Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Rachid Temal et Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fraternité et la sororité sont des valeurs au cœur de notre engagement républicain.
Ce sont la fraternité et la sororité qui réconcilient le désir de liberté et l’exigence d’égalité.
Ce sont la fraternité et la sororité qui permettent de créer du lien malgré nos diversités d’origine, de croyance et de culture.
Surtout, ce sont la fraternité et la sororité qui permettent la solidarité et le partage entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n’ont pas assez.
Alors qu’aujourd’hui les pays de l’OCDE affichent un revenu par habitant cinquante-deux fois supérieur à celui des pays à faible revenu, alors que la moitié de la population mondiale n’a pas accès aux services de santé essentiels, alors que les impacts du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles et destructeurs et qu’il existe un problème d’accès à l’eau pour un grand nombre de populations, la France doit continuer à faire rayonner ces valeurs de fraternité et de sororité, piliers de notre promesse républicaine, au moyen de l’aide publique au développement.
Cependant, elle doit le faire avec éthique, équité et transparence.
Aujourd’hui, nous réalisons tous l’importance cruciale des politiques de développement solidaire dans la lutte contre l’exacerbation des inégalités mondiales. C’est d’ailleurs pour cette raison que les États membres des Nations unies ont structuré leur action en matière de développement solidaire et durable, en se fixant des objectifs à l’horizon de 2030.
À mi-parcours de cette échéance, deux ans après l’adoption par le Parlement de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, il est nécessaire de dresser un bilan et de rappeler le contexte, ainsi que la philosophie dans laquelle doit s’inscrire notre action en la matière, afin de voir comment nous pouvons gagner en efficience et en transparence.
Tout d’abord, au regard de l’accentuation des inégalités, je tiens à saluer l’engagement pris par notre pays d’allouer 0,55 % du revenu national brut à l’APD. Cet engagement, pris devant les instances internationales, symbolisait la volonté de la France de contribuer de manière significative à l’effort global de développement.
Malheureusement, aujourd’hui, cet engagement n’est pas tenu.
Pire encore, alors que la loi de programmation prévoyait une hausse progressive des crédits de l’aide au développement, de 5 milliards d’euros dans les deux prochaines années, le Gouvernement a annoncé 800 millions d’euros d’économies sur l’APD, soit plus de 10 % de l’ensemble des aides que la France choisit d’attribuer chaque année. Cela constitue clairement un coup de rabot porté à la solidarité internationale de la France.
Cette incohérence entre nos engagements et les annonces du Gouvernement écorne l’image de notre pays, d’autant que nous avons organisé, pas plus tard qu’en juin dernier, un sommet ambitieux pour un nouveau pacte financier et un plan de bataille mondial de réduction de la pauvreté et de lutte contre le changement climatique.
Il est urgent de respecter notre promesse, car un manquement apparaîtrait comme un renoncement à notre responsabilité vis-à-vis du monde et, plus particulièrement, des pays les plus vulnérables.
En outre, alors que la France a connu de nombreuses difficultés sur la scène internationale, notamment en Afrique, un tel renoncement serait perçu comme un énième signe de faiblesse envoyé à ceux qui aimeraient voir notre pays s’affaisser au niveau d’une puissance moyenne du point de vue géopolitique.
Pour cette raison, j’insiste fortement sur la nécessité de faire en sorte que les dépenses d’aide publique au développement atteignent le seuil de 0,7 % du RNB d’ici à 2027, chiffre que nous aurions d’ailleurs dû atteindre dès 2025.
Cela est d’autant plus nécessaire que l’APD constitue un moyen de rebâtir notre image dans nombre de pays qui ont, avec la France, un passé colonial douloureux.
En Afrique, il est nécessaire de nous projeter vers l’avenir, de reconnaître et d’assumer notre histoire coloniale. L’APD est l’un des moyens grâce auxquels nous pouvons contribuer à réparer les séquelles laissées par des siècles de domination. Il s’agit non pas de charité, mais de justice et de reconnaissance des interdépendances qui nous lient à ces pays.
En privilégiant des projets qui soutiennent l’autonomie et le développement durable, en écartant toute forme de néocolonialisme économique, nous poserons les bases d’un nouveau partenariat qui marquera le retour de la France.
Alors que la nécessité des financements s’est accrue, une attention particulière doit être accordée aux pays les moins avancés, avec une préférence pour les dons plutôt que les prêts. En effet, ces derniers, bien que parfois nécessaires, accroissent l’endettement des pays bénéficiaires, les enfonçant dans un cycle de dépendance et de vulnérabilité financière. Cette situation est préoccupante, dans un contexte où de nombreux pays en développement luttent déjà contre des défis économiques majeurs, exacerbés par le réchauffement climatique et les crises.
Ainsi, à l’instar du Conseil économique, social et environnemental (Cese), je recommande que la France promeuve l’adoption de nouvelles sources de financement innovantes, ainsi que l’augmentation des recettes de taxes existantes consacrées au développement des pays les moins avancés, comme la taxe sur les transactions financières ou la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
Enfin, tous ces financements, comme notre politique d’aide au développement dans son ensemble, doivent faire l’objet d’une plus grande transparence et d’un meilleur suivi. C’est d’ailleurs l’un des arguments qui ont justifié que, aux termes de la loi du 4 août 2021, la commission d’évaluation de l’aide publique au développement soit placée sous l’égide de la Cour des comptes.
Aujourd’hui, dans un souci de plus grande cohérence, on nous propose de placer cette commission sous l’autorité du ministre des affaires étrangères. Les arguments en ce sens se tiennent et nous pouvons entendre cette logique, mais cela ne saurait se faire au détriment des exigences de transparence, d’équité et d’indépendance.
C’est pour cette raison que nous devons être collectivement attentifs à l’esprit qui animera cette commission d’évaluation.
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Akli Mellouli. Pour conclure, mes chers collègues, je voudrais rappeler le travail remarquable de nos collectivités territoriales. Nos villes, nos départements et nos régions sont des acteurs importants dans le domaine de la solidarité internationale et de la justice climatique, dont l’engagement exprime l’implication de la société civile dans la lutte contre les inégalités mondiales.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Mellouli !
M. Akli Mellouli. Il serait donc opportun, madame la ministre, d’organiser annuellement des assises de la solidarité internationale et, dans ce cadre, d’inviter et d’associer les territoires.
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé !
M. Akli Mellouli. Nous voterons donc en faveur de ce texte tout en maintenant notre vigilance sur sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Rachid Temal. Quel talent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission d’évaluation de l’aide publique au développement a pour objectif d’aller au-delà d’un contrôle purement financier de l’APD en évaluant, à l’aune d’indicateurs précis, si celle-ci a permis, ou non, d’améliorer les choses pour les États bénéficiaires.
Ladite commission d’évaluation, visée par cette proposition de loi, s’inscrit d’ailleurs dans le consensus parlementaire cristallisé dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Cette loi, en clarifiant les rôles des différentes organisations liées à l’aide publique au développement, donnait à l’État comme objectif l’attribution à l’APD de 0,7 % du revenu national brut en 2025. Elle représentait donc une avancée importante, car elle fixait une date pour atteindre cet objectif, jusqu’alors maintes fois reporté sans échéance claire.
Cependant, le Président de la République a décidé, arbitrairement, lors du conseil présidentiel du développement qu’il a réuni en mai 2023, de modifier toutes les orientations de la loi de 2021. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement a pris acte des orientations du Président et a notamment décidé, en juillet dernier, de modifier les objectifs de l’APD, alors même que ces derniers avaient été inscrits dans la loi adoptée deux ans plus tôt.
Ces changements ont surtout permis d’assujettir notre aide publique au développement aux turpitudes de la politique étrangère du Président de la République. Le maintien des sanctions financières et la suspension de l’APD à l’encontre du peuple malien l’illustrent bien, alors même que les pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont, pour leur part, levé leurs sanctions. Cette décision pénalise l’une des populations les plus pauvres au monde.
En outre, le Cicid a également décidé de reporter l’échéance de l’objectif de 0,7 % du RNB, ce qui causera un manque à gagner de près de 11 milliards d’euros pour la solidarité internationale entre 2025 et 2030. Ce report d’objectif, que nous contestons, a été justifié par le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de finances adopté il y a trois mois, par le contexte de réduction du déficit public. Ce qui était alors présenté comme une simple pause dans l’augmentation de l’APD s’est transformé, quelque deux mois plus tard, en un retour en arrière, lorsque le ministre chargé des finances publiques a décrété une coupe de 800 millions d’euros dans les crédits de paiement de l’APD.
Ces décisions peuvent surprendre quand, dans le même temps, les crises se multiplient à travers le monde et entraînent bien des difficultés pour les populations en matière d’accès aux services publics et aux biens communs essentiels.
Il y a moins d’un an, le Président de la République accueillait des dizaines de chefs d’État et de gouvernement afin de provoquer un « sursaut de solidarité internationale » et un « choc des financements publics ». Une telle baisse de l’APD est incompatible avec les engagements de la France et avec son action diplomatique. Gardons-nous de faire perdre à la France sa crédibilité sur la scène internationale !
Pourtant, des solutions existent, comme la taxe sur les transactions financières. Pourquoi celle-ci reste-t-elle plafonnée à 528 millions d’euros, alors même que son objectif initial était de participer à la solidarité internationale ?
Dans un monde où les pays riches ont atteint un niveau record de développement humain, tandis que la moitié des pays les plus pauvres continuent à régresser et alors que, l’an dernier, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) s’est alarmé de la diminution, à l’échelle mondiale, pendant deux années consécutives, pour la première fois depuis trente-deux ans, de l’indice de développement humain, nous pensons qu’il est temps que la France prenne ses responsabilités. Alors, augmentons massivement le volume de notre fonds de solidarité pour le développement en rehaussant le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 % à 0,7 % et en élargissant son assiette, afin que plus d’entreprises y soient assujetties.
Enfin, si nous continuons de souligner les problèmes de critères, de ciblage ou de pilotage de l’APD, qui doit être démocratisée, nous considérons qu’il est urgent que cette commission d’évaluation soit créée, afin de rendre notre APD plus effective. C’est pourquoi les membres du groupe CRCE-K voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Rachid Temal applaudit également.)
M. Raphaël Daubet. Deux ans ! Deux ans depuis le décret d’application de la loi du 4 août 2021 et toujours pas de commission d’évaluation… Il était temps de réagir, d’autant qu’en matière d’aide au développement l’enjeu de l’évaluation est fort : on parle de 15 milliards d’euros par an, d’un budget qui a progressé d’un tiers depuis 2017 et d’une situation internationale extrêmement préoccupante dans de nombreuses régions du monde.
Dans le même temps, cette politique publique, à tort ou à raison, tend à devenir un outil supplémentaire au service de notre diplomatie, dans un contexte – il faut bien le reconnaître – de déclin de notre rayonnement et de notre influence.
Analyser l’impact de nos financements ici ou là dans le monde n’est pas un luxe. Face aux « narratifs » de nombreux états hostiles à la France et à l’Occident, le soutien que nous apportons un peu partout mérite d’être connu et reconnu. Une démarche d’évaluation ne peut être qu’utile et porteuse de progrès.
En outre, on l’a vu récemment, les crédits affectés à l’aide publique au développement sont toujours, quelle que soit l’ambition de départ, une cible facile pour les coupes budgétaires. Le décret d’annulation de crédits du mois dernier ôte 742 millions d’euros à l’APD, premier poste raboté en pourcentage. Or, beaucoup plus que par le passé, cette politique publique engage désormais la stabilité, la sécurité et la paix.
Enfin, entre le déficit budgétaire et la montée des populismes, cette politique publique devra à l’avenir, n’en doutons pas, faire plus que d’autres la démonstration de son utilité et de sa bonne gestion.
Bref, il est temps de mettre en place la commission d’évaluation prévue par la loi.
Pour ma part, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour l’aide publique au développement, je comprends que les enjeux afférents à cette politique ne peuvent être considérés sous la seule focale financière. Il faut prendre en considération les priorités de la politique extérieure de la France et, comme d’autres, je pense que la Cour des comptes n’a pas à juger de l’opportunité politique des choix qui sont faits.
Mes collègues du groupe du RDSE et moi-même ne croyons pas non plus qu’il soit bienvenu de placer cette commission sous l’égide du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Rachid Temal. Très bien !
M. Raphaël Daubet. La mise en place de cette commission devait permettre, dans l’esprit du législateur, de conduire des évaluations portant sur l’efficience, l’efficacité et l’impact des stratégies, des projets et des programmes d’aide publique au développement financés ou cofinancés par la France. Le ministre des affaires étrangères serait donc juge et partie ; ce n’est pas judicieux, car il faut garantir l’indépendance de la commission.
Il était pourtant si facile de rattacher cette commission au Parlement, auquel la Constitution – faut-il le rappeler ? – confie le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Nous soutiendrons donc l’amendement allant en ce sens de mon collègue rapporteur spécial pour l’APD, Michel Canévet.
Autre regret pour le groupe du RDSE : aucun échange formel n’est prévu entre les collectivités territoriales et la commission d’évaluation. C’est dommage, car la coopération décentralisée a des choses à nous apprendre. C’est aussi le sens d’un amendement de notre collègue Rachid Temal.
En tout état de cause, ce texte s’inscrit dans une nécessité temporelle et il faut avancer. Le RDSE fera le choix du pragmatisme : ses membres voteront pour ce texte afin de permettre, après deux longues années d’attente, l’institution effective de cette commission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et GEST. – M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France figure parmi les plus grands contributeurs mondiaux à l’aide publique au développement. Plus de 15 milliards d’euros y ont été consacrés par notre pays en 2022.
C’est bien sûr un motif de satisfaction pour la France, mais cela nous donne également une grande responsabilité quant à la manière dont cette aide est employée. En 2021, nous avons adopté une loi destinée à encadrer l’aide publique au développement. À cette occasion, nous nous sommes fixé un objectif quant au montant que notre pays devait lui consacrer. La France devra lui allouer en 2025 0,7 % de son revenu national brut ; il s’agit du seuil préconisé par les Nations unies. La France progresse vers cet objectif, malgré les difficultés budgétaires auxquelles elle est confrontée.
En temps de crise, la tentation est grande pour les États donateurs de faire l’impasse sur l’aide au développement, mais c’est précisément dans de telles périodes que cette aide est encore plus nécessaire aux populations qui en bénéficient.
Notre groupe soutient une conception de l’aide au développement tournée vers les partenariats et l’investissement. Nous approuvons la volonté exprimée par le chef de l’État de conduire des projets en traitant directement avec les sociétés civiles.
Enfin, nous tenons à ce que l’aide accordée par la France, issue de l’argent du contribuable, soit étroitement contrôlée. Nous devons nous assurer qu’elle ne bénéficie en aucune manière à nos adversaires et nous devons garantir l’efficacité de notre aide, afin que chaque euro compte.
La loi du 4 août 2021 prévoyait de renforcer ce contrôle par la création d’une commission ad hoc. Il est prévu que cette commission d’évaluation transmette des rapports annuels au Parlement afin de mieux éclairer ce dernier sur les conséquences de l’aide publique dont il vote chaque année les crédits. Mais, trois ans après l’adoption de cette loi, ladite commission n’a pas encore pu se réunir. Sa mission n’a pas été définie avec suffisamment de précision.
La publication du décret du 6 mai 2022 a laissé entrevoir une restriction de sa mission d’évaluation de l’aide publique. La commission s’apparentait de plus en plus à une commission de contrôle budgétaire. Sa présidence aurait ainsi été confiée, dans les faits, au Premier président de la Cour des comptes.
Or l’évaluation de la pertinence de l’aide publique de notre pays ne peut valablement se faire au travers du seul prisme budgétaire. L’examen financier est bien entendu nécessaire, mais il est insuffisant.
Nos collègues députés nous proposent aujourd’hui de préciser la mission de la commission d’évaluation. Celle-ci ne devra pas se contenter de rendre des avis budgétaires, mais aussi apprécier la conformité des projets financés aux besoins identifiés des populations, ainsi qu’aux intérêts de la France, car l’aide publique au développement accordée par notre pays doit servir nos intérêts – il serait bien naïf d’agir différemment.
Les auteurs du texte proposent de rattacher la commission non à la Cour des comptes, mais au ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Ce rattachement nous paraît plus cohérent avec les objectifs de la commission. Plusieurs dispositions du texte garantissent en outre l’indépendance des experts de la commission d’évaluation, qui seront tenus de remplir des déclarations d’intérêts afin de prévenir tout conflit en la matière.
Lors de l’examen du texte par la commission des affaires étrangères, le rapporteur Christian Cambon a proposé une adoption conforme du texte. Nous ne pensons pas qu’il soit opportun d’ouvrir d’autres débats relatifs à l’aide publique au développement. Nous sommes également persuadés qu’il est nécessaire de régler la question de cette commission d’évaluation au plus vite, afin de lui permettre de se réunir et de commencer à travailler. Aussi n’avons-nous pas déposé d’amendement.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, plusieurs l’ont dit avant moi, deux ans se sont écoulés depuis l’adoption de la loi du 4 août 2021, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur avec notre collègue Hugues Saury, que je tiens à saluer – deux ans pour essayer d’aboutir. Je dis bien « essayer », parce que ce que l’on nous propose ce soir, c’est un peu du Gérard Majax, pour les plus anciens d’entre nous : la grande illusion ! (Sourires.)
Je m’explique. Tout d’abord, on nous parle de commission indépendante, mais, sauf erreur de ma part, dans les modalités inscrites à l’article unique de la proposition de loi, il n’en est pas question ; le mot même n’apparaît nulle part, fût-ce dans l’intitulé du texte. J’ai bien compris que l’on se reposait sur toutes les données historiques, mais c’est tout de même compliqué…
Ensuite, les collectivités sont des contributeurs majeurs de l’aide publique au développement, mais elles ne sont mentionnées nulle part. On nous rétorque, pour nous rassurer, qu’elles apparaîtront dans le décret d’application. Je croyais – mais peut-être les choses ont-elles changé la nuit dernière – qu’un décret ne faisait qu’appliquer une loi, donc que, en l’absence de mention dans la loi, on ne pouvait rien faire apparaître de neuf dans le décret.
La troisième grande illusion rejoint le débat que nous avons eu tout à l’heure sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, au cours duquel tout le monde – jusqu’à nos deux collègues calédoniens – jugeait normal que le Sénat prenne sa propre décision et vote ce qui lui semble bon, que ce soit conforme ou non au texte de l’Assemblée nationale. Mais ce soir, rideau, chers amis ! Le Sénat n’aurait pas le droit d’avoir un avis, il faudrait que la proposition de M. Bourlanges, pour qui j’ai d’ailleurs beaucoup de respect, soit acceptée sans un mot, sans amendement, sans rien ! Grande illusion, disais-je…
Venons-en au fond du débat.
Chacun a salué la loi du 4 août 2021, moi le premier, mais je rappelle tout de même que ses budgets étaient déjà entamés, qu’il s’agissait d’une loi de programmation arrivant après coup, M. le rapporteur en conviendra avec moi. C’est tout de même extraordinaire ! On nous a dit : « Ce n’est pas grave, les deux premières années sont pour nous, occupez-vous des trois prochaines ! » Nous l’avons fait, mais le budget de ces trois années a été modifié après coup, avec l’annulation le mois dernier de plus de 742 millions d’euros de crédits, sans aucun débat au Parlement. On nous affirme que rien ne va changer, mais où vont passer les 742 millions qui manquent ? Si on les annule et que cela ne change rien, je m’interroge…
Ensuite, cette loi définissait dix-neuf pays prioritaires : dix-huit en Afrique et Haïti, dont chacun connaît la situation. Cela correspondait à une stratégie du ministre de l’époque et des deux chambres. Mais le Président de la République a réuni son conseil présidentiel – je souligne ce terme – du développement et a envoyé balader la loi, en virant les dix-neuf pays et en inventant d’autres critères, transversaux. On peut être d’accord ou non sur le fond ; ce qui est surprenant, c’est la méthode.
Par ailleurs, je veux souligner le fait que les deux ministres concernés par cette question ne nous ont pas fait l’honneur de leur présence ce soir, que, comme de coutume, nous examinons cette question très tardivement et qu’il n’y a quasiment plus personne dans l’hémicycle… Tout cela est bel et bon, mais nous continuerons !
Rappelons en outre que, quelques semaines après l’adoption de la loi de 2021 – je parle sous le contrôle de mon collègue et ami Christian Cambon –, nous avions dû valider le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, contrat fondé sur des dispositions antérieures à cette loi. On nous a assuré qu’il y en aurait un autre rapidement, mais cela fera bientôt trois ans que cette agence agit sur le fondement d’un dispositif qui n’est même pas celui sur lequel nous nous sommes prononcés. Mais, à en croire certains, ce n’est pas grave, continuons ! La musique est trop belle…
Je pourrais également citer les nombreux rapports budgétaires que nous n’avons pas encore reçus, et cætera, et cætera.
On nous dit ce soir qu’il faut agir vite, que l’on ne peut pas amender, qu’il faut être rapide. Vraiment ? Après deux ans ?
En outre, au cours de ces deux années, il s’est passé bien des choses ! D’abord, la commission d’évaluation a été placée auprès de la Cour des comptes. Je rappelle que nous y étions opposés, cher Christian Cambon, et que c’est le Gouvernement qui a imposé ce rattachement. Il est tout de même extraordinaire de revenir là-dessus ainsi ! Et puis, un an plus tard, le 6 mai 2022, un décret a enfin été publié, mais, on ne sait pourquoi, il n’a jamais été appliqué. Tout cela est surprenant. Mais on continue de nous demander d’accélérer…
Je suis désolé de le dire, mes chers collègues, mais, à examiner correctement les choses, on constate que l’on nous demande de voter l’adossement d’une commission d’évaluation qui, contrairement à ce que l’on nous avait dit, n’est en rien indépendante, à un ministère qu’elle devra évaluer ! En effet, la commission devra évaluer Bercy – je lui souhaite d’ailleurs bien du courage, elle n’y est nullement rattachée et il n’y a pas un mot sur ce ministère dans le texte –, l’AFD, c’est-à-dire 13 milliards d’euros – on peut être sûr que cela ne se fera pas – mais encore le ministère des affaires étrangères. Même McKinsey n’aurait pas osé vendre cela au Gouvernement ! Cela revient à dire au ministère des affaires étrangères : « Les gars, c’est fantastique, vous allez vous autoévaluer, mais vous serez vachement indépendants ! » Cela ne peut pas fonctionner…
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements assez simples ; j’y reviendrai.
On nous dit qu’il n’y a pas le temps, qu’il faut aller vite, mais le retard de deux ans est dû au Gouvernement ! Pour ma part, très respectueusement, j’ai lu la lettre en date du 11 mars dernier que Mme la ministre déléguée présente au banc a adressée au président Larcher et que nous avons tous reçue. Or, selon le programme de travail que ce courrier contient, une commission mixte paritaire sur la proposition de loi que nous examinons ce soir est prévue au mois de mai prochain. Donc, soyons rassurés : au plus tard au mois de mai, nous aurons un texte de loi ! Il n’y a pas péril en la demeure, chacun est donc libre ce soir de voter les amendements qu’il souhaite.
Nos amendements sont assez simples.
Pour commencer, si la commission d’évaluation n’est plus rattachée à la Cour des comptes – nous sommes tous d’accord là-dessus, ce n’était pas notre position, c’était celle du Gouvernement –, où la placer alors ? Pas au ministère : je l’ai dit, cela ne fonctionnerait pas. Nous proposons donc de la rattacher à France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre, mais autonome. (M. le rapporteur se montre dubitatif.) Vous pouvez faire la moue, cher Christian Cambon, mais c’est tout de même plus autonome que le ministère lui-même ! Au moins, France Stratégie, c’est son boulot. En outre, comme il s’agit simplement, d’après ce que l’on nous a annoncé, d’une question administrative, de la mise à disposition d’un secrétariat, ce cadre sera pertinent.
Ensuite, le texte donne à la commission la mission d’évaluer la pertinence des politiques publiques. Mais au nom de quoi devrait-elle évaluer la pertinence de ces politiques, puisque le cadre est fixé dans la loi ? Nous proposons donc de supprimer ce terme.
Enfin, au travers d’un troisième amendement, nous proposons que les collectivités locales – cet amendement nous a été inspiré par des associations d’élus et le Sénat est tout de même la chambre des représentants des collectivités, que nous passons notre temps à convoquer dans nos débats – soient membres du collège des élus.