Mme Cécile Cukierman. Je ne les accuse pas d’avoir renié la République !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas la conception de la République universelle que nous devons tous avoir. Il y a des Européens, des Blancs, des Wallisiens, des personnes d’origine japonaise ou des descendants de bagnards qui votent pour l’indépendance. Et, même si cela va contre la vision binaire de ce débat, il y a des Kanaks qui, depuis toujours, votent pour la France.
Cet argument du grand remplacement n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit, dans la révision constitutionnelle que nous proposons, de donner le droit de vote à des personnes pour des élections locales. Ce n’est pas la peine de refaire l’accord de Nouméa, ce qui d’ailleurs serait impossible ; nous ne modifierons pas les équilibres de cet accord.
J’ai déclaré à la tribune que j’étais favorable, au nom du Gouvernement de la République, à ce que la compétence en matière de diplomatie soit donnée à la Nouvelle-Calédonie.
J’ai déclaré à la tribune, ce que personne n’avait fait, pas même MM. Jospin et Rocard, que j’étais favorable, à la suite du discours de M. le Président de la République à Nouméa, à une plus grande autonomie encore de ce territoire, incluant toutes les compétences, y compris celles qui étaient prévues par l’accord de Nouméa et que les indépendantistes eux-mêmes n’ont pas encore réclamées – je pense par exemple à l’article 27.
J’ai déclaré que nous étions prêts à de nouvelles institutions, en nous montrant créatifs, pour que la Nouvelle-Calédonie demeure dans le giron français, tout en respectant une autonomie très large, à l’instar de ce que la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande, par exemple, ont accepté pour certains territoires.
Cela vaut mieux, je pense, que d’expliquer qu’il y aurait une organisation d’Européens blancs qui viendraient « grand remplacer » les Calédoniens kanaks…
D’ailleurs, madame Cukierman, si vous avez examiné la question de près, vous devez savoir que la démographie, en Nouvelle-Calédonie, est totalement à l’avantage des non-Européens. Même en incluant les natifs, même avec le dégel, les Européens sont minoritaires et le resteront. Cela prouve, d’ailleurs, qu’il y a bien des Calédoniens qui ne sont pas européens et qui votent contre l’indépendance, puisque les Européens, ou les Blancs, comme j’ai entendu dire à l’Assemblée nationale, ne suffisent pas pour constituer une majorité contre l’indépendance.
Ne faites donc pas croire que, avec le dégel du corps électoral provincial, nous parlons du référendum : il ne s’agit que des élections locales, et cela n’a rien à voir avec le référendum. Et ne faites pas croire que, quand bien même cela aurait à voir avec le référendum, cela rendrait d’un seul coup les indépendantistes majoritaires, car c’est absolument faux.
Vous savez très bien qu’il y a davantage de départs d’Européens et que les ressortissants de peuples non européens sont de plus en plus nombreux. Votre argument est donc à la fois difficile à entendre pour les universalistes que nous sommes en général et faux en termes arithmétiques – et quelle triste arithmétique !
Enfin, vous avez dit, madame Cukierman, que les dix ans glissants étaient interdits par nos engagements internationaux. Où êtes-vous allée chercher cela ? Pourriez-vous nous indiquer quelle instance internationale ou quel traité international prévoit qu’il est contraire à la Constitution d’exiger dix ans de présence glissante sur un territoire ?
C’était une proposition de Lionel Jospin. Et il n’existe pas au monde un pays démocratique exigeant qu’un citoyen – je ne parle pas des étrangers – soit présent sur son sol depuis dix ans pour voter à une élection locale.
Même les pays du Golfe, qui pourtant sont les plus restrictifs en matière de droit de vote, n’en sont pas là. Nous arrivons donc après l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis. Or vous m’avez presque donné l’impression que j’étais colonialiste… Aucun texte ne condamne la France à dix ans glissants, madame la sénatrice ; vous avez proféré une contre-vérité absolue, ce qui est grave.
Je finirai en déclarant à votre assemblée que, si nous ne modifions pas la Constitution, il y a deux options.
Ou bien le Gouvernement ne convoquera pas d’élections, et les Calédoniens ne seront pas en mesure de gérer les crises économiques et sociales. Je rappelle en effet qu’il s’agit d’un gouvernement autonome : le Sénat, chambre des territoires, respecte les règles de chacun d’entre eux. Nous proposons que l’on puisse enfin voter. Reporter d’un an une élection, c’est tout de même important. Les Calédoniens doivent pouvoir choisir leurs représentants, notamment pour gérer les crises économiques et sociales que vous avez évoquées.
Ou bien vous me demandez de convoquer des élections, puisque je suis le ministre chargé de le faire, sur une base électorale dont nous savons tous qu’elle ne tiendra la rampe ni devant le Conseil d’État ni vis-à-vis de nos engagements conventionnels, et alors même que le constituant avait clairement déclaré que la base actuelle ne vaudrait que jusqu’aux dernières élections provinciales.
Vous vous opposez à tout ce que nous vous proposons, sans présenter de solution de rechange, sinon pour dire qu’il faut absolument un accord. Mais il ne suffit pas de dire : « Accord, accord, accord ! » – vous reconnaîtrez la référence – pour en obtenir un.
M. le président. La discussion générale est close.
8
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
9
Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Nous en sommes parvenus à la discussion du texte de la commission.
projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la nouvelle-calédonie
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’avant-dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par l’accord mentionné à l’article 76 de la Constitution, l’État préserve les conditions du dialogue par le respect d’une stricte posture d’impartialité. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement me donnera, je l’espère, l’occasion de répondre factuellement à M. le ministre. En effet, il vise précisément à rappeler dans le projet de loi constitutionnelle que l’État se doit d’agir de manière impartiale dans ce dossier.
M. le ministre a parfaitement le droit de m’adresser des critiques, mais je souhaite lui répondre et montrer pourquoi je crois qu’il y a bien eu, de la part de l’État, violation du principe d’impartialité pour la tenue du troisième référendum.
Oui, c’est vrai, les indépendantistes ont demandé le 8 avril 2021 l’organisation d’un référendum sur l’indépendance.
La covid est arrivée en Nouvelle-Calédonie en septembre 2021 – c’est la date du premier cas recensé. La proportion des vaccinés était alors de 30 % environ. Les pratiques culturelles en Nouvelle-Calédonie, notamment lors des funérailles, ont conduit à formuler une demande de report non pas de dix ans, mais de quelques mois, jusqu’au lendemain des élections nationales de 2022.
Cette demande, qui ne paraissait pas déraisonnable et qui était liée à un contexte particulier, a été rejetée. Vous pouvez considérer que c’était une bonne idée, mais ce refus a été vécu comme une violation de l’impartialité.
Quant à Sonia Backès, elle est bien sûr une citoyenne comme les autres, qui a le droit d’être ministre, de se présenter aux élections et d’être nommée partout où elle le souhaite, si elle le peut. Mais, monsieur le ministre, vous qui faites de la politique, vous êtes assez intelligent pour comprendre que, six mois après avoir refusé de reporter de quelques mois un référendum, nommer au Gouvernement une personne qui représente l’un des camps a été perçu comme un soutien du Gouvernement à celui-ci. Il n’est pas besoin d’avoir un doctorat de sciences politiques pour comprendre cela.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a pour objet que la Constitution exige de l’État qu’il « préserve les conditions du dialogue par le respect d’une stricte posture d’impartialité ».
Passons sur les termes… L’impartialité n’est pas une posture, c’est une qualité. Et de cette dernière, bien sûr, l’État doit faire preuve, tout comme le Parlement et chacun de ses membres : tous, nous devons écouter tous les Néo-Calédoniens et favoriser leur accord pour un destin commun dans un cadre démocratique, évidemment.
La Constitution est malheureusement impuissante à garantir cette qualité personnelle chez tous ceux qui peuvent contribuer à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas son rôle, d’ailleurs, et cette disposition purement incantatoire n’a pas sa place dans un texte constitutionnel.
C’est pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement, tout en approuvant l’exigence impérieuse de l’impartialité de tous.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution est supprimé.
II. – Après l’article 77 de la Constitution, il est inséré un article 77-1 ainsi rédigé :
« Art. 77-1. – Dans les conditions définies par une loi organique, le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province est restreint aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années. »
III. – Par dérogation à l’article 77-1 de la Constitution, les mesures suivantes, nécessaires à l’organisation des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, avant le 1er septembre 2024 :
1° La détermination des motifs d’absence du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui ne sont pas interruptifs de la durée de domiciliation de dix années mentionnée à l’article 77-1 de la Constitution ;
2° Les modalités selon lesquelles une révision complémentaire de la liste électorale intervient avant ces élections, au plus tard dix jours avant la date du scrutin ;
3° La possibilité pour les électeurs remplissant les conditions mentionnées à l’article 77-1 de la Constitution d’être inscrits d’office sur la liste électorale et les modalités de cette inscription d’office.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, vous avez un avantage sur les parlementaires que nous sommes : votre temps de parole n’est pas limité.
Mme Cécile Cukierman. Je suis tout à fait prête à débattre avec vous sur le sens de la résolution de l’ONU de 1986 sur la Nouvelle-Calédonie, mais mon temps de parole ne me le permet pas.
Premièrement, vous semblez avoir été traumatisé, lors du débat à l’Assemblée nationale, par un groupe politique qui n’est pas représenté ici. Je vous invite à régler vos problèmes avec ce groupe, sans faire de moi leur victime expiatoire ou la responsable de ces difficultés.
Deuxièmement, vous pouvez toujours sortir des mots de leur contexte, y compris sur la situation spécifique de la Nouvelle-Calédonie, caricaturer les propos des uns des autres ou faire des amalgames avec des formations politiques qui n’ont aucun rapport. Si je puis me permettre un conseil personnel, monsieur le ministre, cela ne vous grandit pas et cela ne vous honore pas.
Nous avons des débats politiques, car nous ne sommes pas d’accord avec ce que vous proposez, dans ce texte comme dans d’autres. Néanmoins, je ne pense pas avoir jamais fait le moindre amalgame entre vos propos et le discours de partis qui ne sont pas dans l’arc républicain. Je vous demanderai donc, au minimum, d’exprimer vos désaccords avec mes propos sans aller plus loin.
Mme Audrey Linkenheld. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 9 rectifié est présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Barros et Bocquet, Mmes Brulin et Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mmes Silvani et Varaillas.
L’amendement n° 14 est présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 27 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.
M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement de suppression vise à protéger notre volonté de faire peuple et à assurer, avant tout accord, l’irréversibilité de l’organisation politique actuelle de la Nouvelle-Calédonie.
Le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution représente l’une des dernières traces de la citoyenneté calédonienne, puisqu’il introduit la notion de peuple kanak dans la Constitution. Il s’agit donc de protéger constitutionnellement notre volonté de faire pays. Pourquoi chambouler les équilibres si difficilement trouvés dans ces accords ? Par un acte unilatéral, le Gouvernement veut rayer le résultat d’un long combat.
La nouvelle organisation doit être mise en place uniquement par voie consensuelle, afin de définir plus précisément le périmètre de la citoyenneté. Nous demandons donc la suppression de cet article.
Le troisième référendum, monsieur le ministre, nous avons demandé son report : ce ne sont pas les indépendantistes qui ont réclamé qu’il se tienne en 2021 !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Corinne Narassiguin. Nous demandons également la suppression de cet article, dans la continuité de la position que M. Kanner a exprimée dans la discussion générale.
En effet, nous pensons que la méthode suivie est mauvaise. Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité de définir un corps électoral qui soit conforme à notre Constitution pour tenir des élections.
Nous avions voté pour le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Déjà, nous avions proposé lors des débats un report encore plus important. Il nous paraissait nécessaire, en effet, de montrer que les institutions de la République souhaitent donner le temps nécessaire à l’élaboration d’un accord global. Nous constatons, en fait, que le point d’atterrissage final, pour le dégel du corps électoral, sera sans doute assez proche de celui qui était prévu dans ce projet de loi constitutionnelle.
Toutefois, si vous sortez des négociations la question essentielle du corps électoral, qui est consubstantielle à la définition de la citoyenneté calédonienne, vous mettez en danger la possibilité même d’obtenir un accord politique global.
C’est pourquoi nous voulons supprimer cet article, afin de manifester de nouveau notre opposition à cette méthode assez brutale. J’ai eu en Nouvelle-Calédonie l’impression que l’État se comportait de manière paternaliste, comme avec des enfants. C’est ce sentiment-là que nous devons récuser.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 27.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement de suppression a déjà été très bien défendu.
Nous considérons qu’il y a bien un problème avec le corps électoral actuel, je le dis clairement, et qu’il faut en définir un autre par la négociation.
Si des négociations menées en Nouvelle-Calédonie et aboutissant à un accord de toutes les parties concernées conduisaient à la solution proposée par le Gouvernement, je pense que personne ici n’aurait rien à dire – ni d’ailleurs si le résultat différait d’une manière ou d’une autre de ce qui figure dans ce texte, du moment que ce résultat découle d’une négociation menée sur place et permettant un consensus entre toutes les parties concernées.
Le problème que nous avons avec cette proposition tient non pas au fond, mais à la manière dont elle est formulée, par qui et à quel moment. Il s’agit en effet d’une disposition unilatérale, qui s’appliquerait en l’absence d’accord. Nous considérons qu’il faut faire l’inverse : d’abord essayer d’obtenir un accord, puis le ratifier.
Vous pensez, monsieur le ministre, qu’en procédant de la sorte vous facilitez l’obtention d’un accord. En cela, vous admettez qu’une forme de pression est exercée par le Gouvernement : proposer la réforme a bien un effet. Pour nous, c’est en exerçant cette pression que l’on crispe les différents acteurs, ce qui risque de bloquer les discussions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ma conviction est exactement inverse à celle qui vient d’être exprimée par les auteurs de ces trois amendements.
Après avoir écouté toutes les parties calédoniennes sur place avec le président François-Noël Buffet et deux de nos collègues, je pense que les élections doivent se tenir le plus vite possible si nous voulons avoir une chance d’obtenir un accord de l’ensemble des parties avec le gouvernement français sur le destin commun des Calédoniens. Et, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, cet accord est le seul gage de stabilité pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Imaginons que les élections n’aient pas lieu dès cette année. Les formations politiques calédoniennes sont en compétition – d’ailleurs, cela ne se limite pas au clivage entre indépendantistes et non-indépendantistes ; le phénomène existe à l’intérieur de chacune des grandes mouvances politiques – pour la conquête d’un maximum de sièges au congrès de Nouvelle-Calédonie, dans la perspective des élections provinciales.
Or, je vous l’assure – c’est la conviction que nous avons retirée de nos entretiens –, ces formations ne pourront pas aboutir à un accord si elles sont en compétition et en opposition devant leurs électeurs.
Il faut donc que les élections aient lieu le plus vite possible, afin que l’on puisse ensuite négocier dans la sérénité cet accord attendu de tous. Depuis trois ans, démonstration a été faite – je n’incrimine personne – qu’il n’était pas possible de parvenir à un accord avant les élections. Faisons donc en sorte que les élections se tiennent.
Or cela ne pourra pas être le cas sur la base de la liste électorale gelée. Pour avoir des élections régulières, il faut dégeler la liste électorale. C’est ce que nous faisons à l’article 1er.
Supprimer le dégel définitif de la liste électorale, empêcher l’ouverture du corps électoral, maintenir le corps électoral restreint et limiter le vote à certains Calédoniens sous prétexte qu’ils seraient les seuls à avoir un intérêt au présent et à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, c’est ipso facto rendre la tenue d’élections impossible. Et comme il est nécessaire d’avoir des élections pour obtenir un accord, mon raisonnement est exactement contraire au vôtre.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis du Gouvernement sera également défavorable, pour deux raisons.
Premièrement, en proposant de supprimer l’article 1er, vous souhaitez notamment maintenir le dernier alinéa de l’article 77, qui fige le tableau électoral applicable aux élections provinciales néo-calédoniennes. Ce faisant, vous contestez le principe même de l’accord de Nouméa, en vertu duquel les dispositions concernées devaient avoir un caractère transitoire. Or la période de transition, au cours de laquelle les trois référendums ont eu lieu, est désormais achevée.
Deuxièmement, j’ai du mal à entendre les arguments sur le thème : « Attendons un accord. » Encore une fois, il ne s’agit pas de revenir sur les accords de Nouméa dans leur globalité. Le présent projet de loi constitutionnelle vise simplement à modifier le corps électoral, dans la perspective des élections provinciales. Et nous proposons d’y intégrer les natifs – c’était une demande du FLNKS –, ainsi que les personnes présentes sur le territoire calédonien depuis dix ans.
Tous les groupes, à l’exception du groupe communiste, conviennent qu’il faut sans doute modifier le corps électoral.
S’il y avait un accord global, celui-ci comprendrait certainement des dispositions électorales. Or, pour les indépendantistes, quel meilleur accord électoral pourrait-il y avoir que celui que nous proposons ?
D’une part, nous avons donné satisfaction à leur demande sur les natifs. D’autre part, nous avons prévu une obligation de présence sur le territoire de dix ans quand les non-indépendantistes réclamaient un an ou trois ans. Mais peut-être pensez-vous qu’il aurait fallu proposer quinze ans, vingt ans ou vingt-cinq ans ? Dans ce cas, autant dire que vous souhaitez revenir à une forme de gel du corps électoral !
Je vous répète, même si vous ne voulez manifestement pas l’entendre, que le FLNKS lui-même – je pense notamment à deux de ses composantes, l’Union calédonienne (UC) et l’Union nationale pour l’indépendance-Parti de libération kanak (UNI-Palika) – a toujours déclaré ne pas vouloir parler d’autre chose que d’une durée de dix ans.
Je profite d’ailleurs de l’occasion pour répondre au rapporteur Philippe Bas : nous sommes capables d’organiser les élections. J’espère que l’échange qu’il a eu avec le Haut-commissaire de la République sur place l’a rassuré sur la question des listes électorales. Nous avons travaillé, à la demande du FLNKS, pour déterminer où les électeurs seront plus nombreux en cas de modification du corps électoral.
À votre avis, qu’il y ait accord ou non, quelle serait la formule la plus favorable au FLNKS, sauf – de ce point de vue, je reconnais une certaine cohérence au groupe communiste – à refuser tout dégel du corps électoral ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous votez la suppression de l’article 1er, le corps électoral va s’éteindre. Car il faut bien comprendre que plus le temps va passer, moins il y aura d’électeurs.
Comme le Conseil d’État l’a lui-même indiqué, c’est un corps électoral fermé. En d’autres termes, nul ne peut l’intégrer, même en ayant des parents et des grands-parents présents sur le territoire depuis toujours !
C’est toute l’absurdité de la position des « indépendantistes officiels » du Sénat, incarnés, pour les besoins de la discussion, par le groupe communiste : vouloir ne toucher à rien, s’arc-bouter sur le corps électoral gelé sous prétexte que toute modification serait contraire aux institutions internationales et à la résolution de l’ONU, cela revient à dire qu’une bonne liste électorale, c’est une liste électorale sans électeurs.
Je pense vraiment qu’il ne faut pas voter ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.
M. Georges Naturel. Mes chers collègues, par ces amendements de suppression, vous proposez de mettre purement et simplement fin à tout ce qui fait l’intérêt du présent projet de loi constitutionnelle.
Sans l’article 1er, il n’y a pas de dégel possible.
Sans l’article 1er, quelque 20 % des personnes qui devraient pouvoir participer à l’élection des assemblées agissant – cela a été rappelé – pour la vie quotidienne des Calédoniens seront toujours exclues du corps électoral.
Sans l’article 1er, la Nouvelle-Calédonie sera hors des clous au regard – M. le ministre vient de le souligner – des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui lient la France.
Grâce à cet article, 25 000 Calédoniens auront désormais accès au suffrage. Et je rejoins M. le rapporteur : la Calédonie a le droit de connaître, enfin, un véritable exercice démocratique. Il est urgent que les élections aient lieu.
La situation économique en Calédonie est catastrophique. Or, nous le savons tous, l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas possible de trouver un accord aujourd’hui tient au fait que nombre d’élus actuels sont déjà en campagne pour les élections provinciales.
Faisons donc ces élections provinciales, et nous pourrons trouver un accord après.
C’est pourquoi je m’opposerai avec force à ces amendements de suppression, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, je veux bien que nous ayons tous les débats du monde, mais ne tombons pas dans la caricature !
Au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes cohérents. Nous proposons de mettre à profit au maximum le délai accordé par le Conseil d’État, c’est-à-dire d’aller jusqu’au mois de novembre 2025, pour faire aboutir la négociation à l’échelle locale et en transcrire juridiquement les conclusions dans la Constitution et dans la loi.
Pourquoi, nous demandez-vous, n’approuvons-nous pas les dispositions proposées alors que nous sommes d’accord sur la nécessité d’une modification du corps électoral ? Tout simplement parce que la politique, c’est aussi des symboles. Nous considérons – c’est d’ailleurs la tradition depuis près de quarante ans sur le Caillou – qu’il revient aux deux parties de décider localement. Nous savons bien, et vous le savez également, monsieur le ministre, que, dans la discussion globale, il y a la question du corps électoral. Pas de faux-semblants !
Je ne suis pas le porte-parole de l’une ou l’autre des parties. C’est aux deux parties de faire le travail. Nous ne disons rien d’autre. Notre position est cohérente. Ne faites pas semblant de croire le contraire. Nous avons une proposition globale.
Je souhaite répondre à M. Naturel, dont je connais l’engagement pour parvenir à une solution. Cher collègue, je veux bien qu’il faille aller vite. Mais, je le rappelle, le premier geste que nous avons fait à la demande du Gouvernement a été de reculer la date des élections. Nous pouvons donc très bien proroger le mandat des élus actuels si cela peut permettre d’aboutir à un accord. Car, et vous le savez mieux que moi, nous avons besoin d’un accord localement pour préserver durablement la paix.
Ainsi que vous l’avez rappelé à juste titre, la Nouvelle-Calédonie est confrontée à une crise économique, en particulier s’agissant du nickel. Et le Gouvernement n’est pas en reste, lui qui, je le rappelle, pose le débat en ces termes : « Si vous ne signez pas l’accord sur le nickel, nous n’irons pas plus loin ! » (M. le ministre le conteste.) Dans ces conditions, les choses ne sont pas simples… Je pourrais également évoquer les questions sociales.
Il y a effectivement beaucoup à faire. Mais, pour nous, la priorité est de parvenir à un accord local.