Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 165 :
Nombre de votants | 286 |
Nombre de suffrages exprimés | 285 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 171 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
du ministère des affaires étrangères
par les mots :
de France stratégie
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Je poursuis dans le droit fil de mon intervention précédente.
J’ai compris que M. le rapporteur souhaitait que la commission d’évaluation soit la plus autonome possible.
Plutôt qu’une autoévaluation effectuée par le ministère lui-même, et parce que le rattachement au Premier ministre constitue un gage de confiance, nous proposons que France Stratégie, organisme autonome rattaché au Premier ministre, puisse accueillir administrativement la commission d’évaluation.
La commission pourra, avec les moyens nécessaires, identiques à ceux de la commission qui pourrait être rattachée demain au ministère des affaires étrangères, effectuer ses opérations d’évaluation.
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 6
Après le mot :
ministère
insérer les mots :
de l’Europe et
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. L’objet de cet amendement est simple. La proposition de loi ne mentionne pas le nom exact et complet du ministère, qui est : « ministère de l’Europe et des affaires étrangères ».
Nous préférons que le texte, qui pâtit de beaucoup de maladresses et d’amateurisme, soit propre. Nous souhaitons l’améliorer et éviter de nouvelles erreurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Je déplore une forme de confusion. Prétendre que le ministère des affaires étrangères est le contrôleur et le contrôlé est un non-sens, une grave erreur et une offense faite à ce ministère tout à fait honorable.
Nous savons très bien, cher Rachid Temal, que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères veut au contraire renforcer son contrôle sur l’AFD, qui est le bras séculier de l’aide publique au développement, beaucoup plus que sur ses crédits propres.
Pour préserver son indépendance, vous voulez rattacher la commission d’évaluation à France Stratégie, organisme placé sous l’autorité du Premier ministre, comme Mme la ministre voudra bien le confirmer. J’ai entendu M. Temal dire que le Cicid avait pris quelques libertés avec le Parlement ; or, qui préside le Cicid ? Le Premier ministre !
M. Rachid Temal. Ça n’a rien à voir !
M. Christian Cambon, rapporteur. En d’autres termes, confier cette mission d’évaluation aux services du Premier ministre, qui par ailleurs dirige la politique d’aide publique au développement, en prenant parfois quelque peu ses distances avec les orientations définies par le Parlement, est une très mauvaise stratégie. (M. Rachid Temal désapprouve.)
La domiciliation de la commission d’évaluation auprès de France Stratégie ne correspond en rien à l’intention du législateur en 2021.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
J’en viens au second amendement. Nous pourrions vous présenter dix, quinze ou vingt projets de loi dans lesquels l’intitulé du ministère, qui change souvent d’appellation, il faut le reconnaître, est peu précis. De telles erreurs sont généralement rectifiées par décret. Cet amendement ne me semble pas justifié.
J’émets donc également un avis défavorable sur l’amendement n° 2.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. L’enjeu est de savoir si, placée sous la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la commission d’évaluation serait totalement indépendante.
Le texte propose simplement un hébergement ; l’indépendance de la commission est de fait garantie puisque, dans cette opération, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères n’aura qu’un rôle de secrétariat administratif.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, puisque vous avez vous-même rappelé que vous aviez été l’un des rapporteurs de la loi du 4 août 2021, je me permets de vous rappeler son article 12, que vous avez donc contribué à rédiger.
Cet article prévoit explicitement que la commission est composée d’un collège de parlementaires – j’imagine que personne ne doute de leur indépendance – et d’un « collège d’experts indépendants composé de dix personnalités qualifiées ».
J’ai entendu les arguments que vous aviez avancés, mais la loi indique très précisément que les experts membres de cette commission, qu’il s’agisse des parlementaires ou des personnalités qualifiées, sont tous profondément indépendants.
L’avis du Gouvernement sur ces deux amendements est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Madame la ministre, j’ai en effet contribué à l’élaboration du texte que vous évoquez. Toutefois, j’en fais une lecture différente : c’est vous – le Gouvernement – qui n’avez pas su mettre en application, depuis 2021, la loi votée par le Parlement à la quasi-unanimité. N’inversez pas la charge de la preuve : les parlementaires n’y sont pour rien.
Cher Christian Cambon, on nous dit que le ministère ne fera qu’héberger la commission et que cela ne posera aucun problème. Dès lors, pourquoi cela en poserait-il que la commission soit hébergée par France Stratégie ? Il y a là un réel souci de cohérence, car la question de l’hébergement se pose dans les mêmes termes dans les deux cas.
Personne ne croira que cette commission, qui ne sera pas indépendante, contrairement à ce qui est indiqué, puisse à la fois évaluer les projets du ministère et ceux, pour un montant de 15 milliards d’euros, de l’AFD, dont l’autorité de tutelle est ce même ministère ? C’est une fable !
Nous assistons à l’enterrement de première classe de cette commission d’évaluation et à une tentative de bâillonnement du Parlement afin d’obtenir un vote conforme. Mais lorsque nous nous reverrons pour évoquer les travaux de cette structure, il y a fort à parier qu’ils seront assez mauvais. Ça ne marchera pas !
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
la pertinence des
par le mot :
les
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Le texte évoque la « pertinence » des évaluations, ce qui revient à dénaturer le rôle de la commission d’évaluation en ce qu’il induit un jugement en « pertinence » et non plus sur le fondement des seules actions menées.
M. le rapporteur m’opposera sans doute que je n’ai pas lu la phrase concernée jusqu’au bout. Or j’ai beau la relire dans tous les sens, si j’en ôte le terme « pertinence », elle n’a plus du tout le même sens : c’est bien qu’il y a une différence.
Non seulement on veut mettre le Parlement de côté, mais on veut également que cette commission soit juge de la pertinence des projets. Or je peux vous assurer, madame la ministre – vous avez rappelé que j’ai été corapporteur du texte en 2021 –, que ce mot ne figurait pas dans le texte initial, car nous ne voulions justement pas d’un tel jugement. Nous voulions simplement que l’évaluation soit effectuée conformément à la loi et vérifier la mise en œuvre des projets, principalement ceux de l’AFD, sur le terrain.
En jugeant de la pertinence des projets, cette commission ne ferait plus d’évaluation : elle prendrait politiquement la main sur l’aide publique au développement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Ce terme a donné lieu à de nombreuses exégèses en commission.
Permettez-moi, cher Rachid Temal, d’en revenir au texte pour permettre à ceux de nos collègues qui n’ont pas participé à nos travaux d’en juger par eux-mêmes : « Elle évalue, de leur élaboration à leur mise en œuvre, la pertinence des projets et programmes d’aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l’étranger de la France. »
Ce terme, certes assez large, doit permettre de vérifier que les projets sont bien en ligne avec les objectifs de la loi du 4 août 2021 et les ambitions de l’aide publique au développement que nous déterminons chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances. Il permet également d’éviter que la commission se borne à n’être qu’une instance de contrôle des fonds publics, ce que nous avons voulu justement éviter en écartant de sa composition les magistrats de la Cour des comptes. C’est en effet à cette dernière seulement qu’est dévolu le contrôle financier.
Nous souhaitons que la commission soit une instance d’évaluation au regard des objectifs de la politique d’aide au développement, que nous avons l’occasion de préciser lors des débats d’orientation ou des débats budgétaires.
Pour toutes ces raisons, la commission souhaite conserver la rédaction retenue et émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. L’examen de la pertinence des projets se fait au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi. Il est donc bien ici question d’évaluer les projets et les programmes et non de contrôler l’usage des fonds.
Monsieur le sénateur, vous avez participé, en tant que parlementaire, à la revue de l’aide publique au développement de l’OCDE. Vous savez donc que l’analyse de la pertinence est l’un des six grands critères définis par le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE pour l’évaluation de l’aide internationale, aux côtés de la cohérence, de l’efficacité, de l’efficience, de l’impact et de la viabilité. Ces critères sont des standards internationaux pour l’évaluation des politiques de développement.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. En effet, madame la ministre, j’ai participé à ces travaux à la demande du Gouvernement.
Je reprends les termes de la phrase qui nous intéresse ici : « elle évalue […] la pertinence des projets et programmes d’aide ». Sans le mot « pertinence », cette phrase n’a pas le même sens. Vous pouvez prétendre le contraire, mais il y a bien une réelle différence. J’y insiste, vous dénaturez le rôle de cette commission.
Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le cinquième alinéa du III est ainsi rédigé : « La fonction de président de la commission est assurée alternativement, pour deux ans, par un député et un sénateur. » ;
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Pour renforcer l’indépendance de la commission d’évaluation que recherche le rapporteur, nous proposons qu’elle soit présidée par un parlementaire, en alternance tous les deux ans entre députés et sénateurs, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans un certain nombre d’organismes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Rien dans la rédaction du texte n’empêche l’élection d’un parlementaire à la présidence de la commission d’évaluation.
Cela étant, voilà une situation que je déconseille formellement. Dans notre esprit, et c’est l’un des éléments que nous souhaitons introduire dans le décret d’application, il faut un président à temps plein pour examiner 15 milliards d’euros de crédits. Je mets au défi n’importe quel parlementaire d’y consacrer la totalité de son temps, à moins de prendre des dispositions drastiques, y compris dans son propre département.
Michel Boutant et Yannick Vaugrenard, à qui je rends hommage, ont effectué un travail considérable au sein de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et y ont consacré une grande part de leur mandat. La présidence de la commission d’évaluation, c’est dix fois plus de travail !
Plutôt qu’à un parlementaire, veillons à confier la présidence de cette structure à une personnalité qualifiée à même d’y consacrer l’intégralité de son temps. Nous veillerons à ce que cela soit précisé dans le décret.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. Le mode de désignation du président de la commission d’évaluation est l’enjeu même de cette proposition de loi.
Le décret précisera l’organisation de la commission et singulièrement les modalités de l’élection de son président. Comme l’a souligné le rapporteur lors de la discussion générale, les parlementaires sont d’ores et déjà associés à la rédaction dudit décret, afin d’éviter ce qui s’est passé lors de la promulgation de la loi du 4 août 2021 et de parvenir au juste équilibre.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Madame la ministre, merci d’annoncer que les parlementaires sont associés à la rédaction du décret ; toutefois, sauf erreur de ma part, seul le rapporteur semble l’être… Notre groupe demande donc officiellement à y être associé.
Par ailleurs, permettez-moi de poser une question de droit : la loi n’envisageant pour le président ni rémunération, ni salariat, ni dédommagement, comment pourrez-vous le prévoir par décret ? Vous avez quatre heures ! (Sourires.)
S’il est possible d’inscrire cet élément dans le décret sans passer par la loi, j’aimerais savoir sur quel fondement avant de procéder au vote.
M. Rachid Temal. J’aurais aimé que l’on me réponde !
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° À l’avant-dernier alinéa du III, les mots : « au premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Les personnalités qualifiées ne peuvent plus remettre leur déclaration d’intérêts au Premier président de la Cour des comptes. Pour autant, nous ne pouvons accepter que ces déclarations soient remises au ministère, alors qu’il existe une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui fait référence en la matière.
Encore une fois, il s’agit d’une question de cohérence et d’indépendance. Aux termes du texte, un expert venant d’être nommé – reste encore à savoir par qui… – devrait ensuite remettre sa déclaration au ministère qu’il est chargé de contrôler. En termes d’indépendance et de liberté d’action, c’est un peu léger…
On m’opposera que les déclarations d’experts et de parlementaires, ce n’est pas la même chose. Toujours est-il que nous proposons de muscler le dispositif en faisant de la HATVP le récipiendaire des déclarations d’intérêts.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. L’article L. 122-2 du code général de la fonction publique prévoit que les agents publics nommés dans un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient déposent une déclaration d’intérêts auprès de leur autorité de rattachement.
Par ailleurs, l’article L. 122-4 du même code prévoit : « Lorsque l’autorité hiérarchique ne s’estime pas en mesure d’apprécier si l’agent public se trouve en situation de conflit d’intérêts, elle transmet la déclaration d’intérêts de l’intéressé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. »
Par ailleurs, je précise, comme Rachid Temal vient de l’évoquer, que la commission est composée de deux collèges et que seul le collège d’experts est visé, puisque le collège de parlementaires est évidemment soumis à l’avis de la Haute Autorité, bien connue de chacune et de chacun d’entre nous.
En outre, l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique comporte une liste exhaustive des personnes qui doivent remettre directement une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité. Or celle-ci ne mentionne pas les experts dont il est ici question. Y figurent, je le rappelle, des responsables publics de haut niveau, les membres des grandes autorités administratives, les parlementaires, bien évidemment, en raison des pouvoirs de sanction importants dont ils sont dotés et qui confèrent une importance particulière à leur déclaration d’intérêts.
Il n’y a donc pas lieu, en l’espèce, de tordre le cou au droit de la fonction publique. Des fonctionnaires ont tout à fait l’habitude de déposer une déclaration d’intérêts dans leur administration d’origine. S’il y a un doute, la HATVP peut être saisie, mais uniquement dans ce cas.
L’amendement n° 6 ne se justifiant pas, la commission y est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. J’émets, pour les mêmes raisons que M. le rapporteur, un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Encore une fois, monsieur le rapporteur, vos propos m’étonnent vraiment beaucoup. Si je vous ai bien écouté, les experts appelés à être nommés dans cette commission sont tous des fonctionnaires, qui devront donc rendre compte à leur ministère de tutelle. Je n’en reviens pas ! (M. Rachid Temal approuve.) Autrement dit, la commission d’évaluation n’aura aucune indépendance. Mais où voulez-vous donc nous emmener ? Il y a un problème quelque part !
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. J’ai noté que M. le rapporteur s’était appuyé sur une fiche juridique pour répondre à la question que j’ai posée sur l’instauration d’une rémunération sans aucune base légale. Pour autant, je n’ai toujours pas obtenu de réponse. Ce point posera inévitablement problème, mais nous en reparlerons en temps voulu.
J’évoquerai moi aussi, après mon collègue, la question du rattachement des fonctionnaires. Madame la ministre, puisque vous aimez à rappeler que j’ai été corapporteur de la loi de 2021, je vous rétorquerai, pour le coup, que notre demande, à l’époque, était de recourir à des experts internationaux, et non à des fonctionnaires français. Votre histoire ne tient donc pas debout : c’est de la poudre de Perlimpinpin !
Soit il s’agit bien de fonctionnaires, auquel cas, je le redis, ils devront porter un jugement sur l’autorité de tutelle qui les rémunère, et c’en sera fini de leur indépendance ; soit il s’agit d’experts internationaux, comme cela était initialement prévu, et toute cette histoire ne tient plus.
Nous sommes ici au cœur du problème : depuis le début de nos échanges, vous nous expliquez qu’il y a des réponses à tout, mais elles vont toujours dans le même sens, mais pas dans celui de l’indépendance.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur. J’apporterai un élément de précision. Certains ont peut-être mal compris, mais le collège d’experts de la commission d’évaluation ne sera évidemment pas constitué uniquement de fonctionnaires.
M. Rachid Temal. Ah…
M. Christian Cambon, rapporteur. Cependant, le même droit s’applique à tous, aux experts privés comme aux fonctionnaires.
En effet, dès lors qu’ils seront nommés au sein de cette commission, leur administration de rattachement sera le ministère des affaires étrangères, auprès duquel ils devront déposer leurs déclarations d’intérêts, qu’ils soient issus, je le répète, du secteur privé ou fonctionnaires.
M. Rachid Temal. Mais non, ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte !
M. Christian Cambon, rapporteur. C’est une règle constante en droit.
M. Rachid Temal. Non !
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous avons vérifié ce point, y compris lors des auditions.
M. Rachid Temal. Démontrez-le-nous !
M. Christian Cambon, rapporteur. Il n’y a pas que des experts fonctionnaires dans les commissions d’expertise de l’État. Des personnalités privées y siègent également et elles ont l’obligation de déposer une déclaration d’intérêts auprès de l’administration à laquelle elles sont rattachées.
Je le répète, c’est un principe parfaitement clair et constant dans le droit administratif français. (M. Rachid Temal exprime un doute.)
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :
« …. La commission coopère avec les collectivités territoriales, les organisations non gouvernementales, les universités, les centres de recherche et les groupes de réflexion ayant une expertise en matière d’évaluation de l’aide publique au développement. »
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Monsieur le rapporteur, je tiens à le souligner une fois de plus, l’argumentaire que vous nous avez lu ne concernait que les fonctionnaires. Contrairement à ce que vous affirmez, la situation n’est pas la même pour les experts issus du secteur privé et pour les fonctionnaires.
Le texte que nous nous apprêtons à adopter comporte donc deux problèmes juridiques majeurs.
M. Christian Cambon, rapporteur. Non !
M. Rachid Temal. Par cet amendement, nous proposons notamment d’ajouter, dans la composition du collège des élus, les collectivités territoriales, qui participent d’ailleurs très largement au financement de l’aide publique au développement.
Je sais que le Sénat, notamment la majorité sénatoriale, est très attaché à ce que les collectivités soient toujours mentionnées et associées. Cet amendement s’inspire d’ailleurs des réflexions de l’Assemblée des départements de France, de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et de Régions de France.
Encore une fois, je ne vois pas par quel tour de passe-passe il serait possible d’introduire la disposition que nous proposons par décret, plutôt que dans la loi. Il arrive un moment où il faut trancher.
Nous vous demandons tout simplement si, oui ou non, la proposition de loi comportera une référence à la possibilité d’intégrer ces collectivités au collège des élus. Ne nous expliquez pas que tout sera fait par décret, car cela ne fonctionnera pas. Il y a un trop grand écart entre la loi et les décrets.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Il est bien évidemment hors de question de se priver de l’avis des collectivités territoriales, comme cela a été souligné dans de nombreuses interventions. Pour autant, il ne me semble pas nécessaire de les mentionner dans la loi, car il faut au contraire, pour renforcer le travail de la commission d’évaluation, que le champ des experts soit le plus ouvert possible.
Je pense, par exemple, à la suggestion de notre collègue Jean-Luc Ruelle concernant les conseils locaux du développement, institués auprès de chaque ambassade dans le cadre de la loi de programmation de 2021. Pourquoi n’inscririons-nous pas non plus ces organismes très importants dans le texte ?
M. Rachid Temal. Allons-y !
M. Christian Cambon, rapporteur. En effet, leur rôle auprès de chaque ambassadeur est précisément de veiller à la mise en œuvre de l’aide au développement.
La présente proposition de loi n’a pas vocation à énumérer la totalité des organismes, bien au contraire. Il faut se laisser la liberté, y compris par le décret et même par la pratique, cher collègue, de faire appel à toutes les expertises, même celles qui ne sont pas citées dans la loi. Si l’on commence à préciser les ONG, lesquelles faut-il inclure ? Celles qui sont basées en France ou à l’étranger ? Et quel échelon de collectivités locales faudrait-il mentionner ?
Il convient plutôt d’ouvrir le jeu afin que toutes les expertises puissent être sollicitées par le collège d’experts et la commission d’évaluation.
J’insiste, monsieur Temal, sur cet exemple très concret des conseils locaux du développement, car ces institutions très importantes, instaurées par la loi dont vous avez été corapporteur, pourraient également être consultées le moment venu.