFD en Côte d’Ivoire, dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (C2D).
Le second point concerne l’Agence française de développement elle-même. Nous connaissons tous les débats sur la tutelle de l’AFD, je n’y reviendrai pas. Dans son discours de clôture des États généraux de la diplomatie, il y a un an, le président Macron rappelait que l’AFD est l’outil essentiel de la France en matière de gestion des fonds publics destinés à l’aide publique au développement. Il avait néanmoins souligné la nécessité, pour l’Agence, de travailler en synergie et en bonne intelligence avec le ministère des affaires étrangères et de l’Europe (MEAE) afin de déployer des partenariats stratégiques, venant ainsi appuyer les recommandations que la Cour des comptes avait formulées dans sa note d’analyse de février 2020.
Cette commission d’évaluation me semble être en droite ligne avec cet objectif. Elle encouragera en effet les relations entre l’AFD et le MEAE. Son rattachement au ministère s’impose logiquement.
La commission d’évaluation doit incarner tout ce qui précède.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Jean-Luc Ruelle. Elle saura porter avec beaucoup de sérieux l’exigence nécessaire à ce travail. Nos quatre collègues députés et sénateurs veilleront au respect de l’esprit qui anime nos débats.
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, je souscris entièrement aux dispositions de cette proposition de loi, que je voterai sans réserve.
M. Christian Cambon, rapporteur. Merci !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous l’avez tous rappelé, cette proposition de loi précise et complète la loi du 4 août 2021, qui institue la commission d’évaluation de l’aide publique au développement.
Le texte précise que cette commission est chargée de l’élaboration d’un « cadre d’évaluation permettant de mesurer l’efficacité et l’impact de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ».
En 2022, la France a consacré à 15,2 milliards d’euros à l’aide publique au développement, faisant de notre pays le quatrième bailleur mondial en matière d’aide publique au développement.
Notre effort de solidarité se concentre sur les dix-neuf pays dits « prioritaires », une attention toute particulière étant portée à l’Afrique. En 2020, plus de 39 % de l’aide publique au développement bilatérale de la France, soit 3,6 milliards d’euros, étaient destinés à l’Afrique. Ces montants, très importants à l’échelle de nos finances publiques, justifient une plus grande clarté et plus de transparence sur l’aide publique au développement.
La création d’une commission d’évaluation spécifique répond parfaitement à cette demande, formulée par souci d’efficacité. En effet, la commission aura pour mission d’assurer la traçabilité et l’efficacité de notre aide publique au développement.
Je précise, comme certains d’entre vous l’ont fait avant moi, que cette évaluation ne se fera pas uniquement à l’aune de critères financiers. Très simplement, il ne s’agit pas de dire si l’argent public est bien dépensé ou non. Le travail de la commission prendra en compte un certain nombre de paramètres, comme le respect des dix objectifs fixés par le Conseil présidentiel du développement, qui s’est tenu l’année dernière.
Ce travail d’évaluation sera minutieux. Il s’agira de scruter l’avancée des projets d’aide publique au développement et de se poser des questions on ne peut plus concrètes. Les droits humains sont-ils bien protégés au Brésil ? L’accès à la santé a-t-il été dûment garanti au Liban ? Combien de femmes auront-elles bénéficié du plan de lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales au Sénégal ? Ces questions sont nombreuses.
Tous ces objectifs sont autant de défis ancrés dans le réel que nous entendons relever à travers le monde par le biais de notre politique de solidarité.
L’Agence française de développement est devenue une véritable plateforme pour le développement. Je tiens à cette occasion à saluer le travail formidable qu’elle réalise. Les femmes et les hommes qui travaillent à l’AFD contribuent à traduire en actions notre politique de développement dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’environnement, et dans bien d’autres encore.
La commission d’évaluation de l’aide publique au développement rendra justice à l’immense travail qui est mené. Elle permettra également aux grands acteurs du développement de renforcer leurs exigences, ce qui affinera davantage la qualité de leur activité.
La commission nous permettra aussi, à nous parlementaires, de prendre part à ce travail d’évaluation. La commission comprendra en effet deux sénateurs et deux députés. La présence de parlementaires dans cette instance sera, je l’espère, gage de la qualité du travail réalisé. Elle permettra de garantir une meilleure compréhension de l’aide publique au développement, laquelle sera travaillée dans des termes plus précis, notamment dans le cadre des discussions des projets de loi de finances.
Bien que les crédits alloués à l’aide publique au développement baissent cette année, afin de maintenir une trajectoire budgétaire maîtrisée, le Gouvernement prévoit de consacrer plus de 6,37 milliards d’euros en crédits de paiement à l’aide publique au développement dès le projet de loi de finances pour 2025.
Ce montant est à la hauteur de l’important travail que nous avons mené et il répondra aux exigences de celui qu’il reste à accomplir au cours des prochaines années.
Je souhaite porter un instant un regard plus large sur l’aide publique au développement, au-delà des projets élaborés et du travail mené depuis la France et sur le terrain par les acteurs du développement.
Je l’ai dit à cette tribune, lors de nos débats sur le projet de loi de finances pour 2024 : accompagner les pays les plus fragiles, c’est assurer notre propre sécurité.
Les ressources que nous allouons à notre politique de solidarité internationale ont un double effet. Elles servent à la fois un objectif de développement et un objectif de diplomatie. L’aide publique au développement permet le développement et l’entretien de relations bilatérales saines avec de nombreux pays. Quant à la qualité de ces relations, elle renforce la stabilité mondiale.
Malgré son importance capitale, notre politique de développement est mal connue du grand public. La commission d’évaluation garantira plus de visibilité à notre action. Cette commission est, somme toute, absolument nécessaire à la mise en œuvre et à la bonne compréhension de l’aide publique au développement.
Cependant, cette commission n’a toujours pas été instituée, trois ans après la promulgation de la loi de 2021, en raison de la confusion créée par le décret du 6 mai 2022 relatif à ses modalités de fonctionnement. Comme vous le savez, ce décret prévoit que sur les dix postes du collège d’experts indépendants, deux doivent être réservés à des magistrats de la Cour des comptes en activité, dont son Premier président.
Sachant que ce même décret prévoit que le président de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement est élu par et parmi ses membres, il devenait presque naturel que le Premier président de la Cour des comptes devienne ipso facto le président de la commission d’évaluation.
Ainsi, je suis d’accord avec la proposition de loi sur le point suivant : ce décret pousse la commission d’évaluation sur un chemin qui n’a pas été tracé par le législateur, lequel avait certes confié le rattachement et le secrétariat de cette instance à la Cour des comptes, mais n’avait en aucun cas prévu qu’elle y soit représentée. Le texte que nous examinons vient corriger la surinterprétation de la loi d’août 2021 induite par le décret du 6 mai 2022, surinterprétation reconnue par le Gouvernement.
Le texte vise également à mettre fin aux blocages et à dissiper définitivement toute confusion, en rattachant la commission au ministère des affaires étrangères. Pilote principal de notre politique nationale d’aide publique au développement, le ministère des affaires étrangères ne sera toutefois que le ministère de rattachement de la commission d’évaluation. Il n’exercera en aucun cas une tutelle sur celle-ci.
Bien au contraire, le ministère garantira l’indépendance de ses travaux. De plus, il gérera l’accueil et le secrétariat de la commission et veillera à ce qu’aucun de ses membres ne soit en situation de conflit d’intérêts.
Parce que cette commission d’évaluation est nécessaire à la conduite de notre politique d’aide au développement et qu’il est plus que temps qu’elle soit instituée, le groupe RDPI votera en majorité pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
Article unique
(Non modifié)
L’article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « du ministère des affaires étrangères » ;
b) La première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée :
« Elle évalue, de leur élaboration à leur mise en œuvre, la pertinence des projets et programmes d’aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l’étranger de la France. » ;
2° À la fin du II, les mots : « Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « direction générale chargée du développement international du ministère des affaires étrangères » ;
3° À l’avant-dernier alinéa du III, les mots : « premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « secrétariat général du ministère des affaires étrangères ».
Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Canévet, Delcros, Cambier, Bonneau, Henno, Bonnecarrère et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Courtial, Mizzon et Menonville, Mmes Billon et Romagny, M. Folliot, Mmes Jacquemet, Havet et Gatel, MM. Parigi et Kern, Mmes O. Richard et Herzog et M. Bleunven, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi rédigé :
« Art. 12. - I. – Il est institué une commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Cette commission conduit des évaluations portant sur la politique de développement, notamment sur son efficacité et son impact. Elle contribue à la redevabilité de cette politique et à la transparence sur les résultats atteints ainsi qu’à l’information du public. Le secrétariat de la commission est assuré par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat.
« II. – La commission est constituée de quatre députés et de quatre sénateurs désignés par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat de manière à assurer une représentation pluraliste, et de quatre personnalités désignées en raison de leurs compétences en matière d’évaluation et de développement, nommées par les présidents de chaque assemblée à raison de deux membres chacun.
« III. – Les groupes d’amitié de l’Assemblée nationale et du Sénat contribuent aux travaux de la commission, en évaluant de manière annuelle la politique de développement de la France, notamment sur son efficacité et son impact, dans les pays qui les concernent.
« IV. – La commission arrête de manière indépendante son programme de travail. L’État et les autres personnes publiques conduisant des actions en faveur du développement sont tenus de répondre à ses demandes d’information et de lui apporter leur concours dans l’exercice de ses missions.
« V. – La commission remet au Parlement, une fois par an, un rapport faisant état de ses travaux, conclusions et recommandations. Elle peut être directement saisie de demandes d’évaluation par le Parlement. Elle lui adresse ses rapports d’évaluation.
« VI. – Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale est destinataire du rapport d’évaluation de la commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et en tient compte dans l’élaboration des objectifs, orientations et moyens de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.
« VII. – La commission coopère, si elle le juge utile, avec les institutions et organismes d’évaluation des pays bénéficiaires intervenant dans le domaine du développement. »
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales avait institué une commission d’évaluation de l’aide publique au développement.
Le rôle du Parlement, d’après la Constitution, est entre autres d’assurer le contrôle de l’action du Gouvernement. Il est nécessaire que les actions de contrôle soient effectivement conduites par le Parlement, c’est-à-dire par l’Assemblée nationale et le Sénat.
J’avais déjà proposé, lors de l’examen du texte, ici, au Sénat, un amendement de la même nature, visant à préciser qu’il revenait aux parlementaires de se saisir du sujet. La majorité de mes collègues avait estimé qu’une commission formée autrement devait être créée. Deux ans et demi plus tard, voici le résultat : il ne s’est rigoureusement rien passé.
Nous devons remettre l’ouvrage sur le métier et revoir les choses. Tel est le sens du présent amendement, qui vise à confier à quatre députés, à quatre sénateurs et à quatre personnalités qualifiées, désignées par les présidents des deux assemblées, le contrôle réel de l’aide publique au développement, car et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de l’économie et des finances, tout comme l’AFD, disposent déjà, en leur sein, d’outils d’évaluation.
Confier au ministère de l’Europe et des affaires étrangères le soin de s’autoévaluer ne me paraît pas pertinent.
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’indique dès à présent que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public sur cet amendement par le groupe Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Eh ben ! Ils ont peur ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Je remercie mon collègue Michel Canévet, qui fait preuve d’une grande imagination sur cet article. Cependant, sa proposition d’amendement me semble souffrir d’un certain nombre de difficultés pratiques.
La première difficulté tient au fait que l’évaluation de 15 ou 13 milliards d’euros – le montant dépend des enveloppes considérées – constitue un travail d’une telle ampleur qu’il me semble dépasser les moyens pratiques des huit personnes en question, qui par ailleurs sont appelés à d’autres tâches.
C’est la raison pour laquelle, cher collègue, nous avions distingué deux collèges, un collège d’experts et un collège de parlementaires : le collège d’experts était chargé d’expertiser les dossiers et de réaliser ce travail d’évaluation précis, puis venait l’estimation réalisée par le collège des parlementaires, qui ne peut intervenir que dans un second temps.
Par ailleurs, il conviendrait de ne pas retirer à nos deux commissions parlementaires, celle de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, les tâches qu’elles effectuent habituellement, y compris lors de l’examen du projet de budget. Le Parlement doit pouvoir garder un certain recul.
Enfin, un point m’a beaucoup intrigué dans cet amendement, à savoir l’intervention des groupes d’amitié. Je ne sache pas que, constitutionnellement, les groupes d’amitié aient le moindre pouvoir de contrôle. Leur rôle consiste à instaurer des relations amicales et non pas à évaluer les politiques à l’égard de tel ou tel pays.
Vous proposez une forme d’extension du droit parlementaire, une sorte de diverticule institutionnel, une création sui generis. Cet amendement ne correspond pas véritablement – en vérité, pas du tout – à l’esprit de la loi. Au contraire, nous sommes favorables à une commission d’évaluation qui donne aux parlementaires le rôle qui leur revient.
Je précise, à toutes fins utiles, que le seul cas dans lequel une telle organisation existe est celui de la délégation parlementaire au renseignement : le droit d’héberger un secrétariat trouve son origine dans une loi organique, ce qui, en l’espèce, n’est absolument pas le cas.
La commission émet donc un avis totalement défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. Je souscris parfaitement aux propos de monsieur le rapporteur. Pour les nombreuses raisons qu’il a exposées, il ne semble pas judicieux de faire de cette instance une instance strictement parlementaire.
Je ne me fais que le porte-parole de ceux qui ont voté cette loi en 2021, mais je rappellerai que l’intention première du législateur était de disposer d’une commission composée à la fois de parlementaires et de personnalités qualifiées, en fonction des ministères chargés de la mise en œuvre de l’aide publique au développement.
L’amendement que vous proposez me semble aller à rebours de l’esprit de la loi de 2021. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Non seulement le groupe Les Républicains nous empêche d’avoir un véritable débat, mais il bloque les votes, de peur de perdre des voix ! C’est assez surprenant, et je le regrette.
Monsieur le rapporteur, l’amendement tend bien à prévoir que des personnalités qualifiées seront membres de la commission. Je ne vois pas quel est le problème ! Le dispositif proposé est exactement le même que celui que prévoit le texte. Simplement, la commission sera rattachée au Parlement. Elle sera ainsi plus indépendante – c’est ce que vous souhaitez, monsieur le rapporteur – pour évaluer l’aide publique au développement.
Nous ne sommes en rien à rebours de l’esprit du législateur, madame la ministre, au contraire ! Nous allons jusqu’au bout de cette nouvelle logique : pas de rattachement à la Cour des comptes et respect de l’indépendance.
Enfin, les parlementaires sauront travailler efficacement, comme au sein de toute autre délégation, ni plus ni moins. Monsieur le rapporteur, la solution que vous proposez implique bien que des salariés entourent les élus et travaillent avec eux. Je ne vois pas quel est le problème ! Vous souhaitez simplement empêcher tout débat, pour obtenir un vote conforme.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Je suis très étonné par les propos de M. le rapporteur. Si j’ai bien compris, le Parlement devrait non pas se saisir du contrôle et de l’évaluation des politiques gouvernementales, mais plutôt les déléguer à d’autres. Or telle est la mission confiée au Parlement par la Constitution ! Il doit l’assumer. Le contraire serait étonnant. Irions-nous nous dessaisir de nos prérogatives ?
Cela ne signifie pas non plus que les commissions compétentes – commission des finances et commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – n’ont pas de rôle à jouer. Au contraire, il faut qu’elles continuent à œuvrer en ce sens.
Grâce aux groupes d’amitié, nous disposons d’une expertise qui nous permet de bien connaître les pays. Il s’agit non pas de confier aux groupes d’amitié le soin de mener cette évaluation, mais de s’appuyer sur l’expertise qu’ils apportent au Sénat.
Soyons clairs, ce contrôle revient bien au Parlement. Le confier au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ne me semble pas aller dans le bon sens, d’autant plus que ce ne sont pas les parlementaires qui vont effectuer l’ensemble du travail. La commission définira des orientations de travail, pour cibler les contrôles ; par ailleurs, des crédits sont prévus pour qu’elle puisse faire appel, éventuellement, à des organismes indépendants et à des experts, afin d’enrichir le travail des parlementaires.
Nous demandons aux parlementaires non pas de tout faire, mais, au contraire, d’orienter les actions d’évaluation. Nous jouons pleinement notre rôle. Cet amendement est donc parfaitement logique : il vise à permettre au Parlement d’effectuer la mission qui lui a été confiée par la Constitution.